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Un mur implacable

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de ghoul

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Il y a 8 heures, de ghoul a dit :

Sa  compagne était elle aussi franco algérienne et c'est. C’est avec fierté qu’elle me l’avait fait savoir.

Les Français de souche restaient à l’écart, laissant leurs compagnons s’occuper des billets de transport.
Un jeune homme, sac au dos, donnait l’impression de vouloir me parler. J’ai senti qu’il était un peu perdu, ce qui m’a poussé à lui demander sa destination.

— Tu veux rejoindre Al Ismaïlia ?
— Oui, m’a-t-il répondu.

Il était lui aussi Algérien. Il n’avait que 19 ans.

— Tu peux rester avec nous. On va rentrer ensemble à Al Ismaïlia.

Un sourire de reconnaissance a illuminé son visage.
 

J'avais payé son billet de 100 livres égyptiennes. Bien que des signes de joie paraissaient sur son visage, il a, pour la forme, un peu rouspété :
— Merci beaucoup, mais je ne peux pas accepter.

Il a joint le geste à la parole en plongeant la main dans la poche de son pantalon, mais j’ai été plus prompte à refuser, l’empêchant d’en sortir ses quelques pièces. Il a fait une moue boudeuse, puis m’a remerciée une seconde fois.

Je ne sais pas si c’est ma conscience qui m’a dicté d’aider Réda — c’est le nom de ce jeune homme — ou s’il m’était tout simplement sympathique. Je l'avais considéré comme un fils, bien que ma fille fût un peu réticente. Pour elle, ce débordement de paternalisme était injustifié, et elle prédisait une arnaque :
— Papa, tu es trop bon avec ce jeune homme que tu ne connais même pas. Il se pourrait que ce soit un aventurier en quête d’une proie facile… ou un escroc.
D’autres voyageurs, surtout des Européens munis de sacs à dos, attendaient sur le quai. Le train arriva enfin et s’immobilisa devant nous, comme s’il nous invitait à monter à bord.
 

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Il n’y avait pas une grande foule, seulement ceux qui devaient rejoindre la marche. Nous avions choisi un wagon où les Égyptiens étaient majoritaires. L’air sentait un mélange de poussière et de métal chauffé par le soleil.

Ma fille s’installa en face d’une Égyptienne, tout près d’une grande fenêtre coulissante entrouverte, laissant entrer des bouffées d’air tiède mêlées au grondement de la gare. Étrangement, le siège juste à côté de cette femme resta vide, comme si une présence invisible en interdisait l’accès, et ce pendant tout le voyage, qui allait durer plus de deux heures.

Pour ma part, j’étais assis en face de ma fille. Réda, à côté de moi, observait la scène avec un air… indéchiffrable, un mélange de curiosité et de retenue. Les grincements métalliques des portes se mêlaient aux éclats de voix en arabe et au roulement lointain des chariots sur les quais. Peu à peu, comme par enchantement, le passage entre les bancs commença à se remplir : des valises raclant le sol, des mains agrippant les poignées, des corps se faufilant dans la chaleur étouffante du wagon.

Je regardais ma fille, un instant, oubliant le reste. Elle semblait absorbée par un monde qui n’était pas le mien, par cette Égyptienne en face d’elle, comme si un fil invisible les reliait. Je ressentis à la fois de la fierté et une étrange inquiétude : fierté de la voir déjà tisser des liens dans ce voyage incertain, inquiétude car je savais que ce train ne nous conduisait pas vers une promenade ordinaire.

Le train finit par démarrer, dans une secousse souple, emportant avec lui son cortège de visages fatigués, sans pour autant se remplir à cent pour cent. Dehors, la ville s’effaçait, et avec elle une partie de mes certitudes.
 

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Quelques minutes plus tard, comme par enchantement, des marchands ambulants surgirent dans notre wagon. Personne ne les avait vus entrer, et pourtant ils étaient là, alignés comme s’ils avaient toujours fait partie du décor. Certains portaient des plateaux instables remplis de verres de thé brûlants — qu’ils servaient en plein cahot comme si le train glissait sur du velours. D’autres brandissaient des sacs de cacahuètes, de fèves bouillies qui fumaient encore, ou des falafels croustillants dont l’odeur envahissait nos narines. L’un proposait du pain baladi chaud, un autre des pâtisseries dégoulinantes de miel, et même un vieux à la moustache grise tirait d’on ne sait où des bouteilles de soda glacé.
Le vacarme fut immédiat : « Chai ! Qahwa ! Ful ! Tamiyya ! » criaient-ils, couvrant presque le grondement du train. Les passagers riaient, négociaient, tendaient leurs mains pleines de pièces. Le wagon n’était plus un wagon : c’était devenu un marché roulant, une foire bondée posée sur des rails.
Moi, je restai interdit. Comment ces énergumènes avaient-ils réussi à grimper dans un train lancé à pleine allure ? Par les fenêtres ? En bondissant du talus comme des athlètes olympiques ? Ou peut-être qu’ils habitaient là, cachés sous les sièges, attendant patiemment que la faim des voyageurs les réveille…
 

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Une technique bien audacieuse des marchands ambulants attira mon attention. Sans demander la permission, ils lançaient à la volée leurs marchandises sur les sièges vides, parfois même sur les genoux des passagers distraits. Une bouteille d’eau ici, un sachet de cacahuètes là, un pain baladi chaud déposé comme une offrande improvisée. Ils donnaient l’impression de vouloir forcer la main aux voyageurs, comme si l’achat était déjà conclu par la simple présence de l’objet.
Puis, imperturbables, ils revenaient sur leurs pas, ramassant d’une main l’argent que les clients résignés ou amusés leur tendaient, et de l’autre récupérant ce qui n’avait pas trouvé preneur. Le tout avec une rapidité et une assurance déconcertantes, comme s’il s’agissait d’un ballet parfaitement rodé.
Je ne savais pas s’il fallait admirer leur audace ou me méfier de leur ruse. En tout cas, personne ne semblait véritablement choqué ; certains passagers souriaient même de cette mise en scène, comme si tout cela faisait partie du voyage autant que le bruit du train et l’odeur des falafels fumants.

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Je ne pouvais pas laisser passer une si belle occasion de bavarder avec un de ces énergumènes. Sans complexe, j’avais décidé d’imiter ma fille : après tout, parler égyptien doit être simple, c’est presque de l’arabe littéraire avec un accent de Nil.

Je me levai, gonflé d’assurance, pour héler le vendeur de thé qui s’apprêtait à quitter notre wagon :
— Ya fandeem aiize chaï ! (« Monsieur, je veux un thé. »)

Le marchand n’avait compris qu’un seul mot : « thé ». Il s’approcha aussitôt, la théière sur le bras droit, le gobelet en plastique coincé dans la main gauche, prêt à servir. Puis, soudain, il se mit à piailler comme un moineau pris dans un piège. J’aurais pu comprendre un oisillon affamé, mais lui, c’était un véritable concert incompréhensible.

Il fallait réagir : je n’allais pas rester planté là, bouche ouverte, à le regarder gazouiller. Alors, avec le sérieux d’un ministre, je lâchai :
— Kif kif !

Catastrophe. Le vendeur se figea net, comme s’il venait de voir le fantôme de Pharaon en personne. Sa main droite resta suspendue avec la théière, sa main gauche écrasa presque le gobelet. Ses yeux devinrent ronds comme des soucoupes, son visage se pétrifia. Autour de moi, les voyageurs égyptiens, qui jusque-là bavardaient joyeusement, rentrèrent aussitôt dans leur coquille. Tous les regards s’abattirent sur moi : on aurait dit que j’avais crié « Bombe ! » en plein aéroport.

Quelques secondes pesantes s’écoulèrent, puis le marchand explosa :
— Ta‘eez tihaddimni walla eh ?! (« Tu veux ma perte, toi, ou quoi ?! »)

J’étais figé, incompréhensif. Heureusement, ma fille bondit à mon secours, hilare :
— Ici, kif veut dire drogue ! Ils ont cru que tu en demandais ! Chez nous, kif kif veut dire « pareil ». Il voulait juste dire qu’il voulait un thé sans sucre !

Le wagon entier éclata de rire. Même le marchand, après m’avoir fusillé du regard, finit par secouer la tête et servir mon thé. Moi, j’avais juste appris une chose : l’arabe, c’est comme le thé, ça change de goût d’un pays à l’autre… et parfois, ça monte à la tête !

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Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Il y a 1 heure, de ghoul a dit :

Je ne pouvais pas laisser passer une si belle occasion de bavarder avec un de ces énergumènes. Sans complexe, j’avais décidé d’imiter ma fille : après tout, parler égyptien doit être simple, c’est presque de l’arabe littéraire avec un accent de Nil.

Je me levai, gonflé d’assurance, pour héler le vendeur de thé qui s’apprêtait à quitter notre wagon :
— Ya fandeem aiize chaï ! (« Monsieur, je veux un thé. »)

Le marchand n’avait compris qu’un seul mot : « thé ». Il s’approcha aussitôt, la théière sur le bras droit, le gobelet en plastique coincé dans la main gauche, prêt à servir. Puis, soudain, il se mit à piailler comme un moineau pris dans un piège. J’aurais pu comprendre un oisillon affamé, mais lui, c’était un véritable concert incompréhensible.

Il fallait réagir : je n’allais pas rester planté là, bouche ouverte, à le regarder gazouiller. Alors, avec le sérieux d’un ministre, je lâchai :
— Kif kif !

Catastrophe. Le vendeur se figea net, comme s’il venait de voir le fantôme de Pharaon en personne. Sa main droite resta suspendue avec la théière, sa main gauche écrasa presque le gobelet. Ses yeux devinrent ronds comme des soucoupes, son visage se pétrifia. Autour de moi, les voyageurs égyptiens, qui jusque-là bavardaient joyeusement, rentrèrent aussitôt dans leur coquille. Tous les regards s’abattirent sur moi : on aurait dit que j’avais crié « Bombe ! » en plein aéroport.

Quelques secondes pesantes s’écoulèrent, puis le marchand explosa :
— Ta‘eez tihaddimni walla eh ?! (« Tu veux ma perte, toi, ou quoi ?! »)

J’étais figé, incompréhensif. Heureusement, ma fille bondit à mon secours, hilare :
— Ici, kif veut dire drogue ! Ils ont cru que tu en demandais ! Chez nous, kif kif veut dire « pareil ». Il voulait juste dire qu’il voulait un thé sans sucre !

Le wagon entier éclata de rire. Même le marchand, après m’avoir fusillé du regard, finit par secouer la tête et servir mon thé. Moi, j’avais juste appris une chose : l’arabe, c’est comme le thé, ça change de goût d’un pays à l’autre… et parfois, ça monte à la tête !

Merci Tyson pour ce coeur venant du coeur

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)

J’étais devenu la petite vedette des enfants du Pharaon. On se tutoyait désormais, et chaque fois que je butais sur un mot ou un geste, ma fille, telle une traductrice improvisée, venait à mon secours.
C’est alors que je remarquai, de l’autre côté du passage, un Français chétif, un sac à dos bien serré entre ses jambes pendu. Dans mon esprit, cela ne faisait aucun doute : encore un manifestant venu pour Gaza, un compagnon de route. Mais la scène me serra le cœur. Trois jeunes Égyptiens l’encerclaient, ricanant, se moquant ouvertement de lui. Lui restait de marbre. Tellement indifférent qu’on aurait pu croire qu’il ne se rendait même pas compte qu’il était leur cible. Mais moi, je le voyais bien : cette impassibilité n’était qu’un bouclier fragile.

J’ouvris mon sac, presque machinalement, mais discrètement, comme pour briser le malaise. J’en sortis une bouteille d’eau minérale, quelques dattes, un gâteau sec — fabrication maison « made in ma femme » donc forcément meilleur que ceux du commerce. D'ailleurs je lui ai demandé d'ouvrir un commerce, mais elle a refusé en prétextant que ces gâteaux seraient uniquement pour moi et ses enfants. Moi en premier bien sûr.
Un petit conseil gratuit au passage : celui qui veut voyager n’a besoin que de trois choses, de l’eau, des dattes et des gâteaux secs. Avec ça, tu peux traverser l’Europe, filer jusqu’en Chine, et revenir en Europe et ton ventre restera fidèle compagnon.

Je voyais bien que ce compagnon de route n’avait rien avalé depuis au moins une heure. Sous cette chaleur accablante, j’en déduisis qu’il n’avait probablement rien dans son sac pour apaiser sa soif ou calmer sa faim.
Alors je soufflai à Réda qui était près de lui:
— Tiens, prends ceci et donne-le à notre ami, juste à côté de toi.

Réda ne se fit pas prier. Il tendit le petit sac en plastique. Un sachet noir, idéal pour conjurer le mauvais œil… et aussi pour que les enfants du Pharaon ne se ruent pas sur moi en réclamant leur part.

Mais le Français avait refusé. Réda me rapporta le sac sans insister. Je pensai qu’il craignait que je tourne en dérision son français hésitant. Alors je me levai. Il fallait que ce soit moi qui lui tende ce présent, et surtout que les règles de la bienséance soient respectées.

— Tu sais, pour un Arabe, refuser un cadeau, c’est comme une gifle en plein visage.

Il me fixa un instant, puis soudain son visage s’adoucit. Il esquissa un sourire qui le transforma complètement : il n’était plus le voyageur chétif, mais un homme digne. Les trois jeunes Égyptiens, eux, restèrent figés. Leurs ricanements s’étaient éteints d’un coup, avalés par le silence. Ils s’entre-regardèrent, hésitants, comme pris en faute. Quand le Français murmura son « merci », sa voix résonna doucement, mais avec une clarté telle qu’elle semblait rebondir sur leurs visages pour revenir se poser sur lui comme une bénédiction.

Alors je me tournai vers eux. Ma voix se fit plus grave, plus solennelle :

— Les Arabes sont connus pour leur hospitalité. Mais vous, avec vos agissements envers un étranger, vous êtes en train de déshonorer toute l’Égypte.

Je choisis mes mots en arabe littéraire. Cette langue résonna comme un verdict. Les trois jeunes baissèrent les yeux. Plus aucun sourire, plus de provocation. Leurs mains se crispèrent, l’une chercha à lisser un pantalon, l’autre triturait nerveusement une montre. L’un d’eux avala sa salive, un autre détourna le regard par la fenêtre. Aucun son ne sortit de leurs bouches. Ce silence-là était une réponse. Le message était passé.
 

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tison2feu Membre 3 132 messages
Forumeur expérimenté‚
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il y a une heure, de ghoul a dit :

Merci Tyson pour ce coeur venant du coeur

Cet extrait dialogué [épisode du thé] forme à lui tout seul un petit tabeau savoureux.

Du suspens et de l'humour. Un clin d'oeil métaphorique à l'Egypte où se trouvent nos voyageurs: "Le vendeur se figea net, comme s’il venait de voir le fantôme de Pharaon en personne".

Et ce que j'aime particulièrement, c'est cette petite chute finale en guise de synthèse / leçon tirée du moment vécu: "l’arabe, c’est comme le thé, ça change de goût d’un pays à l’autre… et parfois, ça monte à la tête !"

Oui, tout y est. :good:

Modifié par tison2feu
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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)
il y a 1 minute, tison2feu a dit :

Cet extrait dialogué forme à lui tout seul un petit tabeau savoureux.

Du suspens et de l'humour. Un clin d'oeil métaphorique à l'Egypte où se trouvent nos voyageurs: "Le vendeur se figea net, comme s’il venait de voir le fantôme de Pharaon en personne".

Et ce que j'aime particulièrement, c'est cette petite chute finale en guise de synthèse / leçon tirée de du moment vécu: "l’arabe, c’est comme le thé, ça change de goût d’un pays à l’autre… et parfois, ça monte à la tête !"

Oui, tout y est. 

Venant de toi c'est un beaume dans le coeur. Avant de me présenter dans ce forum, j'ai remarqué certains intervenants comme toi et Répy par exemple, et comme par hasard vous êtes parmi ceux qui me soutiennent

  • Merci 1
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Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Je m’arrête un instant pour feinter mon récit. Ce wagon, qui au début n’était qu’un lieu tiède, aphone, presque étouffant, me fait penser à un forum désert sur Internet. Vide, sans âme… jusqu’à ce qu’un inconnu, ou quelqu’un de connu, y lance un sujet. Alors, comme par magie, les réponses affluent, les voix se croisent, et l’espace se met à vivre.

Toutes les assemblées fonctionnent de la même manière. Dans une salle d’attente, chez le médecin ou le coiffeur, c’est pareil : le silence est roi, tout le monde s’ennuie en feuilletant des revues périmées. Et puis soudain, un homme se racle la gorge et lance une remarque banale, du genre : « Eh bien, il ne fait pas froid aujourd’hui ! » Immédiatement, il devient un héros : les conversations s’enchaînent, les têtes se tournent, les gens sourient. Le voilà promu animateur officiel de la salle d’attente.
 

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Ça commence toujours pareil : par la météo. Sujet anodin, inoffensif, qui met tout le monde d’accord. De là, une bouche ose lever les yeux, et déjà l’on saute vers l’espace, les étoiles, les mystères de l’univers. On rêve, on s’évade.

Qu'importe les bétises scientifiques  s'entrechoquent. Qu'importe des idées qui font rire apparaissent et c'est l'essentiel. Les voyages dans l'espace en générale sont trop court. 

 

Et aussitôt, d'autres voyages s’invitent : on traverse les océans, on fait escale à Acapulco, aux îles Hawaii, on s’émerveille de paysages lointains. Bien qu'aucun n'a visité ne serait-ce les contrées voisines. On en a entendu parler et l'imagination fait le reste. Mais inévitablement, on revient à son propre pays… qui, par contraste, semble toujours devenir le dernier des pays.

Et c’est là que le terrain se complique. Car après les étoiles et les plages exotiques, vient le temps de la politique. Alors les regards s’allument, les voix se tendent, les avis s’entrechoquent. Et les salles, naguère tiède et aphone, deviennent des théâtres vibrant où chacun veut dire son mot.
Mais dans le wagon point de politique, Sissi n'aime point ça et il veille aux grains.

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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En Égypte, le train semble ignorer totalement la notion de ZNA (zone non aedificandi) – ces zones réglementées qui, ailleurs, imposent une distance minimale entre une voie ferrée et les habitations, les routes ou les commerces. Ici, rien de tout cela. Le chemin de fer coupe littéralement au cœur des villes, frôle les trottoirs, traverse les ruelles encombrées.

La première fois que je l’ai vu, j’en suis resté stupéfait. Non pas ce train majestueux lancé à pleine vitesse, mais cette énorme machine métallique qui surgissait au milieu des passants, comme un invité imprévu dans une fête de quartier. Les enfants continuaient de jouer au ballon, les marchands de fruits ne bougeaient pas leurs étals, et les taxis s’arrêtaient simplement le temps du passage, comme si le train n’était qu’un véhicule parmi d’autres.

On aurait dit un tramway improvisé, sauf qu’il ne dessert que ses gares officielles. Il passe, impose sa présence, puis disparaît, laissant derrière lui le tumulte de la ville reprendre comme si rien ne s’était produit. Ce contraste entre l’ordre rigoureux que l’on associe aux chemins de fer et le désordre vivant des rues égyptiennes a quelque chose de fascinant.

C’est un spectacle presque surréaliste : un mastodonte de fer qui serpente entre les murs, les klaxons et les vendeurs ambulants, sans qu’aucune barrière, aucun règlement ne vienne s’imposer. Ici, la voie ferrée n’est pas un territoire à part : elle fait partie intégrante du tissu urbain, au point que l’on finit par se demander si ce n’est pas la ville elle-même qui a poussé autour du train, l’avalant comme elle avale tout.

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Le 17/08/2025 à 20:34, de ghoul a dit :

 

« La ville d’Al Ismaïlia commençait à dévoiler ses ruelles. Déjà, les voyageurs s’agitaient, prêts à quitter le train. Certains, semblables à des sprinters sur la ligne de départ, se plaçaient devant la sortie, guettant le signal invisible du starter ; d’autres, ralentis par leurs valises trop lourdes pour leurs épaules, traînaient derrière eux le poids de leur voyage. On entendait le cliquetis des serrures, les chocs des sacs qu’on tirait maladroitement, le froissement nerveux des vêtements dans le couloir étroit.

À travers les vitres, la ville offrait des façades blanchies par la poussière du désert, percées de fenêtres étroites d’où s’échappait parfois un linge suspendu. Des enfants couraient déjà le long du quai, pieds nus, levant la main pour saluer ou quémander une pièce. L’air, chaud et lourd, s’infiltrait par les portes entrouvertes, apportant avec lui une odeur mêlée de sable, de thé infusé et de gasoil.

Le train ralentit encore, grinçant comme s’il rechignait à céder sa cargaison humaine. Dans le couloir, les regards se croisaient : impatience pour certains, lassitude pour d’autres. Une femme serrait son enfant contre elle, redressant son foulard ; un vieil homme essuyait la sueur de son front d’un geste résigné ; un groupe de jeunes riaient bruyamment, comme pour couvrir le martèlement du freinage.

Puis, enfin, le convoi s’arrêta dans un soubresaut. Les premiers, déjà arc-bouté contre la porte, jaillirent vers le quai comme si une victoire leur appartenait. Les autres, à pas lents, s’étiraient dans la lumière éclatante, découvrant la ville comme on sort d’un long tunnel. Le voyage venait de prendre fin, mais une autre agitation commençait. »
 

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Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)

« Je ne sais si c’était par un accord tacite avec les manifestants de la cause des affamés, ou simplement le fruit du hasard, que nous nous retrouvâmes réunis à la sortie du train. Nous étions restés les derniers à quitter les wagons : nous trois, le Français, et ceux des autres voitures qui avaient, comme nous, tardé à franchir la porte.

En rang hésitant, nous mîmes ensemble nos nez, craintivement, à l’extérieur. Le souffle chaud du quai nous frappa au visage, chargé d’une poussière fine et de murmures indistincts. Nous retenions nos pas, comme si franchir ce seuil était un engagement que nous n’avions pas totalement choisi. À quelques mètres, des silhouettes immobiles semblaient nous observer, sans que l’on sache si elles attendaient pour accueillir ou pour juger.

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Membre, Forumeur confit, Posté(e)
Enchantant Membre 17 522 messages
Forumeur confit,
Posté(e)
Le 11/07/2025 à 12:11, de ghoul a dit :

un épisode marquant de ma vie : mon voyage en Égypte. Une aventure humaine avant tout, vécue avec sincérité.

Très bien écrite votre aventure...:good:

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Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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il y a une heure, Enchantant a dit :

Très bien écrite votre aventure...:good:

Merci enchantant, c'est un encouragement qui va droit au coeur

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Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)

Les portes de la gare s’étaient refermées sur les autres passagers comme un gouffre. Leur foule anonyme avait glissé à l’intérieur, engloutissant bruits, valises et visages. Nous, nous restions seuls, exposés, marqués.

À chaque pas, les silhouettes immobiles se précisaient. D’abord des ombres, puis des traits. Des mâchoires serrées, des yeux glacés. Leur silence avait la lourdeur d’une condamnation déjà prononcée. Nous avancions, et c’était comme marcher dans un piège que nous connaissions mais que nous ne pouvions éviter.

Le cercle se referma. Ils ne portaient pas d’uniformes, mais leurs mines patibulaires en disaient long : ils étaient là pour nous. Le premier choc fut rapide, presque invisible. Une main sortie de nulle part, une bousculade, et déjà le portable de ma fille avait disparu. Elle poussa un cri bref, étouffé aussitôt par ma poigne sur son bras.

— Calme-toi, soufflai-je.

Je sentis l’adrénaline battre dans mes tempes. Mais au fond, un étrange soulagement me traversa : ils avaient pris le mauvais téléphone, celui qu’on ne voulait plus à la maison, écran fissuré, batterie épuisée. L’autre, le vrai, le précieux, dormait encore dans sa cachette improvisée. C’était devenu ma monnaie d’échange, ma seule arme dans ce théâtre hostile.

Autour de nous, les policiers en civil resserrent l’étau, comme des chiens qui flairent une proie. Leurs regards allaient de nos visages fatigués à nos sacs, de nos sacs à nos poches, cherchant la faille. Les dés étaient jetés. Nous n’avions plus d’issue. Mais dans le secret de ma poche, je sentais le poids rassurant du portable caché. Un témoin muet, une preuve qui pourrait peut-être raconter, plus tard, ce que nous vivions à cet instant.
 

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Les filles furent envoyées dans une grande salle, assises, presque à l’aise.
Nous, les hommes, poussés dans un réduit sans porte, ouvert sur la cour. Pas de bancs. Pas de chaises. Un comptoir inutile grignotait ce qu’il restait d’espace.

Collés les uns aux autres, nous étions des oranges pressées. À la place du jus, la sueur dégoulinait. Mélange improbable : transpiration et Chanel.

Un policier en civil apparut. Nos passeports dans les mains.
Il criait un nom, levait les yeux, vérifiait la « marchandise ». À chaque fois, une orange reconnaissable.

Puis :
— Belil Mourad !

Silence.
Nous savions tous. Belil était aux toilettes. Personne ne souffla. Un bref instant, nous goûtions le plaisir d’une farce.


Le policier paniqua, fila vers un autre poste.
Et pile à ce moment-là, Belil revint. Tranquille, l’air de rien. Il entra dans la cage comme si de rien n’était, ignorant le chaos qu’il venait de déclencher.

Nous l’accueillîmes comme un héros revenu d’expédition. Certains sifflèrent, d’autres éclatèrent de rire. Nous avions trouvé notre distraction du jour.
Belil, lui, restait immobile, le front plissé. On lisait dans ses yeux l’incertitude : était-il revenu dans une cellule, un asile, ou bien s’était-il trompé d’adresse et débarqué dans un mauvais poste de police ?

Il tourna lentement la tête vers nous, comme pour chercher une explication. Mais tout ce qu’il trouva, c’étaient des visages luisants de sueur et d’hilarité contenue. Plus il fronçait les sourcils, plus nous rions en silence.

— Qu’est-ce que j’ai manqué ? finit-il par demander.

Et là, nous éclatâmes franchement. Dans cette cage suffocante, compressés comme des oranges, il nous avait offert une gorgée d’air frais. Un moment d’asile, oui, mais de l’asile joyeux, celui qui rend la détresse supportable.
 

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de ghoul Membre 511 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Le policier sortit précipitamment pour comprendre ce qui se passait dans le réduit.
Mourad, lui, avait décidé qu’il valait mieux ne pas se mêler à une bande de fous. Alors, par réflexe ou par malice, il resta debout… exactement à la place qu’occupait le policier quelques secondes plus tôt.

Quand l’agent revint, il le trouva là, face aux prisonniers.
— Qui es-tu, et que fais-tu ici ? lança-t-il, méfiant.
— Je suis Belil Mourad.

Le policier arracha le passeport d’entre ses mains, vérifia le visage, referma le document et lui cria au visage :
— Pourquoi tu n’as pas répondu quand je t’ai appelé ? Et que fais-tu ici ?!
— Tu ne m’as pas appelé, répliqua Mourad. Je viens juste d’arriver.

Il n’était pas impressionné. Son ton était catégorique, presque aussi tranchant que celui de l’agent du désordre.
— Où étais-tu ? reprit le policier.
— Là où tu ne peux pas aller à ma place. Avait répondu malicieusement Mourad.

Un silence suspendu.
Nous mourions d’envie d’éclater de rire, mais nous nous sommes retenus. Un éclat de plus et c’était la catastrophe.

 

Le policier, décontenancé, plissa les yeux.
— Tu te moques de moi ?
— Non, répondit Mourad, le plus sérieusement du monde. Je te l’ai dit, tu ne m’as pas appelé.

Le silence s’épaissit dans le réduit. On entendait seulement le bourdonnement d’un néon et quelques gouttes de sueur tomber sur le sol.

— Ici, c’est moi qui décide qui répond et qui se tait ! fulmina le policier.
— Alors appelle-moi, et je te répondrai, répliqua Mourad, imperturbable.

Certains d’entre nous étouffaient des rires, les lèvres mordues pour ne pas trahir l’hilarité. Le policier, lui, hésitait entre l’autorité et l’absurdité de la scène.

— Tu te prends pour qui ?
— Pour celui que tu cherches. Ni plus, ni moins.

Un souffle parcourut la pièce.
Nous étions à la limite de l’explosion, mais personne n’osa franchir la ligne. Parce qu’ici, un éclat de rire pouvait coûter cher. Très cher.

 

Le policier se redressa, comme pour se grandir.
— Tu crois que tu es plus malin que moi ? lança-t-il.
— Pas plus malin, répondit Mourad sans ciller. Juste présent.

Un murmure parcourut la pièce. Même les plus résignés d’entre nous levaient discrètement les yeux. On sentait que quelque chose basculait.

— Tu te fous de moi ! cria l’agent, les veines du cou gonflées.
— Pas du tout. Tu m’as cherché. Me voilà. Tu voulais Belil Mourad ? Le voilà. Alors pourquoi cries-tu ?

Le policier cligna des yeux. Son arme, l’autorité, semblait lui glisser des mains. Sa voix avait beau tonner, elle se perdait dans l’absurdité que Mourad renvoyait, comme un miroir.

Il tenta une dernière charge :
— Tu crois que tu es plus fort que la police ?
— Non, répondit Mourad, calme. Mais je suis plus fort que l’injustice. Et ça, tu n’y peux rien.

Cette fois, ce fut le silence total.
On n’osait plus rire. On retenait notre souffle. Car la scène avait cessé d’être comique. Elle avait pris une autre dimension, dangereuse, presque sacrée.

Le policier resta planté là, son passeport à la main, comme un acteur qui a oublié son texte.

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