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Un mur implacable

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de ghoul

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de ghoul Membre 441 messages
Forumeur accro‚
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Il y a 8 heures, de ghoul a dit :

Sa  compagne était elle aussi franco algérienne et c'est. C’est avec fierté qu’elle me l’avait fait savoir.

Les Français de souche restaient à l’écart, laissant leurs compagnons s’occuper des billets de transport.
Un jeune homme, sac au dos, donnait l’impression de vouloir me parler. J’ai senti qu’il était un peu perdu, ce qui m’a poussé à lui demander sa destination.

— Tu veux rejoindre Al Ismaïlia ?
— Oui, m’a-t-il répondu.

Il était lui aussi Algérien. Il n’avait que 19 ans.

— Tu peux rester avec nous. On va rentrer ensemble à Al Ismaïlia.

Un sourire de reconnaissance a illuminé son visage.
 

J'avais payé son billet de 100 livres égyptiennes. Bien que des signes de joie paraissaient sur son visage, il a, pour la forme, un peu rouspété :
— Merci beaucoup, mais je ne peux pas accepter.

Il a joint le geste à la parole en plongeant la main dans la poche de son pantalon, mais j’ai été plus prompte à refuser, l’empêchant d’en sortir ses quelques pièces. Il a fait une moue boudeuse, puis m’a remerciée une seconde fois.

Je ne sais pas si c’est ma conscience qui m’a dicté d’aider Réda — c’est le nom de ce jeune homme — ou s’il m’était tout simplement sympathique. Je l'avais considéré comme un fils, bien que ma fille fût un peu réticente. Pour elle, ce débordement de paternalisme était injustifié, et elle prédisait une arnaque :
— Papa, tu es trop bon avec ce jeune homme que tu ne connais même pas. Il se pourrait que ce soit un aventurier en quête d’une proie facile… ou un escroc.
D’autres voyageurs, surtout des Européens munis de sacs à dos, attendaient sur le quai. Le train arriva enfin et s’immobilisa devant nous, comme s’il nous invitait à monter à bord.
 

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Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 441 messages
Forumeur accro‚
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Il n’y avait pas une grande foule, seulement ceux qui devaient rejoindre la marche. Nous avions choisi un wagon où les Égyptiens étaient majoritaires. L’air sentait un mélange de poussière et de métal chauffé par le soleil.

Ma fille s’installa en face d’une Égyptienne, tout près d’une grande fenêtre coulissante entrouverte, laissant entrer des bouffées d’air tiède mêlées au grondement de la gare. Étrangement, le siège juste à côté de cette femme resta vide, comme si une présence invisible en interdisait l’accès, et ce pendant tout le voyage, qui allait durer plus de deux heures.

Pour ma part, j’étais assis en face de ma fille. Réda, à côté de moi, observait la scène avec un air… indéchiffrable, un mélange de curiosité et de retenue. Les grincements métalliques des portes se mêlaient aux éclats de voix en arabe et au roulement lointain des chariots sur les quais. Peu à peu, comme par enchantement, le passage entre les bancs commença à se remplir : des valises raclant le sol, des mains agrippant les poignées, des corps se faufilant dans la chaleur étouffante du wagon.

Je regardais ma fille, un instant, oubliant le reste. Elle semblait absorbée par un monde qui n’était pas le mien, par cette Égyptienne en face d’elle, comme si un fil invisible les reliait. Je ressentis à la fois de la fierté et une étrange inquiétude : fierté de la voir déjà tisser des liens dans ce voyage incertain, inquiétude car je savais que ce train ne nous conduisait pas vers une promenade ordinaire.

Le train finit par démarrer, dans une secousse souple, emportant avec lui son cortège de visages fatigués, sans pour autant se remplir à cent pour cent. Dehors, la ville s’effaçait, et avec elle une partie de mes certitudes.
 

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de ghoul Membre 441 messages
Forumeur accro‚
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Quelques minutes plus tard, comme par enchantement, des marchands ambulants surgirent dans notre wagon. Personne ne les avait vus entrer, et pourtant ils étaient là, alignés comme s’ils avaient toujours fait partie du décor. Certains portaient des plateaux instables remplis de verres de thé brûlants — qu’ils servaient en plein cahot comme si le train glissait sur du velours. D’autres brandissaient des sacs de cacahuètes, de fèves bouillies qui fumaient encore, ou des falafels croustillants dont l’odeur envahissait nos narines. L’un proposait du pain baladi chaud, un autre des pâtisseries dégoulinantes de miel, et même un vieux à la moustache grise tirait d’on ne sait où des bouteilles de soda glacé.
Le vacarme fut immédiat : « Chai ! Qahwa ! Ful ! Tamiyya ! » criaient-ils, couvrant presque le grondement du train. Les passagers riaient, négociaient, tendaient leurs mains pleines de pièces. Le wagon n’était plus un wagon : c’était devenu un marché roulant, une foire bondée posée sur des rails.
Moi, je restai interdit. Comment ces énergumènes avaient-ils réussi à grimper dans un train lancé à pleine allure ? Par les fenêtres ? En bondissant du talus comme des athlètes olympiques ? Ou peut-être qu’ils habitaient là, cachés sous les sièges, attendant patiemment que la faim des voyageurs les réveille…
 

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Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 441 messages
Forumeur accro‚
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Une technique bien audacieuse des marchands ambulants attira mon attention. Sans demander la permission, ils lançaient à la volée leurs marchandises sur les sièges vides, parfois même sur les genoux des passagers distraits. Une bouteille d’eau ici, un sachet de cacahuètes là, un pain baladi chaud déposé comme une offrande improvisée. Ils donnaient l’impression de vouloir forcer la main aux voyageurs, comme si l’achat était déjà conclu par la simple présence de l’objet.
Puis, imperturbables, ils revenaient sur leurs pas, ramassant d’une main l’argent que les clients résignés ou amusés leur tendaient, et de l’autre récupérant ce qui n’avait pas trouvé preneur. Le tout avec une rapidité et une assurance déconcertantes, comme s’il s’agissait d’un ballet parfaitement rodé.
Je ne savais pas s’il fallait admirer leur audace ou me méfier de leur ruse. En tout cas, personne ne semblait véritablement choqué ; certains passagers souriaient même de cette mise en scène, comme si tout cela faisait partie du voyage autant que le bruit du train et l’odeur des falafels fumants.

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