Éclairs et crépusculaires

Il s’était arrêté à l’endroit où le chemin de Compostelle quittait la route qui montait de Saint Jean Pied de Port pour emprunter un sentier qui montait à travers les cailloux vers la crête. 
 
Son fils le précédait.

Il montait avec peine. Ils arrivèrent à la crête, ils basculèrent sur l’autre versant. 

 
Ils avaient vu sur les monts qui avançaient en parallèle vers la vallée d’Irouleguy. Le Mouno, l’Oilarendoy, plus loin à l’horizon le Hausa et le col d’Ispeguy. La chaîne de l’Iparla fermait la vallée. 

Il dit, désignant  les montagnes : je m’enfuyais là quand j’étais ado. 

Son fils ne répondit pas.
 

Il s’inquiéta, se demandant si ce dernier l’écoutait, s’il ne s’ennuyait pas. Il voulait pourtant marcher au moins jusqu’à la fontaine Roland.

Alors qu’il regardait le Mouno il essaya de se remémorer toutes ses courses sur ce mont là. Mais rien ne lui revenait précisément. Il aurait fallu qu’il fasse un effort pour se remémorer mais il ne le voulut pas. Il s’étonna que ses morts, père, mère et frères qui parfois firent ces mêmes courses  n’imprimassent pas plus spontanément sa mémoire.

Au lieu de cela il pensa aux morts sous ses pieds, alors que jamais jusque là il n’y avait pensé. Combien de générations étaient passées là ? Les troupes de Napoleon, celles de Charlemagne et tous les ascendants des temps immémoriaux. Qui gardait leur mémoire ? 
 

Qui les gardait ? Il les sentaient sous ses pieds nus, posés sur l’herbe rase. Il se rappela comment les Kanak marchaient à Nouméa eux aussi les pieds nus sur la terre pour rester en contact avec leurs ancêtres. 

Le 23/09/2022 à 23:06, satinvelours a dit :

(...)

Il dit, désignant  les montagnes : je m’enfuyais là quand j’étais ado. 

(...)

Le 23/09/2022 à 23:06, satinvelours a dit :

les Kanak marchaient à Nouméa eux aussi les pieds nus sur la terre pour rester en contact avec leurs ancêtres. 

Bonjour,

Oui, mais les ancêtres ca vous enrhume ....

Ils continuèrent vers la Fontaine Roland. Il essayait de parler à son fils. Il avait le sentiment de mal s’exprimer, de dire des futilités lors même qu’il était intensément tendu dans le désir de transmettre. Mais transmettre quoi ? Les mots ne venaient pas.

Il s’inquiétait au fur et à mesure qu’il s’apercevait qu’il n’ existait pas de mots. Il avait le sentiment qu’un savoir indicible s’avançait comme un fleuve céleste, invisible, là, à travers les monts et versait en lui. Peut-être ce fleuve cheminait-il jusqu’à son fils ? Pour en connaitre la source fallait-il remontrer des années, des siècles auparavant, sauter par-dessus la mémoire des père et mère ? Sans doute fallait-il précisément aller au-delà de la seule mère qui lui sembla à ce moment-là être, pour lui, le rapporteur de manières d’être et de penser, transmises pour elle par des êtres trop lointains pour qu’il puisse aujourd'hui les identifier.

Il y a 15 heures, satinvelours a dit :

Ils continuèrent vers la Fontaine Roland. Il essayait de parler à son fils. Il avait le sentiment de mal s’exprimer, de dire des futilités lors même qu’il était intensément tendu dans le désir de transmettre. Mais transmettre quoi ? Les mots ne venaient pas.

Bonjour,

Si l'enfant a eu en héritage cette faculté de comprendre les choses a demi-mots, ou par l'atmosphère (est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère?) d'un lieu, alors effectivement la parole est a l'instinct...

c'est chouette d'avoir la notion du passé d'un endroit, des gens qui ont pu cheminés au même endroit ; mais le temps des uns n'est pas celui des autres, et il est rare que l'histoire enrichisse notre présent, de manière factuelle... cela rajoute une légende a  d'autres légendes...

cela me rappel un proverbe oriental " Le passé est une lampe que l'on porte dans le dos, et qui n'éclaire que le chemin parcouru " j'ajouterai que cela forme notre expérience, a ne pas reproduire d'erreurs dans le futur, et c'est déjà bien.

Quand il venait lire et écrire sur le forum il se demandait s’il ne cherchait pas là un moyen artificiel, un chemin théâtral pour s’exposer à une dégradation morale. 

Ne tentait-il pas de revivre là, en ce lieu, des situations éminemment dégradantes ?

Et ne recherchait il pas alors à enfin trouver le chemin à suivre pour se dégager de la honte ? Non seulement sortir de la honte mais oser vivre, sous son propre regard, ainsi qu’il était, ainsi qu’il fut, ainsi qu’il est, toujours ?