D'après Rousseau les hommes avaient-il originellement besoin de la langue ?

Bonjour , je ne sais quoi penser de cette question .

D'un coté j'ai envie de répondre oui car d'après Rousseau " Si les hommes ont eu besoin de la parole pour apprendre à penser , ils ont eu plus besoin encore de savoir penser pour trouver l'art de la parole." Et d'un autre la réponse "non" me parait tout autant juste du fait que " l'effet naturel des premiers besoins fut d'ecarter les hommes non de les rapprocher" . Pourriez vous m'éclairer s'il vous plait . Vous en remerciant et vous souhaitant une bonne journée . Jean . G

Non, on ne pense dans aucune langue. Le langage sert à exprimer la pensée, pas à la former.

Nos ancêtres communiquaient par grognements, ce qui est succinct. Quand il a été bipède, l'humain a libéré ses membres supérieurs, il a communiqué par gestes. Puis, plus discrètement, il a fait des mimiques. La parole a suivi. La parole est le produit de l'adaptation.

Le langage est un moyen d'action sur l'auditeur. Mais pour savoir que l'on parle, il faut vérifier que cet auditeur a compris ce que l'on dit. Sans auditeur, pas de parole, pas de langage. Le langage est social, communautaire.

il y a une heure, jastoire a dit :

" Si les hommes ont eu besoin de la parole pour apprendre à penser , ils ont eu plus besoin encore de savoir penser pour trouver l'art de la parole."

Rousseau fait l’hypothèse que c’est la parole qui est à l’origine de la pensée humaine ?

Il est vrai qu’à son époque prérévolutionnaire, le grand art était celui du discours ampoulé et d’une parole ronflante. Prétendre que la parole est à l’origine de la pensée, c’est faire la part belle aux orateurs de l’époque, c’est un bon argument de vente, incontestablement.

Pour ma part, mon hypothèse, est que c’est l’écriture qui est à l’origine de la pensée, non pas la parole. Chacun sait que les paroles s’envolent et que les écrits restent.

Or, la meilleure façon de préciser ce que l’on veut dire ou exprimer, c’est de l’écrire.

L’écrit, la lecture, structure la pensée, il permet de revenir sur le sujet, d’y réfléchir, de modifier, de raturer, de s’opposer, d’en convenir, bref c’est ce qui m’a traversé l’esprit en lisant ce texte de Rousseau.

Verbis defectis musica incipit: lorsque les mots faiblissent, la musique apparait. Cette formule met en avant la faiblesse du langage pour expliquer nos émotions et effectivement notre français a zappé une dizaine de mot grec et latin pour signifier amour et on a garder que le verbe "aimer". Ainsi "j'aime" s'accorde aussi bien avec l'amour de notre vie, l'équitation, ma soeur, mon collègue de travail, le chocolat et les nouilles. 

A mon sens donc la pensée l'emporte sur le langage, un peu comme les animaux qui vont penser sans langue. Donc non les hommes n'ont pas besoin de langue pour penser...

En revanche, (antithèse): La pensée ne sera pas spécialement évoluée, au même titre que la musique qu'on considère parfois comme un langage pour pouvoir transmettre des émotions. Mais on a jamais vu personne commander une pizza au téléphone avec sa trompette. Même un virtuose n'arrivera pas à commander une 4 fromages familiale à livrer au 22 rue des acacias.

On peut supposer que apprendre à penser impliquer effectivement un apprentissage et donc une pensée qu'on ne possède pas déjà. On quitte alors l'inné du langage animalier (j'ai faim, j'ai envie de baiser, attention y a un prédateur etc.) pour entrer dans une pensée plus profonde (comme se demander ce qui l'emporte entre le manque de nourriture et le manque d'amour, comment éviter un mari jaloux et pourquoi la jalousie s'il y a de l'amour par exemple). 

Le fait que la langue soit une langue vivante, c'est à dire en perpétuelle évolution (et chaque année de nouveaux mots entrent dans le dictionnaire) démontre que notre pensée fabrique les mots pour être au plus proche de notre pensée. Quitte à prendre des mots de langue étrangère parce que notre langue n'a pas d'équivalent. 

Attention enfin à la réciproque qui est aussi possible, à savoir que la langue peut aussi fabriquer de la pensée. Un exemple tiré de ce bouquin de Umberto Eco A reculons, comme une écrevisse  explique que 3 arguments positifs et négatifs vont influencer l'auditeur selon la manière dont ils sont placé:

Les chiens sont de bons compagnons pour les enfants, fidèles, toujours heureux de nous voir MAIS ils provoquent des allergies, peuvent mordre le facteur et coutent cher à entretenir...

Les chiens provoquent des allergies, peuvent mordre le facteur et coutent cher à entretenir MAIS ils sont de bons compagnons pour les enfants, fidèles, toujours heureux de nous voir...

Ainsi la langue fabrique une pensée négative dans la première phrase et une pensée positive dans la seconde.