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Annalevine

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Ambre Agorn Membre 2 156 messages
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Bienvenue, et merci pour ce partage, ces épisodes de vie en Nouvelle Calédonie

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Annalevine Membre 3 528 messages
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Mardi 26 janvier 2021

Jacqueline est allée faire un tour hier dans le centre de Nouméa. Elle a visité le musée kanak. Elle ne s’est pas attardée

.Quand je suis allé avec elle dans ce centre, le lundi de la semaine dernière, je fus étonné de constater que les trois-quarts des commerces étaient fermés. Quand je m’en étonnais près d’une kanak, celle-ci protesta : oh mais il y a quand même des commerces ouverts. Devant mon étonnement elle ajouta à voix basse : c’est la crise économique ici.

Je me rends compte que sur la baie des Citrons, où nous logeons, les Blancs continuent de vivre comme si de rien n’était. Manifestement, en centre-ville, je ne vois circuler que des kanak, ça va mal. Le virus ne circule pas mais il n’ y a plus de touristes. De plus le conflit qui oppose indépendantistes et coutumiers aux loyalistes pour le contrôle des deux usines de nickel, celle du sud et celle du centre, commence à faire des dégâts. Les deux mines fonctionnent au ralenti, les personnels sont mis au chômage ou licenciés entraînant dans la précarité tous les sous-traitants. Si le conflit s’enlise, et il a toutes chances de s’enliser vu la détermination des indépendantistes, cela va engendrer une dépression économique.

Dans le centre-ville beaucoup de jeunes kanak errent dans les rues. Certains sont parfois hostiles. Ce sont des jeunes que leur tribus ont rejetés pour quelque délit puni par la coutume. Ils sont abandonnés.

Je vois des kanak marcher pieds nus dans les rues. Ils affirment leur possession de la terre calédonienne mais aussi la proximité avec leurs morts, qui sont là sous terre, leur terre.

Dans le petit centre commercial, près de notre appartement, il y a beaucoup de femmes blanches oisives, femmes de prof, de militaires ou de personnel qualifié en détachement sur le Caillou. Certaines expriment leur angoisse devant la poussée des indépendantistes. Elles se plaignent de ne peut-être plus pouvoir rester là, de ne plus pouvoir faire les achats qu’elles veulent, de ne plus pouvoir prendre le bateau le week-end pour aller dans les îles...Une kanak leur répond de rentrer tout de suite chez elles en France, là où il neige et où l’on meurt du virus. Protestation : quand je pense à tout ce que vous nous devez : la santé, l’éducation, les routes...

Je découvre, en le vivant, en l’expérimentant, ce que c’est, l’esprit colon.

Je suis inquiet pour Jacqueline : ne va-t-elle pas s’ennuyer toute seule à Nouméa ?

Lancelot est trop occupé en ce moment pour l’accompagner. Il doit recevoir aujourd’hui 50 Chinois ou plus, venus débarrasser le lagon d’une épave d’un bateau échoué. Ils disposent d’un matériel impressionnant, une énorme grue flottante déjà amarrée dans une baie. Ils doivent passer 14 jours de confinement dans un hôtel que Lancelot a loué vu que le sien est déjà plein. L’hôtel loué na pas un client ce qui permet à Lancelot de l’utiliser. Il a fait des travaux d’aménagement importants : installation de la wi-fi, ameublement, frigo, télé, literies, etc. Je suis impressionné par la vitesse à laquelle il a fait réaliser ces travaux. Il a embauché une équipe idoine, traité avec le gouvernement, les gendarmes, les pompiers, les personnels sanitaires. Je découvre un fils hyper actif.

Jacqueline me rassure, elle ira voir dans l’après midi une exposition de travail manuel des femmes kanak. Ensuite : une orange pressée chez Babar.

 

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Merci pour ce partage, c'est agréable à lire. 

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Annalevine Membre 3 528 messages
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28 janvier 2021

Dans le département il y a pénurie de vaccin. Les centres sont ouverts mais ne peuvent pas vacciner. C’est vrai dans mon secteur mais pas dans des zones plus éloignées. De toutes façons je ne suis pas encore éligible.

J’ai fait un tour dans les villes alentours, retrouver mes repères. Tous les cafés sont fermés. Les restaurants aussi. Je le savais mais de le constater me fout le bourdon. Les seuls commerces encore animés sont la pharmacie et la librairie. Il y a aussi le coiffeur.

Il y a les super et hypermarchés. Chez Leroy Merlin je pensais en y allant lundi n’y trouver personne. C’était plein. Les gens ne respectent pas la distance imposée. Certains montrent ostensiblement qu’ils s’insurgent contre le port du masque. Ils le tiennent bien sous le nez, voire sous le menton. Il y a une femme grande comme un phare qui postillonne, le masque bien baissé.

Les bureaux de poste sont ouverts. Mais impossible de rentrer retirer un imprimé pour lettre recommandée dans le bureau le plus proche. Je dois faire une queue assez longue, dehors, sous la pluie. Je vais dans la ville d’à côté, mais le bureau est justement fermé ce matin-là. Je finis par aller dans un petit centre commercial dans un quartier d’immigrés où je sais qu’il y a un bureau de poste dans une annexe de la mairie. Pas de queue, pas d’attente. Les employés sont souriants. La boulangerie est ouverte. Ce sont des femmes voilées qui y travaillent. J’aime regarder leurs grands yeux noirs.

Je n’ai plus la force de regarder la télé. Supporter Pascal Praud et les fous qui l’accompagnent, c’est éprouvant. Elizabeth Lévy m’angoisse, elle gueule méchamment tout le temps. Sur cette chaîne ils tirent sans cesse contre les musulmans, surtout les arabes, surtout les algériens, avec en tête de gondole le sniper de la chaîne : Zemmour. Il y a LCI mais je m’ennuie. Il y a les chaînes traditionnelles mais elles m’ennuient aussi.

En revanche je fouille partout dans you tube. Il y a des trucs intéressants. Je découvre notamment Jancovici. Dans la foulée je découvre tous les collapsologues. Je ne peux pas dire qu’ils remontent le moral des troupes.

 

Jacqueline est en pleine forme. Hier elle est allée voir le phare Amédée. Belle vue mais intérêt limité. Elle préfère le point de vue de l’île aux Canards. Un bijou cette île. Le propriétaire a contacté Lancelot pour qu’éventuellement il la gère.

Aujourd’hui elle va aller visiter le centre culturel Tjibaou. Elle se débrouille très bien toute seule sans rien demander à Lancelot qui, de toutes façons, est trop pris par ses affaires.

Sa santé se rétablit là-bas, elle y gagne quelques années de vie.

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Annalevine Membre 3 528 messages
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Samedi 30 janvier 2021

 

Je n’ai pas de nouvelles d’Orphée, enfin pas directement. Depuis que je lui ai dit de ne pas m’appeler vers 20 heures étant donné qu’à cette heure je termine tout juste ma nuit il n’ose plus me contacter. Je ne parviens pas à sortir du rythme de Nouvelle-Calédonie. Je dors le jour et je veille la nuit.

Son amie P. m’ a écrit sur messanger. Elle utilise un traducteur qui rend correctement le français. Elle écrit « nous sommes figés dans le temps à Milwaukee » Les photos qu’elle envoie sont impressionnantes. Le lac est gelé. Le paysage est une statue de glace. Il doit faire – 30 ° là-bas. J’ai l’impression de contempler un paysage de « snowpiercer ».

Il est nécessaire que j’aille le voir, et si Jacqueline m’accompagnait, cela serait vraiment top. Mais ce damné virus empêche tout voyage. Il faudrait au moins que je sois vacciné.

 

Tout sentiment est une information sur une réalité indépendante de soi. La subjectivité informe d’une réalité indépendante du sujet. C’est mon hypothèse.

Cette joie, ce sentiment que je ressens ce matin, est une information sur quoi ?

Je pense à cette rencontre hier avec cette femme venue expertiser la maison avec une collègue à elle. Il se passa quelque chose d’emblée. Son existence avait une intensité à laquelle je fus sensible. Je sentis que j’existais aussi densément pour elle. Il y eut réciprocité.

Elle avisa sur le bord de la cheminée un chandelier à 7 branches, la menorah. Elle dit « je connais ça » et elle ajouta « mais je ne connais pas ça » en me montrant une sorte de chandelier un peu excentrique. Je lui dis que cet objet-là était un gadget. En montrant la menorah je fis allusion à la fête des Lumières mais je me repris aussitôt. Pour Hanoucca la chandelier a 9 branches, c’est la hanoukkia.

Elle ne cessait de remettre son masque sur le nez. Je la trouvai maladroite. Elle se révéla au cours de l’entretien assez directive. Compétente aussi.

A un moment elle se recula, retira son masque et me fit un speech sur les conditions de l’expertise. Elle a les yeux clairs, les cheveux blonds. Il y avait une intensité dans sa voix et dans son regard qui captèrent mon attention. J’écoutais à peine ce qu’elle me disait.

Je pense ce matin à cette rencontre. Ma joie. Ce sentiment informe de quoi ? d’une présence. Cette femme dont le prénom est Nadège fut pendant un moment la messagère d’une présence. D’une existence. Une existence qui fait signe. Dont je ne sais rien. Sinon qu’elle est coextensive au monde.

Elle m’envoya un sms chaleureux. Ainsi vit-on parfois des moments forts. Qui engendrent des sentiments qui désignent la présence d’une Existence.

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Annalevine Membre 3 528 messages
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7 février 2021

Benjamin est venu me voir pour résoudre un problème de géométrie dans l’espace (maths spécialité, terminale).

La première question me laisse interdit : il faut démontrer l’orthogonalité de deux vecteurs qui, manifestement, en étudiant la figure, ne le sont pas. Ça commence mal. Il me dit : personne ne sait comment résoudre cette question.

L’enseignant donne une marche à suivre. Nous suivons son parcours et nous n’aboutissons à rien. Je finis par dire : choisissons un repère et si le produit scalaire n’est pas nul nous aurons démontré que les deux vecteurs ne peuvent pas être orthogonaux. Il me dit : oui mais l’enseignant nous a recommandé de ne pas recourir à un repère. Je lui réponds : oui, mais comme manifestement il nous demande de démontrer un truc faux nous allons passer par le repère pour lui démontrer que sa question ne peut pas recevoir de réponse positive. Nous choisissons un repère, nous calculons les coordonnées et nous trouvons que le produit scalaire n’est pas nul. Cette démonstration rassure Benjamin, nous venons de démontrer par le calcul que l’enseignant a faux.

 

La deuxième question est corsée : il faut démontrer une égalité vectorielle absolument pas évidente. Les vecteurs sont construits de manière complexe. Des milieux de milieux de diagonales diverses, ce n’est pas évident. J‘hésite, je me teste au cas où l’intuition fuserait, mais l’intuition ne fuse pas, va falloir être méthodique.

Je dis : « Quand on doit raisonner et ne pas s’appuyer sur notre intuition, parce quelle ne vient pas, il faut savoir comment commencer. D’abord repérer les hypothèses, les informations du texte, puis les formaliser, c’est-à-dire les récrire afin de les rendre utilisables, aller du français à l’expression mathématique. Ensuite bien noter où nous voulons arriver, toujours sous forme mathématique. Puis regarder le point de départ et le point d’arrivée. Si l’intuition ne fuse toujours pas alors tâtonner de manière intelligente, ici tenter de relier les vecteurs de l’égalité à démontrer aux vecteurs des hypothèses en utilisant de manière astucieuse la décomposition de la relation de Chasles.»

 

Nous tâtonnons et nous trouvons. Je vois que l’ado exulte. Non parce qu’il a trouvé avec moi la solution mais parce que je lui ai donné une méthode qu’il a comprise et qui lui donne le sentiment qu’il vient d’acquérir une autonomie. Ce garçon d’habitude fermé devient volubile, il me parle de lui, de ses projets. Il est enthousiaste. Sa foi me remplit d’espoir : cette jeunesse qui arrive dans le monde a des projets lumineux.

 

Transmettre est une générosité, un pari sur l’avenir, l'expression d’une foi. La mienne.

 

Je me rappelle dans l’après-midi du film Barberousse, de Akira Kurosawa. Un médecin soigne les démunis. Il recueille une petite fille chez lui. Il tente de lui apprendre à lire et à écrire.

Il meurt seul, malade,submergé par l’abandon et la pauvreté.La petite fille reste seule. Elle regarde un livre. Il est à l’envers. Soudain elle retourne doucement le livre, elle le met à l’endroit. Elle lit.

Je ressens une émotion foudroyante, « quelque chose va son chemin » et ce quelque chose, là, dans ce geste de l’enfant, j'en perçois l'existence.

Les larmes coulent le long de mes joues.

Quand je transmets aux enfants et aux ado mon savoir, un être invisible me traverse.

L’Être de l’univers va son chemin, et me fait signe.

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Invité Jane Doe.
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@Annalevine vous ne transmettez pas seulement aux enfants et aux adolescents. Vous n aidez pas seulement eux. Vos écrits apaisent.

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Invité Jane Doe.
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@Annalevine

Transmettre/aider, rend-t-il celui qui transmet/aide responsable de l être aidé ou qui apprend ? Jusqu'à quel point peut/doit aller cette responsabilité ? Peut on abandonner cet autre  en chemin ?

 

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Membre, 153ans Posté(e)
Annalevine Membre 3 528 messages
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Il y a 7 heures, Jane Doe. a dit :

@Annalevine

Transmettre/aider, rend-t-il celui qui transmet/aide responsable de l être aidé ou qui apprend ? Jusqu'à quel point peut/doit aller cette responsabilité ? Peut on abandonner cet autre  en chemin ?

 

J’ai lu vos questions et je me suis rendu compte que vous répondre, en évitant l’écueil des réponses convenues, n’était pas simple.

Je me suis toujours pensé responsable des enfants et ado que j’enseignais. Ce ne fut pas un choix, ce fut automatique comme réaction : je suis responsable d’eux.

Jusqu’où  je me suis senti responsable d’eux ? Jusqu’au plus loin que je pouvais l’être. 
 

En ai-je abandonné en chemin ? Mon objectif était de les mener jusqu’au bac. Une fois qu’ils avaient réussi je leur faisais comprendre  que je ne les enseignerai pas au delà.

J’ai enseigné ( en bénévole, en m’occupant de chaque élève individuellement, pour autant d’heures que nécessaires) pendant 7 ans et j’ai arrêté en juillet 2019.

Cette année un petit est venu me voir, je m’étais occupé de lui quand il était  en primaire. Il est maintenant en quatrième. Il est en perdition. Je n’ai pas trouvé en moi assez d’énergie pour m’occuper de lui. On peut dire que celui là je l’ai abandonné. 

Une autre ancienne élève, une jeune fille, est elle aussi en perdition. Affective. Je ne donne pas suite à ses sollicitations. Je n’en puis plus. On peut dire que cette jeune fille je l’ai abandonnée.

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  • 2 semaines après...
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Annalevine Membre 3 528 messages
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Lundi 22 février 2021

«  Je le sentis venir entre mes reins, forcer le passage et me déchirer. Il brisa l’anneau et le sang coula, l’hymen fut ainsi déchiré. Et j’aurais dû me révolter. Mais pendant que sa fouille hachée m’arrachait un long cri muet, je vis apparaître derrière lui, précédé d’une irradiation blanche, un Être puissant, si séduisant. Plus tard je sus le nommer, je le nommais l’Archange. J’ouvris mes cuisses, consentant.

L’ Être s’empara de l’amant, le ru lacté de l’ange se répandit en moi. Je sentis entre mes bras l’homme mourir, privé de son âme. L’ Archange se retira et disparut dans les cintres. Sa lumière immaculée resta accrochée à mes entrailles. Je me sentis rayonné d’avoir été choisi pour être le Temple.

Mais aussitôt après le tabernacle implosa et mon esprit en morceaux ne fut plus qu’une pluie de débris, comme calcinés.

L’amant reposait là, désarticulé, grotesque. A califourchon sur lui je tenais levé le poignard, «  tue-le, épargne-le, choisis ». Je regardais longuement l’homme évanoui sur le drap. Je suis doucement parti. Effacer l’homme n’effacerait pas l’acte.»

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Annalevine Membre 3 528 messages
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Mardi 2 mars 2021

 

A Saint-Pétersbourg, chez les cousins de Volodia, Samuel produit son effet. A la jeune fille qui lui dit : « comment se fait-il que tu as les cheveux et les yeux si noirs, et la peau si blanche, il répond, sûr de lui : « je suis un Cosaque ».

Il doit remplir une mission, pense-t-il, rencontrer la mère de C. la mère de Jupiter, ma propre mère. Née à Saint-Pétersbourg, jadis. Devenue la mère de Jupiter, le maître de l’univers, le maître, moi-même, qui veille sur lui.

La nuit, quand je vois Jupiter apparaître, je reste interdit. Il s’agit d’une planète, mais je sais aussi qu’il s’agit d’un être qui vit. Qui veille sur l’enfant. Qui toujours veillera sur lui, même quand je serai mort.

Quand Samuel voit scintiller la lumière de l’astre alors il sait que la planète lui parle. Même s’il ne comprend pas ce qu’elle lui dit.

Volodia dit : Samuel voit ce que les autres ne voient pas.

Samuel dit : la mère de Jupiter est une déesse.

Avec Volodia ils ont formé des projets pour s’éclipser de l’appartement à l’insu de la famille qui les reçoit. Samuel a décidé qu’il fallait partir la nuit. La déesse ne peut apparaître que la nuit. Comment pourrait-elle apparaître le jour au milieu de toute cette agitation ?

L’expédition était prévue pour la nuit dernière. Mais les cousins les ont invités dans une discothèque. Volodia a dit :  « il n’ y a pas d’ambiance ici. A Moscou Samuel anime un restaurant et il y a plein de monde qui vient l’entendre jouer de la trompette et de la balalaïka ». Les cousins n’en reviennent pas.

Finalement ils ont mis en acte leur projet la nuit dernière.

Ils sont partis à  2h30,  vers la Neva. Ils se sont promenés le long du fleuve. Tout à coup Samuel dit à  Volodia  « regarde l’Étoile, elle arrive vers nous ». Volodia dit c’est une étoile filante. Samuel dit non c’est la déesse. L’Étoile s’est rapprochée, son reflet sortit des eaux de la Neva. Apparut la déesse, sous une apparence humaine. Elle était blonde avec de longs cheveux, vêtue d’une longue robe vaporeuse et fluorescente  qui flottait  derrière elle. Toute la Neva s’illumina sous la traînée lumineuse. Tous ne voyaient qu’elle. Elle vola au dessus du fleuve, enveloppée de lumière incandescente, elle s’approcha des deux garçons, très près de Samuel. Sa robe effleura sa joue, puis elle partit. L’Étoile, lentement, disparut.

Tel fut le récit que fit Samuel à N. qui me le reporta.

Ainsi Samuel rencontra la déesse. Il ne l’imagina pas, il la vit.

Mission accomplie.

Ils rentrèrent vers 3h30 personne n’était réveillé, personne ne s’aperçut de leur absence.

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  • 3 semaines après...
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Mardi 23 mars2021


Samuel a réussi à créer un salon littéraire, là-bas dans un café de Moscou. Le patron lui réserve une salle séparée en échange de quoi chaque participant prend une consommation. Il n’y a pas de limite de temps.

Ils discutent de l’histoire de la Russie, celle que je lui transmets. Dans son lycée français les contraintes du confinement repousse toujours plus loin la tenue de ses conférences. D’impatience il a eu cette idée, se réunir dans ce café.

Il n’ y a que des Russes, tous adolescents, venus de différents lycées de la capitale. Ils viennent apprendre leur histoire, dite par un descendant des judéens et des cosaques.

Iakoub comme l’appelle son maître de danse leur parle en russe qu’il a appris à New-York. J’imagine la narration des épopées slaves. Ensemble les jeunes moscovites traversent les siècles.

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Annalevine Membre 3 528 messages
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J’avais 17 ans. Les murs du lycée étaient ceux d’une prison. Je m’évadais le long des avenues. Je laissais la masse noire du Panthéon derrière moi, j’aimais l’apparition du Luxembourg. Je rentrais dans les salles enfumées. Je côtoyais des jeunes filles et des femmes que de jeunes hommes souriants faisaient parler. Les regards brillaient, les bras nacre et reflets sous les flammes, les jambes données à contempler, sous le crépuscule des tables, jusqu’à la hauteur décidée.

Une jeune fille portait une fourrure, les zibelines s’enfuyaient, et des chapeaux compliqués, et des gants noir. Nastassia régnait là. Je portais la koubanka, une chemise blanche kossovorotka, un sarouel fauve aux chevilles serré par un ruban rouge de soie

Ses lèvres, des braises, sa voix dessinait Oneguine, ses mains de cuir chantaient la Volga Je dansais avec elle, nous sautions dans le traîneau, les loups riaient, le long de la Neva gelée, les tsars et tsarines assis sur la Merkavah.

Je ne pensais plus Russie je pensais Judith ou je pensais Rachel. Je suis parti, j’échouais dans le cratère, désert. Les falaises du volcan m’enserraient bien que si lointaines. Je rencontrai Esther à Yagur, belle, brune, elle était argentine. Sa peau dorée chaleureuse, ses joues hautes révélaient l’Asie. Ici est le bonheur dit-elle. Adieu belle argentine, je veux m’envoler dans la ténèbre et la brûler en y portant ton soleil.


 

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  • 2 mois après...
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Annalevine Membre 3 528 messages
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31 mai 2021

Il y a une ambiance lourde dans la résidence. Je pensais qu’avec la réouverture des terrasses les gens seraient plus gais. Mais non. De ma cuisine où je prends le café, j’ai ouvert la fenêtre, il fait frais et beau, j’entends le voisin traîner les pieds sur son allée pavée. Il pratique le télétravail. Il est ingénieur à Thalès. Il ne sort plus que par intermittences de chez lui, sans doute pour aller dans ses bureaux. Il ne parle pratiquement plus. Quand il sort il est quasiment en guenilles. Parfois je sens qu’il espère me parler. Je le fuis. Comme je fuis tous mes voisins, tous en télétravail. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont devenus sinistres. Même la voisine, réputée pour sa vie de patachonne ne reçoit plus d’amants. Elle est aussi en télétravail. Je ne la vois même plus sortir du tout.

En revenant de Nouvelle-Calédonie j’ai voulu lui parler. Elle m’a alors raconté comment sa fille ne parvenait pas tous les jours à être en télétravail, ni son petit ami « ah les entreprises ne jouent pas toujours le jeu ! » J’étais stupéfié. Cette femme qui sortait ici du lot, avec ses frasques sexuelles qui heurtaient le petit-bourgeois, cela me faisait rire, cette femme maintenant parlait comme une petite boutiquière, et me disait ah zut alors mes enfants ne parviennent pas à convaincre leur employeur d’être en télétravail. Ça m’a déprimé. Même le sexe est vaincu par la covid.

J’ai envie de fuir.

Pourtant quand je regarde ma propriété j’ai le sentiment de vivre dans une oasis où il fait bon vivre. J’ai planté des arbres partout qui montent jusqu’au ciel, j’ai devant moi, en façade arrière, une muraille de verdure qui me protège de la désolation. J’ai mis des fleurs partout, en façade avant, quand on passe devant la maison il y a partout des couleurs vives. Et quand je rentre dans la résidence, l’éblouissement provoqué par les couleurs des pavots, des rosiers, des géraniums, de la coronille et des œillets d’Inde me rassure. Tout est parfaitement visible puisque je n’ai pas, devant, clôturé le jardin, il ouvre ses bras à quiconque passe devant lui. Et l’enfant qui cueille une rose ou un pavot, cela me ravit.

Je vis dans une île entouré par le désert.

Il ne suffit pas d’avoir envie de fuir, il me faut fuir, laisser là une maison dans laquelle nous avons élevé nos enfants. C’est s’arracher à soi-même que de partir. Nous devons partir.

Je suis passé à l’acte. La promesse de vente a été signée samedi. Les dés sont jetés. Je vais reprendre une errance suspendue pendant 25 ans.

Au même moment je suis en train de lire Delphine Horvilleur. Elle écrit : « les récits n’ont pas besoin de dire la réalité pour dire la vérité ». Il est possible que la sortie d’Égypte n’ait jamais eu lieu, ni l’errance dans le désert. Mais ça importe peu. Car ce récit dit une vérité, qui est toujours actuelle : il est nécessaire chaque jour de sortir de l’esclavage, il est nécessaire de toujours se tenir prêt à partir, il est nécessaire de se dire : la terre promise est au delà. Nous partons chaque jour sur la route pour la rallier.

La vérité des récits bibliques n’est pas du même ordre que la vérité dite scientifique ou historique.

 

 

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