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Route de la Roquebrussanne


Ambre Agorn

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Ambre Agorn Membre 2 071 messages
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Solange

Ton adresse: route de la Roquebrussanne, dernière trace sur terre.

Mon cœur était léger, pourtant c'était un adieu. Mon corps voulait virevolter, mais une paix immense mutait ces élans en mots de silence et en regards pleins.

Ma sœur, ma petite sœur.

Ma petite sœur, je sais que c'est un adieu pour toi, mais mon cœur ne s'est jamais éloigné du tien, et pour moi ce ne sera jamais un adieu, car, tant qu'il y a de la vie, rien ne nous sépare.

Il y a tant d'écart d'âge entre nous, tant de petits frères et sœurs entre toi et moi que, parfois, j'ai la sensation que notre famille, notre fratrie a été séparée en deux: moi et les cinq autres grands dans la première, toi et les trois autres dans la seconde. Une maison différente, une terre différente pour les deux parties, une scolarité différente, un contexte différent, mais toujours les mêmes racines, toujours le même soleil, toujours le même sourire sur les lèvres de maman, la même odeur de bois sur les mains, les habits et les cheveux de papa. Des souvenirs différents, mais un seul nid où nous nous retrouvions quel que soit l'endroit et l'heure, un seul nid fait de la fratrie et de leurs parents.

Je ne sais pas les doutes qui t'habitent, je ne sais pas toutes les douleurs qui t'ont menés à ce choix irrévocable, je ne sais pas quel joie tu gardes en ton cœur pour qu'elle soit assez puissante pour te suffire pour le restant de tes jours.

Je ne regrette rien, et je sais que tu fais le bon choix. Le mien a aussi été le bon, même s'ils semblent être diamétralement apposés. Chaque choix est le seul possible, chaque instant de nos vies nous ont conduit à faire celui-ci. J'aime voir le tien, j'aime que tu aies le sourire en voyant le mien.

Pour défendre la liberté, il est parfois utile de choisir les chaînes. Les tiennes n'en sont pas pour moi, et sûrement qu'il en sera de même pour toi dans quelques temps. L'important n'est pas là, c'est peut-être tout simplement le cœur que tu mettras à surmonter les revers, les doutes et les regrets qui feront la valeur de ta liberté.

Je ne t'ai pas beaucoup vu grandir. J'avais dix-sept ans quand j'ai claqué la porte, tu en avais neuf. Mais je bossais déjà depuis plus de trois ans, je n'étais plus à la maison et me débrouillais seule, et toi, tu étais au pensionnat. Je t'ai aimé petite enfant, je t'ai revu en femme.

Je sais que tu ne lira plus jamais ce que je ne t'écris pas de ma main, alors, ici, je libère ma parole. Maman avait raison quand elle disait qu'elle avait eu l'impression d'avoir fait deux fois les mêmes enfants. Tu étais mon double bien plus qu'elle ne l'imagine, car, toi et moi nous savions, sans mots, l'autre. Je n'ai pas eu besoin de vivre à tes côtés pour te savoir, pour me sentir complète en pensant à toi. Tu es une rose des sables comme je le suis. Tu as choisi la voie de l'illumination dans la joie, le ravissement et l'étude, j'ai choisi la même dans la guerre, l'émerveillement et la découverte.

Je te l'ai dit: mon cœur ne s'est jamais éloigné du tien, et ce n'est pas ta nouvelle vie qui y changera grand chose. Les peines que tu pourrais avoir je les partagerai sans que tu aies besoin de me les dire. Il nous est permis de nous écrire, et je saurai lire entre les mots et les silences, je saurai voir danser les mots et je décoderai ce qu'ils transportent. Mais, ne t'inquiète pas, car si tu as la pudeur de ne pas me les raconter, j'aurai la même pudeur. Je ne te consolerai pas, mais je t'écrirai une dans e de mots qui soutiendra celle que tu mènes.

Bientôt tu renonceras à ton statut de sœur, je perdrai une petite sœur, mais peu m'importe, car je t'aime. Et tu sais, je t'aime parce que je n'ai plus vu en toi ma sœur depuis quelques temps déjà. J'ai renoncé il y a longtemps à ce statut. Je t'aime parce que je n'ai aucune raison de t'aimer. Je t'aime parce que je n'ai aucune raison de ne pas t'aimer. Je t'aime parce que je suis libérée de toutes les chaînes imposées, et je t'ai retrouvé malgré toutes les amarres brisées. Ce n'est plus une sœur que j'aime, c'est une humaine qui a choisi la voie du sacrifice et du don de soi. Dans mon chemin, j'ai vu une âme qui donnait du sens à l'humanité. Je suis honorée de fouler le même chemin que toi.

Je sais que tu ne comprends pas encore, mais je ne suis pas sûre moi aussi de bien comprendre. Je sais que tu ne comprends pas, et pourtant tu as fait le choix. C'est le plus extraordinaire: ne pas savoir la raison, mais être sûr que c'est le bon choix, le seul choix. Etre sûr que c'est l'avenir qui mettra le sens dans le choix; ou alors, c'est ce choix qui donne sens à l'avenir.

Je n'ai aucun conseil à te donner, car c'est toi seule qui doit diriger ta vie.

Rien ne m'appartient plus à toi qu'à moi, ni même mon amour ou le tien. Sert-toi de moi si tu penses devoir le faire: ma confiance ne m'appartient pas, alors j'en prends un soin infini. Si tout doit être partagé, je veux que ce soit parfait pour toi, ce sera donc parfait pour moi

Un jour mes filles comprendront n'en doute pas, elles sont encore plus apte que nous à arpenter le chemin, et les leurs d'autant plus.

Adieu ma petite sœur chérie d'amour.

Hélène

 

 

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Ambre Agorn Membre 2 071 messages
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Il y a 3 heures, Blaquière a dit :

@Ambre Agorn

Je connais : j'habite à deux pas...

J'ai vu...je ne lui en ai pas parlé: elle, elle ne te connais ni d'Adam ni d'Eve. Et puis j'avais peu de temps et beaucoup trop de choses à dire: je n'ai dit que trois phrases. Je t'assure que j'ai touché l'essentiel. Mais demain est inconnu et peut-être qu'un jour je foulerai les parages, si la vie m'y mène...

C'est quand même significatif, étonnant, intéressant (je ne trouve pas le bon mot) pour moi qu'elle ait justement choisi cet endroit

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