Aller au contenu

Critiques du travail.


Fraternellement

Messages recommandés

Membre, 66ans Posté(e)
Fraternellement Membre 220 messages
Baby Forumeur‚ 66ans‚
Posté(e)

On nous parle de travailler plus, travailler davantage, etc.
Pourtant la surproduction d’inutilités et de nuisances étouffe la nature, les villes, nos vies.

Et des expériences montrent qu'une réduction du temps de travail avec augmentation des salaires fait bondit la productivité, réduit les gaspillages et diminue le stress.

article récent : travailler moins et gagner plus

Dans ce sujet je vous propose trois textes philosophiques contre le travail, entendu comme activité contrainte et forcée.

 

1) Vaneigem :

 

L’obligation de produire aliène la passion de créer. Le travail productif relève des procédés de maintien de l’ordre.

Dans une société industrielle qui confond travail et productivité, la nécessité de produire a toujours été antagoniste au désir de créer. Que reste-­t­-il d’étincelle humaine, c’est-­à-­dire de créativité possible, chez un être tiré du sommeil à six heures chaque matin, cahoté dans les trains de banlieue, assourdi par le fracas des machines, lessivé, par les cadences, les gestes privés de sens, le contrôle statistique, et rejeté vers la fin du jour dans les halls de gares, cathédrales de départ pour l’enfer des semaines et l’infime paradis des week-­ends, où la foule communie dans la fatigue et l’abrutissement ?

De l’adolescence à l’âge de la retraite, les cycles de vingt­-quatre heures font succéder leur uniforme émiettement de vitre brisée : fêlure du rythme figé, fêlure du temps­ qui­ est­ de ­l’argent, fêlure de la soumission aux chefs, fêlure de l’ennui, fêlure de la fatigue.

De la force vive déchiquetée brutalement à la déchirure béante de la vieillesse, la vie craque de partout sous les coups du travail forcé.

Quelle est donc la fonction du travail forcé ? Le mythe du pouvoir exercé conjointement par le chef et par Dieu trouvait dans l’unité du système féodal sa force de coercition. En brisant le mythe unitaire, le pouvoir parcellaire de la bourgeoisie ouvre, sous le signe de la crise, le règne des idéologies qui jamais n’atteindront ni seules, ni ensemble, au quart de l’efficacité du mythe. La dictature du travail productif prend opportunément la relève.

Il a pour mission d’affaiblir biologiquement le plus grand nombre des hommes de les châtrer collectivement et de les abrutir.

  Le prolétariat du début du XIX° siècle compte une majorité de diminués physiques, d’hommes brisés systématiquement par la torture de l’atelier. Les révoltes viennent de petits artisans, de catégories privilégiées ou de sans travail, non d’ouvriers assommés par quinze heures de labeur. N’est-­il pas troublant de constater que l’allègement du nombre d’heures de prestations intervient au moment où le spectacle de variétés idéologiques mis au point par la société de consommation paraît de nature à remplacer efficacement les mythes féodaux détruits par la jeune bourgeoisie ? (Des gens ont vraiment travaillé pour un réfrigérateur, pour une voiture, pour un récepteur de télévision. Beaucoup continuent à le faire, «invités» qu’ils sont à consommer la passivité et le temps vide que leur «offre» la «nécessité» de produire.) 

Des statistiques publiés en 1938 indiquent qu’une mise en œuvre des techniques de production contemporaines réduiraient la durée des prestations nécessaires à trois heures par jour.

A­-t­-on pris la peine d’étudier les modalités de travail des peuples primitifs, l’importance du jeu et de la créativité, l’incroyable rendement obtenu par des méthodes qu’un appoint des techniques modernes rendrait cent fois plus efficaces encore ? Il ne semble pas. Tout appel à la productivité vient du haut. Or la créativité seule est spontanément riche. Ce n’est pas de la productivité qu’il faut attendre une vie riche, ce n’est pas de la productivité qu’il faut espérer une réponse collective et enthousiaste à la demande économique. Mais que dire de plus quand on sait de quel culte le travail est honoré à Cuba comme en Chine, et avec quelle aisance les pages vertueuses de Guizot passeraient désormais dans un discours du 1er Mai ?

A mesure que l’automation et la cybernétique laissent prévoir le remplacement massif des travailleurs par des esclaves mécaniques, le travail forcé révèle sa pure appartenance aux procédés barbares du maintien de l’ordre. Le pouvoir fabrique ainsi la dose de fatigue nécessaire à l’assimilation passive de ses diktats télévisés. Pour quel appât travailler désormais ? La duperie est épuisée ; il n’y a plus rien à perdre, pas même une illusion. L’organisation du travail et l’organisation des loisirs referment les ciseaux castrateurs chargés d’améliorer la race des chiens soumis.

2) Marx :

L’ouvrier devient d’autant plus pauvre qu’il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume. L’ouvrier devient une marchandise d’autant plus vile qu’il crée plus de marchandises. La dépréciation du monde des hommes augmente en raison directe de la mise en valeur du monde des choses. Le travail ne produit pas que des marchandises; il se produit lui-même et produit l’ouvrier en tant que marchandise, et cela dans la mesure où il produit des marchandises en général.
Ce fait n’exprime rien d’autre que ceci : l’objet que le travail produit, son produit, l’affronte comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s’est fixé, concrétisé dans un objet, il est l’objectivation du travail. L’actualisation du travail est son objectivation. Au stade de l’économie, cette actualisation du travail apparaît comme la perte pour l’ouvrier de sa réalité, l’objectivation comme la perte de l’objet ou l’asservissement à celui-ci, l’appropriation comme l’aliénation, le dessaisissement
[…] L’aliénation de l’ouvrier dans son produit signifie non seulement que son travail devient un objet,une réalité extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui , indépendamment de lui, et devient une puissance autonome face à lui, que la vie qu’il a prêtée à l’objet s’oppose à lui, hostile et étrangère.

 

Nietzsche : 

Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous :à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, ce qu’on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir -, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Invité
Invités, Posté(e)
Invité
Invité Invités 0 message
Posté(e)

Nous sommes que des idiots Esclaves mais nous ne le savons pas à cause de notre aliénation au travail. 

Travailler plus pour se faire entuber plus.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 35ans Posté(e)
Loufiat Membre 2 589 messages
Mentor‚ 35ans‚
Posté(e)
Il y a 23 heures, Fraternellement a dit :

On nous parle de travailler plus, travailler davantage, etc.
Pourtant la surproduction d’inutilités et de nuisances étouffe la nature, les villes, nos vies.

Et des expériences montrent qu'une réduction du temps de travail avec augmentation des salaires fait bondit la productivité, réduit les gaspillages et diminue le stress.

article récent : travailler moins et gagner plus

Dans ce sujet je vous propose trois textes philosophiques contre le travail, entendu comme activité contrainte et forcée.

 

Bonjour et merci pour ces extraits qui donnent l'occasion de réfléchir à un sujet central dans nos vies et comme collectivité.

Il y a 23 heures, Fraternellement a dit :

 

1) Vaneigem :

 

L’obligation de produire aliène la passion de créer. Le travail productif relève des procédés de maintien de l’ordre.

Dans une société industrielle qui confond travail et productivité, la nécessité de produire a toujours été antagoniste au désir de créer. Que reste-­t­-il d’étincelle humaine, c’est-­à-­dire de créativité possible, chez un être tiré du sommeil à six heures chaque matin, cahoté dans les trains de banlieue, assourdi par le fracas des machines, lessivé, par les cadences, les gestes privés de sens, le contrôle statistique, et rejeté vers la fin du jour dans les halls de gares, cathédrales de départ pour l’enfer des semaines et l’infime paradis des week-­ends, où la foule communie dans la fatigue et l’abrutissement ?

De l’adolescence à l’âge de la retraite, les cycles de vingt­-quatre heures font succéder leur uniforme émiettement de vitre brisée : fêlure du rythme figé, fêlure du temps­ qui­ est­ de ­l’argent, fêlure de la soumission aux chefs, fêlure de l’ennui, fêlure de la fatigue.

De la force vive déchiquetée brutalement à la déchirure béante de la vieillesse, la vie craque de partout sous les coups du travail forcé.

Quelle est donc la fonction du travail forcé ? Le mythe du pouvoir exercé conjointement par le chef et par Dieu trouvait dans l’unité du système féodal sa force de coercition. En brisant le mythe unitaire, le pouvoir parcellaire de la bourgeoisie ouvre, sous le signe de la crise, le règne des idéologies qui jamais n’atteindront ni seules, ni ensemble, au quart de l’efficacité du mythe. La dictature du travail productif prend opportunément la relève.

Il a pour mission d’affaiblir biologiquement le plus grand nombre des hommes de les châtrer collectivement et de les abrutir.

  Le prolétariat du début du XIX° siècle compte une majorité de diminués physiques, d’hommes brisés systématiquement par la torture de l’atelier. Les révoltes viennent de petits artisans, de catégories privilégiées ou de sans travail, non d’ouvriers assommés par quinze heures de labeur. N’est-­il pas troublant de constater que l’allègement du nombre d’heures de prestations intervient au moment où le spectacle de variétés idéologiques mis au point par la société de consommation paraît de nature à remplacer efficacement les mythes féodaux détruits par la jeune bourgeoisie ? (Des gens ont vraiment travaillé pour un réfrigérateur, pour une voiture, pour un récepteur de télévision. Beaucoup continuent à le faire, «invités» qu’ils sont à consommer la passivité et le temps vide que leur «offre» la «nécessité» de produire.) 

Des statistiques publiés en 1938 indiquent qu’une mise en œuvre des techniques de production contemporaines réduiraient la durée des prestations nécessaires à trois heures par jour.

A­-t­-on pris la peine d’étudier les modalités de travail des peuples primitifs, l’importance du jeu et de la créativité, l’incroyable rendement obtenu par des méthodes qu’un appoint des techniques modernes rendrait cent fois plus efficaces encore ? Il ne semble pas. Tout appel à la productivité vient du haut. Or la créativité seule est spontanément riche. Ce n’est pas de la productivité qu’il faut attendre une vie riche, ce n’est pas de la productivité qu’il faut espérer une réponse collective et enthousiaste à la demande économique. Mais que dire de plus quand on sait de quel culte le travail est honoré à Cuba comme en Chine, et avec quelle aisance les pages vertueuses de Guizot passeraient désormais dans un discours du 1er Mai ?

A mesure que l’automation et la cybernétique laissent prévoir le remplacement massif des travailleurs par des esclaves mécaniques, le travail forcé révèle sa pure appartenance aux procédés barbares du maintien de l’ordre. Le pouvoir fabrique ainsi la dose de fatigue nécessaire à l’assimilation passive de ses diktats télévisés. Pour quel appât travailler désormais ? La duperie est épuisée ; il n’y a plus rien à perdre, pas même une illusion. L’organisation du travail et l’organisation des loisirs referment les ciseaux castrateurs chargés d’améliorer la race des chiens soumis.

 

Il y a 23 heures, Fraternellement a dit :

2) Marx :

L’ouvrier devient d’autant plus pauvre qu’il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume. L’ouvrier devient une marchandise d’autant plus vile qu’il crée plus de marchandises. La dépréciation du monde des hommes augmente en raison directe de la mise en valeur du monde des choses. Le travail ne produit pas que des marchandises; il se produit lui-même et produit l’ouvrier en tant que marchandise, et cela dans la mesure où il produit des marchandises en général.
Ce fait n’exprime rien d’autre que ceci : l’objet que le travail produit, son produit, l’affronte comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s’est fixé, concrétisé dans un objet, il est l’objectivation du travail. L’actualisation du travail est son objectivation. Au stade de l’économie, cette actualisation du travail apparaît comme la perte pour l’ouvrier de sa réalité, l’objectivation comme la perte de l’objet ou l’asservissement à celui-ci, l’appropriation comme l’aliénation, le dessaisissement
[…] L’aliénation de l’ouvrier dans son produit signifie non seulement que son travail devient un objet,une réalité extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui , indépendamment de lui, et devient une puissance autonome face à lui, que la vie qu’il a prêtée à l’objet s’oppose à lui, hostile et étrangère.

 

Nietzsche : 

Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous :à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, ce qu’on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir -, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême

Des trois textes, le plus important par l'idée véhiculée me semble être celui de Marx, parce qu'il éclaire sobrement l'autonomie du travail par rapport au travailleur (et au possédant, la différence étant que ce dernier se trouve par chance, arbitrairement, en situation d'en profiter mais il peut très bien se trouver à son tour écrasé sous la roue), quand Vaneigem et Nietzsche me semblent devoir davantage "forcer" pour attribuer au travail la fonction de police que, certes, il peut avoir, non seulement implicitement mais aussi explicitement (et non seulement le travail forcé - camps, esclavage, etc. - mais le travail tout court - et n'est-il pas parfaitement admis dans l'esprit du français moyen aujourd'hui que le travail est l'issue pour résoudre les problèmes en particulier sociaux, d'alcoolisme, de délinquance, etc., et que c'est là, et dans le petit quant à soi de la famille, que toute l'aventure humaine se joue ?).

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×