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A quoi songeait le Fils gravissant Golgotha ?


azad2B

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Membre, Le prendre au sérieux, nuit gravement à la santé, Posté(e)
azad2B Membre 5 932 messages
Le prendre au sérieux, nuit gravement à la santé,
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Arthur Koestler a un jour écrit ceci. Qu'en pensez-vous ? 

Les os de la terre percent le sol nu de cette colline. Pierres antiques qui me regardent, je vois leur rictus. Les racines des oliviers morts rampent dans la poussière blanchâtre prêtes à mordre mes sandales pour me faire trébucher sous le fardeau. Les ailes qui fondent sur nous et survolent notre cortège sont celles des vautours,
il n’y a pas de colombes. Mon sang a séché sur les épines, les mouches qui me grouillent sur le front me font une deuxième couronne. Trois chiens maigres nous suivent à distance. Cortège digne d’un roi, en vérité Père, si tu me vois, comment peux-tu supporter cela ? Toi le tout-puissant, qui fis s’arrêter le soleil, ne peux-tu déplacer légèrement cette poutre dont le rebord acéré me meurtrit l’os ? Sur les muscles elle me ferait moins mal. Bien sûr, je suis guérisseur. Mais je ne saurais m’imposer les mains, même pour déplacer ce morceau de bois, car il risquerait de glisser. Si je tombe ils vont encore me fouetter, et moi peut-être je pleurerais, je crierais. Ou bien j’urinerais. Ils disent que lorsqu’on est élevé sur le bois on urine, cela les fait rire. Ou même le ventre se vide, quelquefois. Un père ne peut souffrir que pareilles choses arrivent à son fils.

Tu tentais Abraham en lui demandant d’égorger son enfant, mais tu ne l’as arrêté qu’au
dernier moment. Ton sens de l’humour me glace. Ce drame horrible se joue devant une salle vide, à ton seul profit. Il ne sert qu’attirer ton attention, il ne sert qu’à te réveiller.

Quand t’es-tu endormi, ou détourné ? Lorsque David s’est lancé à la poursuite d’Absalom ? Ou bien plus tôt, à l’instant du meurtre d’Abel par Caïn ? De la semence d’Adam, quelle pourriture tu as faite, Tout-Puissant. Souvent, quand la nuit pesait sur moi, tandis que les autres avaient sombré dans le sommeil comme des pierres, je me suis demandé si ce n’était pas toi, oui toi-même, l’esprit sourd-muet qui possédait ce garçon que l’on m’a amené, le jour où nous redescendions de la montagne. Est-ce toi, déguisé en démon, qui t’étais emparé du garçon, et qui le déchirais et qui le tordais de telles convulsions qu’il lui fallait se jeter au feu, se jeter à l’eau, pour en finir ? Est-ce toi qui te joues ainsi de la semence d’Adam ? Ou faut-il croire seulement que tu es distrait, que tu fais un somme ? Bientôt je saurai : quand je ferai l’échange avec cette croix ; quand elle me portera au lieu que ce soit moi qui la porte. Alors on te verra à l’épreuve, tu seras jugé. Et je saurai.

Plus cruellement que les soldats ne me forcent à avancer, je me suis forcé à croire que tu étais simplement absorbé par quelque souci, que tu te préoccupais de choses plus importantes que ta création encore qu’à chercher vainement ce que pourraient bien être ces choses j’ai souffert
des tortures pires que celles que m’infligent ces bourreaux. Peut-être étais-tu distrait aussi quand tu es entré en ma mère, cette femme en larmes, là, qui se met toujours en travers du chemin. En ce cas et si tu n’es que distrait ou endormi, je vais dans mon supplice te tirer par la manche, jusqu’à ce que tu te réveilles. Mais si tu es cet esprit sourd-muet, mon geste, en essayant de te secouer, sera un geste de fou, et mourir sera dur. On dit qu’il faut trois jours pour mourir de cette manière, à moins que l’on vous brise les os pour hâter la fin. Ce sera dur, mes boyaux vont crever pour se vider du haut de ma grandeur sur ce monde orphelin, et tout n’aura été que farce, et toi un mirage né des vapeurs du désert et ma mère une femme adultère.

Parle, maudit, parle comme tu le  fis durant cette grande nuit sur la montagne, et ne fais pas semblant d’avoir des soucis plus graves. N’ai-je pas dit à ces innocents que tu as compté un à un leurs cheveux, et que pas un moineau ne vole ou ne tombe que tu ne l’aies voulu ? Les fils d’Adam ne comptent-ils pas plus qu’une volée de moineaux ? Est-ce que tu sens cette écharde qui me mord l’épaule? Ecarte-la un petit peu, toi qui d’un souffle déplaces les montagnes.

La montée devient plus dure, nous approchons du sommet. Bientôt je connaîtrai la réponse. Les soldats m’injurient sans conviction, ils ralentissent l’allure, ils donnent des coups de pied dans les cailloux : ils ont peur de toi, qu’ils prennent pour un cruel dieu du désert. Les trois chiens traînent toujours derrière nous; quand je suis né, trois rois mages sont venus m’adorer. J’ai encore le temps de changer d’avis, tu sais; le gouverneur l’a dit, il arrangera une remise de peine si j’abjure. Je pourrai abjurer même quand on m’aura élevé. Seulement à ce moment-là j’aurai les bras brisés, noués à la croix. Les soldats disent qu’auparavant on attachait en enfonçant des clous dans les mains, mais c’était risqué parce que les chairs pouvaient lâcher et l’homme tombait par terre. La douleur je pourrai la supporter peut-être, bien qu’ils hurlent tous comme des loups quand on dresse la croix, mais mes mains broyées auront perdu leur pouvoir de guérir. C’étaient de bonnes mains. Elles guérissaient les malades, ressuscitaient les morts, purifiaient les lépreux, chassaient les démons. Et en vérité j’ai fait tout cela,
personne ne peut dire le contraire. Père, j’ai fait des miracles pour toi, maintenant c’est ton tour.

Le sentier est moins raide, j’aperçois le sommet. Mais les pierres me roulent sous les pieds pour me faire glisser, les racines continuent à me tordre les chevilles, il faut qu’on me pousse et qu’on me fouette comme un mulet récalcitrant. Ma belle couronne de mouches est encore moins tolérable que cette douleur à l’épaule. Lé soleil est une épée de feu, mais j’ai un brouillard devant les yeux. Là-haut, sur la pente, les femmes attendent, les femmes, les trois pleureuses.
Je ne leur parlerai pas, elles regarderont ce que l’on me fait, elles assisteront à mon humiliation.
Je n’ai jamais été attiré vers leur chair avide. Elles cherchent toujours à envelopper l’homme dans le sein de sa mère, ou d’une autre, c’est la même chose. Quand ressusciteront les morts, il n’y aura point d’épousailles. La douleur est si intense que je ne la sens plus, mais si je tombe encore ils vont me battre tant que je risque de les haïr et cela te donnera une nouvelle excuse pour détourner ton regard.

Si le père se détourne, comment peut-il exister aux yeux de son fils ? Oui, je sais que tu existes, mais je ne connais pas mieux ton apparence que celle de l’esprit immonde qui secouait de convulsions l’adolescent. Dans un recoin perdu de la montagne il y avait un idiot baveux, les païens l’adoraient, un nain bossu accroupi dans la boue, il se nourrissait de crottes de chien que les anciens du village lui offraient dans de la vaisselle d’or. A présent je crois que je tombe, je tombe, tout doucement, cela descend. Le gibet n’est plus là, il ne m’a pas brisé les reins, maintenant ils peuvent me battre tout leur soûl, mon front est heureux dans son bain de poussière, tout est paisible béatitude. Ils se tiennent autour de moi, ils débattent de ce qu’il faut faire, et moi je suis étendu, la bouche dans 7e sable blanc, dans la béatitude. Voilà maintenant avec eux un homme que je ne connais pas, un jeune paysan aux yeux ronds, on lui met ce joug, on le pose sur son échine nue. Regarde, je me tiens debout, et cela ne m’a coûté aucun effort, ils m’ont aidé, oui très aimablement. Et de nouveau je marche, appuyé des deux côtés, j’avance sur de l’air comme le jour où j’ai marché sur les eaux. En ce temps-là, je soutenais le pêcheur écervelé, ce pêcheur de peu de foi, mais maintenant c’est moi qui me fais soutenir par les bons soldats, qui sont des frères pour moi.
Ainsi Abraham porta son petit garçon au lieu du sacrifice, et ils eurent peur pour tous les deux jusqu’à l’instant où tu fis cesser la plaisanterie. Je n’arrivais pas à être sûr que cette fois aussi c’est une plaisanterie, et j’ai eu un peu peur, mais maintenant je sais. C’est une plaisanterie que nous avons faite tous les deux, de sorte que je suis à moitié responsable. Il faut encore que je t’explique bien pourquoi j’ai agi ainsi. J’ai essayé avant, mais tu n’écoutais pas. J'ai voulu mourir pour te réveiller. C’était la seule raison. Car je t’ai cru endormi, ou distrait, ou occupé à autre chose, et j’ai pensé qu’en conséquence tu ne t’apercevais pas des abominations ni de la désolation du monde que tu as créé. Comment comprendre autrement que tu les aies permises,
que dans ton amour et ton omniscience tu aies permis, que dans ta toute-puissance tu aies toléré que les hommes deviennent pires que des bêtes, pires que tout ce qui rampe et grouille, leur a interdit de se tailler ou peindre aucune image à ta ressemblance, et ce fut une grande faute. On leur a dit que personne ne pourrait sans périr voir ta face, et ce fut encore une erreur grave. Car les hommes ne peuvent aimer, ne peuvent comprendre ce qui n’a ni forme ni substance, ce qui ne ressemble à rien de leur univers. C’est pourquoi j’ai dû leur conter des paraboles pour leur apporter les comparaisons et les images qui leur manquaient. Je leur ai dit que le vin était mon sang, que le pain était mon corps : ils ont bu, ils ont mangé et ils ont senti leur dieu au-dedans d’eux-mêmes. Je ne pouvais pas leur dire que j’avais formé ce dessein de te réveiller en sursaut pour te rappeler à tes devoirs, puisque alors ils t’auraient encore moins aimé. Au lieu de cela, je leur disais la parabole de Jonas qui resta trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, en expliquant que je resterais, moi, trois jours et trois nuits au fond de la terre. Cette histoire de Jonas, je l’ai répétée plusieurs fois pour que leurs têtes dures s’en
imprègnent bien, et à la fin ils l’ont absorbée aussi, ils étaient prêts à me voir remonter des enfers, comme Jonas sorti de l’abîme, comme Joseph sorti du puits. Ils ont des yeux pour voir mais tu te caches, ils ont des oreilles pour entendre mais tu ne leur parles pas. Alors il faut bien qu’ils vivent de paraboles. Il n’y a qu’un homme qui ait deviné mon dessein : le gouverneur. Il se demandait pour- quoi je gardais le silence au lieu de réfuter les accusations mensongères que l’on élevait contre moi, et puis soudain il a compris. Il m’a regardé dans les yeux, c’étaient pour lui comme des fenêtres grandes ouvertes, et puis il m’a tourné le dos, il est allé se laver les mains ce qui était encore une parabole pour signifier que l’affaire ne peut se régler qu’entre toi et moi. Qu’il en soit ainsi.

Voici donc le lieu. Nous sommes arrivés. Je n’aime pas ces préparatifs. Les soldats qui me soutenaient n’ont plus leur bon visage. Ils suent, ils soufflent. Voilà qu’ils me mesurent. Du haut de la couronne jusqu’aux sandales. Ils ont l’air de travailler sérieusement. C’est le moment, c’est maintenant, Père, c’est le moment de tout arrêter, de faire cesser cette farce effroyable. Abraham lève le couteau sur son fils. Regarde, ces hommes m’appuient contre la croix. Ce n’est pas possible, on ne peut pas me faire cela à moi, ce n’est pas supportable. Il y a une voix de loup qui se met à hurler, ce ne peut pas être la mienne. Et les femmes qui regardent. J’ai une éponge dans la bouche, amère, apaisante, elle éteint le monde, c’est une bouchée de sommeil. Que ces choses arrivent à moi, ce n’est pas vrai, cela ne se peut pas. Ce ne sont pas mes mains, ces mains broyées. Ce n’est pas de moi qu’elle sort, cette ordure. Cette montée, cette montée, cette montée dans des flammes de douleur, ce n’est pas moi qui monte. Je 'monte, je sombre, je tourne sur la roue, je vogue dans le ventre de la baleine. Le soleil est tout noir, les ténèbres emplissent l’air, il ne faut pas que je m’évanouisse. Il faut que je le regarde dans les yeux,
s’il a des yeux pour voir. Eli, Eli, comment peux-tu supporter de voir cela? O toi obscur
esprit, vapeur du désert, ignoble absence, ô tu n’existes pas, tu n’as jamais existé. Rien qu’une parabole. Et ma mort, encore une parabole ; les hommes s’en souviendront et lui feront dire ce qu’elle ne dit pas. Il y aura des bourreaux pour torturer, pour tuer au nom d’une parabole. Pour en démontrer l’interprétation correcte, il y aura des guerres stupides. Ils immoleront des enfants pour l’amour d’une métaphore, des femmes seront brûlées vives à la gloire d’une allégorie.
Ainsi ta volonté sera faite, et non la mienne.

A.Koestler.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Membre, 9/11 was an inside job!, 71ans Posté(e)
Umpokito Membre 3 084 messages
Maitre des forums‚ 71ans‚ 9/11 was an inside job!,
Posté(e)

...il devait se dire:"j'va en manger une tabarn...!:smile2:

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Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 53ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 90 859 messages
53ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
Posté(e)

https://www.france-catholique.fr/PRIERE-POUR-ARTHUR-KOESTLER.html

S’est-il vraiment suicidé ? La police anglaise a d’abord dit oui, apparemment, puis que ce n’était pas sûr, puis, autant que je sache, s’est tue [9]. Il faut au héros un courage puisé ailleurs pour assister sans défaillir à l’effondrement de toutes ses causes. Koestler était un héros comme Malraux et Hemingway en ont décrit. A-t-il perdu courage ? Il est certain qu’Arthur et Cynthia Koestler devaient parfois se voir comme en un songe dans leur belle maison de Montpelier Square, irréelle parmi l’universelle violence. On ne voit cela ni dans Malraux ni dans Hemingway.

La figure de Jésus, le Juste mis à mort, il a voulu la peindre à sa façon, comme un vitrail, dans une nouvelle atroce, et il a choisi de disposer cette nouvelle en conclusion de son autobiographie (b).

Seigneur, prends cette main qui n’a su Te trouver

C’est Jésus qui parle à son Père en gravissant le Golgotha. « J’ai voulu moi-même cette horreur, dit-il, pour te mettre au pied du mur. Pour que tu interviennes dans ce monde sanglant comme tu arrêtas le bras d’Abraham. »

Koestler était non pas athée mais agnostique. On ne peut lire sans larmes ces lignes blasphématoires, car ce n’est pas Jésus qu’elles blasphèment, loin de là ! mais la solitude de Koestler et le monde orphelin, comme jadis Nerval :

Immobile Destin, muette sentinelle,

Froide Nécessité !... Hasard qui t’avançant

Parmi les mondes morts sous la neige éternelle...

... Sais–tu ce que tu fais, puissance originelle ... ? [10]

Que de distance entre Koestler le combattant et le tendre Nerval ! Pourtant cette nouvelle, Le malentendu, est un écho moderne du Christ aux Oliviers de Nerval. Les deux œuvres sœurs annoncent deux morts également énigmatiques. Mais Koestler rejette toute littérature. Il est atroce et nu. Sur ses épaules pèse le siècle des crématoires et des goulags. Je crois que Koestler l’agnostique a placé Le Malentenducomme une prière en conclusion de son livre et de sa vie. Peut-être sa mort même fait-elle mystérieusement partie de sa prière, car, dit-il, « quel père ne serait induit au repentir par le suicide de son fils ? »

Ce n’est pas là notre prière, mais nul de nous, je pense, n’osera s’en prévaloir. « Ô Père, dirons-nous plutôt, ne nous juge ni sur nos faiblesses, ni sur nos violences, ni sur nos erreurs, mais sur ta pitié seule et ton amour. Accorde la paix à ce fils de notre siècle qui ne l’a pas connue. Prends, ô Père, sa main tendue qui n’a pas su te trouver, car c’est aussi la nôtre, et cet enfant perdu a jalonné notre désert. »

Aimé MICHEL

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Nothomb propose elle aussi une version plus légère 

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Membre, Le prendre au sérieux, nuit gravement à la santé, Posté(e)
azad2B Membre 5 932 messages
Le prendre au sérieux, nuit gravement à la santé,
Posté(e)

La malentendu, est le prologue du roman de Koestler "Les call-girls". Et il faut reconnaître que ce prologue a la grandeur de la préface que V.Hugo a écrit pour Les Misérables.

Et Koestler critiqué par l' intelligentsia de gauche de l' après-guerre, était un grand visionnaire.

 

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Membre, Talon 1, 79ans Posté(e)
Talon 1 Membre 24 161 messages
79ans‚ Talon 1,
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"Pour l'instant, tout va bien."

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