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« Boire un grand bol de sommeil noir... »

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satinvelours

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)
Il y a 2 heures, satinvelours a dit :

(Toujours)

Bécquer 

Ce poème appartient aux Rimas. Dire avec des mots ce que dit le silence, dire le rythme des pas, le paysage transfiguré par le regard, la musique du rire et le poème des larmes, nommer la forme et l’expression, et évoquer l’énigme tue d’une femme sans doute stupide, n’est-ce pas expliquer la définition ultime de la poésie ?  Dans Cartas a una mujer ( lettres littéraires à une femme), comme dans cette Rime Bécquer s’adresse à une deuxième personne dont on ne sait plus si elle est la destinataire, extérieure à lui-même, ou son âme. Il dit :

« La poésie, en fin de compte, ce sont ces phénomènes inexplicables qui altèrent l’âme de la femme quand elle s’éveille au sentiment et à la passion ... »
Robert Pageard


Cruza callada, y son sus movimientos
silenciosa armonía;
suenan sus pasos, y al sonar, recuerdan
del himno alado la cadencia rítmica.


Los ojos entreabre, aquellos ojos
tan claros como el día;
y la tierra y el cielo, cuanto abarcan,
arde con nueva luz en sus pupilas.


Ríe, y su carcajada, tiene notas
del agua fugitiva;
llora, y es cada lágrima un poema
de ternura infinita.


Ella tiene la luz, tiene el perfume,
el color y la línea,
la forma, engendradora de deseos;
la expresión, fuente eterna de poesía.


¿Que es estúpida?… ¡Bah! Mientras callando
guarde oscuro el enigma,
siempre valdrá, a mi ver, lo que ella calla
más que lo que cualquiera otra me diga.


Traduction : Robert Pageard

Elle passe, muette, et ses mouvements 
Sont une silencieuse harmonie ;
Ses pas résonnent alors 
La cadence rythmique de l’hymne ailé.

Elle entrouvre les yeux, ses yeux
Aussi clairs que le jour,
Et la terre et le ciel, tout ce qu’ils embrassent, 
Brillent d’une nouvelle lumière dans ses pupilles.

Elle rit, et son éclat de rire a des sonorités
D’eau fugitive ;
Elle pleure, et chaque larme est un poème
De tendresse infinie.

Elle a la lumière, elle a le parfum,
La couleur et la ligne,
La forme, génératrice de désirs,
L’expression, source éternelle de poésie.

Elle est stupide ? Bah ! Tant que, se taisant,
Elle laissera l’énigme dans l’ombre,
Ce que je crois qu’elle tait vaudra toujours plus

Que ce qu’aucune autre me dira.

Etonnant cette présentation de la femme uniquement comme ... catalyseur !

Mais y'a du vrai aussi... :). Qu'est-ce qui déclenche l'amour ? Souvent une apparence... là, une légèreté...

 

Je vais te faire rire : A la foire de Internationale Marseille une vendeuse à un stand du Pérou, je crois. Elle vendait des briquets. Avec mon fils, on ne savait pas comment on disait un briquet en espagnol... On lui demande...

Et là la jolie fille nous dit : "Un encendedor "!

Avec ce "c" espagnol, (devant une voyelle,comme le th anglais!) Elle avait mis juste la pointe de la langue entre les dents pour le prononcer... Avec mon fils on s'est regardés.... Ouch !

 ELLE NOUS AVAIT INCENDIES  avec son "encendedor" ! La pointe d'une jolie langue innocente entre les dents : "th !" et on est perdus !

Voilà toute la simplicité des hommes grandeur nature !....

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Membre, Posté(e)
satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
Posté(e)
Le 05/05/2020 à 18:34, Blaquière a dit :

Mais oui ! c'est bien ça que j'ai compris aussi !

Les hirondelles reviendront ou plutôt "des" hirondelles", mais celles qui étaient devenues nos témoins ou nos complices ne reviendront pas. j'ai oublié un morceau de mot :

Reviendront les obscures hirondelles 
accrocher leurs nids à ton balcon, 
leur aile de nouveau rasera tes carreaux:
et en jouant elles t'appelleront.

Mais celles qui retenaient leur vol 
pour admirer ta beauté et mon bonheur, 
celles qui apprirent nos noms,


ne reviendront plus !

 

Pero aquellas que el  vuelo refrenaban
tu hermosura y mi dicha a contemplar,
aquellas que aprendieron nuestros nombres…
¡esas… no volverán!

soit :

Pero aquellas (las golondrinas) que el  vuelo refrenaban
a (=para) contemplar tu hermosura y mi dicha

aquellas que aprendieron nuestros nombres…
¡esas… no volverán!

C'est autre chose que tu comprends ?

 

 

 

Non, c’est bien ce que tu as traduit que je comprends.

Je comprends les textes. Ce qui me manque ce n’est pas la compréhension, mais la forme.

C’était Éluard qui disait  il arrivera un jour où « tout homme trouvera ce que le poète a vu ». C’est là toute la difficulté de la traduction : voir ce que le poète a vu !

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Membre, Posté(e)
satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
Posté(e)

Luis Antonio de Villena est né à Madrid en 1951. 


Son premier livre Sublime Solarium, dont est tiré le poème qui suit, a été publié en 1971 alors qu’il n’était encore qu’étudiant.

Villena ami intelligent, chaleureux, cultivé, coexiste avec son propre personnage, sa légende : luxueux, scandaleux, provoquant, les doigts couverts de bagues, mais capable de répondre au téléphone, avec la plus grande courtoisie, à quiconque s’adresse à lui.

Villena est un phare de la poésie espagnole des années 70 et 80.

« Je suis intéressé par l’art qui théâtralise la vie – l’art comme réalité – et par la vie vécue comme un art – la réalité imaginée ».

Raso en la autopista 

Brillantes son las avenidas de la noche,
Las vacías autopistas que solitario
Atraviesas en la cabina de un coche,
Como si una soledad acristalada
Permitiese la vida de los sueños, de las
Niñas que mueren de amor ante los
Cines, fuera del mundo, al borde de la noche.
Automóviles solos que en todos los moteles
Hablan del saxo azul de los night-clubs,
De un silencio de seda, del fuego que
Abrasa las tablas de la ley cuando
El malhechor —raso en la pechera— decide
Ahogar su dolor en los cetáceos muertos,
En la pálida estrella que ve brillar
Tras el arabesco del balcón en un
Motel cualquiera...
Con el alba el claror redibuja un paisaje,
El cascote del día resuena contra el
Níquel y hay olor a comienzo de caza
En los bares desiertos, desiertas avenidas...
Las sábanas entonces, al que tarde regresa,
Le ofrecen dulzura de hierba cortada,
Rocío en las hojas de los tréboles,
Trinos de tordos que saludan al alba.
En tanto tú regresas, marchito el clavel
En la tersa solapa, dispuesto al sueño,
Al olvido del dolor, al rubio olor del champaña...
Y mientras, las carreteras desenvuelven
Las alfombras azules de la madrugada.


Traduction : Yves Aguila

Satin sur l’autoroute

Elles brillent les avenues de la nuit,
Les vides autoroutes que solitaire
Tu traverses enfermé en voiture,
Comme si une solitude vitrée
Autorisait la vie des rêves, des
Gamines qui meurent d’amour devant les
Cinémas, hors du monde, à l’orée de la nuit.
Des autos esseulées qui dans tous les motels
Parlent du saxo bleu des night-clubs,
D’un silence de soie, du feu qui
Embrase les tables de la loi quand
Le malfaiteur — plastron de soie — décide
De noyer sa douleur dans les cétacés morts,
Dans l’étoile pâlie qu’il voit briller
Derrière l’arabesque du balcon dans un
Motel quelconque…
La clarté redessine un paysage à l’aube,
Le jour et ses gravats résonnent contre le
Nickel et cela sent le début de la chasse
Dans les cafés déserts, les avenues désertes…
Les draps offrent alors au noctambule
Une douceur d’herbe coupée,
De rosée sur les feuilles des trèfles,
L’aube que saluent des trilles de grives.
C’est l’heure où tu reviens, flétri l’œillet
A ton revers lustré, prêt au sommeil,
A l’oubli des douleurs, à la blonde odeur du champagne…
Les routes, pendant ce temps-là, déroulent
Les tapis bleus du petit jour qui point.

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satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
Posté(e)

Miguel  Hernández

Poème extrait de El Rayo que no cesa ( Cet éclair  qui ne cesse pas) recueil « d’une perfection et d’une émotion intenses »Marie Chevallier

Les mots et les motifs de son imaginaire personnel, d’une modernité vivante, originale, quotidienne et recherchée, animent d’un souffle puissant et bousculent d’une vitalité pathétique les formes canoniques qui les maîtrisent. 

La peine est scandée huit fois dans le poème, on la retrouve deux fois dans chaque strophe.

 

Umbrío por la pena, casi bruno,
porque la pena tizna cuando estalla,
donde yo no me hallo no se halla
hombre más apenado que ninguno.
 
Sobre la pena duermo solo y uno,
pena es mi paz y pena mi batalla,
perro que ni me deja ni se calla,
siempre a su dueño fiel, pero importuno.
 
Cardos y penas llevo por corona,
cardos y penas siembran sus leopardos
y no me dejan bueno hueso alguno.
 
No podrá con la pena mi persona
rodeada de penas y de cardos:
¡cuánto penar para morirse uno!
 
Traduction : Nadine Ly

Assombri, comme bruni par la peine
Car la peine charbonne en explosant,
Là où je me trouve il ne se trouve
Aucun homme accablé d’autant de peine.
 
Sur la peine je dors, unique, seul,
Peine et ma paix et peine  ma bataille,
Chien qui ne veut me quitter ni se taire,
Toujours fidèle et toujours importun.
 
De chardon et de peine est ma couronne,
Chardons, peines sèment leurs léopards
Et me rongent les os jusqu’à la moelle.
 
De chardons et de peine environné
Mon être est désarmé devant la peine :
Peine sur peine et finir par mourir !

 

 

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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Cardos y penas llevo por corona,  Chardons et peines je porte en couronne
cardos y penas siembran sus leopardos  chardon et peines sèment leur léopards
y no me dejan bueno hueso alguno. et (qui) n'épargnent aucun de mes os
 
No podrá con la pena mi persona Je ne pourrai (rien)
rodeada de penas y de cardos: Cerné de peines et de chardons :
¡cuánto penar para morirse uno! Combien de peines (ne faut il pas supporter) avant que d'en mourir.

Je trouvais que la traduction proposée du dernier vers : "Peine sur peine et finir par mourir !" perdait le sens que le poète (à mon avis) voulait donner. à savoir que notre capacité à souffrir est immense. (C'est le sens du poème qui répète sans cesse "penas y cardos". On n'en a jamais fini de souffrir (!).

 

 

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Membre, Posté(e)
satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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Il y a 4 heures, Blaquière a dit :

Cardos y penas llevo por corona,  Chardons et peines je porte en couronne
cardos y penas siembran sus leopardos  chardon et peines sèment leur léopards
y no me dejan bueno hueso alguno. et (qui) n'épargnent aucun de mes os
 
No podrá con la pena mi persona Je ne pourrai (rien)
rodeada de penas y de cardos: Cerné de peines et de chardons :
¡cuánto penar para morirse uno! Combien de peines (ne faut il pas supporter) avant que d'en mourir.

Je trouvais que la traduction proposée du dernier vers : "Peine sur peine et finir par mourir !" perdait le sens que le poète (à mon avis) voulait donner. à savoir que notre capacité à souffrir est immense. (C'est le sens du poème qui répète sans cesse "penas y cardos". On n'en a jamais fini de souffrir (!).

 

 

Je suis de ton avis. La traduction de Nadine Ly est trop « froide ».

Peut-on connaître la traduction que tu fais de ce poème qui n’est pas facile et qui cristallise toute  la souffrance par ce mot répété tout au long « pena ». Merci.

 

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

J’ai fait ce que j’ai pu !

 

J’ai gardé : « désarmé devant la peine » qui me va bien et complète le sens vague (sans complément) de « no podrà mi personna »

J’ai remplacé « Cardos », chardon, par chagrin, On pourrait garder chardons ? En français, plus abstrait, on ne voit pas trop ce que viennent faire là des chardons. C’est trop imagé (?) Pareil pour les léopards, « bêtes fauves » est plus générique…

Bon, c’est une tentative !

Je retourne à mes plats à gratin !

 

À plus !

 

A l’ombre de la peine brune,

Cette/La peine qui éclate et me noircit

Où je me perds de ne trouver

Personne plus accablé (de peine)

 

Dans ma peine je m’endors seul

Peine est ma paix et peine ma bataille,

Un chien qui ne me quitte ni ne se tait,

Toujours fidèle et me harcèle

 

Chagrins et peines je porte en couronne

Chagrins et peines lancent leurs bêtes fauves

Qui n’épargnent aucun de mes os

 

Devant la peine je reste désarmé,

Cerné de peines et de chagrins :

Combien/Que de peines (nous faut-il / à) supporter avant la mort !

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

Le démarrage c'est trop sec !

 plutôt :

" Je vis à l'ombre de la peine brune..."

 

Je vis à l’ombre de la peine brune.

La peine éclate et me noircit

Et je me perds de ne trouver

Personne plus accablé

 

Je m’endors tout seul dans ma peine

Elle est ma paix et ma bataille,

Le chien qui ne me quitte ni se tait,

Toujours fidèle et me harcèle.

 

Chagrins et peines sont ma couronne

Chagrins et peines lancent leurs bêtes fauves

Qui n’épargnent aucun de mes pauvres os.

 

Et devant cette peine je reste désarmé.

Cerné de peines et de chagrins,

Combien de peines à supporter avant la mort ?

 

Bon... les "pauvres os" ça fait un peu cliché !

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satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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Jorge Guillén né à Valladolid en 1893- mort à Malaga en 1984

L’œuvre de Guillén, c’est d’abord la volonté, lumineuse, d’un Cantique total, qu’il soit exaltation du monde, dans ses êtres et ses noms, et de la poésie espagnole, dans ses mètres et ses chants. Les ténèbres et les terreurs intimes, jusqu’alors sidérées, éblouies, dans la puissance solaire de l’écriture, vont déferler avec les déchirures et les désastres de l’histoire.

Le poème est extrait de Cántico.

Cierro los ojos
(Une rose dans les ténèbres. Mallarmé)

Cierro los ojos y el negror me advierte
Que no es negror, y alumbra unos destellos 
Para darme a entender que sí son ellos
El fondo en algazara de la suerte,

Incógnita nocturna y tan fuerte
Que consigue ante mí romper sus sellos
Y sacar del abismo lo más bellos
Resplandores hostiles a la muerte.

Cierro los ojos. Y persiste un mundo
Grande que me deslumbra así, vacío 
De su profundidad tumultuosa.

Mi certidumbre en la tiniebla fundo,
Tenebroso el relámpago es más mío,
En lo negro se yergue hasta una rosa.

Traduction : Claude Esteban 

Je ferme les yeux

Je ferme les yeux et la noirceur m’annonce
Quelle est nulle noirceur et ses éclats
Me laissent entendre qu’ils sont là
Tel le fond joyeux de la chance,

L’inconnue, la nocturne, si puissante,
Quelle brise devant moi les sceaux
Pour tirer de l’abîme les plus beaux
Soleils hostiles à la mort.

Je ferme les yeux. Perdure un monde
Immense qui m’aveugle, délié
De son pouvoir profond tumultueux.

Je fonde sur l’obscur ma certitude.
Plus noir l’éclair est davantage mien
Et se dresse une rose dans les ténèbres.

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satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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Antonio Machado 

 Ce poème Solitudes aurait été composé lors du premier séjour de Machado à Soraya, en mai 1907. Le Duero (Douro), fleuve emblématique de la poésie machadienne, né dans la sierra d’Urbión, traverse la Castille et la Meseta, puis le Portugal et se noie dans l’Atlantique à Porto. Depuis Jorge Manrique le fleuve est cours et discours de la vie ; avec Machado, il coule au rythme des saisons et, chemin fluide de la rêverie, de la pensée et de l’écriture, il devient temps intérieur, géographie et Histoire, parole lyrique et nostalgie. M. Alvar


Orillas del Duero

 Se ha asomado una cigüeña a lo alto del campanario. 

Girando en torno a la torre y al caserón solitario, 
ya las golondrinas chillan. Pasaron del blanco invierno, 
de nevascas y ventiscas los crudos soplos de infierno. 

Es una tibia mañana. 
El sol calienta un poquito la pobre tierra soriana. 

Pasados los verdes pinos, 
casi azules, primavera 
se ve brotar en los finos 
chopos de la carretera 
y del río. El Duero corre, terso y mudo, mansamente. 
El campo parece, más que joven, adolescente. 

Entre las hierbas alguna humilde flor ha nacido, 
azul o blanca. ¡Belleza del campo apenas florido, 
y mística primavera! 

¡Chopos del camino blanco, álamos de la ribera, 
espuma de la montaña 
ante la azul lejanía, 
sol del día, claro día! 
¡Hermosa tierra de España!


Traduction. Bernard Sesé

Rives du Douro

Au sommet du clocher une cigogne s’est perchée.
Tournant autour de la bâtisse solitaire et de la tour,
Piaillent déjà les hirondelles. Du blanc hiver
Aux tourmentes de neige et du vent a déjà passé l’âpre souffle d’enfer.

C’est une tiède matinée.
Le soleil réchauffe un peu la pauvre terre de Soria.

Au-delà des pins verts,
Presque bleus, on voit le printemps
S'épanouir sur les fins peupliers
De la route et de la rivière.
Le Douro coule, lisse, muet, tout doucement.
La campagne paraît, plus que jeune, adolescente.

Parmi les herbes quelque humble fleur est née,
Bleue ou blanche. Beauté de la campagne à peine fleurie,
Et mystique printemps ! 

Peupliers du chemin tout blanc, peupliers du rivage,
Écume de la montagne
Devant le lointain d’azur,
Soleil du jour, claire journée !
Belle terre d’Espagne !

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Luis Cernuda né à Séville en 1902- mort à Mexico en 1963


Dans l’hommage profond qu’il rend à sa mémoire : Como en sí mismo, al fin (tel qu’en lui-même, enfin) Jaime Gil de Biedma  affirme très haut que Luis Cernuda est, de tous les poètes de la génération de 1927, le seul véritable maître à penser et à écrire des jeunes écrivains des années 60 et 70, en ce qu’il promeut l’expérience commune, vecinal (banale, courante, ordinaire, celle du commun des mortels), au rang de matériau poétique, et la diction simple, familière de la langue parlée, au zénith de l’expression esthétique.

Cernuda, c’est encore une de ces étoiles, « poussière de flammes » que chantait Aragon, une trajectoire douloureuse de la naissance andalouse à la mort mexicaine. Jusqu’en 1938, jusqu’à l’heure de l’exil, il collabore à la presse républicaine, à la revue Hora de España, en particulier. La terre de l’exil, ce sera d’abord l’Angleterre, puis, en 1947, les États-Unis et enfin en 1952, et à jamais, le Mexique.


Un español habla de su tierra

Las playas, parameras 
Al rubio sol durmiendo, 
Los oteros, las vegas 
En paz, a solas, lejos; 
  
Los castillos, ermitas,                    
Cortijos y conventos,
La vida con la historia, 
Tan dulces al recuerdo, 
  
Ellos, los vencedores 
Caínes sempiternos,                     
De todo me arrancaron. 
Me dejan el destierro. 
  
Una mano divina 
Tu tierra alzó en mi cuerpo 
Y allí la voz dispuso                      
Que hablase tu silencio. 
  
Contigo solo estaba, 
En ti sola creyendo; 
Pensar tu nombre ahora 
Envenena mis sueños.                  
  
Amargos son los días
De la vida, viviendo 
Sólo una larga espera 
A fuerza de recuerdos. 
  
Un día, tú ya libre                        
De la mentira de ellos, 
Me buscarás. Entonces 
¿Qué ha de decir un muerto?


Traduction : Claude Couffon 

Un espagnol parle de sa terre


Les plages et les Landes
Dormant au soleil blond,
Les terres et les plaines,
Paisibles, seuls, lointains ;

 Les châteaux, les chapelles,
Les fermes, les couvents,
La vie avec l’histoire
Au souvenir si douces,

Tout cela, les vainqueurs
– Ces éternels Caïns –
Me l’ont arraché, oui. 
Ils me laissent l’exil.

Dans mon corps une main
Divine souleva
Ta terre, et la voix fit
S’exprimer ton silence.

J’étais seul avec toi
Et ne croyais qu’en toi ;
Ton seul nom maintenant
Empoisonne mes rêves.

Les jours de la vie sont
Amers à qui, à force 
De souvenirs, ne vit
Qu’une très longue attente.

Un jour, quand tu seras 
Libre de leur mensonge,
Tu me chercheras. Mais
Que pourrait dire un mort ?

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Luis de Góngora y Argote né à Cordoue en 1561- mort à Cordoue en 1627

Inventeur de la poesía nueva (nouvelle poésie), objet, de son vivant, d’exégèses savantes et de vives et féroces controverses, rival redouté et intensément admiré de Lope de Vega, modèle absolu de perfection conceptiste pour Gracián, ostensiblement rejeté par Antonio Machado et secrètement présent dans ses Campos de Castilla (Champsde Castille); emblème des jeunes poètes de la génération de 1927 Luis de Góngora, « le Cygne du Bétis », porte l’écriture poétique à une hauteur exceptionnelle. 

Comme Cervantes et comme Lorca, Góngora est aujourd’hui l’un des des très rares écrivains espagnols pour lesquels le public et les critiques puissent encore se passionner, en Espagne certes, mais aussi en France et en Europe.

Le poème ci-dessous, rempli d’éléments métaphoriques, déconstruit pas moins subtilement le code analogique en usage pour imposer la beauté du visage féminin (Claude Esteban- poèmes parallèles).

Mientras por competir con tu cabello
Oro bruñido, el sol relumbra en vano,
Mientras con menosprecio en medio el llano
Mira tu blanca frente el lilio bello;
   
Mientras a cada labio, por cogello,
Siguen más ojos que al clavel temprano,
Y mientras triunfa con desdén lozano
Del luciente cristal tu gentil cuello;

Goza cuello, cabello, labio y frente,
Antes que lo que fue en tu edad dorada
Oro, lilio, clavel, cristal luciente

no sólo en plata o víola troncada
se vuelva, mas tú y ello juntamente
En tierra, en humo, en polvo, en sombra, en nada.


Traduction : Claude Esteban 

Tandis que pour lutter avec ta chevelure,
Or bruni au soleil vainement étincelle,
Tandis qu’avec mépris au milieu de la plaine
Contemple ton front blanc la fleur belle du lis,

Tandis que pour cueillir chacune de tes lèvres
Te poursuivent plus d’yeux que l’œillet du printemps,
Et que superbement dédaigne, triomphant
Du cristal lumineux, ta gorge souveraine ;

Cette gorge et ce front, ces cheveux, cette lèvre
Cueille-les dès avant que ce fut hier
En ton âge doré, lis, œillet, or, cristal,

En argent ne se charge, en violette fanée,
Mais plus encore, et toi avec eux mêmement, 

En poussière, en fumée, en cendre, en ombre, en rien.
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Blaquière Membre 19 162 messages
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Il y a 3 heures, satinvelours a dit :

Luis de Góngora y Argote né à Cordoue en 1561- mort à Cordoue en 1627

Inventeur de la poesía nueva (nouvelle poésie), objet, de son vivant, d’exégèses savantes et de vives et féroces controverses, rival redouté et intensément admiré de Lope de Vega, modèle absolu de perfection conceptiste pour Gracián, ostensiblement rejeté par Antonio Machado et secrètement présent dans ses Campos de Castilla (Champsde Castille); emblème des jeunes poètes de la génération de 1927 Luis de Góngora, « le Cygne du Bétis », porte l’écriture poétique à une hauteur exceptionnelle. 

Comme Cervantes et comme Lorca, Góngora est aujourd’hui l’un des des très rares écrivains espagnols pour lesquels le public et les critiques puissent encore se passionner, en Espagne certes, mais aussi en France et en Europe.

Le poème ci-dessous, rempli d’éléments métaphoriques, déconstruit pas moins subtilement le code analogique en usage pour imposer la beauté du visage féminin (Claude Esteban- poèmes parallèles).

Mientras por competir con tu cabello
Oro bruñido, el sol relumbra en vano,
Mientras con menosprecio en medio el llano
Mira tu blanca frente el lilio bello;
   
Mientras a cada labio, por cogello,
Siguen más ojos que al clavel temprano,
Y mientras triunfa con desdén lozano
Del luciente cristal tu gentil cuello;

Goza cuello, cabello, labio y frente,
Antes que lo que fue en tu edad dorada
Oro, lilio, clavel, cristal luciente

no sólo en plata o víola troncada
se vuelva, mas tú y ello juntamente
En tierra, en humo, en polvo, en sombra, en nada.


Traduction : Claude Esteban 

Tandis que pour lutter avec ta chevelure,
Or bruni au soleil vainement étincelle,
Tandis qu’avec mépris au milieu de la plaine
Contemple ton front blanc la fleur belle du lis,

Tandis que pour cueillir chacune de tes lèvres
Te poursuivent plus d’yeux que l’œillet du printemps,
Et que superbement dédaigne, triomphant
Du cristal lumineux, ta gorge souveraine ;

Cette gorge et ce front, ces cheveux, cette lèvre
Cueille-les dès avant que ce fut hier
En ton âge doré, lis, œillet, or, cristal,

En argent ne se charge, en violette fanée,
Mais plus encore, et toi avec eux mêmement, 

En poussière, en fumée, en cendre, en ombre, en rien.

Je ne mens pas ; je me suis servi de la traduction pour mieux comprendre le texte original !

Mais à mesure que je la rapporte au poème, j'ai l'impression qu'il y a plein de contre sens !

Et le poème me semble très (plus) logique que la traduction.

Je vais mieux y réfléchir...

 Là ce soir je suis trop épuisé ! Demain, je reviens !

à plus !

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

Non ! je le sentais bien ce poème ! :smile2:

Malgré l'épuisement.... (j'ai taillé la haie tout l'après midi )

 

Tant que que pour rivaliser avec ta chevelure

d’or bruni, le soleil vainement étincelle

Tant que ton front immaculé regarde

Avec mépris le lis blanc de la plaine

 

Tant qu’à chacune de tes lèvres pour la cueillir

S’accrochent plus d’yeux qu’à l’œillet du printemps

Et tant que ta gorge gracieuse d’un dédain hautain

Triomphe du lumineux cristal,

Profite et profitez  gorge, cheveux, lèvre et front !

Avant que ce que vous fûtes en votre âge doré
Or, lys, œillets et cristal lumineux

Pis qu’en plomb, ou en violette fanée
Ne se change, mais toi et eux en même temps
En terre, en fumée, en poussière, et en ombre. En rien.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Miguel de Cervantes Saavedra né à Alcalá de Henares en 1547- mort à Madrid en 1616

Ce poème est tiré du deuxième acte des Bagnes d’Alger, une autre des comédies publiées en 1615. Ce chant d’un captif chrétien, qui exprime sa nostalgie de liberté est un zéjel, forme strophique d’origine arabe qui remonte au Xe siècle et dont la tradition s’est maintenue au Moyen Âge et au Siècle d’or. Le poème s’ouvre sur un couplet de deux octosyllabes, suivi d’une quintilla que conclut, en  manière de refrain, le deuxième vers du couplet initial. Jean Carnavaggio.


Aunque pensáis que me alegro,

Conmigo traigo el dolor.

Aunque mi rostro semeja
Que de mi alma se aleja 
La pena, y libre la deja,
Sabed que es notorio error:
Conmigo traigo el dolor.

Cúmpleme disimular 
Por acabar de acabar,
Y porque el mal, con callar,
Se hace mucho mayor.
Conmigo traigo el dolor.

Traduction : Jean Carnavaggio 

Bien que vous me croyez en joie,
En moi je porte la douleur.

Alors que mes traits laissent croire
Qu’à présent la peine s’éloigne 
De mon âme, enfin délivrée,
Sachez que c’est erreur notoire :
En moi je porte la douleur.

Il me faut bien dissimuler,
Pour que désormais j’en finisse,
Et, puisque le poids du silence
Rend le malheur encore plus lourd,
En moi je porte la douleur.

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
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Grandiose notre Servantes !

On reste scotché !

"Je fais le guignol, mais au fond de moi, la peine est immense !"

 C'est toute l'Espagne ! JE SUIS ESPAGNOL !

 

Pour le poème précédent, j'ai traduit l'argent par le plomb :

"no sólo en plata o víola troncada"

>> "Pis qu’en plomb, ou en violette fanée"

Parce que l'argent dans le poème de Luis de Góngora y Argote 

signifiait que l'argent était un peu moins que l'or. Pour nous, aujourd'hui, l'argent c'est encore trop bien !

Alors, j'ai exagéré : le plomb, c'est carrément moins bien que l'or !

En plus la sonorité ressemble : l'argent en espagnol = la plata, j'ai dit le plomb en français. (Plomo en espagnol, d'ailleurs je crois)

En plus, avec le cinéma de la pierre philosophale qui change le plomb en or, qu'on nous fait depuis plus de mille ans, l'idée que le temps, lui, change (changeât!!!) l'or en plomb, me plaisait bien... Je pense que ça va dans le sens du poète.

D'accord, c'est un peu... baroque ! Pile dans l'époque ! :)

 

PS : j'ai hésité quelques secondes avec "cuivre", mais plomb, avec son "pl" l'a emporté.

Le problème, c'est que le plomb, c'est ... lourd ! Une symbolique de la lourdeur qui n'a rien à faire entre l'or et la poussière... Quoi que ce qui est lourd finisse toujours par retomber...

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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ici aussi, il vaudrait peut-être mieux dire

"Pis qu'en plomb ou en fleur desséchée"

pour

"no sólo en plata o víola troncada"

plutôt que

>> "Pis qu’en plomb (argent), ou en violette fanée"

"Fleur" en restant plus générique s'opposerait mieux aux "oeillets" et aux "lys".

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satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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Il y a 23 heures, Blaquière a dit :

Grandiose notre Servantes !

On reste scotché !

"Je fais le guignol, mais au fond de moi, la peine est immense !"

 C'est toute l'Espagne ! JE SUIS ESPAGNOL !

También soy Espańola !

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satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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Il y a 5 heures, Blaquière a dit :

ici aussi, il vaudrait peut-être mieux dire

"Pis qu'en plomb ou en fleur desséchée"

pour

"no sólo en plata o víola troncada"

plutôt que

>> "Pis qu’en plomb (argent), ou en violette fanée"

"Fleur" en restant plus générique s'opposerait mieux aux "oeillets" et aux "lys".

Fleur desséchée cela va aussi puisqu’il y a la prééminence de l’expression littérale : (chevelure, front blanc, lèvres, gorge ) sur les fleurs : (lis, œillet).

Et pourquoi en place de Goza: « Profitez », mettre quelque chose de plus brutal, par exemple « Jouissez » ?

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