1337 : Edouard III met le feu

          Le 7 octobre 1337, Philippe VI, roi de France, se prend un gant dans la figure de la part d'Edouard III, roi d'Angleterre. Ainsi débute la Guerre de Cent Ans...

Pourquoi ce geste ?

Flash-back :

Au commencement était Isabelle la Louve, fille de France mariée en 1308 au roi Edouard II d'Angleterre. Pourquoi ce sobriquet -la Louve- me direz-vous ? Il semblerait qu'on l'ait surnommée ainsi tout autant qu'on aurait pu surnommer son époux Edouard le Gay, lui étant plutôt du genre loup-phoque.

De là, on imagine aisément le tableau : un souverain réservant sa précieuse semence à des favoris qui ne tombent désespérément pas enceints. La reine furieuse : comment veut-on qu'elle donne un héritier au trône dans ces conditions ! C'est alors qu'intervient le baron Roger Mortimer de Wigmore : en homme d'action, il la prend en main -il fallait bien faire quelque chose !- et quelques mois plus tard, naît le garçon tant attendu : le futur Edouard III.

Il est vrai que ce Mortimer est l'amant de la reine Isabelle. Tous deux ont d'ailleurs un beau jour sauté dans un ferry pour rejoindre la France, emportant le gamin avec eux.

A partir de là, c'est devenu difficile pour Edouard II de porter sa couronne, à cause des cornes trop proéminentes. Il n'a du reste pas tardé à la perdre puisque les complots du couple fugitif mènent à sa chute en 1327. C'est en prison qu'il meurt, assassiné.

Enfin, pour Isabelle, la voie est libre : débarrassée de ce poids mort, elle gouverne l'Angleterre au nom de son fils, alors trop jeune pour ces choses-là.

Encore maintenant, des romans à l'eau de rose alimentent la rumeur d'un Edouard III qui serait en vérité le fils du baron Mortimer, ce qui relève de l'impossible sachant que ce dernier se trouvait en Irlande au moment de sa conception à des centaines de kilomètres de là (c'est elle qui le dit, elle y était, elle a tenu la chandelle, alors elle sait !). En outre, Edouard II était parfaitement apte à ranger la jaquette au vestiaire le temps de remplir ses devoirs conjugaux envers la reine, à laquelle il fit quatre enfants. Vous pensez bien que quatre enfants adultérins, ça aurait fini par se voir !

Une autre rumeur fait d'Edouard III le fils de William Wallace : c'est autour de cette intrigue que se déroule le récit du film Braveheart (prononcez \ˌbɹeɪv.ˈhɑɹt\ ; allez, on y croit !) avec Sophie Marceau et Mel Gibson. Ce qui est encore plus invraisemblable, Isabelle de France n'étant âgée que de neuf ans et n'ayant encore jamais mis les pieds en Angleterre lorsque l'exécution du héros écossais eut lieu.

Enfin bref. Revenons à Edouard III :

En 1328, à la mort du roi de France Charles le Bel, le frère d'Isabelle, la scandaleuse se verrait bien emménager dans ses châteaux et poser son popotin de louve sur son trône.

Problème : selon la loi phallique -oups- salique en vigueur en France, la couronne royale ne peut se transmettre que par les hommes. Ce qui fait que ni elle, ni même son fils, ne peuvent y prétendre.

C'est donc un Valois qui vient prendre la place, à travers les pancartes brandies par les Chiennes de garde, les Femmes à barbe, le Collectif féministe... et sous les criailleries d'un groupuscule de Femen à moitié nues, avec écrit "fuck Charlemagne" sur la poitrine. Un masculiniste en colère grimpe en haut d'une grue pour protester. C'est une vraie pagaille.

Loin de là, Edouard junior rumine dans les brumes de sa perfide Albion. Il s'estime lésé par ce ass hole de Philippe le Fortuné (pas pour longtemps) qui se prend pour le roi de France !

D'où cet archevêque missionné pour aller lui jeter un gant en plein dans la cheutron.

Philippe VI est humilié au plus haut point : la guerre est déclarée.

Une guerre connue comme celle de Cent Ans mais qui en durera en vérité 116 (soit environ cinq générations) et laissera le royaume exsangue.

Quand on y repense, on se dit que le souverain français aurait mieux fait de ravaler sa vexation. Il aurait eu l'air con sur le coup, bon, et puis voilà !

*

En 1390, la région de Cahors est si dévastée qu'on n'y entend plus le chant du coq. En Saintonge, c'est pendant cette période qu'est né le dicton : Les bois sont venus en France avec les Anglais.

L'envahisseur est comparé au loup et à l'oiseau de proie dont il possède l'orgueil et la cruauté sauvage.

Des meneurs coiffés de salades (ces casques conférant un air de sombre crétin au soldat anglais) se sont tristement illustrés, tel un Adhémar de Jussel qui tue les laboureurs, égorge les paysans et abandonne leurs cadavres dans la campagne, ou encore un Edouard de Windsor (ancêtre d'Elisabeth II), dit le Prince Noir, sans doute parce qu'il était de longue bourré. Ses chevauchées, parait-il, avançaient en zigzaguant.

Aux ravages de ces affreux Coués, ces ordures de Godons, ces hooligans déguisés en boîtes de conserve, s'ajoutent des troupes d'hommes désœuvrés, assoiffés de sang : les compagnies, les bandes d'écorcheurs, puis de retondeurs, les routiers (pas sympas). Ils sont Gascons, Navarrais, Brabançons, Gênois, Napolitains, Piémontais, Bavarois... Leur nombre peut s'élever de 100 à 400 brutes épaisses sans motif politique ni spirituel, suivies de médecins, de filles de joie, de munitionnaires, et parfois même de prêtres en rupture d'ordre. Ils terrorisent ce qu'il reste de population et exigent des rançons -les appâtis- sous la menace et la torture. Comme si cela ne suffisait pas, les bons soldats françois se servent au passage en promettant de rendre à leur retour, c'est-à-dire jamais. Et pour couronner le tout, les disettes et les épidémies sont autant de coups de grâce !

Toutes ces horreurs de la guerre entraînent des migrations : des Calaisiens expulsés en charter par Edouard III se retrouvent à Carcassonne ; des Gavaches du nord de la Loire s'installent la mort dans l'âme dans le sud où on préfère le pastis au vin, si c'est pas malheureux ! Des habitants d'Harfleur se dispersent jusqu'en région parisienne ; des Normands se réfugient dans une Bretagne que désertent des Bretons ; des Poitevins abandonnent leurs salines et en aménagent de nouvelles à Guérande (où elles existent encore). Les forgerons émigrent de préférence en Allemagne, du côté de Cologne.

Tout ça dans une France où traînent trop de mendiants, où on paye trop d'impôts, où les marchands ne peuvent plus se déplacer sans escorte. La mentalité est au chacun pour soi, le Front national atteint des scores jamais vus, Mélenchon ne décolère plus : il frise l'apoplexie à la fin de chaque discours.

Le 18 juin 1429, pourtant, une lueur d'espoir se fait quand Charles VII, boosté par sa maîtresse Agnès Sorel et la courageuse Jeanne d'Arc, bat l'ennemi à plate couture à Patay, près d'Orléans. Une victoire éclatante qui a donné l'expression "mettre la Patay", peu à peu transformée en pâtée par des ignares accrocs aux SMS.

Cependant, c'est seulement en 1453, après la bataille de Castillon, sur les rives de la Dordogne, que les Anglais seront enfin boutés hors de France. Ouf ! On croyait qu'on n'en viendrait jamais à bout, et les Amerloques qui n'avaient pas encore été inventés pour nous sortir de ce merdier pas possible.

Il faudra une bonne année pour remettre en état les chaumières brûlées et les machines détruites, dix ans pour reconstituer les cheptels, les taillis, les bois, les vignobles.

En attendant un bon baby-boom pour repeupler l'Hexagone, on ne croise plus en moyenne que 7,7 feux au kilomètre carré, ça fait pas beaucoup de monde.

Tout ça pour un gant !

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Bibliographie :

La Guerre de Cent Ans, Boris BOVE, éd. Belin

La vie quotidienne pendant la Guerre de Cent Ans, France et Angleterre, Philippe Contamine, éd. Hachette

Les Françaises pendant la Guerre de Cent Ans, Jean Verdon, éd. Perrin

Les causes réelles de la guerre n'ont rien à voir avec cette Isabelle de France car en 1329, Édouard III vient prêter hommage pour la Guyenne à Philippe VI. En réalité, il s'agit surtout d'un prétexte d'Edouard III pour pouvoir entrer en guerre sans passer pour un félon (il est le vassal du roi de France en Guyenne), puisqu'il n'a rien dit quelques années plus tôt quand il a été écarté du trône au profit de Philippe VI.
En fait le conflit est la continuation des tensions frontalières de longue date entre la Guyenne anglaise et le royaume de France. Pour la note, la loi salique n'a pas été utilisée par le roi d'Angleterre mais contre lui pour l'écarter, ceci dit même sans loi salique Charles le Mauvais roi de Navarre était mieux placé que lui. Et puis les origines de la guerre plus les conflits satellite ont autant d'importance :

• Les manipulations de Philippe VI et de ses "agents" en Acquitaine.
• La guerre de Succession de Bretagne avec les Montfort qui prête hommage au roi d'Angleterre et les Blois-Bretagne, affilié au roi de France.
• La trahison de Geoffrey d'Harcourt et l'arrestation de Charles le Mauvais ressemble à peu près au Noces pourpres dans Game of Thrones.
• La révolte en Flandre.

etc... etc... La guerre de Cent Ans est THE conflit ou ses origines mettent en relations bien trop de paramètres... Ça part dans tous les sens. Mais pour moi, les origines viennent du ménage à trois entre Aliénor d'Aquitaine/Louis VII/Henry II et le duché d'Auqitaine.

Il faut bien voir que cette guerre est d'abord une guerre civile entre un suzerain et son vassal. Plus épineux: le terme de guerre civile pour la guerre de Cent Ans est un peu exagéré mais en grande partie vrai, en ce que France et Angleterre sont unies alors d'une façon spéciale via la relation féodo-vassalique entre leurs 2 rois, mais aussi parce qu'on peut encore difficilement parler de pays au sens moderne pour les entités de l'époque. Un Etat monarchique ET féodal est-il un Etat tel que nous l'entendons? Rien n'est moins sûr.

Donc si on peut considérer qu'elles forment bien 2 entités étatiques quand même, ce qui est grosso modo le cas, on peut constater cependant qu'au niveau des élites dirigeantes, c'est-à-dire les gens "qui comptent", ceux qui ont "la franchise" (le vrai statut de "citoyen" pourrait-on dire, au sens de participant à la décision de la nation), France et Angleterre alors ne forment qu'une seule et même société. Leurs élites sont des élites françaises de mentalité, de culture, de références, et pour l'essentiel de souche. L'essentiel de ceux qui comptent, surtout en Angleterre, a des intérêts et des possessions des deux côtés de la Manche, et au global, les affaires sensibles sont imbriquées.

Plus fondamentalement, la Guerre de Cent Ans est avant tout une guerre civile parce que c'est un conflit entre un roi et son vassal, même si la situation particulière a voulu que le vassal ait de fait plus de moyens que son roi et soit dans une meilleure position que lui, situation que l'on retrouvera avec la Bourgogne.

Faut aussi rajouter qu'Isabelle de France a inspiré Cersei Lannister à GRR Martin et son Game Of Thrones.

Je conseille:

• La Guerre de Cent Ans, Jean Favier, Fayard.
• La Guerre de Cent Ans : Naissance de deux nations, Georges Minois, Perrin.

Tous ces braves gens étaient parents et se sont tapés sur la gueule jusqu'en 1918. Les têtes couronnées envoyaient les gueux se faire massacrer et se réconciliaient ensuite autour d'un tonneau de pinard !

Les cousins Willy (Guillaume II d'Allemagne) et Niki (Nicolas II de Russie). On se tape dessus en 1914 et le résultat sera Hitler 20 ans plus tard.

....

Il y a 1 heure, Maxence22 a dit :

Les causes réelles de la guerre n'ont rien à voir avec cette Isabelle de France

Je ne sais pas si tu as bien lu mais je n'ai pas écrit que cela avait à voir avec Isabelle de France, que je cite comme étant la mère d'Edouard III.

Il y a 1 heure, Maxence22 a dit :

Pour la note, la loi salique n'a pas été utilisée par le roi d'Angleterre mais contre lui pour l'écarter

C'est ce que j'explique.

il y a une heure, pila a dit :

Tous ces braves gens étaient parents et se sont tapés sur la gueule jusqu'en 1918. Les têtes couronnées envoyaient les gueux se faire massacrer et se réconciliaient ensuite autour d'un tonneau de pinard !

Les guerres pour les intérêts de quelques'un n'est pas l'apanage des monarchies.