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La religion Grecque classique et hellénistique


Constantinople

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Constantinople Membre 18 329 messages
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En général quand on parle de la religion Grecque antique, on l'aborde sous l'angle des récits mythiques, héroïques et poétiques on décrit une sorte de photo de famille des divinités, et on donne de temps en temps quelque interprétation psychologisante aux mythes. On a souvent tendance à se faire une fausse image aussi des cultes. Anthropomorphisme et le polythéisme étaient au final  relatifs. La vie quotidienne du croyant divergeait souvent des mythes littéraires, concernant l’Hadès particulièrement. Bref J'avais envie de changer un peu d'angle et essayer de donner un aperçu de l'aspect spirituel, social, historique de la religiosité du monde Grec à l'age classique et hellénistique. Un des aspects intéressant est la dichotomie entre culte civique, et culte plus individuel, parfois en se complétant, parfois s'opposant. Également la ligne de tension parcourant ces siècles est l'affaiblissement progressive de la barrière entre hommes et dieux...Et l’éternelle question de la survie après la mort.

Désolé pour la longueur mais j'ai du mal à faire synthétique quand le sujet m'intéresse et j'ai du passer sous silence beaucoup de choses (la place des héros par ex). les sources sont diverses mais notamment une encyclopédie des religions dirigée par Michel Meslin, un chapitre de Leda Spiller, et un long article de Francis Vian.

Si quelqu'un s'y connait aussi en Tragédie et leur aspect religieux, le thème m'intéresse aussi beaucoup.
 

Religion et Polis

Au V eme siècle avant l’ère du Christ débute de la période classique Grecque marquée par la victoire des hellènes contre les Perses. La civilisation brillante sur le territoire Grec est le résultat d'une fusion progressive entre éléments indigènes "pré helléniques" (Quoi que ce terme est à relativiser, les Achéens ayant profondément influencé les cultes considérés comme indigènes, une première fusion avait donc eu lieu) et apports indo-européens des peuples envahisseurs (Achéens, Doriens, et les Ioniens mélange entre les deux populations) : Elle connut son apogée en même temps que le modèle politique de la Cité/Polis, structure politique qui faisait de la civilisation Grecque un cas à part durant l'Antiquité. En effet, même fractionnées en nombreuses cité états souvent divisées et en guerre, il y avait une unité culturelle, une nation Grecque, un peuple qui se reconnaissait mutuellement des origines, une civilisation, un culture et surtout une religion commune. Celle ci malgré les particularismes locaux s'était imposée aux consciences helléniques par la tradition et les poètes.

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C'est bien dans les poèmes plus que dans les livres sacrés, et surtout les récits d’Homère et d'Hésiode, que se sont incarné ces croyances, pratiques  religieuses, résultat de la fusion de deux traditions culturelles distinctes : La préhistoire méditerranéenne crétoise, anatolienne, et des Cyclades, caractérisée par des figures plutôt féminines et agraires (Déméter/Coré , Aphrodite, Héra...Artémis/Athéna est une figure intéressante car virilisée par les Achéens), et la tradition indo-européenne nordique  plus masculinisée et guerrière (Zeus, Poséidon et Hadès). Ce fut  la religion qui scella les l'union des Grecs face à Xersés, moment capital de l'histoire méditerranéenne, en marche contre la mère patrie hellénique : On pourrait poétiquement dire que le Dieux  ont été aux cotés des hommes pour participer à la guerre renouvelant ainsi la geste des Grecs contre l'asiatique Troie : Une nouvelle fois la victoire fut l'affaire des hommes et des dieux.   

Les guerres médiques n'ont cependant fait que cristalliser un processus de fusion déjà en cours : La Population rurale était liée à celle de la cité. Thémistocle avait fait appel pour le service naval aux classes inférieures. A Marathon où les Athéniens emportent une victoire historique, les esclaves furent appelés à combattre même si les thétes institués sous Solon jouèrent le rôle majeur. Ces évolutions (Sparte championne prestigieuse de la tradition aristocratique faisant exception notable) impactèrent nécessairement la sensibilité religieuse...

Alors que la société "aristo-féodale" commençait à être sur le déclin, émergeait une bourgeoisie qui tirait richesse du commerce maritime et de l'industrie, des divinités jusque là obscures prirent une importance manifeste : Déméter et Dionysos en premier lieu, la Terre mère et le Dieu engendré par elle (par Sémélé selon les versions) lié lui aussi à la sphère agraire.  Malgré leurs valorisation récentes, Déméter et Dionysos étaient connus de longue date notamment  par Homère :  Déméter était révérée particulièrement en Arcadie, et Dionysos ( Di wo nu so jo) existait  pendant la civilisation Mycénienne...Mais il s'agissait auparavant de divinités en marge, voire opposée au panthéon "Olympien". Des divinités depuis toujours vénérées, particulièrement par les populations rurales, mais que la religion "Olympienne", certes en les "absorbant," était désormais contrainte de  valoriser comme jamais jusque ici.

Leur arrivée impétueuse (à l'image de Dionysos), même plus ou moins maitrisée par le panthéon traditionnel, marquait simultanément une évolution de la religiosité. Alors que les Dieux Olympiens s'identifiaient  à une cité, et avaient un aspect civique, ces divinités agraires, pré nationales étaient plutôt inter-étatiques, ou supra nationales,  s’identifiaient plus à l'individu et aux membres du cultes qu'à la Polis et ses citoyens.

RELIGIOSITÉ

L'expérience religieuse introduite par ces divinités surtout, était tout à fait différente : Ce n'était plus une adhésion formelle, ritualisée à un culte, mais une adhésion émotionnelle, parfois violente, une perte du "moi", une rupture des conventions et règles sociales particulièrement dans le culte orgiaque de Dionysos et la fureur de ses adorateurs (et adoratrices)

Divers aspects sont communs aux deux divinités, leur implication dans des événements douloureux, une succession de présence/absence, alternance de vie et mort, dans un cycle de naissances mort et renaissance qui s’unifiait avec celui de la végétation. un de leurs traits caractéristiques était une "humanisation", un affaiblissement de la frontière Dieu/Homme, notamment par la possibilité des hommes d'être "possédé" par imitation, à tel point que Plutarque ne les considérera pas comme pleinement Divin, et les classera comme des "daimones", êtres intermédiaires entre Dieux et Hommes.

Surtout, par leur propre manière d'être, ils rentraient dans le panthéons des divinités mystiques auxquelles se consacraient les cultes à "mystères".  

Il est frappant que la popularité de ces deux divinités se met à croitre lors  de la tyrannie de Pyristate (560 528 av JC) qui tendait par sa politique à démocratiser Athènes. Un sanctuaire à été dédié  pour Dionysos au pied de l'Acropole, tandis qu'il a construit à Éleusis, un nouveau sanctuaire plus grand à Déméter, pour satisfaire les exigences du culte initiatique. Il admit ensuite à participer fêtes dionysiaques d’Athènes, le "jeu de Thepsis", les processions et représentation sacrées liées au culte de Dionysos dans lesquelles certains voient le point de naissance des tragédies, le moment le plus élevè, brillant, puissant de la religiosité Grec que (c'est ouvert au débat, d'autres voient par exemple dans les tragédies une sublimations d’archaïques rites de sacrifices).

Malgré tout, les divinités Olympiennes classiques prévalaient encore : Athéna surpassait Dionysos, comme le "polythéisme" (terme à relativiser) prévalait sur le "mysticisme". En exaltant Athéna, on exaltait Athènes, sa puissance, son extraordinaire apogée au lendemain de la victoire de Salamine qui en a fait une thalassocratie méditerranéenne, alors que le trésor de la ligue de Délos fut transféré...Au Parthénon, signe de la place politique d’Athènes à ce moment là. C'est le triomphe politique de la cité et de sa divinité qui remplaça jusqu'à Apollon comme divinité tutélaire de l'Alliance.

Simultanément, malgré tout, un centre religieux attirait les grecs de toute l'Hellade : Éleusis.

LE CULTE DE DEMETER.

Le lien entre Athènes et Éleusis n'est pas simplement géographique : La gloire de la cité n'avait pas peu contribué à la réputation du sanctuaire de réputation pan-Hellénique, et inversement, la cité ne voyait pas d'un mauvais œil ce prestige spirituel soulignant le prestige politique d’Athènes. De surcroit, par rapport à un culte d'une divinité tel Dionysos, il ne semblait pas constituer de concurrence, de danger pour le culte public que le citoyen était tenu d'observer (ne pas le faire était alors un délit civil). Ce fut pourtant bien à Éleusis que se consomma les premières fissures du système "polythéiste" Grec classique avec un culte plus empreint de "mysticisme".

"Mystères" : Ainsi étaient appelés, de manière séduisante et évocatrices, les cultes éleusiniens tenus par certains familles d’Éleusis. Ils comportaient différents degrés, avaient ainsi un aspect initiatique. Il y avait les petits Mystères, qui n'étaient pas secrets, célébrés une fois par an à Agrai, faubourg d’Athènes. Les petits mystères étaient probablement l'union de deux cultes distincts supposé symboliser l'union d’Athènes et d’Éleusis, transformé en prolégomènes des grands mystères  (teletai) :

Célébrés eux aussi une fois par an, durant 8 jours. Ouverts à tous ceux qui avaient accomplis les rites préliminaires des petits mystéres, parlant Grecs, hommes, femmes, esclaves compris.
Les cérémonies, très solennelles, commençaient dans l'Eleusinion d’Athènes, où étaient transportés pour l'occasion des objets sacrés (hiera) et se poursuivaient par une procession jusqu'à la mer, où on lavait un porcelet afin de le sacrifier de retour dans la cité. Enfin, à l'Aube la procession repartait d’Athènes vers Éleusis pour raccompagner les prêtres et objets sacrés, et on célébrait là, avec des chants, danses, jusqu'aux heures avancées de la nuit, les deux déesses (Déméter était vénérée avec sa fille Perséphone/coré).

Les jours suivants les initiant jeûnaient et offraient des sacrifices. Là finissait le rite public, et commençaient les rites secrets (teletai) ésotériques, auxquels les seuls initiants et initiés étaient admis.

Des "mystères" donc car il est impossible de les profaner ou de divulguer sans risque des châtiments divins dont celui de perdre la voix : Sanction à prendre au sérieux puisque Aristote relate qu'Eschyle lui même risqua d'y perdre la vie quand il fut accusé par certains Athéniens d'avoir révélé quelques secrets dans une de ses tragédies. De fait le secret a bien été respecté car on ne les connait que très peu : On sait cependant que par sa nature, ce rapport à l'initiation est plus de l'ordre du pèlerinage sacré que celui de l'initiation tribale, devenue inadaptée pour "faire des hommes" dans une société aussi complexe qu’Athènes aux temps classiques.

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Il s'agissait probablement de représentations sacrées ou était racontée la passion de la déesse à la recherche de sa fille enlevée par Hadès, qui avait été accueillie par le roi d’Éleusis, lui avait enseigné l'art de l'agriculture en demandant en échange que lui soit voué un culte. Par un pacte avec Zeus, elle avait obtenu que sa fille maintenant épouse d’Hadès et irrémédiablement liée aux enfers, lui soit rendue une partie de l'année. On sait par exemple que les initiés, torches en main, imitaient Déméter à la recherche de Coré. Que certaines cérémonies impliquaient des "legomena", formules liturgiques et invocations d'une grande importance rituelle (d'où la nécessité de parler Grec) et que le climax de l'initiation, l'"epopteia", accessible  à des initiés de plus d'un an, donnait une "vision" éblouissante. C'est à ce moment qu'une sorte de transe /transmutation permettait à l'initié de participer de la nature même de la divinité.

Citation

" Heureux qui posséde, parmi les hommes de la terre, la vision de ces mystéres ! Au contraire, celui qui est étranger aux rites et qui n'y participe point n'a pas le même destin, et s'évanouit ici bas".

Ainsi se conclut l'hymne à Déméter, qui raconte la passion de la déesse et instaure les mystères d’Éleusis.

Citation

 "Heureux qui voit cela avant de descendra sous terre ! Il connait la fin/ le Terme de la vie ! Il connait aussi le principe/origine donné par Zeus."


On voit que l'initié connaissait bien une transmutation avant/après l'initiation, acquérait un savoir "caché" lié aux thèmes de la vie, de la mort et de la renaissance, un savoir plus "sensuel" que "cérébral".  Cela est cohérent : Le mystère de l'entrelacement de la vie et de la mort est très lié aux cultes tel Déméter, Osiris pour l’Égypte, Tammuz/Innana pour les Sumériens/Akkadiens...Mais la notion de félicité entrevue dans ses fragment, et la différenciation du reste des hommes par la connaissance des mystères permettant cette félicité est particulière :  Est ce parce que le but de l’expérience était d'expérimenter une félicité  la libération par la dissolution du "moi" dans le divin, avant gout de la mort ? L'initiation aux mystéres était elle supposée donner un statut particulier à l'initié dans l'au delà ? Difficile à dire mais il est clair que seul le thème des rites de fertilités agraires n'explique pas les mystères Eleusiniens.

La notion même de l'implication d'une Mère et d'une Fille, du lien brisé entre les deux, de l'union entre les noces sacrées et mort rituelle (éros et thanatos) et la notion de renaissance avec la sortie cyclique du royaume des morts de Coré/Perséphone dépassait de simples considération naturalistes sur la Terre et le Blé.  L'homme pouvait participer à cette dialectique  sacrée comme acteur, par identification à la déesse. Dans les rites de fertilités comme celui ci, le symbolisme sexuel était également extrêmement fort mais le caractère tardif et chrétien des sources le décrivant incite à la prudence. Enfin la composante liée au culte des morts s'exprimait le dernier jour, celui ci étant consacré aux défunts.

L'esoterisme d’Éleusis ne peut donc pas être pleinement identifié à d'autres rites démétriaques (comme celui des Haloa), car il présentait une dimension eschatologique qui ne se retrouve pas dans les rites agraires plus communs, perspective en outre largement étrangère aux cultes des dieux Olympiens "classiques" car détachant l'adepte des valeurs mondaines, et de la citoyenneté. Dans cette opposition tacite, non dite, parallèle à la Polis (il est notable que le souci de la vie après la mort imprègne les mystères alors que c'est précisément un domaine plutôt délaissé par la religion de la Polis), Éleusis peut être considéré comme le prototype des cultes à Mystères, très répandus particulièrement dans l’ère Hellénistique, période qui exalta le culte du "secret" et de "l'initiation" : Sa fortune alla bien au delà de ses frontières inséminant tout le bassin méditerranéen et lorsque Valentinien interdit les fêtes religieuses nocturnes en 364 ap JC, il dut faire une exception pour le culte d''Éleusis. C'est la destruction du sanctuaire par les Goths d'Alaric, en 394, qui fit cesser le culte et marqua la fin "officielle" du Paganisme Grec.

LE CULTE DE DIONYSOS

Le mysticisme d’Éleusis s’approche par beaucoup d'aspect au culte Dionysiaque.  Selon un Hymne Orphique Dionysos était prêt de Perséphone quand on pleurait son absence sur terre. D'autres témoignages le rattache règne des morts.  Tel les divinités du culte d’Éleusis, Dionysos connaissait des occultations périodiques et des épiphanies, là aussi liées à la vie de la végétation. Lié lui aussi à la fertilité et à la mort certes, mais sur un mode plus impétueux, sauvage, incontrôlable que Déméter.  4 fêtes lui était consacrées à Athènes : Dans les Dionysies Rustiques, on voyait des processions de grands Phallus et encore plus dans les Anthestéries, la plus grande fête athénienne lui étant dédiée, au cours de laquelle était célébrée l'union entre le Dieu et Basilinna, épouse de l'archonte roi (prêtre qui rappelait les fonctions archaïques du roi). Le lien avec le monde des morts était "célébré" pendant les Anthéstéries, trois jours néfastes du retour des âmes des morts et des Kères, porteuse des influences maléfiques du monde infernal.

Sur le plan du Récit, un aspect des plus singulier du Dieu était qu'il faisait souvent l'objet d'hostilité, de persécutions par des personnages antagonistes.  Licurge (le héros thrace), Homme loup qui poursuivit le Dieu et ses nourrices, Persée, et surtout le plus célèbre par la tragédie d'Euripide, Penthée. On a beaucoup interprété, comme souvent avec les mythes Grecs, cette résistance au Dieu dans cette Tragédie. Certains Freudiens  de bazar y ont vu l'acceptation de la part féminine de l'homme en lui, ou plutôt le danger de la rejeter (le passage où Penthée est contraint de s'habiller en femme pour sauver sa vie a été très commenté de ce pointe de vue). D'autres y ont vu un appel à l'acceptation de la différence (Dionysos est vu comme un Dieu "Étranger" et avec une identité sexuelle ambigüe) par une société patriarcale et "nationaliste".

Plus probable est qu'il est ici décrit la crainte et la répugnance de la perte de contrôle d'un ordre social devant des fêtes orgiaques aussi sauvages, en particulier par des femmes (ce qui est loin d'être anodin dans la société Grecque antique)...C'était un bouleversement des valeurs de la religion "Olympienne" et des institutions de la Cité. Dionysos était le "Dieu qui corrompt les filles", de la folie (Mania, possession souvent terrible et sanguinaire), de l’ambiguïté : Non pas dans le culte "officiel" mais dans les excès d'un culte extatique et débridé.

Ces mythes et cette tragédie qui en est la manifestation la plus éclatante nous explique donc le danger impie qu'il y aurait à transgresser l'ordre divin fut il déplaisant, canevas général des tragédies, et incite donc à accepter la part de chaos, la "Stasis" qu’emmène avec lui Dionysos sous peine d'en subir les conséquences funestes.

Ce thème de la résistance au Dieu était repris sur le plan rituel : Pendant les Agrionias, fêtes de la cité d'Orchoméne en Béotie, le cortége des "Bacchantes" était poursuivi par un prêtre identifié à Dionysos qui pouvait aller jusqu'à tuer celles qu'il attrapait : Plutarque affirme avoir assisté à un meurtre rituel de ce type. Le Dieu apparait ici dans son rôle singulier de Persécuté/Persécuteur.

Il parait curieux pour un Dieu pleinement accepté dans le panthéon Grec d'être ainsi vu comme un risque pour l'ordre social, et de baser une partie des mythes sur la résistance à celui ci et les conséquences funestes de celle ci. Mais il peut justement être vu comme le danger de Chaos, de rupture violente de l'ordre institué, en quelque sorte "apprivoisé" sous certaines conditions. Il est l'élément par lequel arrive le chaos, mais peut peut être aussi l'élément qui recompose et régénère, parfois pour un ordre plus "sain". Ce Chaos institutionnalisé fait partie de la figure O combien complexe de Dionysos : l’élément qui aide à la dialectique entre l'Harmonie du Cosmos et le Chaos qui guette. Une dialectique qui peut être vu à l’échelle d'une société, ou d'un individu.

Cette "dynamique" est exprimée de façon plus articulée dans les mythes sur l'introduction en Grèce du de la Vigne et donc du Vin. Le don de Dionysos est là encore parfois accepté, parfois refusé.  Dans les deux cas il y a une dislocation de la société auprès de laquelle le Dieu est venu :  Cependant si il est accepté elle a vocation à être surmontée alors que refusé, elle est dévastatrice et irrémédiable.

Les rites orgiaques consistaient en des danses et de la musique, où exaltées par le Vin, les "Bacchantes" rôdaient ensuite la nuit dans la nature, la tête ornée de cornes, couvertes de fange, vêtues de peaux d'animaux, en brandissant des flambeaux et thyrses (Bâton enrubanné entourée de lierre et surplombé d'une pomme de pin) : Leur but était de rejoindre l'animal dans lequel le dieu était incarné, pour le mettre en pièce et s'en nourrir de ses chairs saignantes pour "absorber" ainsi le Dieu.

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L'identification avec la divinité, la possession (Mania) rendait possible des expériences de toute nature normalement inaccessibles , l'extase dionysiaque étant avant tout le dépassement de la condition humaine, la liberté en temps normal interdite à l'homme ( et à la femme, surtout), une libération de toute règle correspondant a un affranchissement des normes de la cité, le tout étant valorisé comme expérience religieuse et sacrée, et liée a un moment précis et défini dans le temps.

L'aspect mystique de ces rites est incontestable. Mais était ce des mystères ? Euripide fait dire à Dionysos que leur caractère secret interdit de communiquer ces mystères à d'autres personnes que les Bacchantes mais qu'ils sont digne d'êtres connus. ..Mais il n'y a pas cet aspect de félicité et rapport à l'au delà qui caractérise les mystéres. Pas d'institutions non plus, de sanctuaires, de prêtres en charge du culte de manière permanente. L’expérience elle même est fixée et fortement réglementée.

S'il y eut des un ésotérisme initiatique proprement Dionysiaque, il faut rapidement intégré dans divers cultes à Mystères, notamment l'Orphisme, qui récupéra les aspect les plus sauvages du culte Dionysiaque :  On ne sait pas si il y eut une véritable religion "orphique", mais il y eut un mouvement religieux fortement influencé par le culte Dionysiaque et dans ses aspects mystiques et "anti social", et qui en attribuait la filiation à Orphée.

ORPHISME ET PYTHAGORISME.

L'orphisme connut une certaine fortune, même à Athènes. La légende disait que le premier exégète, Melampus, avait "purifié" les femmes argiennes de la fureur Bachique en expliquant aux Grecs le nom de Dionysos, ainsi que le sacrifice et la procession du Phallus. Onomacrite, ami de Pisitrate, exploita dans un sens anti aristocratique et populaire le culte. Hérodote nous dit qu'il falsifia des textes homériques en introduisant les titans dans les mystères  Dionysiaques. De cette falsification serait né le dogme à la base de la "théologie" orphique :

Dionysos est démembré vivant par les titans, dévoré, mais son cœur étant épargné il renait pour gouverner le monde à la place de Zeus. Des cendres des Titans foudroyés par Zeus, sont nés les hommes qui sont donc à la fois héritiers du crime de ceux ci, mais aussi abritent cet étincelle de divin que se sont appropriés les titans en dévorant le Dieu : l’âme. On voit ici commencer à poindre des conceptions faisant penser au dualisme et au gnosticisme, la part divine emprisonnée dans la matière néfaste et pécheresse.

Sur la base de cette conception, pour la première fois, l'Orphisme pousse plus loin les conceptions des autres cultes à mystères et renverse complétement le rapport entre vie terrestre et mort.  Le sens de la possession divine change : On ne fait pas l’expérience surnaturelle de l'irruption de la divinité en soi, mais en quelque sorte, on réintégrè la place "normale" qui doit échoir à l'âme au sein de la divinité.  l'Extase n'est plus une parenthèse temporaire mais la vraie réalité, connue grâce l'anéantissement de la barrière presque impie entre le Dieu et l'Homme, au cœur de la "vraie" parenthèse qu'est notre vie charnelle. Plus encore, quand cette "possession" diminuait, une série d'interdictions et de prescriptions distinguait l’orphique (l'Hosios, le pur) de l'homme commun. C'est pour cela que les communautés "orphiques" vivaient séparément du reste de la société, et en opposition à elle.

La vague de sentiment patriotique liée aux guerres Médiques balayèrent l'Orphisme. Il se Maintint cependant en Béotie, Créte et certaines colonies de l'italie.

C'est dans la grande Grèce qu'un philosophe de Samos, Pythagore, entra rapidement dans la légende. Il fonda une école scientifico-religieuse basée sur l'Orphisme. On pense souvent à des influences Indiennes, orientales pour expliquer la doctrine de "réincarnation" ou plutôt de "transmigration" des âmes, mais il faut en fait regarder du coté du chamanisme qui avait déjà eu une certaine influence en Grèce. Associé avec le mythe Apollinien de la contrée des Hyperboréens, située au delà du pont euxin, circulaient des légendes rappelant le chamanisme sibérien concernant des personnages légendaires ou semi légendaires : Transe, incarnation des esprits, etc. Les légendes sur Pythagore (il aurait été tantôt la réincarnation d'un de ces personnages, hermotime), ou alors en avait eu un comme esclave) le confirme. Il aurait été appelé en outre "Apollon Hyperboréen" par les habitants de Crotone d’après Elien. Pythagore a finalement édicté en doctrine universelle ce qui était réservé auparavant à une élites de quelques personnages considérés comme "mages".

Cette école qui prospère au V eme et une partie du IVeme siècle concevait la science, en fait, les mathématiques, comme un moyen pour l'homme de se libérer de l'erreur et de s’élever jusqu'au divin, sa vraie place, du moins celle de son âme. Elle est conçue ici dans un sens typiquement Orphique, substance divine immortelle prisonnière d'un corps dont on pouvait l'affranchir par l’ascétisme. Encore plus nettement que l'Orphisme, les pythagoriciens s’organisèrent en sectes ésotériques auxquelles on adhérait par initiation, en antithèse absolue avec le monde dans laquelle on vivait, et dont les règles différenciaient radicalement les membres de la communauté avec le reste de la société.

Ce message devait avoir des conséquences explosives sur le plan religieux, social et politique. L'initié se séparait de la communauté, et n'identifiait plus du tout ses devoir et son destin au travers celui de la Cité, et des autres citoyens. Sa communauté spirituelle, sa pureté, le distinguait et remplaçait sa famille, sa communauté, sa Patrie...Dissociation intolérable pour la Cité et donc combattue. Cependant dans un contexte où les Cité recommencèrent à être divisée,  déchirée par des luttes intestines, marquées par le déclin des valeurs et institutions traditionnelles, les conceptions traditionnelles ne réussissaient plus à cimenter pleinement la société, et pareil culte parlait à toutes les classes, hommes, femmes, citoyens, esclaves.

Les Cabires et la grande mére Cybéle.

Pour résumer, avec Éleusis et l'Orphisme, le mysticisme Grec avait progressivement changé la mentalité religieuse des Grecs en accompagnant un mouvement socio politique dans le même temps. Les cultes à mystères se multiplièrent comme celui des Cabires : D'origine étrangère, évolution d'antiques rites de pubertés ou de classes de métiers, il s'était hellénisé sur le modèle Eleusien notamment sur l'aspect civique/anti civique. Ils devinrent très célèbres, et surpassèrent même Éleusis pour des raisons autant politiques que religieuses : Les spartiates valorisaient celui ci par rapport à Éleusis, notamment. Il fut célébrè jusqu'aux temps de Constantin.

Également la figure de la grande mère Phrygienne, Cybèle, hellénisée et identifié à Rhéa, avait un culte orgiaque. Après Cybèle la déesse Thrace Bendis puis le Dieu thrace-phrygien Sabazios furent officiellement accueillis en Gréce.  Lié à l'agraire, Sabazios était identifié à Dionysos et au jeune Attis, l'amant de Cybèle. Dés la fin du V eme siecle son culte était présent à Athènes et ses processions dans les voies du Pirée conduits par un prêtre qui agitait des serpents scandalisaient les Athéniens.

Après Sabazios d'autres cultes pénétreront la Grèce. Leur diffusion était favorisée par la reprise des courants "mystiques", l'orphisme, et un climat général de relâchement. En outre, beaucoup d'étrangers étaient venus en Grèce après les guerres Médiques ce qui favorisait la venue de nouveaux cultes. La religion Grecque ne suffisait plus à assurer une cohésion sociale, comme du reste son modèle politique.

Le syncrétisme Hellénistique.

Dés ses débuts, la spéculation philosophique avait porté des coups aux fondement de la religion de la Polis. Mais c'est avec les sophistes qui avaient commencé à affirmer la relativité de toute vérité humaine et divine, celles ci n'existant que par convention, et plus encore avec les cyniques qui abhorraient le particularisme étroit : On se réclamait "citoyen du monde" ce qui était un non sens du point de vue traditionnel Grec.

Il faut dire que le modèle de la Polis avait prit un coup sérieux : Épuisée dans des guerres intestines interminable sans qu'aucun (Athènes, Sparte ou Thèbes) ne puisse assumer une hégémonie sur les autres, régulièrement achetées par l'argent Perse, son prestige politique et sa cohérence sociale étaient minées...Se préparait là le tournant Hellénistique amorcées par les conquêtes d'Alexandre le Grand. Macédonien, barbare mais élevè par son père Phillipe dans la culture Hellène, il engloba dans son empire une grande partie du monde connu.

Il pensait son empire comme une structure supra nationale où tous les hommes (vainqueurs et vaincus, Grecs et barbares) seraient égaux, et où les ethnies pourraient coexister en se mélangeant de manière pacifiée. Il avait parfaitement compris , comme les tyrans et souverains de région périphérique, et en asie mineure, l'intêret politique d'une royauté divine :  Il prétendit donc vouloir être considéré comme un Dieu, même en Grèce  ou à minima que lui soient rendus les honneurs divins, inadmissible pour la mentalité Grecque "classique". Pourtant aucune cité Grecque ne se rebella et on a au plus quelques réactions indignées comme celle d'Hyperide : Le modèle de la cité état, la Polis de la Grèce classique était cliniquement mort, absorbée dans un ensemble supranational dont un homme, ou plutôt un sur homme divinisé était le souverain.

Du point de vue religieux, le syncrétisme fut la grande affaire de l'empire Hellénistique qui se morcela après la mort soudaine d'Alexandre (Syrie, Égypte, Macédoine pour les principaux) dirigés par ses généraux. Dans tout le spectre religieux, les cultures locales se mélangèrent à des éléments Grecs (qui avaient déjà commencé d'essaimer par le biais des colonies) : Les divinités étrangères et nationales s’associèrent, voire se superposèrent par les noms et attributs (Zeus Amon pour l’Égypte, par exemple) parfois simplement en partageant leur "domaines de compétences". Isis, Cybéle, Asarte eurent des temples sur tout le pourtour méditerranéen, et il y eu aussi des syncrétismes Greco Bouddhiques (Culture Parthe, iranienne, indienne et Grecque) qui eurent une grande influence même si mal connue.

De libres associations, autour de maitres, gourous, magiciens, astrologues et prédicateurs fleurissaient dans un climat de de relâchement et de tolérance générale, avec une passion pour la spéculation méta physique.  De nouvelles divinités même circulaient : Sérapis, Dieu cosmique voulu cosmopolite inspiré par le Dieu grec guérisseur Esculape dont le culte fut institué par Ptolémée 1er d’Égypte à la suite d'un rêve. Assimilé  à Osiris, Zeus et Pluton il fut identifié aussi avec l'univers tout entier (conception clairement panthéiste) ou avec le soleil, le feu, la lumière...Le grand incendie cosmique où, selon la doctrine stoïcienne, tout y est périodiquement détruit et recréé.

Il ne faut pas non plus surestimer ce cosmopolitisme divin : Il était entretenu dans les classes supérieures, souvent enrichies grâce au commerce lié à l'idée d'Empire et de culture commune autant par intérêt, que par "air du temps" si l'on peut dire. Les classes populaires autochtones ne sont pas touchées, et sont même parfois franchement hostiles : La révolte des Macchabées en est un des stigmates les plus éloquents. Il y a également les visées d'un utilitarisme politico culturel dans certain de ces culte. Cependant ce syncrétisme religieux est aussi intellectuel et philosophique, et cette habitude d'associer les Dieu, de les interpréter allégoriquement, la pratique des exégèses sous un mode "hellénistique" adaptable à toute tradition religieuse aura une très grande influence sur le monde méditerranéen, et dans l’avènement du Christianisme lors de la domination romaine notamment au travers de la Gnose et de la théologie Chrétienne.

Le Syncrétisme philosophique

La Philosophie était née comme spéculation théologisante, et était devenue avec la figure marquante de Platon, une religion philosophique. Avec lui la perspective mystique s'était irrémédiablement imposée :  Platon a défendu la religion de la Polis, mais ses idées imprégnées de conceptions Orphico-pythagoriciennes avaient modifié, sans retour possible, la religiosité des Grecs, qui jusque ici, reconnaissaient la prééminence de la vie terrestre. Avec Platon, c'est celle ci qui est désormais une illusion : Le monde réel est immatériel et peut être connu par la partie divine en l'homme, l'âme immortelle. Stimulées par la vie charnelle terrestre, l'âme se souvient néanmoins du monde éternel des idées et aspire à y retourner puisqu'elle en provient.
Seule la possession (Mania) par le beau (Graduellement dans le corps, l'âme, et la connaissance), permet à l'âme d'accomplir cette ascèse vers le Bien, le Vrai, le Beau, la Connaissance bref, vers Dieu.

Cette ascèse Platon la décrit en langage crypté, celui des mystères, en justifiant  que si trouver Dieu est tâche ardue, le communiquer à tous après l'avoir trouvé est impossible.
C'est Pythagore et Platon qui vont inspirer les courants de la philosophie Hellénistique : Le néo pythagorisme et le Platonisme pythagorisant, le judaïsme alexandrin, et un courant qui aura une influence énorme dans le moyen âge, le néo platonisme.

Le néo Pythagorisme vit au 1 er siècle avant l’ère du Christ, avec comme figure principale Apollonios de Thyane. Il prêche l'idéal d'une communion mystique avec Dieu. la référence pour les pythagoriciens et néo platoniciens était un corpus de textes, datés autour du II eme et III eme siècle après JC, attribué au fameux "Hermès trismégiste" (Dieu Grec Hermés mélangé à Thot, trismégiste comme trois fois très grand) Textes secrets, pour initiés, qui donnaient à l'initié une connaissance du divin qui l’élevait vers lui.

Le Judaïsme Alexandrin fut le produit de la rencontre entre l’hellénisme et le Judaïsme qui eut lieu en Palestine au II/III eme siècle avant l’ère du Christ, mais qui s'épanouit à Alexandrie (carrefour méditerranéen) ou vivait une communauté juive hellénisée florissante. C'est ici qu'avait été traduite une Bible en langue Grecque. Selon Philon, grâce à cette bible, les penseurs hellénistes juifs auraient atteint les vérités fondamentales de leur spéculation : Tradition juives et hellénisme mystique seraient parfaitement compatibles.

C'est aussi à Alexandrie qu'une école interpréta Platon dans un sens très mystico religieux : le Néo platonisme. Le plus grand représentant en fut Plotin, considéré comme Philosophe Grec  le plus grand après Platon et Aristote. Pourtant avec Plotin, l'idée Grecque d'un Cosmos harmonieux, rationnel, organisé est définitivement en crise. Dieu y est inconnaissable e par nos sens, notre capacité de raisonner, et c'est seulement dans l'extase, libérée de toute perception sensorielle qu'elle pouvait le rejoindre, en somme, s'y dissoudre.

C'en était bien fini de l'antique conception du rapport entre les hommes et les dieux, où le contact était établi de manière "réglementée", en restant des hommes : Perdre son humanité était en effet un risque, même pour l'amour d'un Dieu.

Le christianisme lui, sur le point d'apparaitre, reprendra cet anéantissement de la barrière entre Homme et Dieu, non pour nous parler de la manière pour l'homme de rejoindre Dieu malgré la chair et la matière...Mais à l'inverse de Dieu qui se fait homme en s'incarnant dans la chair ! La révolution sera alors complète.

 

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Membre, 153ans Posté(e)
chanou 34 Membre 25 028 messages
Maitre des forums‚ 153ans‚
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Il y a 17 heures, Constantinople a dit :

 

Si quelqu'un s'y connait aussi en Tragédie et leur aspect religieux, le thème m'intéresse aussi beaucoup.

Je ne m'y connais pas spécialement hélas, mais vous pouvez lire l'excellent livre de Vernant et Vidal-Naquet ; "mythe et tragédie en Grèce ancienne".
D'ailleurs tiens je vais le relire...

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Membre, Posté(e)
Constantinople Membre 18 329 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)
Il y a 10 heures, chanou 34 a dit :

Je ne m'y connais pas spécialement hélas, mais vous pouvez lire l'excellent livre de Vernant et Vidal-Naquet ; "mythe et tragédie en Grèce ancienne".
D'ailleurs tiens je vais le relire...

Tiens oui c'est vrai que ça fait longtemps que je me disais qu'il fallait que je lise Vernant...J’ignorais qu'il avait écrit sur les tragédies en plus, merci.

Concernant les tragédies, c'est un sujet vraiment fascinant...Que ces représentations montrent à la fois une action historico mythique précise mais résonne aussi dans les profondeur de significations intemporelles, spirituelles, métaphysiques jusqu'à 2500 ans après qu'elles furent écrite est époustouflant si on s'y arrête deux minutes. Quand on compare à nos œuvres cinématographiques bien peu arrivent à ne serait ce que titiller à tel équilibre. Pour ne prendre que le cas d'Antigone...

Perso je sais que cette hypothèse n'a pas la faveur des spécialistes, mais j'aime y voir la sublimation de rites sacrificiels humain : parce que cette idée est présence dans presque toutes les tragédies, que ce soit dans la trame (Iphygénie cas typique), ou dans l'esprit de la "mise à mort" du personnage. Et puis en fait, ça m'amuse de me dire qu'en regardant un "scream" à la télé, je regarde la lointaine descendances de sacrifices humains millénaires hé hé hé....Les Grecs classiques en tout cas croyaient que leurs ancêtres les pratiquaientt.

Sur le sujet de la religion Grecque, Il y aurait énormément à dire sur la religion indigène Minoenne, ou Grecque archaïque, sur les mythes héroïques et le rapport avec les initiations de passage à l'age adulte, j'avoue également que j'ai du mal à appréhender l’espèce de dualisme entre culte de la Polis et culte plus individuel...Les conceptions sur l'age d'or et la "chute", les mythes du Feu avec Prométhée, les sanctuaires d'Oracle comme Delphes, les pan Helléniques...L'impact des philosophies "éthiques" comme le stoïcisme ou l’épicurisme sur la religiosité, également... Mais le sujet est tellement vaste...Si quelqu'un veut ajouter de la pierre il est le bienvenue même si ça ne passionne pas les foules

J'ai essayé en tout cas, entre autre, de partager mon intuition sur le fait que le bouleversement spirituel ne se fait pas tant dans la transition polythéisme/monothéisme que dans le rapports entre humains et Dieu : D'abord strictement séparés, avec des modes d'échanges bien réglés, avec l'aspect Dionysiaque et "Demeteriaque" notamment, l'homme aura un rapport plus intime et personnel avec dieu, va même pouvoir y avoir accès directement, s'identifier même à lui avec une part divine dans l'homme : Les barrières tombent et c'est plus, pour moi, cette évolution continuelle qui va changer la donne spirituelle.

 

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Constantinople Membre 18 329 messages
Maitre des forums‚
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Le sacrifice humain en Grèce ancienne : don’t f*ck with the Gods

Je ne crois pas non plus aux sophismes d’Artémis. Si un mortel touche du sang, ou même une accouchée, ou un cadavre, elle interdit qu’il accède aux autels, et le tient pour souillé ; et elle prend plaisir aux sacrifices humains. Non, je ne puis penser que l’épouse de Zeus, Létô, ait mis au jour un monstre aussi absurde ! "

Oreste dans l’ "Oreste" d’Euripide

« […] et les participants aux Lykaia, et les descendants d’Athamas, quels sacrifices n’offrent-ils pas, bien qu’ils soient Grecs cependant ? »

Pseudo Platon

Le paradoxe

La place du sacrifice humain en Grèce semble paradoxale au premier abord : Présent dans de nombreux mythes concernant entre autres Artémis, Zeus ou Dionysos, il était pratiqué de manière symbolique dans les rituels liés à ces mythes que ce soit par substitution ou par théâtralisation plus ou moins poussée :

Pendant La cérémonie d’Halae, le prêtre faisait couler le sang d’un homme d’un coup d’épée à la carotide. En plusieurs cas, le sacrifice humain réclamé par une divinité irritée avait été, disait-on, effectivement accompli à plusieurs reprises, parfois pendant très longtemps, avant qu’un adoucissement ne soit toléré par le monde divin. A Potnia, le dieu exige tour à tour l’immolation d’un bel éphèbe et son remplacement par l’immolation d’une chèvre. À Laodicée de Syrie, la tradition voulait que l’égorgement d’une biche ait été postérieur à l’immolation originelle humaine. Sur Salamine de Chypre, le sacrifice d’un bœuf avait été toléré mais après une longue pratique du sacrifice humain. A Ténédos, on chausse des cothurnes du dieu un bouvillon soigné comme un nouveau-né, pour ensuite le tuer sacramentellement comme si jadis il s’était agi d’un enfant. Chez les Spartiates, la flagellation des éphèbes à l’autel d’Orthia passait pour un amenuisement du sacrifice de jeunes gens par lequel l’autel était noyé de sang humain : il avait fallu attendre le génie de Lycurgue pour que les éphèbes n’y perdent plus la vie. Une autre, toujours à Lacédémone, prétendait que la fille de Tyndare, Hélène, désignée par le sort après bien d’autres malheureuses, avait échappé au couteau quand un aigle s’était saisi de la jeune femme et avait laissé choir celle-ci sur une génisse, indiquant clairement le chemin de la substitution. En d’autres cas, cette substitution avait été directe : la divinité exigeait une vie humaine, mais acceptait son remplacement au dernier moment ; à Munychie, Embaros avait consenti à sacrifier sa fille, mais il vêtit une chèvre de ses habits et la déesse s’était contentée de la victime animale. À Brauron, l’immolation d’une vierge était réclamée, mais elle fut contournée et remplacée par l’imitation de l’ourse abattue. Iphigénie menée à l’autel avait été refusée en tant que jeune fille et c’est une biche qui fit les frais du sacrifice. À Argos, les enfants sacrifiés de Médée bénéficiaient de la réclusion de quatorze adolescents, dont un simulacre évident, une chèvre noire, était immolé sur l’autel d’Héra.Dans les récits de Plutarque concernant les songes démoniaques d’Agésilas et de Pélopidas, enjoints par oniromancie de sacrifier une vierge, les généraux tournaient chacun la difficulté : le premier en immolant d’office une biche, substitut envoyé jadis par Artémis. Le second bénéficiait de l’aide de la divinité, qui faisait providentiellement apparaître une cavale rousse.

Pire, sur le Mont Lycée, une cérémonie contemporaine sacrifiaient des enfants en mélangeant leurs viscères à des animaux, pour les faire ingérer à des initiants qui étaient supposé se transformer en Loups si ils ingéraient de la viande humaine.

Et ce ne sont que quelques-uns des innombrables mythes et rituels qui semblent lié à un sacrifice humain, ou un meurtre rituel. Cela semble attester au premier abord l’opinion des Grecs eux même à savoir que progressivement, une solution moins radicale avait été trouvée (souvent intégrée dans le mythe même soit qu’il s’agisse d’une ruse « prométhéenne » ou d’une instruction divine) pour éviter un tel acte.

Or l’omniprésence ancestrale de ces sacrifices/meurtres rituels que semble prouver la multitude des mythes et rituels pareils sur toute la Grèce contraste singulièrement avec l’opinion des Grecs même que nous connaissons, qui ne doutaient certes pas de leur historicité, mais dont la réprobation, le dégoût est unanime aussi loin que remontent les sources : Les condamnations se succèdent d’Hérodote à Platon en passant par Sophocle et Euripide.

Aussi, les mythes narrant ces actes semblaient le plus possible déresponsabiliser les Anciens : Généralement résultats l’injonction d’un oracle d’un Dieu courroucé par une faute commise, un tribut à payer, il s’agit de situation exceptionnelle et dramatique dans des temps troublés, et qui résolvaient généralement la situation, les rituels étant là pour commémorer l’événement, ou alors le reproduire indéfiniment par substitution sur injonction du Dieu.

De plus, dans le domaine de l’espace et du temps, ils étaient systématiquement repoussés dans le lointain : Dans les temps « obscurs » au niveau temporel, et radicalement différent pour ce qui est de l’espace. Beaucoup ont théorisé, comme Euripide dans son « Iphigénie en Taurie » que la barbarie des cultes avaient été importés par des divinités étrangères et que les Grecs ont adouci.

Pourtant, si la désapprobation et les rejets aux frontières temporelles et physiques est générale, l’idée de sacrifice ou de meurtre rituel est une idée qui imprègne profondément la société, et la pensée Grecque : on peut le voir au travers des tragédies, des images de vases décrivant de tels événements, ou même dans la description de rêves d’Athéniens dans un ouvrage supposé interpréter les songes. 

On se trouve donc face à un paradoxe épineux : Alors que ces sacrifices avaient lieu dans les temps « anciens » voire « immémoriaux », depuis longtemps révolus sans qu’on sache réellement quand cet « ancien » avait eu lieu, ils étaient toujours très fortement présents dans les rituels, mythes, tragédies sous forme de substituts (Sacrifice d’Iphigénie, thème de tragédie typique, Médée, Bacchantes, etc) : A vrai dire, ils étaient omniprésents dans la religiosité Grecque.

Difficile du coup de prétendre parler de la religion Grecque sans élucider la place exacte de ces actes terribles au sein de celle ci.

Réalité ou fantasme des temps sacrificiels anciens ? De l’antériorité du sacrifice humain sur le sacrifice animal.

Les Grecs étaient persuadés, dans leur conception de la place de la mort rituelle sacrificielle ou non, que les sacrifices d’animaux avaient valeur d’adoucissement, et de substitution de l’acte fondateur suivant :  Père (parfois mère) sacrifiant ses enfants, Acte terrible commis à la suite d’une faute exigeant réparation par les Dieux, au moyen d’un oracle.

Cette idée n’allait pas sans poser quelques problèmes conceptuels. En effet une idée populaire sur l’évolution historique des hommes était celle de l’Age d’or : l’Idée qu’au commencement, les hommes vivaient en parfaite harmonie avec les Dieux, avec des terres fertiles sans besoin de travailler, avec le déclin en âge d’argent, puis de bronze et la séparation hiérarchisée du mythe Zeus/Prométhée, Pandore, etc. Comment cela pouvait il cadrer avec l’antériorité du sacrifice humain sur l’animal ? Il y a un moment donné où, des offrandes « pures » de l’Age d’or », on est passé aux offrandes humaines. Pourquoi ? De cette question apparemment insoluble les philosophes Grecs allaient élaborer des théories les plus alambiquées : Après l’Age d’or, un fléau réduisit les récoltes, ils durent trouver une alternative en termes de nourriture, et de sacrifices. Ils se mirent alors à manger d’autres humains, puis à les sacrifier. Heureusement un génie comprit que les animaux eux même pouvaient être cuisinés, et dès lors, les sacrifices et consommations de chair humaine furent substitués par les animaux.

Ces théories un brin étranges montrent que ces deux thèses, de l’Age d’or, de la substitution Homme/animal et donc l’antériorité étaient fermement ancrée dans la pensée Grecque : des faits établis à partir desquels devaient être échafaudé les théories. Cependant la deuxième, l’antériorité du sacrifice humain à l’animalier, a emporté aussi la conviction de nombre de modernes.

Était-elle fondée ?

La naissance du sacrifice se perd dans les limbes de la préhistoire. Probablement antérieure des divinités et de la civilisation Grecque, sa naissance remonte bien au-delà de l’âge de Bronze. Par conséquent, nous ne pouvons faire que des suppositions, à l’instar des Grecs anciens eux même, sur l’apparition de ces rituels sacrés : On peut penser que l’acte de tuer, préparer rituellement un animal provient de l’activité de chasse. Partager le « butin » animalier dans le groupe, était probablement au centre de la vie tribale. Ainsi, les actes liés à ce partage, de la présentation au groupe, l’éventuelle mise à mort, la préparation, le partage (et les possibilités d’inégalités ou de ruses que cette phase offrait) a dû revêtir un aspect de plus en plus ritualisé, et sacré. Du rituel devenu sacré, s’y est superposé des échos spirituels et des récits divins correspondant à des vérités sourdes, profondes, religieuses concernant la mort, les dieux, le rôle social du chasseur, des membres de la tribu, de celui qui allait devenir prêtre. Au fur et à mesure que le sens premier du rite se perdait par l’évolution des mentalités et des conditions de vie (Agriculture, élevage), il prenait un sens spirituel nouveau, auquel on y accolait des récits et mythes. Il est tout à fait probable donc que le sacrifice humain fut postérieur au sacrifice animal, de par l’évolution du rite premier et de sa signification.

Tentative de reconstitution de la conception du sacrifice humain dans la pensée Grecs de l’âge archaïque à l’Age Classique

Les mythes et traces de rituels parvenu jusqu’à nous ne sont que leur version finale englobant archaïsme originel ajouts progressifs, fusions, réinterprétation. Avec des points de sutures plus ou moins bien fait en fonction de leur ancienneté. On a souvent parlé de la « rationalisation » de l’âge classique et hellénistiques d’anciens rittes et mythes, mais cela fait oublier qu’ils ont en réalité subit un grand nombre de couches de rationalisation, ou réinterprétation successive, la classique et hellénistiques n’étant que la dernière, et la mieux connue.

Les divers éléments hérités de ces diverses réinterprétations/rationalisation concernant les morts rituelles/sacrifices ne disparaissaient pas : ils s’imbibaient les uns les autres, étaient réinterprétés et réagencé au fur et à mesure que l’âme grecque changeait. La folie et l’inversion des normes, la sauvagerie au loin de la Polis, l’Initiation lié à la mort rituelle, Le « civisme » d’abord aristocratique puis « citoyen » , etc

Première couche : La mort rituelle dans les rites agraires.

« Ô tombeau, chambre nuptiale ! »

Antigone, dans l’ « Antigone » de Sophocle

L’idée de mort et renaissance incarnée par un Dieu lié à la végétation est dans le fond commun méditerranéen : Osiris pour l’Egypte, Tammuz pour la Mésopotamie… Et Dionysos pour la Grèce. Ces dieux étaient représentés par des mythes et des rites symbolisant la mort, et la renaissance avec une forte signification sexuelle entrelaçant les deux ce qui n’était pas sans évoquer deux pôles surpuissants de la vie spirituelle humaine : Eros et Thanatos. La symbiose entre Amour et Mort est un thème mystique inépuisable, Coré et Hadés, Roméo et Juliette, Tristan et Iseult, Orphée et Eurydice…Le contact entre ces deux entités est une des plus puissantes dynamiques de la religion méditerranéenne.

Ainsi Innana descendait au fin fond des enfers, enlevant rituellement chacun de ses vêtements, et devait pour en remonter, substituer à sa place son amant au fin fond des enfers, Dieu lié à la végétation dont on fêtait la mort et la renaissance à chaque cycle.

C’est probablement là que se situe le plus vieux fond, le noyau mythologique et rituel concernant la mort rituelle chez les anciens Grecs.

Deuxième couche : rite de passage

Tu t'es jamais dit...qu'être parent, c'est en partie...essayer de tuer tes gosses ?

Ritchie Cunningham, « Christine » de John Carpenter.

Avant la naissance de la cité, existaient des rites initiatiques destinés aux adolescents, pour passer à l’Age d’homme et de femme qui semblaient extrêmement importants et destinés à une classe aristocratique. Leur archétype suivait peu ou prou le même schéma : L’adolescent était retranché à l’écart du groupe ce qui correspondait à une mort symbolique. Il était alors mis au contact d’entités surnaturelles, monstres, dieux de la mort, démons, etc. Les épreuves passées il était réintégré au groupe qui l’accueillait tel un être revenu d’entre les morts La grande majorité des mythes et rituels Grecs narrant des sacrifices ou meurtres rituels humains contiennent un squelette (Thésée notamment) de ces rites initiatiques manifestes, plutôt tirée d’un esprit de chasse que de guerrier.

La raison en est double : la présence de la mort était un effet important qui devait peser sur la psychologie du jeune homme, imbibé des récits mythiques, du mystère des épreuves gardées secrètes : L’adolescent allait au-devant du monde « sauvage » ou les lois de la tribu étaient chamboulées et devait en revenir plus fort, tel un nouvel homme, il avait bravé la mort.

Le régime de la cité s’est mal accommodé de ces rites d’abord car ils deviennent obsolètes dans une société se complexifiant, et parce qu’ils étaient foncièrement aristocratiques. Ils disparaissent donc en se fondant, tout en imprégnant, les rites agraires préalables : la mort et la renaissance végétale des dieux agraires fusionne avec une mort et renaissance de l’enfant qui devient adulte. L’analogie entre l’idée de fertilité et de nouvelles générations remplaçant les suivantes suffit a expliquer les raisons cohérentes d’un tel mix.

Ainsi peu à peu au cœur de cet épreuve c’est inséré le thème de la mort symbolique/rituelle des rites agraires, et la renaissance comme homme dans le canevas jusqu’à ce que les deux rites fusionnent.

Un des meilleurs indices de cette juxtaposition est le mythe de Demeter/Coré : Déesse agraire, sa fille est une jeune vierge qui se fait enlever au moment de devenir nubile par hadés, dans le monde des morts. A la suite des pérégrinations de Déméter et de la négociation de Zeus, elle renait symboliquement dans un état supérieur de compagne d’Hadès, quasi déesse. Coré servira d’histoire archétypique de vierges nubiles comme Iphigénie, liées à Artémis, déesse Patronne des rites de passage féminie de l’Age d’enfant a l’état de femme. De fait la fertilité est un point commun évident avec les rites agraires qui explique le rapprochement…

Sur le plan du rite, une des traces exemplaires de cette fusion est celui d’artémis tryclaia ou des adolescents des deux sexes mourraient symboliquement dans le fleuve sous le regard d’Artémis pour renaitre en Dionysos dans un nouvel état d’hommes et de femmes accomplis : Un mythe de type sacrificiel typique (enfants sacrifiés pour Artémis outragée par une faute) expliquait le rite.

Les rites d’initiations féminins survivront mieux que les masculins et son mieux connus que leurs homologues qu’on ne peut que percevoir au travers de squelettes archaïque des mythes de type Théséide…

Comme du reste de l’ensemble de notre civilisation. Que sont les histoires des contes de Perrault où les enfants souvent abandonnés par les parents affrontent des monstres et des ogres pour revenir changés ? Que dire du chaperon rouge qui sur le point de devenir sexuée, se fait dévorer par le Loup et renait ensuite ?  On pourrait continuer longtemps comme ça…Ainsi Freddy dans les griffes de la nuit s’en prend aux jeunes adolescents passant le cap de la sexualité, sur le terrain des rêves, lieu par excellence ou le familier devient soudainement hostile, avec les valeurs habituelles inversées. Dans « ça » une ville livre en détournant les yeux, cycliquement, des enfants à un monstre qui symbolise l’inversion du monde par le personnage du clown, ami habituel des enfants, devenus leur pire cauchemar. Il s’en prend à eux par le biais de leurs pires cauchemars, pour les emmener « en bas ». Etc….

Troisième couche : le fléau et l’expiation de la faute collective

L'expiation, c'est le verrou sur la porte que l'on referme sur le passé.

« la Ligne verte », Stephen King,

Au fur et à mesure du développement des cités, il fallait expliquer, donner un corps à ces morts même symboliques, une signification rationalisante à ces rites qui continuaient à resonner dans l’âme Grecque entre les fêtes agraires et l’admission des adolescent/es au rang adulte et sexué, mais dont le sens premier se perdait peu à peu : Se posait ainsi la question du pourquoi sacrifier des enfants ? A quoi cela avait-il pu servir la cité, si celui-ci remontait à un acte fondateur ?

Cela me permet au passage d’aborder brièvement un des piliers de la religiosité Grecque, l’Oracle et le lieu Oraculaire : Absolument omniprésents dans les mythes et rituels où intervient une mort rituelle ou un sacrifice, l’oracle, encore l’oracle, toujours l’oracle désigne la manière pour l’homme d’interagir avec le divin.  De fait il semble plus un apport indo européen qui tends dans sa religiosité à strictement séparer, hiérarchiser le monde des dieux et des hommes, par rapport au fond indigène égéen et minoen pour qui le rapport avec les dieux est plus mystique, intérieur.

Il ne faut cependant pas réduire l’oracle, dont le plus célèbre est celui de Delphe, et le plus ancien Dodone, à une simple action de « divination ». On ne lit pas les cartes, ou la boule de cristal : il s’agit d’entrer au contact de l’au-delà, de connaître l’inconnaissable. Des rituels de « purification » doivent être entrepris par le consultant, jeûnes, abstinences, bains rituels : puis il passait dans un lieu approprié, souvent une caverne, emmitouflé dans la peau d’un animal fraichement sacrifié…Là encore, le thème de substitution. Tout le monde connaît aussi les transes quasi chamaniques de la Pythie de Delphes. N’en déplaise à Nietzsche et ses intuitions certes fulgurante sur le dichotomie Apollon/Dionysos, Apollon aussi avait un aspect frénétique, de possession, mais plus lié il est vrai à l’hyperborée, à une tendance « chamanique ».

L’irruption de l’oracle dans le récit de la mort rituelle, ou du sacrifice permet donc de résoudre cette question apparemment insondable si elle est posée après l’étiolement du sens premier : Si le rituel est une répétition d’un acte fondateur, pourquoi diable sacrifierait on des enfants ? La réponse est ainsi trouvée, quoique partielle : Les dieux en ont décidé ainsi, à la suite d’une faute commise par des membres de la cité, une offense envers un ou les Dieux. La signification était alors multiple.

Cela signifiait la nécessité de respecter les valeurs divines, car le risque de leur courroux était dangereux, car impitoyable.

La prise de conscience « citoyenne » : la faute de l’un rejaillissait sur l’ensemble de la communauté. A l’inverse, le mythe enseignait que le sacrifice d’un ou de quelques-uns pouvait sauver une cité entière. En accomplissant le rite initiatique, le jeune enfant participait de cette « rédemption » civique par son esprit de sacrifice : symboliquement, il avait assumé par héritage les fautes commises par la cité, ses ancêtres, il avait bravé la mort à cause de celles-ci, et avait participé ainsi à son sauvetage : Par cette preuve de maturité, il devenait ainsi pleinement citoyen.

Parallèlement à l’expiation, les mythes et rites sacrificiels comme bouc émissaires Girardiens ?

Cette conception de la faute héréditaire, tribale, à purger ne sera surement pas pour rien dans l’apparition d’une nouveauté inconnue à l’époque d’Homère et d’Hésiode (en tout cas ils n’en parlent pas) : le pur et l’impur. La souillure et la pureté, comme l’illustre cette réplique de Créon dans Antigone : « …afin qu'elle y meure, si elle veut, ou qu'elle y vive ensevelie. Nous serons ainsi purs de toute souillure venant d'elle, et elle ne pourra plus habiter sur la terre. » Autre exemple, Délos est interdit de rites funéraires pour garder « pur » le sanctuaire.

Pour Homère, un meurtrier se purifie lorsqu’il s’est lavé du sang de sa victime. Il n’y a pas de souillure « spirituelle », encore moins héréditaire, sinon quelque malédiction divine ou magique. A partir du moment où cette innovation de l’impureté souillant la cité entre dans l’esprit Grec (ou renait ?) cela devient affaire politique : Il s’agit de se prémunir du danger connu ou inconnue, de pouvoir l’exorciser. C’est vers le VII eme siecle qu’on voit apparaître des rites de type « Bouc émissaire » dont René Girard a fait sa célèbre thèse.

Le principe consistait moyennant rétribution de chasser un pauvre hére (qu’il s’agisse en membre simplement défavorisé de la communauté, ou un Brigand n’est pas clair) parfois à coup de pierres, parfois à coup de fouets, pour chasser ainsi la « souillure » et purifier la cité. Celui-ci était engagé « volontairement » pour le travail, et en était rétribué généralement par un temps défini de repas. Le terme de Pharmakos pour qualifier l’individu est éloquent : C’est un terme Grec signifiant autant le médicament, que le poison. On a affirmé qu’il pouvait y avoir eu des mises à mort consécutives à ces rituels, de véritables lapidations, mais cela semble peu probable, le but était de chasser la victime ce qui symboliquement illustrait l’impur expurgé de la Polis : Cela ne rentre donc pas dans la catégorie « sacrificielle », et ne correspond pas au sens archétypal de la pensée Grecque concernant le sacrifice humain/mort rituelle à ce moment-là, ou auparavant.

Ce rapprochement a pu être fait essentiellement grâce à une ressemblance artificielle :

Faute => Fléau=> Concentration des souillures sur un seul individu Chassé ou tué => fin du fléau

Faute => sacrifice de vierges ou/et d’éphèbes/substitution pendant ou peu après=>instauration récurrente du rite => Fin du fléau

Or ce rapprochement abusif ne fait pas cas d’une différence fondamentale : le sacrifié des mythes et rituels Grecs est extrêmement valorisé, au contraire du Pharmakos qui lui est méprisé. Les deux logiques ne se superposent pas, à mon avis : Il s’agit plutôt dans le deuxième cas de l’idée lointaine depuis une éthique aristocratique du roi responsable de la cité et assumant les fautes (souvent collectives) au nom de celle-ci. Le fait qu’il s’agisse toujours, ou quasi toujours de membres d’une famille royale est révélateur. Par ailleurs cela était bien pratique pour garder sous le contrôle de quelque famille le culte, au nom du sacrifice jadis consenti par celle-ci…

Quatrième couche : Le patriotisme et la vertu.

L’élément purement patriotique est donc certainement le plus tardivement intégré dans la signification du meurtre rituel et du sacrifice. Il apparaît probablement conjointement à l’Age classique : là est mise en avant l’aspect volontaire du sacrifice. C’est encore une fois logique, d’une part parce que la Gréce classique des Cités est marquée par un esprit patriotique débridé marqué par les guerres médiques, d’autre part parce que l’élément de l’éthique aristocratique disparaissant dans les mutations socio politiques et ne subsistant que sous forme d’éléments épars de mythes, il fallait que ce sentiment de membre de la Polis pleinement citoyen transparaisse dans la religiosité d’une façon ou d’une autre.

Ainsi l’Oracle est certes toujours là, mais on fait une part beaucoup plus grande au libre arbitre, au choix consenti de la mort en vertu de valeurs plus grande que sa vie humaine. Ce qui est magnifié, c’est le libre sacrifice volontaire pour sauver la Cité, ou pour respecter jusqu’au bout en choisissant la mort et les valeurs plutôt que la vie et le déshonneur, ainsi que la ruine pour la Cité, tel Léonidas. Un exemple typique concerne la cite d’Athènes :

Aglauros était à l’origine une « patronne » Artémisiaque d’une cérémonie de passage « classique » intramuros de la cité athénienne : La pauvre adolescente, selon le mythe, avait un jour désobéi à Athéna qui lui avait remis une corbeille en l’interdisant de l’ouvrir : Curieuse, elle voulut néanmoins voir ce qu’il y avait dedans, découvrit l’indicible (comme dirait Lovecraft) et frappée de Folie, se jeta du haut de l’acropole.

Son culte était célébré par des jeunes filles qui lors de leur rituel de passage, devaient transporter des corbeilles sacrées comme Aglauros sans regarder à l’intérieur sous peine de subir le même sort.

Or, sans qu’on sache sous quelle impulsion, le mythe changea : Aglauros par la suite devient une brave jeune vierge, qui par héroïsme alors que la cité était aux prises avec le fils de Poséidon, se sacrifie en sautant de l’acropole, afin sauver la cité. Le saut dans le vide reste mais la signification change. Elle était toujours célébrée par des jeunes filles, mais saluée également par les éphèbes pour son courage patriotique.

C’est aussi le sens ultime qui fut donné au sens du sacrifice d’Iphigénie par Euripide qui après divers revirements, dit à sa mère :

« Laisse-moi sauver la Grèce… »

Mais il ne faudrait pas prendre ce patriotisme pour un esprit purement « cocardier » : Il s’agit du choix délibéré de la mort pour respecter des lois surnaturelles, transcendantales, pour un ordre divin que représente la Polis. Ainsi le sens de l’expiation quelque part, ne disparaît pas : Les hommes dérèglent l’harmonie de la Polis en vivant contre ces lois supra humaines, à tel point qu’arrive le moment où pour sauver la cité, le choix sacrificiel devient inévitable : De fait était exalté en particulier le consentement au sacrifice, le choix. L’idée même d’un meurtre rituel / sacrifice non consenti devenait du même coup un acte encore plus misérable, s’il était possible. D’où l’incompatibilité avec le bouc émissaire au sens où l’entends René Girard. Le sacrifié est un « héros » exalté, ce qu’il a toujours été au demeurant, même si de façon moins marquée.

Les furies dionysiaques, cas à part ?

Au premier abord, les sacrifices terribles des mères déchiquetant leurs enfants lorsqu’elles sont possédées par le Dieu, comme les Myniades (rendues célèbres par Euripide) les Proétides, ou les cadméides pourraient sembler similaires à un cas comme Médée : Basiquement faute entraine le fléau, entraine le sacrifice, qui résout le fléau. Mais les éléments spécifiques de Dionysos les en éloigne nettement :  le dissolution saisonnières et l’inversion des valeurs de la Polis, mais aussi la célébration de l’éternel retour, la renaissance,  le sens spirituel de l’ensauvagement, de l’ingestion de chair crue, de possession Divine, sa dimension fortement sexuée et féminine ne peut être abordé en quelques lignes…Je souligne juste les éléments communs aux autres mythes, à savoir qu’à l’instar de l’œuvre d’Euripide, il y a une faute commune que le dieu fait payer de par sa spécialité d’inversion : Ainsi, les mères deviennent des anti mères absolues.

Également que rien ne dit qu’il y a une antériorité quelconque entre sacrifices humains/animaliers. Ce n’est pas très satisfaisant et beaucoup d’éléments font penser à une origine différentes ou du moins, spéciale, unique des rites agraires « classiques » et du schéma proposé, mais ça mériterait des pages ( !) supplémentaires et surtout je n’ai pas vraiment arrêté mes idées sur le sujet.

Quatrième couche : La Tragédie

À travers la tragédie, le mythe acquiert son contenu le plus profond, sa forme la plus expressive ; il se relève encore une fois, tel un héros blessé, et tout son surcroît de force, avec le calme empreint de sagesse du mourant, brûle dans son œil d'une dernière lueur puissante.

Nietzsche, origine de la tragédie

La naissance de la Tragédie est une des éternelles questions posées au sujet des Grecs anciens. Un fait historique est indéniable : Le premier concours de tragédies fut instauré par Pisistrate en 535. Il est évident qu’elle n’a pas été inventée à cette occasion, seulement organisée et mise en forme.

Le sens du mot tragôdia signifie « chant » et « bouc ». W. Burkert a démontré que la signification originelle signifiait à l’origine « chant à l’occasion du sacrifice du bouc ».

Ainsi la tragédie est liée au rituel sacrificiel aux origines. La présence d’un autel dans l’« orchestra » semble être une survivance de la table sacrificielle. Le fait que les tragédies étaient en l’honneur de Dionysos, dieu qui meurt et renait, n’est pas non plus anodine : Il semble bien que l’origine soit liée aux rites sacrificiels.

« Il se peut que la transformation et la spiritualisation à laquelle sont parvenu les poètes Grecs  (…) ou bien les poètes les plus importants ne font-il que donner une expression sublime à ce qui existait au stade primitif du développement humain ? » se demandait W.Burkert.

Comme je le disais, cette question n’a pas forcément lieu d’être puisque l’idée du sacrifice humain et le meurtre rituel a très bien pu apparaître après les sacrifices animaliers conçus seulement alors comme substitut, tandis que la dialectique entre rite et mythe avait déjà énormément évolué. L’idée d’un mythe originel et d’un rituel adouci au fil des siècles ne tient pas si on s’y arrête dessus : les deux ont probablement évolué conjointement avec l’esprit de l’époque.

Toutefois peu importe au final de savoir qu’ils étaient fantasmagoriques comme cela semble avoir été le cas puisque pour les Grecs, il ne faisait aucun doute qu’ils furent réels et que les rites suivants n’avaient bien été que des adoucissements ou des substituts.

La meilleure preuve en est, à mon sens, est que l’ensemble des tragédies conservées est en fait une vaste galerie de morts, de meurtres, cadavres déchiquetés : un vrai festival de cadavres sacrifiés. De plus, plus on remonte chronologiquement les œuvres, plus on remonte à un schéma originel ressemblant à un rituel sacrificiel et à un rituel funéraire. Mort/mise à mort/Deuil/lamentation cérémonies funéraires sont des lieux communs tragiques. Bien sur la forme évoluera et s’éloignera peu à peu de ce strict contexte, notamment avec Eschyle, avec la mort en coulisses : La mort reste présente mais est utilisée autrement, plus au service de l’intrigue. En somme il invente les bases du Thriller. Pensez donc la prochaine fois que vous vous mattez un petit usual suspect, que vous avez sous les yeux le lointain dérivé de rites sacrificiels dionysiaques qui se pensaient comme substitut du sacrifice humain.

Il n’en reste pas moins que l’origine de la tragédie est profondément religieuse, et d’ailleurs, Eschyle failli être exécuté pour avoir révélé des secrets des rites d’Eleusis dans une de ses œuvres. Un mot sur Eschyle considéré comme tragédien théologien : Pour se persuader de la relativité de la mentalité « polythéiste » par rapport au « monothéisme » il suffit de le lire.

La tragédie est probablement, c’est mon avis, la plus haute forme de la religiosité Grecque dans l’expression de l’essence des mythes. Parler de la tragédie dans toute sa richesse et sa complexité est exclu, sujet inépuisable, mais seulement sous l’angle du sacrifice humain et du meurtre rituel. Les contraintes des auteurs étaient multiples : Ils devaient respecter les mythes locaux qui étaient bien connus par le public, souvent même réconcilier des traditions différentes, tout en apportant un apport, une vision, une exégèse personnelle. Ils devaient toucher du doigt la nature même des dieux, leurs rapports avec les humains, sans commettre de sacrilèges. Ils devaient nous narrer des histoires lointaines, perdues dans les limbes de l’ « autrefois » avec ses rites barbares,  mais parler à l’homme contemporain et ses diverses problématiques, en touchant des aspects spirituels intemporels qui font que la tragédie survit prêt de 2500 ans après avoir été écrite. Ils devaient parler des problèmes politiques contemporains des cités démocratiques en prenant pour cadre des épisodes narrés aux temps aristocratiques, trouver de l’héroïsme en prenant pour cadre des lignées royales pour l’essentiel maudites, et honnies surtout en ces temps démocratiques. Par-dessus tout, ils étaient confrontés au paradoxe évoqué au tout début : Donner un sens à un sacrifice, un meurtre rituel réprouvé universellement, raconté dans tel ou tel mythe, qui avait eu lieu dans les temps reculés pour des raisons mal élucidées, et lui donner une signification profonde au regard Grec contemporain.

Le fait que des auteurs comme Sophocle y soient magnifiquement parvenu, en réussissant à poser dans la trame des questions spirituelles profondes, comme une tension de fond jamais éludées, mais jamais non plus tranchées arbitrairement par une morale simpliste, est un des mystères du miracle Grec. L’interaction entre le Chœur et les personnages était un des ressorts permettant cet allez retour permanent. Les meilleures explications étant des exemples, je vais prendre deux des tragédies les plus importantes pour la Grèce classique :

Antigone de Sophocle :

La première lecture de la tragédie est celle-ci : Créon, homme de pouvoir de bonne volonté, désire faire primer l’intérêt de Thèbes et ressouder la ville après la guerre entre deux frères. Pourtant dans l’exercice du pouvoir il perd la mesure, et en vient à ne plus respecter les lois divines : Il refuse d’accorder les rites funéraires à celui qu’il considère comme un ennemi de la Polis. Antigone, femme seule, révoltée, va se lever pour ces lois surnaturelles et ainsi choisit d’avancer vers la mort pour le respect de celles-ci. Créon tombant dans la démesure ne voit pas l’injustice vers laquelle le mène sa conception de la loi et commet un acte terrible en condamnant à mort Antigone : il l’emmure vivante au fond d’un roc, loin de la cité.  Il ne change pas d’avis devant la plaidoirie désespérée de son propre fils, Hémon fiancé d’Antigone. A la suite d’oracles donnés par Tirésias, et des dernières instances du Chœur, il est trop tard : Antigone s’est suicidée. Le fils de Créon, qui était venu la délivrer malgré les ordres de son père, à deux doigts de tuer son père, préfèrera se suicider. Sa mère suivra. Créon est brisé.

L’analogie mythologique est dans la droite lignée des mythes sacrificiels : Antigone est l’archétype d’une Iphigénie. Son statut de Vierge Nubile sur le point d’être mariée est souligné à plusieurs reprises notamment ici  : et je n’aurai connu ni le lit nuptial ni le chant d’hyménée ; je n’aurai pas eu, comme une autre, un mari, des enfants grandissant sous mes yeux ; mais, sans égards, abandonnée des miens, misérablement, je descends, vivante, au séjour souterrain des morts  par ailleurs, sa descente aux enfers de femme vivante descendant parmi les morts la place là aussi dans les pas d’une Perséphone, partageant sa chambre nuptiale avec Hadès, évoquée elle aussi ici : Ô tombeau, chambre nuptiale ! retraite souterraine, ma prison à jamais ! En m’en allant vers vous, je m’en vais vers les miens, qui, déjà morts pour la plupart, sont les hôtes de Perséphone. Ce thème de la virginité, de l’hymen, de la défloration en quelque sorte dans l’Hadés parcours toute la tragédie, conformément aux mythes des divers acolytes d’Artémis.

La signification donnée par contre du sacrifice d’Antigone est d’une richesse incomparable : son sens tourne autour du couple Antigone/Créon et la dynamique Victime/bourreau : Antigone marque la pièce de toute sa présence, mais Créon est loin de n’être qu’un simple faire valoir de celle-ci.

Antigone invoque les lois des Dieux que Créon outrepasse en refusant les rites funéraires : Sa vision des choses est justifiée au commencement. Son but et de réunir la ville en prenant en compte l’unique chose qui importe à ses yeux : l’intérêt de la cité. Mais la démesure, l’hybris, qui guette particulièrement les hommes de pouvoir, lui fait perdre la mesure : il ne voit pas que la condamnation d’Antigone est injuste, pour lui seule compte de savoir qui respecte son pouvoir, et qui le défi. Pour lui la justice ne consiste qu’à déterminer qui est ennemi, qui est ami. Ainsi il n’écoute pas son fils en l’accusant de prendre parti pour Antigone, dominé honteusement par une femme, contre son propre père alors qu’Hémon essaie de plaider pour la justice et la loi. Il met en doute l’oracle. Il se substitue en réalité aux Dieux en envoyant une juste au tombeau et refusant d’enterrer son frère mort.

A l’instar des sacrifiées dans les mythes, Antigone est présentée au début comme choisissant souverainement, en toute liberté la mort, pour respecter la loi divine, en l’occurrence, les rites funéraires contre une loi inique. Mais au fur et à mesure les vraies raisons vont tomber. Son argumentation sur les lois divines et la piété est justifié, mais au final, elle le reconnait : C’est le lien de sang avec Polynice, son appartenance à la lignée royale, le sang des Labdacides, qui l’a poussée à choisir la mort plutôt que la vie, son mariage, et les enfants qu’elle aurait pu avoir.

Jamais, si j'eusse enfanté des fils, jamais, si mon époux eût pourri mort, je n'eusse fait ceci contre la loi de la cité. Et pourquoi parlé-je ainsi ? C'est que, mon époux étant mort, j'en aurais eu un autre ; ayant perdu un enfant, j'en aurais conçu d'un autre homme ; mais de mon père et de ma mère enfermés chez Hadès jamais aucun autre frère ne peut me naître

Ainsi prisonnière de la malédiction familiale, elle est entrainée avec elle dans l’Hadés, vierge entrant vivante dans le monde des morts. A l’image de sa réaction vis-à-vis de sa sœur lorsqu’elle veut finalement être solidaire d’Antigone et qu’elle est rejetée par égo, elle réalise trop tard que la démesure l’a perdue elle aussi : Ô frère, tu as joui d'un hymen funeste, et, mort, tu m'as tuée ! Ce n’est pas sa piété ni même la solidarité des liens du sang qui l’a emmenée à choisir le monde des morts et délaisser celui des vivants, mais son orgueil démesuré, qui coule dans le sang des veines des Labdacides tel une malédiction. Ainsi la solitude de son tombeau nuptial la désespère, elle qui a rejeté juste avant la compagnie de sa sœur par orgueil, et elle se suicide entrainant par là même la perde de Créon et sa famille. Les deux personnages donc sont entrainés par leur démesure dans leur perte. Bourreau et victimes unis par la même faute.

Les Bacchantes d’Euripide

Euripide n’est peut-être pas aussi talentueux que Sophocle. Certains choix ne sont pas forcément très heureux, comme une histoire de jalousie expliquant l’acte terrible de Médée : Pasolini lui mettra en avant, avec la figure marquante de Maria Callas, et peut-être plus d’à propos sinon historique, au moins sur le plan de la force de l’histoire, l’affrontement sous-jacent oriental/Occidental entre le Grec et la Colchidienne Médée, retrouvant ainsi sa religiosité première et ses conceptions de rites sacrificiels cycliques. La dimension purement religieuse s’atténue également avec lui, laissant plus la place aux passions humaines : Celles-ci sont moins profondes, et plus superficielles, des histoires de jalousies bien souvent.

Et pourtant c’est avec une pièce profondément religieuse, les Bacchantes, qu’il aura un impact aussi grand peut être que celui de l’Antigone de Sophocle. Jamais avant cette tragédie un sacrifice représenté n’aura été aussi sanglant : Les membres déchiquetés de l’infortuné Penthée sont présenté sur scène avec également sa propre mére brandissant sa tête au bout de sa thyrse. En quelque sorte cette scène pourrait avoir été l’équivalent pour la tragédie de la scène de meurtre dans la baignoire dans le motel de Norman Bates dans « psychose » pour le cinéma.

Le squelette mythique du récit (inspiré par des mythes Dionysiaques tel les ménades) était classique et respectait la structure mythique : Nous sommes à Thèbes, Penthée, (Jeune éphèbe comme il convient à tout bon sacrifié), Roi encore une fois de bonne volonté, commet la terrible erreur de ne pas reconnaître Dionysos comme Dieu. Ce dernier rend extatique les femmes de la cité et les entraine loin de la cité, dans la nature sauvage, à faire des transes dont lui seul a le secret dans ses cérémonies orgiaque. Penthée découvre la situation et sans surprise, il n’aime pas que les femmes de la Polis, dont sa mère, fassent les « Bacchantes » en les soupçonnant notamment de se servir du culte hypocritement comme prétexte de ne guère prendre soin de leur vertu sexuelle et ne pas jouer leur rôle d’épouse, de mère. Homme de peu de foi…On le voit ainsi tomber dans la démesure : Il veut enfermer ce qu’il considère comme un membre du culte mais qui est en réalité Dionysos lui-même, dissimulé. Il ne supporte pas que son pouvoir soit défié, qui plus est par des femmes, et menace même d’aller les massacrer. Mais plus que tout, il veut briser le secret du culte et voir en quoi consistent ces cérémonies. Le dialogue avec Dionysos dissimulé est un chef d’œuvre de sous-entendus ironiques.

Se dissimulant sous les traits d’un étranger, Dionysos lui propose de venir observer les Bacchantes dans leurs œuvres, préparant ainsi sa revanche.Celle-ci est un modèle de cruauté Dionysiaque : Penthée voulait savoir ce qui se tramait dans ces cérémonies orgiaques ? Il va y assister aux premières loges. Il était sceptique, incroyant, dédaigneux des cérémonies dionysiaques ? Déguisé en femme sous le prétexte fallacieux du Dieu d’être discret, il va y être initié et devenir une Baccante « comme les autres ». De surcroit lui qui faisait d’un de ses motifs de ramener les bacchantes dans leur rôle de femme soumise, il est humilie aux yeux de la cité qui le voit passer sous habillé ainsi fémininement les cheveux relachés. Il rejetait le Dieu en ne reconnaissant pas son statut divin ? Il va devenir Dionysos pour le temps de la cérémonie pour tâter de son pouvoir ; en effet, celles-ci déchiquetaient la chair crue d’un animal dans une transe extatique, qui passait pour incarner le Dieu, afin de l’absorber et se faire posséder par lui. Il jouera le rôle terrible de cette incarnation Dionysiaque. Lui qui prétendait châtier dans le sang les Bacchantes au plus haut de sa démesure tyrannique, c’est lui qui va être massacré dans le sang : Le chasseur sera chassé. Toute l’inversion Dionyaque est dans ce châtiment terrible.

Le comble de l’Horreur est le moment où sa propre mère, exhibant fièrement la tête de son fils au bout d’une Thyrse (outil dionysiaque) revient à elle et réalise qu’il s’agit de la tête de Penthée.

Dionysos a triomphé. Il apparaît ici dans son rôle ambigu et cruel de Persécuteur/persécuté, le « le dieu le plus terrible et le plus bienfaisant pour les hommes » Penthée, à l’instar de Créon, peut être vu comme un roi égaré par la philosophie sophiste, relativisant tout, faisant trop confiance à son pouvoir politique, et s’éloignant ainsi des bases religieuses essentielles en les foulant aux pieds :

En bref, don’t f*ck with the Gods. Laisse à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Sa crainte notamment de licence sexuelle des femmes montre qu’il ne comprend pas la nature du culte dionysiaque sacré. Pour lui religion et culte ne sont que des apparats : seule compte la Cité dans tous ses principes rationnels. On Remarque enfin qu’Euripide ne doutait pas qu’à la base du mythe, un homme pouvait être sacrifié plutôt qu’un animal, pour le bon vouloir du Dieu. Cette religiosité est cependant une exception chez Euripide. Il n’est pas rare qu’il soit vu comme le fossoyeur de la tragédie originelle : il a poussé l’interprétation du sacrifice dans un sens tellement patriotique qu’il est à la limite de tomber dans une œuvre « propagandiste ». Ainsi le perçoit d’ailleurs Lycurge :

« Aussi convient-il de louer Euripide, grand poète par ailleurs, d’avoir choisi cette légende [le sacrifice de la fille d’Érechthée] pour sujet d’une de ses pièces, estimant que le plus bel exemple à proposer aux citoyens, ce sont les actions héroïques d’autrefois : ils n’ont qu’à les regarder et à les contempler pour cultiver dans leurs coeurs l’amour de la patrie. Il vaut la peine, Juges, d’entendre les vers que prononce la mère de la jeune fille. Vous y trouverez une grandeur d’âme et une noblesse de sentiments dignes d’Athènes… »

Le cas Iphigénie est flagrant : victime malheureuse de la démesure de son Père pour Eschyle, héroïne donnant sa vie pour la gerce chez lui. Pourtant, autre chose se dégage de son œuvre :  

Les dieux perdent de leur importance, les oracles ne sont plus absolus, mais surtout, les valeurs athéniennes glorifiées par Euripide ne se retrouvent que chez ses victimes sacrificielles. Survivent les personnages véreux, égoïstes, intriguant…Alors que le Sacrifice résolvait les fléaux dans les mythes, il semble au contraire condamner les personnages qui auraient pu restaurer les antiques valeurs au profit des personnages qui les souille, qui usurpent la raison d’état pour des motifs souvent égoïstes, futiles, changeants.

Le sacrifice d’Iphygénie est admirable, mais pour des gens qui ne le valent pas :  On achète ce qu’il y a de plus vil par ce qu’il y a de plus cher…

Cette phrase résonne longuement au V eme siecle avant l’ère du Christ, telle une affirmation fataliste, désespérée, ou peut être interrogation existentielle en direction des dieux : Pourquoi le meilleur est sacrifié au pire ? Telle est peut-être l’ultime interrogation spirituelle que nous lèguent les anciens Grecs sur cette notion sacrificielle de l’humain....

Avant qu’un certain JC vienne apporter son propre avis sur la question.

Conclusion

Il semble bien, au vu des recherches archéologiques et de l'analyse des mythes, que les Grecs se trompaient : les anciens ne sacrifiaient pas d'êtres humains pour plaire à quelque dieu demandant réparation. Cela à toutefois pu arriver : On a découvert l'année dernière un cadavre d'enfant tuer apparemment de manière rituelle, sur le sinistre mont Lycée à la réputation si glauque dans le monde Grec. Mais le fait qu'il ne s'agisse que d'une trouvaille de carcasse humaine parmi les innombrables animales est révélateur de la rareté de l'événement. Du reste les Grecs pensaient que le fondement du rituel était bien le sacrifice humain : Le danger était donc réel pour que dans les moments de crise, une populace affolée ou un prêtre zélé demande le retour exceptionnel des antiques pratiques qui risquaient de "mieux marcher" que le substitut animal...

 

 

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  • 2 semaines après...
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Formation de la religion Grecque

L’arrivée des premiers éléments Hellènes dans la religion Grecque précédent d’environ douze siècles Homère. Dans ce laps de temps, migrations, commerce, guerres, échanges culturels ont constamment, génération après génération, façonné la religion Grecque telle qu’elle est apparue à l’Age classique. Il est très difficile de les cerner dans ces conditions, et de comprendre comment ils se sont mélangés en une synthèse proprement Grecque :

Zeus par exemple est un nom sans conteste indo européen, mais qui se substitue en Crète à un Dieu purement méditerranéen de la végétation. Apollon passe pour le Dieu Greco Dorien par excellence alors que son étymologie ne s’explique pas par l’indo européen. Déméter et Poséidon ont eux une étymologie à la fois Grecque / indo européenne (méter = Mére / Posei = Maitre, Epoux) et égéenne (da = La terre) et semblent donc être des créations postérieures à la venue des indos européens, Pourtant Déméter correspond au schéma égéen et Poséidon est typiquement Achéen.

On peut distinguer 4 ou 5 couches d’éléments constitutifs correspondant soit aux indigènes, soit aux influences extérieures de la Grèce.

Fonds indigène :

L’idée qu’on peut se faire de la religion Pré Hellénique est vague, et la dissocier des éléments successifs qui ont assimilé ces éléments est d’autant plus flou. Certains ont vu les dieux « Chtoniens » (Qui vivent sous et tirent leur puissance de la terre) comme une génération antérieures aux dieu « Ouraniens » (Inversement, de l’air) Tel Apollon des apparitions plus tardives : Mais beaucoup des dieux Ouraniens ont des fonctions Chtoniennes, comme Zeus, Héra, Hermès, Artémis ou Poséidon. Inversement, les dieux Minoens par exemple ne sont pas limités à la terre.

Il est aussi très tentant de lire dans les mythes fondateurs une allégorie entre les dieux des peuples vaincus, et ceux des vainqueurs, comme les Titans. Mais vu que beaucoup de ces mythes ont été empruntés au proche orient ancien, le risque est grand de mal interpréter leur sens. Pour cerner les éléments des cultes autochtones nous sommes condamnés à procéder par analogie et élimination.

Un grand nombre de divinité mineures, souvent associées à Artémis, étaient issues, semble-t-il, des déesses aux seins nus du néolithique :

La triade des filles de Crécops, par exemple, Aglauros pour Athènes. Epidaure et Egine vénèrent dans des cultes secrets le couple Damia et Auxésia (déesse de la croissance) dont les statues étaient taillées dans un olivier sacré, avec une position assise des idoles néolithiques. Hélène était adorée à Sparte et Rhodes, dès la période Achéenne, comme déesse du Platane.

D’autres figures divines prolongent la Maitresse de la nature sauvage, comme Callisto, déesse ourse d’Arcadie, devenue elle aussi acolyte d’Artémis. En Arcadie une « préservatrice » locale, « Aléa », a cédé la place à Athéna mais avec difficulté semble t’il, puisque c’est un des rares cas ou l’épithète précède la déesse « majeure » : Aléa – Athéna.

Dans les dieux males liés à la vie agraire, il y a hyacinthos, génie de la végétation symbolisé par la jacinthe, qui sera absorbé en Laconie par le culte apollinien : « Apollon Hyacinthos ». Pan porte un nom bien Grec mais il est en réalité une substitution à un Dieu Arcadien. Le cas d’hermès est incertain, mais il a nombre d’attributs minoens : Fils de maïa, la terre mère, né dans une caverne du mont Cylléne, et l’Hymne homérique en fait le maitre des fauves, du monde animal en général.

La mer particulièrement a compté de nombreuses divinités que Poséidon prendra dans son cortège : Nérée « le vieillard de la Mer » est pré hellénique, Sa fille Thétis également qui possède le don de métamorphose et de prophétie, Téthys épouse de l’Océan et peut être doublet de la précédente. Triton deviendra l’épouse de Poséidon. Leucothéa, la « déesse blanche », qui est propice aux marins. D’autres « génies » habitent les défilés montagneux et les passes marines, souvent en compagnie des Nymphes : Géraistos en Eubée, Pélor (Le Monstre) dans la vallée du Pénée, Alcyoneus à Pallène.

Attachées à des lieux particuliers, empreintes de particularismes, ayant peu migré, toutes ces divinités mineures même avec un nom Grec devaient être des entités autochtones, pour la plupart. Leur relation spirituelle est difficile à cerner, mais on est probablement dans des vestiges d’animisme primitif, qui attribuait à des particularités naturelles à des puissances mystérieuses qu’il fallait se concilier.

 

L’apport Minoen

 

Mieux connue est la religion Minoenne. Difficile de la résumer en quelque lignes, mais elle est de nature plus sensitive, mystique. Beaucoup moins hiérarchisée, moins influencée par une différence marquée entre hommes et Dieux, dont les fonctions s’entremêlent là encore sans distinction nette. Elle est marquée par les divinités féminines, et semble même la religion d’une civilisation issue d’un matriarcat. Anthropomorphique comme le deviendra la religion Grecque, elle admet aussi l’incarnation des dieux dans un animal, un arbre, une plante sacrée. Très naturaliste, ses dieux n’ont pas de fonctions sociales bien définies, hiérarchisées et les sanctuaires se situent sur les sommets, les cavernes ou dans les cultes des palais. En outre une sensibilité artistique exacerbée prenant pour modèle la faune et la Faure caractérise cette religiosité.

La religion Minoenne a une position intermédiaire : elle est à la fois une composante du substrat égéen, et c’est pourquoi il est compliqué de toujours distinguer les deux éléments : Hélène ou Hyacinthos peuvent être de la Grèce continentale autant que des emprunts Crétois, par ex. Par contre, étant une ile avec une identité culturelle forte et autonome, elle a eu un développement extérieur à l’Hellade au moment où le pays était sous domination Achéenne, et a ainsi exercé une forte influence sur la religion continentale de l’extérieur. De fait, il est plus aisé de discerner son influence prépondérante sur la Religion Grecque.

Les Minoens n’ont pas plus réussi à imposer ses divinités dans la Religion Grecque : Certaines ont dû au final faire « allégeance » aux divinités Olympiennes comme Britomartis , Dictyna, et Eilithye. D’autres ont rétrogradé au statut de mortelle : Europe, Adriasne, etc. Si elles n’ont pas été admises dans le cercle restreint de l’Olympe, la spiritualité raffinée Minoenne n’a pas manqué d’impacter profondément la religion Hellène sur le plan de concepts.

Athéna et Héra sont entrés en contact avec la religion Crétoise dans les palais Achéens dont elles avaient la garde. Toute deux sont associées à l’Oiseau : Héra au coucou, et Athéna à la Chouette. La fille de Zeus cohabite avec le culte du Serpent domestique dans ses sanctuaires d’Athènes et de Béotie. Elle possède un arbre sacré, l’olivier, et est impliquée à Athènes dans un culte agraire semblable à celui de Déméter. Héra veille sur la végétation en général, et est une divinité des fleurs (Anthéia) avec une prédilection pour le Lys considérée déjà par les Crétois comme ayant des vertus surnaturelles. Autant d’éléments marqués par le sceau des minoens.

Artémis, au-delà de ses origines asiatiques, est identifiée aussi à la déesse de l’Arbre, dame des montagnes et maitresses des fauves : Lui sont assigné comme acolytes des divinités Crétoises également Britomartis , Dictyna, et Eilithye.

Le lien entre Déméter et la Créte est relatif : Son tite est « l’Achéenne » et son culte s’est fortement développé sur la Grèce continentale (Thessalie, Péloponnèse, Béotie et les mystères d’Éleusis). L’influence Minoenne est cependant palpable : D’ailleurs la Crète est un lieu intimement lié à la vie de la déesse.

Les Dieux masculins sont les créations les plus récente et dans l’ensemble moins redevable à la Créte excepté Dionysos. Ce pendant un « maitre des fauves) a eu des prolongements dans les divinités Grecques (Hermès, Apollon, Héraclès, Zagreus) : Quand au Zeus crétois il est demeuré une particularité de l’Ile.

L’influence orientale

Les relations entre la Grèce et l’Anatolie furent étroites dès le IIème millénaire, on le voit notamment avec la linguistique (De part et d’autre de la mer Égée nombreux sont les patronymes qui ne viennent pas de l’Indo Européen) de même que la céramique (à la fois répandue en Troade et en Grèce continentale). Difficile de les placer dans un contexte historique, on sait cependant qu’autour du XIV / XIIIème siècle les hittites côtoient un royaume nommé « Ahhiyawa », probablement Achéen ( Ahhywaia = Achaiwa = Achaïe). Les Achéens sont alors en pleine expansion, établissent des comptoirs jusqu’en Syrie, fondent Achaia sur Rhodes, commercent avec l’Egypte.

De cette époque date probablement l’appropriation de Dieux orientaux. Homère ne s’est pas trompé en décrivant les Dieux aux cotés des Troyens : Apollon, Artémis, Aphrodite, Héphaïstos et Arès.

Apollon est une apparition tardive pour la Grèce. Les Achéens ne le mentionnent pas dans les tablettes retrouvées.  Certains ont voulu y voir un Dieu nordique car les Doriens lui vouaient un culte, et que par ailleurs, il était lié au peuple mythique du septentrion les Hyperboréens. On disait à Delphes qu’il s’y rendait durant les trois mois d’hiver. Mais si Apollon a été fortement « Dorianisé », son domaine primitif fut l’Asie mineure. Plusieurs toponymes Delphiens (Oracle Apollinien) s’y retrouvent, notamment le Parnasse en Anatolie centrale. L’Epithète Homérique « Hécatos » du Dieu indique un couple avec la déesse Carienne (Sud-est de l’Anatolie) Hécate. Le Dieu Hittite des portes s’appelait « Apulunas ». Enfin la partie d’Apollon, à ‘instar de Délos, passait pour être la Lycie où on y vouait à sa mére, « léto » dont le nom peut s’expliquer par le lycien « Lada » soit « La Dame ».

Artémis était indépendante de son frère initialement, et antérieure à lui : Son pays doit être aussi la lydie et ses alentours où elle était connue sous le nom de « Artimis ». Alors qu’elle sera une déesse vierge pour les Grecs, elle conserve dans ces régions des similitudes avec la Grande mére : A Ephèse notamment autour du VIII eme siècle elle apparaît avec un enfant dans les bras, et plus tardivement elle sera représentée avec d’innombrables seins.

Héphaïstos est peu adoré en Grèce continentale, Athénée exceptée, alors qu’il est le Dieu principal de Lemnos et Phasélis en Lycie. Personnifiant probablement les émanations des phénomènes volcaniques présents dans la région, il a muté en dieu Métallurge et Magicien.

Quant à Aphrodite, malgré des hypothèses contradictoires sur les origines de cette divinité fascinante, le plus probable est là aussi une origine au moins en partie orientale, ce dont les Grecs étaient persuadés : elle serait venue de Phénicie ou de Chypre par voie Maritime. Les Mycéniens la connaissaient déjà. Homère lui donne pour parents le couple Zeus Dioné, ce qui correspond au couple Zeus et Diwia, qui disparaitra ensuite sauf à Dodone. Certains traits la caractérisent en outre comme une asiatique : Sa nudité sacrée, (à laquelle les Grecs de l’age classique renonceront progressivement), la pratique de la prostitution sacrée et de la bisexualité (Les Chypriotes adorent un Aphroditos androgyne). Enfin, elle semble proche d’Astarté : Le même tempérament volcanique, la sensualité et la sexualité aussi exubérante. Il semble qu’elle soit née à Chypre, d’une ancienne Déesse mère à la colombe dont elle garde le titre de « Wanassa », « Reine ».

 

Influences Thraco Phrygiennes

 

Les Thraces et les Phrygiens ont eux aussi apporté une contribution à la formation de la religion Hellénique : Arès, que les Grecs faisaient eux même venir de Thrace. C’est d’ailleurs un Dieu qui a toujours été méprisé, considéré comme un Barbare quelque peu balourd et stupide.

 

Dionysos était considéré comme un Dieu étranger par les Grèce, et ses aventures se passaient pour beaucoup en Asie mineure, avec Cybéle, et en Thrace où Lycurgue le pourchassait : On le pensait Thraco-Phrygien mais des découvertes archéologiques ont montré que les Mycéniens les connaissaient. Ceci dit le Dionysos Grec est un syncrétisme qui a intégré diverses divinités comme Sabazios de Phygie.

 Si la religion Minoenne est familiére avec les rites extatiques, ceux du culte de Dionysos comme l’omophagie ou les processions de phallus sont plus originaire de Thrace.

 

Innovation Achéennes et survivances indo européennes

 

La théologie indo-européenne est marquée par l’organisation tri partite reflétant l’organisation sociale : Dieux souverains, guerriers et les Dieux « économiques » souvent groupés autour d’une Déesse. Mais alors que cette théologie s’est maintenue dans divers peuples, elle s’est effondrée au contact des religions méditerranéennes. Ses débris divers sont difficiles à isoler d’autant que l’étymologie prête à controverse.

Zeus est le prolongement du « Dyeus » indo-européen », Dieu du ciel diurne, maitre suprême du temps, armé du tonnerre et de l’oiseau foudre, l’aigle en Grèce. Il a des fonctions sociales : Souveraineté et famille patriarcale ce qui lui vaut le titre de « père ». Le Zeus Grec cependant n’est pas qu’Indo Européen.

Les indos européens avaient aussi  un Dieu souverain et magiciens, le Varuna Indien, qui était l’antithèse de Dyeus, il s’agit probablement l’Ouranos hellénique : Mais en Grèce le couple est dissocié, et Ouranos devient un Dieu oisif.

Si les Achéens ont perdu une grande partie de leur héritage ancestral, ils ont en revanche profondément influencé la religion indigène : leur tradition patriarcale pouvait difficilement laisser en l’état une religion faisant une telle place aux divinités féminines…. Héra se fait détronner par Appollon à Délos et Delphe tandis qu’elle est rejetée dans l’ombre par Zeus, sur le mont Olympe.

Paradoxalement, ce n’est pas Zeus qui s’en prit le premier à la suzeraineté féminine parmi les Dieux : Il est au contraire le plus minoenisé des Dieux indos européens particulièrement en Créte ! Les achéens luis préféraient une création relativement récente, Poseïdon. F.  Schachermeyr en a retracé la « biographie » :  Introduit en – 1900, Dieu typiquement Indo Européen, sa fonction originelle était celle du Cheval auquel ce peuple accordait une grande importance, et un pouvoir sur les sources, la fécondité et les forces souterraines, ainsi que l’Agraire : il a probablement été créé pour former un couple avec une Terre mère, nommé ainsi « Posei das » soit « me maitre de la terre. Quand le char fut adopté par les Grecs autour du XIV eme siecle, Poseida devint le Dieu des chars également, et naturellement par extension vu la place de cette arme de guerre, patron de la classe militaire. Il devient alors le Dieu Masculin prépondérant.

Ce n’est qu’à la toute fin de la période Achéenne que Zeus, protecteur de la lignée royale Mycénienne, gagna sa suprématie : Poseïdon reflua alors un peu partout et en outre, avec l’effondrement Mycénien, les éléments affluèrent sur les iles et les cotes d’Asie mineure. Il devient alors le Dieu de la mer, et ses fonctions « Chtoniennes » (souterraines) furent abandonnées au ténébreux Hadès.

Pour résumer, au 1er millénaire, une triade masculine a définitivement réussi un coup d’état sur la Déesse mère autrefois prépondérante en Grèce (Hécate d’Hésiode en est probablement un des derniers avatars), et règnent désormais sur la terre, la mer et les cieux.

Ceci dit, malgré la victoire « Patriarcale », la place des Déesses reste honorable, quoi que dans un ordre nouveau. La déesse féminine typiquement Minoenne par exemple pouvait être à la fois mére, épouse et amante alors que désormais les fonctions sont nettement séparées : Si Demeter et Coré sont encore proche des conceptions Egéennes, Déméter n’est quasiment plus qu’une mère et ses relations d’amante avec Zeus passent en arrière-plan. Héra est l’épouse, la Déesse des liens contractuels du mariage, et moins ceux des liens conjugaux charnels, et  perd ses attributs maternels (ses rares maternités sont toujours ratées, avec Hephaistos et Arés dieux marginaux du Panthéon). Aphrodite est clairement sa contrepartie, épouse volage, Déesse de l’union charnelle qu’elle soit légitime ou non.

Plus net encore les anciens Grecs ont tiré de leur passé  la déesse vierge farouchement rebelle à la sexualité : Hestia, Artémis (pourtant ancienne déesse mère), et Athéna. Cette dernière est à ce point virilisée qu’elle s’accapare des fonctions masculines comme la protection des cités et de la guerre. Elle est probablement issue des « Dames des palais » Minoennes alors pacifiques et domestiques, elle a été enrôlée pour la défense des palais forteresses des Achéens, et sur les acropoles pour veiller sur la cité dans son ensemble.

Les dieux indo européens ont généralement un « opposé » qui lui est complémentaire, et correspondent à la hiérarchie des classes sociales alors que la religion Minoenne, de ce que l’on sait, est inorganisée, avec des dieux polyvalents dont les fonctions se chevauchent, et dans l’ensemble les Achéens vont abandonner la rigoureuse tripartition de leurs aïeux, celle-ci subsistant en filigrane. Par exemple le culte de Thèbes attribué à Cadmos : Les Déesses féminines sont restées maitresses ce qui montre la force de l’hérédité Minoenne mais elles forment un système cohérent et hiérarchisé très indo européen :  Déméter comme Souveraine / Dame du palais, Athéna militaire aux portes de la ville, et une triple Aphrodite (Céleste, Préservatrice, Populaire) se forgent sur les trois niveaux de la hiérarchie tel une structure fossilisée.

Les dieux Grecs sont bien plurifonctionnels et peuvent avoir des fonctions croisées mais la pensée hellénique cherche à spécialiser leurs domaines, à Hiérarchiser également : De même que la Déesse est Femme, mère, épouse, fille ou vierge, sur le plan social Héphaïstos est le Dieu des forgerons, Ares des Guerriers, Artémis Chitoné des chasseurs, Hermès des Héraults et commerçants, Poséidon des chevaliers et des nobles…Et Zeus des Rois.

Enfin, les hellènes ont radicalement transformé l’esprit de la religion : Alors que les Minoens vivaient en contact permanent avec le divin, entretiennent avec lui un rapport intime et mystique, extatique, orgiastique les Grecs en cela héritiers des Indo Européens distinguent, et séparent le profane du sacré. Si les Dieux interviennent parfois dans les affaires humaines, les hommes sont chez eux sur terre et les Dieux vivent sur l’Olympe.

« il y a d’un côté la race des Dieux et de l’autre la race des Hommes bien qu’à la même mére nous devions de respirer, les uns comme les autres » dit Pindare. Cette distinction fondamentale et le pilier de la morale religieuse Grecque : l’homme ne doit pas aspirer à devenir un Dieu, où il serait coupable de démesure, d’hubris (thème parfois galvaudé et mal compris), le plus grave des crimes. Les grands Dieux vivent loin des hommes, soit dans le ciel, soit dans les profondeurs de la terre, ou de la mer. Entre ces deux races il n’est pas question de communion (Du moins jusqu’au retour des conceptions mystiques à l’âge classique qui triompheront à l’ère hellénistique) mais de relations de bon voisinage, en quelque sorte. Pas de participation à quelque drame Divin, mais des rapports contractuels réciproques mutuellement bénéfiques, avec des rituels et des sacrifices.

Il y a des aspects émotifs et irrationnels dans la religiosité Grecque, Athéna à des cérémonies secrètes se déroulant la nuit, par des passages dérobés, Apollon dieu incarnant la raison et la morale hellénique est aussi l’inspirateur des transes sacrées des prophétesses, ainsi que le patron des chamanes. Mais ces aspects propres aux religions Égéennes passent en arrière-plan dès les temps Homériques. Déméter et Dionysos s’effacent dans l’Iliade et l’Odyssée, et ce n’est pas que le public d’Homère était de tendance aristocratique car Hésiode le poète paysan n’en fait pas plus mention et donne sa préférence à Zeus sur les dieux agraires.

C’est à la fin du VI -ème siècle avec le regain des mystères d’Éleusis que ces tendances mystiques reviendront sur le devant de la scène, avec les sectes philosophico religieuses, comme décrit sur le premier sujet.  

Source principale : Francis Vian.

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  • 8 mois après...
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Les héros Grecs : les temps anciens

Existe-t-il un archétype de héros ou ce terme renvoie t’il a une catégorie hétérogène non intégrable dans une logique autonome mais rattachés à des mythes ? Cette question a été l’objet de nombres d’études naviguant entre l’hypothèse d’êtres humains glorifiés par ses exploits et auréolé à un statut supérieur, ou au contraire, une ancienne divinité rétrogradée. Quoi qu’il en soit, le héros des temps anciens possède une nature surhumaine à la base, que ce soit par ses aptitudes aux combats, à la chasse, dans ses rapports avec les Dieux, ou son statut de fondateur de cité, d’ancêtre d’un groupe, ou ayant valeur de de prototype de certaines actions mythiques.

Les héros ont marqué par quelque chose d’excessifs, anormal voire monstrueux, et d’ailleurs, Il appartient à un temps mal défini entre les origines et notre temps, ou la séparation entre Dieux et Hommes n’est pas encore totalement achevée de même que leur hiérarchie, ainsi il accomplit des actions d’une transgression de la mesure et des limites inimaginables pour les hommes Grecs contemporains, parfois même, c’est par son action que la limite est définie par la suite.

La métamorphose du héros dans la tragédie

La tragédie nait dans une époque de bouleversement des valeurs, passant d’un système aristocratique a la démocratie, et les héros changent alors de statut : Ils deviennent un problème, un mal, de par leur démesure qui semble intrinsèque à leur nature : ils bouleversent l’équilibre de l’ordre divin et par extension, de la Polis. La tragédie signe donc, comme signification du mythe, la narration de l’apparition de l’autonomie de la cité face aux impasses de la royauté. L’exemple le plus marqué de ce retournement est Euripide avec son Iphigénie : Les héros Grecs sont dépeints comme vils, petits, sournois et sont ptet à sacrifier l’innocence de la fille d’Agamemnon pour une part du butin de l’expédition à Troie. De son coté Iphigénie est la véritable héroïne de la pièce, choisissant consciemment le sacrifice avec bravoure, en prononçant ces mots : laisse-moi sauver la Grèce. Le renversement est là : l’égoïsme des grands héros qui veulent sacrifier la patrie à leur personne, et l’humilité d’une jeune femme qui donne sa vie pour la patrie.

Cette critique du héros et des grandes lignées ne va pas sans paradoxes : d’un côté, la tragédie se doit malgré tout de magnifier les fondations de la cité et cela ne va pas sans une admiration de la grandeur de la geste des héros. D’autre part, il faut aussi parler à l’âme du Grec contemporain qui constate bien les limites actuelles de la polis et des vertus démocratiques, qui a besoin en outre des mythes des grands anciens pour l’inspirer. L’auteur ne cesse donc de jouer à l’équilibriste entre ces différents impératifs et c’est ce qui fait la beauté de la tragédie, suspendue entre l’éternité des Dieux, la dramaturgie de l’instant, impératif collectif démocratique et grandeur de l’individu, description de la cité actuelle et narration d’une histoire des temps anciens : le plus étonnant, c’est qu’elle resonne encore jusqu’à nos jours.

Le Héros et son Destin

De tout temps les mythes et tragédies Grecs n’ont eu de cesse qu’être emmenée par une dialectique apparemment irréconciliable :  Est-ce que les hommes sont soumis à un phénomène inexplicable et chaotique ou alors existe-t-il un sens aux événements ? Le destin est-il inscrit d’avance par les Dieux, et alors, pourquoi leur cruauté ? Où le Destin est il lié à un comportement personnel, une faute, un hybris qui fait rejaillir les conséquences sur des innocents, et alors pourquoi l’innocent doit il payer pour le coupable ?  

Eschyle fait dire à Prométhée que le destin des Dieux eux même est régi par « les trois parques (Moirai), et les Erynyes à l’implacable mémoire. » Depuis que le monde a été ordonné, il existe donc un ordre auquel même les Dieux doivent se soumettre, dont le Destin en est l’agent qu’il soit gravé dés la naissance ou provoqué par la démesure.

Pourquoi donc la précarité de l’homme ? Homère introduit la notion d’hybris, cette arrogance de celui qui ne tient pas compte des limites, de l’ordre du Cosmos. Il est dans un état d’até, une cécité de la raison qui le conduira nécessairement à sa perte. Il existe donc une frontière inviolable entre hommes et dieux, et c’est vouloir la franchir qui est une faute éthique. La notion de faute morale et individuelle, en quelque sorte le péché, n’existe pas encore et interviendra plus tard, quoi que la nuance entre les deux est subtile.

Plus on avancera dans le temps, plus c’est la conception de l’hybris qui dominera. La conduite des Dieux sera de moins en moins irrationnelle, et seront meilleurs et plus justes, tandis que l’homme qui souffre va être mit de plus en plus face à sa responsabilité.  Hésiode, Solon feront ce lien.  Malgré tout Théognis critique cette justice qui semble condamner les fils pour les fautes du père ce qui montre bien les paradoxes apparemment inconciliables de telles conceptions éthiques du divin. C’est Platon qui la résume le mieux cette conception éthique de la responsabilité et du destin, avec ses paradoxes :

Or, Dieu n'est-il pas essentiellement bon, et n'est-ce pas ainsi qu'il faut parler de lui ? Certes. Mais rien de bon n'est nuisible, n'est-ce pas ? C'est mon avis. (…). Par conséquent, poursuivis-je, Dieu, puisqu'il est bon, n'est pas la cause de tout, comme on le prétend communément ; il n'est cause que d'une petite partie de ce qui arrive aux hommes et ne l'est pas de la plus grande, car nos biens sont beaucoup moins nombreux que nos maux, et ne doivent être attribués qu'à lui seul, tandis qu'à nos maux il faut chercher une autre cause, mais non pas Dieu.

 

La punition de l’innocent est une des choses les plu mystérieuses pour les Grecs :  Hérodote nous dit qu’elle provient de la jalousie des Dieux.

Eschyle, qui peut être qualifié « d’orthodoxe », mets en avant l’hybris qui provoque une réaction divine, et une restauration de l’ordre après cette réaction tragique.

Avec Sophocle, c’est le mystère : le Héros est seul, face à un destin qui se manifeste et semble hors de tout contrôle. Le mécanisme de la tragédie est là la prise de décision du héros, qui est la manifestation de sa nature profonde quel que soit les circonstances, faut-il aller pour cela jusqu’à sa propre destruction.  La beauté de Sophocle réside en cela qu’il décrit un phénomène qu’il avoue implicitement ne pas comprendre.

Euripide quant à lui, est presque l’antithèse d’Eschylle : il exalte la justice des hommes, déplore l’arbitraire des Dieux, dont il fait presque un ennemi de l’ordre naturel. Pour un peu ils en deviendraient presque ces héros anachroniques dérangeant le Cosmos, appartenant plus aux temps archaïques qu’aux temps de l’Athènes démocratique. Quelque part, comme Sophocle, il reconnaît qu’il ne comprend pas cette irrationalité Divine bien que comme lui, il cherche le sens.

Du héros Grecs au Héros Moderne

Le héros pour le Romain est un simple citoyen méritant :  Au moyen âge,  il est un guerrier/chevalier qui combat pour une vertu héroïque. Le christianisme élaborera une dimension mystique à la vertu héroïque, notamment au travers de la chevalerie et du Graal, les chevaliers de la table ronde. Là quête héroïque pour la justice se confond avec quête spirituelle.

C’est à l’époque romantique et à la faveur de la redécouverte du monde Grec que le héros va prendre une nouvelle métamorphose.  Pour les anglos Saxons, c’est notamment Carlyle et Emerson, puis par Nietzsche qui développera, probablement inspiré par ce dernier, son « surhomme ».

Là, le héros est vu comme un prophète, soit agent soi provocateur, qui seul au milieu de la masse, entrevoit l’avenir, le monde d’après, ou le fait advenir. Leur situation est dramatique, voire tragique en ceci : anticipant le sens ou le développement ultérieur de l’histoire, ils doivent briser les conventions du moment présent et en subissent souvent les foudres. Le divin est devenu étranger à cet héroïsme de guides, ou de prophètes, mais il y a toujours un transcendant, un sens de l’histoire, une signification fut elle celle du surhomme : s’imposer à la masse. Quelque part aux contraires des temps athéniens classiques, le héros romantique est anti démocratique par essence puisqu’il s’agit de s’imposer pour un individu aux conventions partagées par le plus grand nombre.

Enfin, en nos temps, on peut se demander qu’est ce qui reste de la cette figure du héros romantique.  Dans les œuvres populaires, le héros est souvent condamné à la marginalité, la précarité, solitude et absence de sens. Il ne croit pas à un sens de l’histoire ni à une fin ultra terrestre ou un cosmos quelconque.  Pourquoi doit il risquer alors sa vie, sa propre immolation ? Peut être que l’acte héroïque en lui-même est ce qui fait sens dans son action, ce qui donne un sens à sa vie par ailleurs absurde. Mais globalement le héros n’est plus en odeur de sainteté dans nos société modernes, tolérant mal celui qui cherche à s’élever au-dessus de la masse, toujours suspecté de le faire contre elle, pour son propre intérêt.

 

 

 

 

 

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