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Doïna Membre+ 19 524 messages
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Bonjour,

Le 19 février 1861 (soit le 3 mars dans le calendrier julien), un manifeste impérial (oukase) abolit le servage en Russie :

L'abolition du servage en Russie (qui remontait du XI° siècle) fut décidée par le tsar Alexandre II au moment même où, aux États-Unis, la question de l'esclavage déclenchait la guerre de Sécession.

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Ci-dessus : le tsar Alexandre II, dit Le Libérateur, trouva la mort dans un attentat perpétré par un groupe anarchiste -Narodnaïa Volia-, la Volonté du Peuple. Les grandes réformes de l'empereur, bien que parties d'une volonté de bien faire, ont été incomplètes face à un peuple demandant toujours plus de meilleures conditions de travail et des minorités exigeant plus de libertés. Elles ont marqué une rupture avec le passé, devenant le point de départ d'une génération pré-révolutionnaire plus radicale.

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Quelle était la différence entre le servage et l'esclavage ? Le serf n'appartenait pas au seigneur, mais en Russie, en 1861, la majorité des serfs (23 millions, soit environ la moitié de la paysannerie) étaient attachés à la glèbe, c'est-à-dire aux domaines seigneuriaux, qu'ils ne pouvaient quitter de leur chef. Ils ne pouvaient se marier sans l'autorisation de leur seigneur, qui, en revanche, pouvait les vendre, les louer ou les hypothéquer, ainsi que les punir et les battre, sans toutefois avoir le droit de les tuer. En outre, d'autres serfs étaient employés comme domestiques et certains, comme les esclaves à talent, travaillaient à leur compte, moyennant une redevance versée au seigneur. Celui-ci était en principe tenu de les secourir et de les protéger, mais le tsar Alexandre avoue, dans son manifeste, que les paysans sont souvent livrés à « l'arbitraire ».

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Récit : La mort par le knout

Sous les tsars, l’autorité des seigneurs envers leurs serfs et employés était exercée impitoyablement en cas de faute. (...)

Montleu, botaniste parisien, avait sympathisé avec deux Russes venus en France. Lors de leur retour en Russie, il décida de les accompagner pour découvrir leur pays et ses coutumes.

Il a été témoin d’une exécution sur la personne d’un serf dont la femme, qui nourrissait encore son enfant en bas âge, lui avait été enlevé de force pour servir de nourrice à l’enfant du seigneur. Un jour, plein de colère, il avait eu des mots menaçants pour ce dernier et avait été emmené. Il s’était échappé. Repris, il avait été déporté et il était suspecté de s’être enfui dans le seul but de tuer son seigneur. Pour ce fait, le gouverneur de Tobolsk l’avait condamné à la peine de quarante-neuf coups de knout.

Montleu nous décrit l’instrument, qui tient du fouet et du bâton : « Le knout est une longue lanière recuite dans une espèce d’essence, fortement enduite de limaille métallique, et portant au bout un petit crochet de fer. La préparation la rend très dure et très lourde. En la faisant sécher, on a replié les bords, qui forment une rainure dans toute la longueur de la courroie. S’abattant sur le dos nu du patient, le knout tombe de son côté concave sur la peau, que les bords de l’instrument coupent comme un couteau. La lanière ainsi incrustée dans les chairs, l’exécuteur ne l’enlève pas, mais la tire à lui horizontalement, ramenant au moyen du crochet, et par longues bandelettes, les parties détachées. »

Puis l’auteur relate les derniers instants du condamné :

« Tranquillement, il s’étendit, la poitrine en dessous, sur le chevalet. La brute ivre entra aussitôt en fonctions, non sans prodiguer encore à la victime ses infâmes railleries, ses odieux quolibets, que l’autre, d’ailleurs, sembla ne pas entendre. Tout d’abord il garrotta les mains sous la planche, que le patient tenait ainsi embrassée, puis les pieds à l’extrémité ; puis, tirant de sa poche un couteau, il fendit la chemise pour mettre le dos à nu. Ensuite, s’étant reculé d’une dizaine de pas et faisant siffler dans l’air sa redoutable lanière : – Ah ! tu as dit que je ne saurais pas diriger les coups ; tu vas bien voir, joli garçon, tu vas bien voir.

Puis il prit sa course pour s’arrêter brusquement à portée du patient, sur le dos duquel le terrible instrument tomba, et s’imprima en faisant jaillir le sang ; en le retirant à lui, le bourreau amena plusieurs lambeaux de chair.

Le malheureux poussa une sorte de long cri de gorge, comme celui d’un homme qui, de la voix, s’aide pour un effort.

- Un ! fit gravement l’officier de police, pendant que le bourreau se reculait pour prendre à nouveau son élan.

- Deux !

On vit une grande croix ruisselant de rouge sur le dos du jeune homme, qui fit entendre le même cri.

- Trois !

Le crochet ramena une épaisse bandelette dégouttante. Et malgré ce coup, qu’il qualifia lui-même de « magnifique », le bourreau alla prendre un instrument de rechange.

Au quatrième coup, on n’entendit qu’une plainte sourde. Au cinquième, on n’entendit rien. Alors, l’homme de police alla vers le chevalet, se baissa sous le visage du patient, et branlant la tête :

- Maladroit ! fit-il en regardant le bourreau en pitié.

Mais il continua cependant de compter jusqu’au quinzième les coups qui tombaient évidemment sur un cadavre. Puis il prononça le mot « ajourné » en étendant la main.

Quand un certain nombre de coups a fait perdre connaissance au patient, on l’emporte à l’hôpital pour le guérir, et, après guérison, il subit le reste de sa peine.

Un traîneau s’approcha, sur lequel les soldats se disposèrent à jeter le pauvre corps inerte, autour duquel se voyaient, sur la neige, de longues fusées de sang.

- Allons maintenant, monsieur, me dit alors l’officier, qui, depuis que j’avais voulu m’élancer vers le jeune homme, avait gardé une main sur mon épaule.

- Allons, répétai-je machinalement.

Et machinalement je me dirigeais vers le chevalet, qui semblait m’attirer comme attire l’abîme, quand on est pris de l’inconscient abandon du vertige.

Mais la main de l’officier me retint :

- Par là, dit-il, en me faisant tourner le dos au lieu du supplice. Voyez, la kibitka attend.

Je pus distinguer, en effet, à quelque distance, la voiture qui m’avait amenée, installée sur un traîneau attelé de deux chevaux. Deux gendarmes se tenaient à la portière.

- Que signifie ?… Que suis-je venu faire ici ? demandai-je brusquement, avec une sorte de pénible confusion dans les idées.

- Le gouverneur a pensé, me répondit gravement l’officier, qu’avant de reprendre votre voyage, ce spectacle pourrait vous être de quelque utilité. Il m’a d’ailleurs chargé de vous le dire. »

Source

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On notera que la possession de serfs est beaucoup plus concentrée que la propriété des esclaves aux États-Unis, puisque, en Russie, à peine 1396 nobles possèdent presque autant de serfs mâles (et probablement autant de femmes) que tous les États sécessionnistes ont d'esclaves !

Après l'abolition :

Les serfs libérés, formés en communes rurales recevaient collectivement les terres nécessaires à leur subsistances moyennant une redevance. Ils pouvaient acquérir les terres qu'ils cultivaient : soit ils les achetaient directement au propriétaire, soit l'État indemnisait le propriétaire et le paysan devait payer en 49 ans, avec un taux d'intérêt de 1%. Au 1er janvier 1873, selon les chiffres établis par une commission d'enquête, 6 858.334 paysans étaient devenus propriétaires de 23 millions d'hectares. Mais la commission nota que la plupart des paysans étaient dès lors liés à la commune rurale qui les chargeait de taxes et elle regretta que la moralité n'eût pas fait de progrès, alors que la consommation d'alcool s'était considérablement accrue !

Une réforme plus simple eut lieu en Pologne russe (3.700.000 serfs) en 1864, les propriétaires de terres étant indemnisés par des titres d'État à 4% amortissables par lots et les paysans acquittant un impôt foncier sur les terres qui leur avaient été distribuées.

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Extraits du manifeste impérial :

En considérant les diverses classes et conditions dont se compose l'État, nous nous sommes convaincus que la législation de l'Empire ayant sagement pourvu à l'organisation des classes supérieures et moyenne, et déterminé avec précision leurs obligations, leurs droits et leurs privilèges, n'a pas atteint le même degré d'efficacité à l'égard des paysans attachés à la glèbe, ainsi désignés parce que, soit par d'anciennes lois, soit par l'usage, ils ont été assujettis héréditairement à l'autorité des propriétaires auxquels incombait en même temps l'obligation de pourvoir à leur bien-être. Les droits des propriétaires ont été jusqu'à ce jour très étendus et imparfaitement définis par la loi, à laquelle ont supplée la tradition, la coutume et le bon vouloir des propriétaires. Dans les cas les plus favorables, cet ordre des choses a établi des relations patriarcales fondées sur une sollicitude sincèrement équitable et bienfaisante de la part des propriétaires et sur une docilité affectueuse de la part des paysans. Mais à mesure que diminuait la simplicité des moeurs, que se compliquait la diversité des rapports mutuels, que s'affaiblissait le caractère paternel des relations des propriétaires avec les paysans, et qu'en outre l'autorité seigneuriale tombait quelquefois aux mains d'individus exclusivement préoccupés de leurs intérêts personnels, ces liens de bienveillance mutuelle se sont relâchés, et une large voie à été ouverte à une arbitraire onéreux aux paysans, défavorable à leur bien-être, qui les a portés à l'indifférence pour tout progrès dans les conditions de leur existence.

(...)

A ces fins, nous avons trouvé bon d'ordonner :

1° D'établir dans chaque gouvernement une cour spéciale pour la question des paysans ; elle aura à connaître des affaires des communes rurales établies sur les territoires des seigneurs ;

2° De nommer dans chaque district des juges de paix pour examiner sur les lieux les malentendus et les litiges qui pourront s'élever à l'occasion de l'application du nouveau règlement, et de former avec ces juges de paix des réunions de district ;

3° D'organiser dans les propriétés seigneuriales des administrations communales, et dans ce but de laisser les communes rurales dans leur composition actuelle, et d'ouvrir dans les grands villages des administrations d'arrondissement (volosti), en réunissant les petites communes sous une de ces administrations d'arrondissement (...).

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Autres réformes importantes ayant suivi l'abolition du servage :

En janvier 1864 sont créées dans les provinces et les districts des assemblées (zemstvos) élues au suffrage indirect qui reçoivent la responsabilité du budget local, de l'instruction publique, de la construction des routes et des ponts et de la création de dispensaires. En 1870, la gestion des villes est confiée à des doumas suivant à peu près le même principe que pour les zemstvos.

Ces institutions sont très imparfaites sur le plan démocratique mais, pour la première fois, une part non négligeable de la population russe est appelée à participer à la gestion des affaires au moins locales.

Justice : À la fin de 1864 est promulguée la réforme de la justice. Le système judiciaire russe, qui était fort en retard, se rapproche des autres modèles européens.

La justice est désormais séparée de l'administration : l'instruction est confiée à des juges inamovibles, les débats deviennent publics et contradictoires, des avocats défendent les accusés et, pour les procès criminels, des jurys sont institués.

Des procédures d'appel sont organisées aux différents échelons : au Congrès des Juges de Paix pour les districts, à la Cour d'Appel pour les affaires les plus graves, au Sénat pour les pourvois en cassation.

L'arbitraire ne disparaît pas pour autant : internements et déportations en Sibérie continuent à se faire sur simple décision administrative.

Enseignement : Alexandre II donne l'ordre à ses ministres de l'Éducation Poutiatine puis Golovnine de relever le niveau de l'instruction.

L'enseignement primaire est détaché de la tutelle de l'Église et pris en charge par les zemstvos (plus de 10 000 écoles sont ainsi créées). Les gymnases (lycées) sont divisés en deux catégories, classique et moderne, ouverts théoriquement à tous les élèves sans distinction d'origine ou de religion. Des collèges avec un seul cycle de quatre ans accueillent les enfants des milieux les moins favorisés.

Le Statut des Universités (1863) donne à celles-ci une très large autonomie et quelques franchises (les professeurs, les doyens et les recteurs sont désormais élus par leurs pairs et non plus nommés par le ministère). Elles sont désormais ouvertes à tous les jeunes gens indépendamment de leurs origines sociales à l'exception des jeunes filles.

Censure : En 1865 : La censure préalable est abolie dans les deux capitales où elle est remplacée par un système d'avertissement et dont le troisième entraîne la suppression de la publication concernée. En outre, les affaires de presse sont transférées aux tribunaux réguliers.

Source + wikipédia

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Membre, 65ans Posté(e)
pila Membre 18 571 messages
Baby Forumeur‚ 65ans‚
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L'Etat Breton a aboli le servage autour de l'an 1000. Toujours en avance sur les autres, les bretons ! :plus::o°

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Il les libère, ils le buttent, chapeau pour la reconnaissance !

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