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Mes mémoires

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Blaquière

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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"Mes mémoires" ça fait un peu banal comme titre.

Et c'est impersonnel.

Je crois que j'ai trouvé mieux :

Je venais pratiquement de naître et n'avais que quelques jours...

(Avec l'accent du midi, ça fait "navet" !)

Le landau était dans un angle du magasin de la boulangerie avec moi, bébé, dedans.

Entre Lucienne de Danton. Elle s'approche du landau et jette un coup d'oeil dedans.

-- Vous l'appelez comment ?

Ma mère :

-- Emmanuel.

C'était le nom de mon grand père paternel qui était mort plus de dix ans avant ma naissance.

-- Emmanuel ?...

Lucienne réputée pour ses réparties aussi sottes qu'inattendues réfléchit quelques secondes puis lâche sous la forme d'un raisonnement parfaitement logique :

-- Manu... Va nu... Va-nu-pieds !

C'est bon comme titre ça, non ?

Je le garde !

Manu

Va nu

Va-nu-pieds

Et puis, c'est... historique !

Merci, Lucienne.

Dans le magasin, les gens se sont regardés : qu'est-ce qu'elle peut bien vouloir dire ? Rien ! Elle ne voulait rien dire. C'était juste une façon d'afficher son mépris et son dégoût.

Mais elle fera bien pire comme réflexion à mon sujet.

Je le raconterai plus tard.

(Si j'ose.)

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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(Tonton Camille, suite)

Pour aller voter, Tonton Camille se mettait sur son trente et un. Chemise propre à carreaux, joli veston, canotier... Puisqu'on vote le dimanche.

Il descendait l'escalier extérieur de sa maison et empruntait la rue très étroite d'une vingtaine de mètres après l'angle de la terrasse. Il se guidait de sa canne. Non pas en balayant devant lui de gauche à droite comme on voit faire aux aveugles d'habitude, mais en la frottant contre les murs à mi-hauteur d'homme.

Crrrrrr...

Il connaissait parfaitement le chemin. Au bout de la ruelle il tournait à droite et suivait l'autre rue un peu plus large, sur vingt mètres encore et arrivait pratiquement sur la place. Encore une dizaine de mètre toujours en raclant sa canne sur les murs, là il avait une rue à traverser, celle qui allait à l'atelier de Tonton Vital, le forgeron. De l'autre côté, il avait encore sept ou huit pas et il savait qu'il devait traverser à angle droit la rue principale pour tomber juste devant la porte de la Mairie.

Il entrait, avançait jusqu'au fond du couloir et montait le petit escalier. En haut, c'était le palier. A trois mètres sur la droite, la porte de la grand'salle était grande ouverte.

Il demandait à la cantonade :

"Cu l'a eïci ?" (qui est ici ?)

Il lui fallait trouver quelqu'un de confiance.

Ca pouvait être André Buisson par exemple. Tonton lui tendait alors le bulletin qu'on lui avait donné à la maison :

"Digo mi un paouc cé qué l'a de marcat 'qui dessuto." (Dis moi un peu ce qui est écrit là dessus)

Et il rajoutait à voix basse ;

"Qué mi couillounoun pas" (qu' "ils" ne me roulent pas !)

André lui répondait :

Vous pouvez y aller, Monsieur Brun, c'est bien le bon !

Il mettait alors le bulletin en question dans l'enveloppe et l'enveloppe dans l'urne, au milieu de la grande table du Conseil, reculait de deux pas, se mettait au garde-à-vous et faisait claquer un :

"Vive la République !"

C'était lui, Tonton qui venait faire "partir" la première fournée vers deux heures du matin. La farine était dans le pétrin, le seau d'eau plein (à température ambiante), avec accrochée sur le rebord intérieur la boite de conserve trouée dont le sel s'était dissout depuis la veille au soir.

Le pétrin, c'était une cuve cylindrique pas très haute, d'une soixantaine de centimètres de hauteur et d'un mètre soixante de diamètre. Sur un des côtés de l'axe, deux rouleaux verticaux, dentés sur leur longueur tournaient sur eux-mêmes et pétrissaient la pâte. Le tout était mu par un moteur électrique situé en hauteur près du plafond par l'intermédiaire d'une large courroie. La roue du moteur électrique était toute petite et tournait très vite, contrairement à celle sur le pétrin, lente et bien plus grande. A chaque tour complet de la courroie, son raccord faisait entendre une claquement qui rythmait la vie du fournil.

Mais le pétrin, on l'appelait plutôt "la machine".

Tonton faisait donc démarrer la machine. Il éfritait le paquet de levure sur le côté à mesure que ça tournait puis vidait le seau d'eau lentement toujours dans le pétrin qui tournait. Il en rajoutait un autre suivant la quantité de farine et laissait tourner une heure.

Quand la pâte était prête, il arrêtait la machine et après l'avoir laissée lever une heure il descendait les trois petites marches du fournil à la farinière, puis celle un peu plus haute de la farinière au magasin. Là avec sa canne il tapait au plafond du magasin qui se trouvait juste sous la chambre de mes parents pour réveiller mon père. (Grâce à Tonton, il avait pu dormir deux heures de plus.)

Bien sûr, ils avaient un code. Tonton tapait : "pan, papapan, pan..." et de couché mon père répondait en cognant des phalanges du point fermé sur le sol de la chambre : "Pan, pan !"

Il avait bien entendu !

Non sans pester : "Qu'est-ce qu'il vient encore me faire chier ce vieux con ?!"

Une journée ordinaire commençait en douceur...

Bien sûr que mon père aimait son Tonton Camille à fond. Mais chez nous, c'était pas comme dans les films américains. Ca se disait pas à tout bout de champ qu'on s'aimait. Ca se savait, simplement.

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  • 5 semaines après...
Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
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Il avait son humour, Tonton et il lui en fallait, le pauvre. Mais un humour de pince sans rire.

Quand le dimanche je revenais du collège, et que mes parents m'avaient suffisamment tancé : "Vas dire bonjour à Tonton !" Je finissais bien par y aller. Je passais juste la tête par la porte : " 'Jour Tonton". Et je lançais une bise à la volée, à quatre mètre de lui, assis au fond de la pièce :"Mvvy !"

(En ce temps-là il y voyait encore un peu les ombres.)

"Oou ! C'est Manu ?"

"Voui !"

"Mi moardes pas surtout" (Ne me mords pas surtout !)

J'ai dit "le pauvre" parce que sa vie n'avait pas été rose du tout. Il avait été marié, il avait eu deux filles qui étaient mortes toutes jeunes ; et puis il avait divorcé. Et sa femme qui passait pour "un vrai numéro" avait eu après lui, plusieurs autres maris...

Il nous racontait qu'un jour il avait pu discuter avec l'un de ceux qui lui avaient succédé et qui en avait donc aussi divorcé. Comme au bout d'un moment, il en avait eu un peu marre, Tonton, d'entendre le bonhomme lui lancer à tous propos des "ma femme" par-ci, "ma femme" par-là, il avait fini par lui dire : "Ne me dis plus "ma femme" dis moi plutôt "notre femme"! "... (1) (Mi digues pus ma fremo digo mi pus lèou nouestro fremo !) Et son bon mot le réjouissait, il affichait un grand sourire gourmand en pointant les lèvres et en relevant le menton...

Tonton roulait ses cigarettes. Des cigarettes qui ressemblaient plutôt à des papillotes avec les deux extrémités torsadées. Il allumait son briquet à essence et approchait doucement deux doigts de la mèche, comme pour la pincer mais en fait pour sentir la chaleur. Savoir si le briquet s'était bien allumé ou pas. Si oui, il avançait le briquet de la cigarette... Et tout le bout torsadé (qui n'était que du papier) s'enflammait d'un coup ! Une flamme de quinze centimètre de haut ! Qui lui noircissait le bout du nez et la visière de la casquette.

En dépit de son sort, Tonton était un optimiste. Un enthousiaste né. Assis dans le coin de la cuisine, derrière moi, à droite, "esquiché" entre la porte vitrée de la remise et la cuisinière, la canne droite entre les deux pieds, (un bâton fin et noueux, lustré par l'usage --surtout pas une canne blanche puisqu'il refusait d'être un aveugle de profession--) il se trémoussait sur sa chaise. Il commençait toutes ses phrases par des "Ah! Ah! Ah!..." en tremblant la tête de droite à gauche en signe d'impatience : il avait toujours quelque chose d'absolument formidable à dire qui allait à coup sûr changer le cours des choses.

Ses lunettes noires (de soleil genre Ray Ban avant l'heure) était incroyablement patouillées. Pleines d'empreintes de doigts. Le verre presque noir en devenait mat. Il s'en foutait. C'était pas pour y voir, c'était pour pas qu'on le voit, lui. Pour pas qu'on voit ses yeux défoncés...

Le fait d'être aveugle l'avait un peu déconnecté du réel, ce qui lui permettait d'être souvent sur la même longueur d'onde que mon père. Les deux ensemble étaient toujours sous l'emprise de quelque délire. Persuadés l'un comme l'autre, en permanence qu'ils venaient de trouver l'idée suprême à gagner des millions ! Et dans leurs délires, l'un des thèmes récurrents était de pouvoir --facilement-- planter des vignes. En quantité. Autant qu'il leur serait imaginable. Il fallait donc pouvoir faire des trous (dans le sol, évidemment), pour les planter. "Faire des trous" était donc devenu au fil du temps synonyme de faire fortune... J'ai retrouvé dans les papiers de tonton, la réponse d'une firme internationale d'outillage qui lui répondait :

"Monsieur, vous nous demandez si nous avons des "machines à faire les trous".

Pouvez-vous nous préciser de quelle sorte de trous il s'agit ?

Des trous dans le papier, dans du métal, dans les murs, ou autres ?

En attendant vos explications nous vous prions d'agréer... etc."

Pour Tonton, le monde s'était refermé sur lui-même et les seuls trous envisageables étaient les trous pour planter les vignes de la fortune.

N'empêche que même si son sens pratique laissait à désirer, ça ne l'avait pas empêché d'inventer le "Coupe-Roueïs". Un outil d'anthologie. En français, le "coupe ronces". L'idée étant de ne pas s'écorcher les mains, il avait tout simplement fait emmancher d'un long manche, une petite faucille bien recourbée. Mode d'emploi : accrocher la ronce à ras de terre puis tirer fermement vers soi.

Un peu avant la fin, il nous avait sidérés :

"Tout de même ! Mourir en pleine santé, c'est pas possible !" Qu'il avait dit.

C'était ça, Tonton. Il avait plus de quatre vingt ans, il était aveugle, ne pouvait plus pisser, pratiquement plus marcher, mais il était...

"En pleine santé" !

Tant que la tête va, tout va.

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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Remplacer :

N'empêche que même si son sens pratique laissait à désirer, ça ne l'avait pas empêché d'inventer le "Coupe-Roueïs"...

par :

Mais quand bien même son sens pratique pouvait laisser à désirer, ça ne l'avait pas empêché, Tonton, d'inventer le "Coupe-Roueïs"...

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  • 3 semaines après...
Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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(Tant que la tête va, tout va. )

Mais oui !

Parce que sa mère, elle l'avait un peu perdu la tête en vieillissant.

Je ne l'ai pas connue, elle, mais on m'a raconté qu'elle "épluchait" les oeufs avec un couteau ! Disons qu'elle faisait semblant de les éplucher. En les grattant comme on fait des pommes de terre nouvelles. Et ce faisant, elle improvisait en vers. Elle faisait des rimes.

C'était pas du Victor Hugo, plutôt du vers automatique ! Et en provençal. Du genre :

"Biou es pas Guiou é Guiou es pas iou !"

(Biou n'est pas Guy et Guy n'est pas moi.)

Un gazouillis. Si en français ça rimait pas, en provençal ça rimait... vraiment à rien !

Mais on en a gardé la légende que quand on parle en rimes, c'est la preuve qu'on est fou". Donc, Tonton pouvait bien avoir peur de perdre la tête. Par simple raison génétique.

Un matin, il entre dans le fournil et il dit à mon père :

"Ca y'est, Paul, je suis plus fou !"

Il faut dire que le jour précédent, il avait pas mal "déraillé", ce qui ne lui était jamais arrivé. Et pour le coup, en pensant aussi à sa mère (la mère de Tonton), mon père s'était dit " Cette fois, c'est sûr, il est complètement "fadat". "Puisque quand on dit qu'on n'est plus fou c'est qu'on l'est totalement." (Théorème de mon père). Mais Tonton avait insisté : " Non, non ! Si hier, ça n'allait pas du tout, maintenant, c'est fini, tout ba bien !" Et on avait dû se rendre à l'évidence. Tonton était redevenu tout-à-fait normal. On s'est donc mis à chercher ce qui avait bien pu lui arriver. Qu'est ce que Tonton avait bien pu faire la veille qui l'ait mis dans cet état ? Il avait fait une ventrée de cerises. Bon mais ça, ça rend pas fou, les cerises ? Après il avait bu quelques pastis...

Voilà ! C'était ça ! A tous les coups ! Boire du pastis sur les cerises, ça rend fou ! Ainsi est née cette autre légende familiale qu'il serait vraiment dommage d'oublier. Personne n'a cherché à savoir COMBIEN DE PASTIS Tonton avait bu pour être dans cet état, non !

La vérité c'est que si vous mangez des tonnes de cerises, et qu'après vous buvez ne serait-ce qu'une seule gorgée de pastis, vous devenez fou. C'est mathématique. Ou chimique. C'est le mélange des deux. C'est pas le pastis. En premier ce serait plutôt les cerises...

C'était comme pour mon grand père. Quand il lui arrivait d'être malade, qu'il avait la tête qui tournait et mal au coeur --un genre de crise de foie--... c'est que la veille, il avait attrapé froid EN SORTANT DU BISTRO !

Anna, ma Grand mère l'aurait juré. Pour elle, André, mon grand père, c'était le Bon Dieu. On disait ça dans la famille.

Ou alors, c'était peut-être qu'elle était plus fine qu'elle voulait bien le laisser paraître. Puisque lui se disait si intelligent, à quoi bon chercher à le critiquer ?

Mais cette idée que de parler en rime serait un signe de folie correspondrait peut-être plus à une tradition populaire et culturelle provençale bien ancrée qu'à une légende familiale. Bellaud de la Bellaudière, au XVI ème siècle, expliquait bien de cette façon son inspiration poétique :

"Noun sabi qualo veno mi toumbet dau cerveou,

Si bèn qué l'èndéman fagueri sènso péno

dé rimaillouns tout un plèn magasin !

(Je ne sais quelle veine me tomba du cerveau

Si bien que le lendemain je fis sans peine

de rimaillons tout un plein magasin.)

Précisons que la veine en question était sensée lui être "tombée du cerveau", au Bellaud, le lendemain d'une bonne cuite...

Le père de Tonton était musicien. Musicien professionnel. Il était cornet à pistons soliste, au Casino de Marseille vers la fin du XIX ème siècle. Je me souviens d'une malle ensevelie sous la poussière de "bourres" de platane, pleine de partitions au grenier. On y a retrouvé son cahier de chansons, avec, recopiées de sa main à la plume (forcément), entre autres, les paroles de... l'Internationale !

Ce qui ne l'empêchait pas d'être un joyeux farceur. Voilà qu'un jour, un marchand ambulant, s'arrête sur la placette de la boulangerie. Il envoie deux coups de son cornet (à pistons, bien sûr et vous devinez un peu où je veux en venir !) pour attirer les clients...

-- Pouêt ! Pouêêêt ! (Deux notes.)

Grand père Brun s'approche :

-- C'est quoi votre instrument ?

Le marchand fait son savant, du genre qui vient apporter l'intelligence citadine à ces ploucs de village :

-- Ca s'appelle un cornet à piston, c'est un instrument de musiciens !

Le grand père :

-- On peut essayer ?

Le marchant hésite un peu mais finit par lui passer le cornet.

A pistons !

Grand père le prend et souffle comme dans un tuyau :

-Fffffffffff !

Le marchand ricane et explique :

-- C'est pas comme ça ! Il faut pincer les lèvres ! C'est difficile, il faut prendre le coup...

Il reprend le cornet, et :

-- Pouêt ! Pouêêêt ! Deux notes.

Grand père Brun :

-- Je peux réessayer ? Vous dites qu'il faut pincer les lèvres ?

L'autre lui retend le cornet avec un sourire un peu méprisant.

-- Si vous y tenez !

Mais là Grand père attaque un morceau de bravoure de Tchaïkovski ou de Berlioz...

"Pali pa pam pali palipalipapam, pa, pali, palipa, pa !..."

(Ca c'est mon père qui mime à sa façon, la virtuosité de son grand père au cornet à pistons. Il a mis sa main droite devant la bouche et remue les doigts tendus de la main ouverte, en toute décontraction, pour symboliser leur danse facile sur les pistons : ils n'ont même pas besoin d'appuyer...)

Il faut imaginer la tête du marchand.

Grand père Brun lui rend le cornet :

-- Ah ! Oui ! c'est mieux comme vous m'avez expliqué !

Commentaire final de l'anecdote :

"A vi( r )at lou cuou é l'avèm plus pas vist !"

(Il a tourné les talons et on ne l'a plus jamais vu.)

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Invité guipure
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Invité guipure
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Salut Blaquière ! Je venais voir s'il y avait eu une suite depuis le 19 !.. Bah non dis donc ! toujours rien !

à quand la suite parce que pour moi c'est que du bonheur - Des mémoires comme ça dans les librairies, j'achète tout !

Au plaisir de te relire !

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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Bonjour à toi, gamine !

Tu me redonnes du courage. Y'a quelques jours, j'ai relu depuis le début et j'ai trouvé que c'était ni fait ni à faire.

Et qu'il fallait tout reprendre, tout reformuler...

(ça doit être le syndrome de la première relecture !)

(je continue donc encore quelques pages?...)

C'est donc du côté de Tonton Camille, (sa soeur était Androline, la mère de mon père que je n'ai pas connue) que peut me venir en plus du goût de la chanson, partagé par un peu tout le monde dans la famille, celui plus précisément de la musique. La musique avec des notes et des cordes (ou des pistons)...

De ma grand mère Androline, je sais bien peu de chose si ce n'est que comme toute mère ou grand mère, elle était nécessairement une sainte femme. Très gentille, intelligente, travailleuse. Mais petite, fluette et... bossue !

Et pourtant très jolie !

Et aussi grande amie de Laurence (la Laurence du beau chat) que j'ai un peu plus connue, elle. Mère elle-même de Fernande et de Paul qu'il faudra que je vous raconte.

Mais tout d'abord c'est de la maison de Laurence que je dois parler. Elle était à trente mètres de chez nous tout au plus. (Dans la petite rue qui longeait la maison après celle d'Astoin, le coiffeur ; et celle de la mère Michel !)

La porte en bois dur et foncé était lourde à pousser avec une poignée ronde en laiton au milieu. Il fallait ensuite suivre un long couloir très sombre d'au moins vingt pas pour arriver tout au bout dans la cuisine ou plutôt la salle à vivre, tout aussi sombre que le couloir. Sombre et encombrée. Mais dès le premier pas dans ce couloir, c'est l'odeur qui vous saisissait. Une odeur puissante, étonnante et complexe... Du jamais senti ailleurs ! Un mélange de foin, d'ail, de cheval, de fumée et de linge propre... (Puisqu'à gauche au bout du couloir, un escalier descendait à l'écurie et un autre montait vers les chambres.) La pièce du fond était obscure, je l'ai dit et très encombrée. Les papiers qui tapissaient les murs pouvaient représenter des motifs géométriques des années dix-neuf cent vingt ? Mais tout était brun, enfumé. jusqu'au plafond. Et la seule fenêtre donnait au nord avec une maison en vis à vis à seulement quelques mètres. Je ne saurais dire si c'était un poêle ou la cheminée qui enfumait et assombrissait tout à ce point. Mais le personnage principal de cette pièce et qui à chacune de mes visites me subjuguait totalement, c'était l'horloge contre le mur. Une grande horloge comtoise, d'un bois brun rougeâtre avec son balancier de cuivre jaune qui claquait lentement. Inlassablement. Comme pour témoigner des heures qui au dehors continuait de s'écouler. Ici, au fond du couloir, le temps s'était perdu et arrêté.

Fernande, la fille de Laurence, aux yeux piquants et au sourire brillant et malicieux qui éclairait son visage, était une belle femme. Grande, enfin, pas petite, et plutôt jolie. Et bien en chair. Elle était plus âgée que mon père de quelques années. Mais ils avaient l'un pour l'autre à l'évidence beaucoup d'estime et de complicité. (Et c'est tout ! Je ne sais rien de plus !)

Le fils de Fernande, Raymond, surnommé plus tard l'Emir', pour son baratin invraisemblable plus que pour son train de vie malgré tout excessif, était marchand de voiture d'occasion à Toulon. Il sera le parrain de ma soeur et c'est lui qui nous vendra la Vedette Ford alors même que personne de la famille n'avait le permis de conduire !...

C'est aussi chez Fernande qui tenait une épicerie au Canadel que nous sommes allés plusieurs années passer des vacances au bord de mer. (Ma mère adorait et la mer et nager.)

Avec Jean-Paul, l'autre fils de Fernande nous partions explorer l'extrémité gauche de la plage, où se trouvait la fameuse Grotte Dangereuse. Il nous fallait traverser entre deux rochers, quelques mètres sur des pierres instables avec de l'eau jusqu'aux genoux, au risque d'être déséquilibrés par une vague inattendue. Mais sans oser vraiment regarder sur le côté ce trou sombre où l'on n'avait peut-être pas pied ? C'était de la vraie aventure. Du vrai risque. Puisqu'on nous déconseillait absolument d'aller rôder par là-bas.

Le soir, on allait au cinéma en plein air au Lavandou. On suivait la route de la côte à pieds, dans une demie obscurité. Après quelques centaines de mètres et une petite montée, depuis un virage vers la gauche, les lumières du Lavandou étaient soudain visibles en contre bas ("c'est donc si près que ça ?!"). Légère, la nuit d'été n'osait pas s'affirmer, l'air restait transparent et nos pas clappaient étrangement sur le goudron... c'était hier. Il y a soixante ans. Mais il semblerait bien possible d'y retourner à l'instant... Juste pour s'assurer qu'on n'y a rien oublié...

Jean-Paul nous avait appris un tour magique pour "endormir" les copains. C'était le même principe que le triste jeu du foulard mais sans (trop) de danger. Il fallait être deux. Ou plutôt trois en comptant celui à endormir. Le magicien meneur de jeu, ne faisait que le laïus : c'était un comparse qui faisait tout le boulot ! On faisait asseoir le "patient" sur une chaise. Le magicien devant lui, lui demandait de respirer trois ou cinq fois bien à fond et de retenir sa respiration. Le comparse qui se tenait derrière, serrait les deux côtés de son cou entre ses avant-bras en partant des coudes et remontait lentement jusqu'au poignets. Quand il arrivait aux poignets, il relâchait son "étranglement". Le "patient" se retrouvait alors plus évanoui qu'endormi. Mais c'était pas très malin puisqu'il s'agit de ralentir la circulation du sang dans le cerveau et de jouer sur son oxygénation. Et l'on doit rester vraisemblablement tributaire de la solidité des vaisseaux sanguins et d'une variation de la pression qu'il vaudrait mieux éviter . L'avantage par rapport au jeu du foulard, c'est que ce ralentissement n'était que sur un temps très limité, le temps de monter des coudes jusqu'au poignets. Je me souviens de l'avoir fait au collège sur un copain Pied Noir qui devait être particulièrement nerveux. Une fois endormi, il avait littéralement fait des bonds et tombé de sa chaise...

Preuve s'il en fallait une qu'on ne maîtrise rien dans ce genre d'expérience.

Une expérience à proscrire, donc. Impérativement !

Paul Brémond, le frère de Fernande était assez petit et tout rond. La tête, le nez, les joues, le ventre, tout était rond chez lui. Et sa casquette qu'il ne quittait jamais s'était elle-même arrondie sur sa tête. Un vrai de vrais pince sans rire, ce Paul ! Son bon mot préféré, quand je revenais du lycée en fin de semaine c'était : "Alors, Manu, ça se passe bien au séminaire?" Puisque le Séminaire c'était l'endroit où l'on pouvait être sûr que des vrais "rouges" comme nous (de nos deux familles) ne mettraient jamais les pieds !...

Mais il m'avait déjà joué un tour bien pire. Et bien plus tôt. Je pouvais avoir trois ans ? quatre au maximum, puisque j'étais ce dimanche là en belle barboteuse... BLANCHE. La fantaisie d'aller voir mes grand parents à leur maison du mûrier en bas, au quartier bas m'avait pris, il faut croire. Qu'est-ce qui peut bien se passer dans la tête d'un petit de trois ans ? (Mais il est à noter qu'un petit de trois ou quatre ans pouvait errer tout seul dans le village sans vraiment courir de danger.) Un peu avant d'arriver cher ma mémé, il me fallait passer devant la remise de Paul qui avait pu faire brûler quelques vieilles bricoles contre son mur les jours précédents. Il était là d'ailleurs Paul, devant sa remise. Il et me dit en me montrant les quelques morceaux de charbon refroidis qui restaient :

"Si tu veux faire plaisir à Maman, tu devrais lui apporter un peu du charbon pour allumer la cuisinière !"

Vous pensez combien j'ai pu trouver l'idée excellente. Il m'a alors expliqué que le mieux serait de bien bourrer de charbon la poche de ma barboteuse (qui en fait ne pouvait servir qu'à ça). Vous voyez ? Ces poches que portaient sur le devant les barboteuses, à cette époque. J'ai donc suivi les instructions de Paul et suis remonté tout fier à la maison, la poche du devant bien bourrée de charbon, et encharbonné des pieds et des mains, jusqu'à la tête dans ma belle barboteuse blanche du dimanche.

On me l'a raconté souvent cette histoire. Paul le premier. Mais je crois bien m'en souvenir, véritablement. C'est simple : ces morceaux de charbon je les revois encore ; et l'endroit très précis où je les prenais...

( Mon petit fils --cinq ans-- adore cette histoire. Il me l'a redemandée, hier. Même s'il ne sait pas trop ce que c'est une barboteuse, le nom lui plaît. Et il comprend bien que le "bébé pépé" avait fait une grosse bêtise. On est repassé dans la rue et il m'a demandé tout excité : "y'en a plus du charbon ?" )

Quand Paul avait passé son Certificat d'Etudes, il y avait une épreuve de dessin. Le sujet cette fois là avait été libre : "Dessinez ce que vous voulez". Ce n'était pas le genre de liberté à donner à Paul, ça : "ce que vous voulez"! Il prend donc sa règle et trace un petit trait de cinq ou six centimètres de longueur, pose sa règle et son crayon et croise les bras. Le surveillant, étonné de le voir les bras croisés vient le voir :

"Tu ne dessines pas ?"

"J'ai fini !" lui répond Paul.

J'examinateur regarde le trait sur sa feuille et lui demande :

"C'est quoi ?"

Paul lui répond :

"Une aiguille à tricoter les bas !"

Pour dessiner une aiguille à tricoter ordinaire, il aurait fallu faire un trait avec au moins un point au bout, pour symboliser la petite boule. Ce malin de Paul avait trouvé encore plus simple : l'aiguille à tricoter les bas n'a même pas de boule au bout : juste un trait !

Il va de soi que Paul a réussi à son Certificat d'Etudes.

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Invité guipure
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Invité guipure
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Fernande, la fille de Laurence, aux yeux piquants et au sourire brillant et malicieux qui éclairait son visage, était une belle femme. Grande, enfin, pas petite, et plutôt jolie. Et bien en chair. Elle était plus âgée que mon père de quelques années.

Dis-moi.. C'est Fernande qui est la fille de Laurence ?? Parce que je me disais, par rapport au prénom de Fernande qui est un vieux prénom. Peut-être que ce serait plutôt Laurence qui serait la fille de Fernande - non ?

A part ça, bah... j'attends la suite ! Merci pour ces petits moments de bonheur que tu offres par tes mémoires.

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  • 2 semaines après...
Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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Je continue en taille de police 5 avec Time new roman.

C'est trop gros ? Compte tenu de mon "GRAND âge", moi, ça me facilite un peu !

Et ça fait moins de mots par ligne. Fatigue intellectuelle ? Peut être. Ou besoin de clarté, de simplicité.

J'ai pas envie de m'impressionner tout seul avec des gros paragraphes écrits petits.

Pour les prénoms, Guipure, ça va, ça vient. Ma belle-mère, quand on a appelé le petit, Julien, elle a dit "ça fait vieux !"

Après Julien Clerc, c'était redevenu à la mode...

Mémé Anna

Mémé Anna c'était la grand mère idéale. Une image de grand mère. Gentille, douce, à l'écoute de tous, toujours prête à se sacrifier. Elle, ça comptait pas. C'était tout pour les autres. Elle ne mangeait jamais les meilleurs morceaux. Rien que le gras des côtelettes. Rien que la peau du poulet. Elle disait qu'elle préférait. Ce qui était sans doute vrai, puisque c'est bien connu, le gras est toujours "lou maï goustous"(le plus goûteux)

Et c'est ce qui devait la tuer : les artères bouchées.

Mais ne commençons pas par la tristesse...

Mémé faisait parler nos doigts en nous prenant la main. Elle commençait pas le pouce :

"Aquèou dis qué voou dé pan" (celui-ci, il dit qu'il veut du pain)

"Aquèou dis qué n'avèn gès" (celui-ci, il dit qu'on n'en a pas)

"Aquèou dis como farèn" (celui-ci, il dit comment ferons-nous)

"Aquèou dis como pourrèn" (celui-ci, il dit comme nous pourrons)

"E lou pitchoun, fa : "piou, piou, piou, cu travaillo viou"

(Et le petit, lui, il dit : piou, piou piou, celui qui travaille, vit.)

(A mes petits enfants, elle leur plaît aussi cette comptine : "Fais moi aussi l'autre main !" qu'ils me disent, à la fin.)

Quand on s'était fait un petit bobo, elle prenait encore notre main et la caressait en disant la formule magique qui nous mettait (obligé !) de bonne humeur et arrêtait les pleurs :

"Péto dé cabro, péto de cabrit, déman sé(r )a tout ga(r )it !' (1)

(Crotte de chèvre et crotte de cabri, demain ce sera tout guéri)

(1) Le provençal local a cette particularité que les "r" intervocaliques n'étant plus prononcés, le discours foisonne de hiatus et en prend des airs de musique, de gazouillis. La langue idéale pour une grand mère gentille.

Pendant ce temps, Pépé pétait dans son fauteuil.

Son fauteuil en tissu qui sentait la poussière.

Il aimait ma grand mère, c'est sûr. Mais ça ne l'empêchait pas d'être un vrai mufle dans son genre. Imaginez la scène :

La nature ayant affublé ma grand mère d'un nez très très crochu, presque à angle droit, il arrivait qu'on en parle, de ce nez si particulier, si remarquable. Après y être allé de son proverbe habituel "jamai gros martèou a gastat pouarto" (Jamais un gros marteau n'a gâté une porte) mon grand père en rajoutait une couche : "mais heureusement qu'il est tordu son nez vous vous rendez compte s'il avait continué tout droit ?" et pour parfaire sa démonstration, il prenait deux règles et en faisant mettre Mémé de profil, il alignait la première sur le haut du nez...

Relevée par la bosse, la règle partait presque à l'horizontale ; et la seconde règle alignée sur le dessous partait donc elle aussi à l'horizontale. Et Pépé commentait : "si son nez n'était pas tordu, il ferait au moins un mètre de long !"

Mémé se contentait de sourire, un peu gênée, en repoussant doucement sur le côté les deux règles démonstratrices de son pas joli nez.

Oui ! Le père Giraud qui se disait si intelligent, pouvait était d'une balourdise effroyable.

Pour montrer qu'ils s'aimaient bien, avec sa femme, il racontait parfois devant toute la famille attablée que quand ils étaient jeunes "à midi, après une bonne matinée de travail, nous mangions au cabanon, au milieu de la plaine, et après, (il prenait un air grandiloquent) NOUS NOUS AIMIONS, DANS LES CHAMPS !"

Mémé devenait toute rouge et murmurait ; "Tchu, Andrè, qué l'a lei drolés !"

(Chut, André qu'il y a les enfants !)

Autre scène osée campagnarde racontée par les belligérants : Ma grand mère -jeune-, était montée sur l'amandier du cabanon et cueillait les amandes. Mon grand père, lui, était un peu plus loin, hors de vue ; il pouvait tailler les vignes...

Quand il entend sa femme qui l'appelle :

"Andrè ! Andrè ! Vèni lèou qué l'a ün pouarc !" (André, André ! Viens vite qu'il y a un cochon!)

Mais mon grand père, lui, pense selon toute vraisemblance que le cochon en question ne peut être qu'un sanglier. Il lui répond de ne pas s'en faire : le "cochon" finira bien par s'en aller tout seul. Elle n'a rien à craindre puisqu'elle est "quillée" sur l'arbre.

Effectivement, le cochon s'en est allé.

Mais un peu plus tard, quand ils se sont retrouvés, elle lui a expliqué que le cochon en question, ce n'était pas un sanglier, mais un homme, qui la voyant jeune et jolie, ("même avec mon nez tordu, grand couillon") sur l'amandier , et la croyant seule, s'était déboutonné et lui avait montré "tout... son Sant Frusquin" !

Et elle riait en racontant ça, mémé, elle riait...

Et elle nous prenait à témoins :

--"E èou qué vénié pas !"

(Et lui qui ne venait pas !)

--"E sé m'avié vioulounado ?!"

Et s'il m'avait violée ?!)

Là mon grand père prenait un air complètement hébété...

Le nom de jeune fille de mémé Anna, c'était Juvénal. Ainsi la plus modeste de la famille aurait pu se prévaloir de l'ascendance la plus glorieuse : les Juvénal du village, étant en effet les seuls Juvénal (il existe bien d'autres Juvénal sur terre) à se prétendre descendants du poète latin. Excusez du peu : "Mens sana in corpore sano", c'est de lui !...

Une autre légende.

Et l'on voit bien que la faculté de forger des légendes est largement répandue et de tous les côtés, dans la famille. Je pourrais dire que "notre" patronyme de Juvénal est vraisemblablement issu de l'adjectif commun latin juvenalis qui signifiant "le jeune" a pu qualifier et devenir le nom de bien des cadets dans les familles...

Mais pourquoi détruire la jolie fable ?

"Un esprit saint dans un corps saint" n'est pas au fond une si mauvaise règle de vie. Or, cette ascendance vraisemblablement imaginaire mais certainement antique --en tout état de cause--, pourrait avoir son inconvénient... Par exemple quand on voit des petits malins nouveaux venus se pointer qui pérorent leurs intentions de tout bouleverser, de nous apprendre à vivre, (à

nous les gens du "cru" !), on aurait un peu tendance à penser que depuis deux mille ans qu'on est là, "pénards", on en a vu d'autres... C'est mal ?

Sûrement.

C'est une vraie pensée paysanne !

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Membre, [Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible], Posté(e)
Anna Kronisme Membre 2 134 messages
[Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible],
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Je continue en taille de police 5 avec Time new roman.

C'est trop gros ? Compte tenu de mon "GRAND âge", moi, ça me facilite un peu !

Et ça fait moins de mots par ligne. Fatigue intellectuelle ? Peut être. Ou besoin de clarté, de simplicité.

J'ai pas envie de m'impressionner tout seul avec des gros paragraphes écrits petits.

Pour les prénoms, Guipure, ça va, ça vient. Ma belle-mère, quand on a appelé le petit, Julien, elle a dit "ça fait vieux !"

Après Julien Clerc, c'était redevenu à la mode...

Mémé Anna

Saligaud ! :sleep: ^^

Mémé Anna c'était la grand mère idéale.

Ah non, j'ai rien dit... :blush:

Je vais revenir te lire, Blaquière... parce que je n'avais pas capté ces mémoires-là et il y a déjà 3 pages !

Je baisserai mon zoom navigateur à 75%, voilà tout.

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
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Au beau milieu de la grande cuisine, au premier étage de la Maison du Mûrier (à l'Amou(r )ier comme disait pépé), mémé entretenait un poêle minuscule qu'elle rechargeait de grosses bûches courtes. De ces petits poêles en fonte sur trois pieds, avec deux disques et des cerceaux plats aussi en fontes fine, du plus large au plus petit sur le dessus qui refermaient les deux ouvertures. Le tuyau montait à la verticale et faisait un coude presque à angle droit pour rejoindre le canon de la cheminée contre le mur de droite. Bien souvent, le poêle chauffait au rouge.

Le tirage se faisait avec précision par une petite porte verticale sur le devant, qui s'ouvrait sur le petit plateau de base, plus un toute petite porte dans la porte : l'ouverture de l'ouverture. Au dessous, le chat sommeillait entre les pieds du poêle, à quelques centimètres du plateau et se laissait roussir les poils du dos.

Sur la surface brûlante, la moindre goutte de salive devenait un micro spectacle. Elle se mettait sur le champ à bouillonner à grosses bulles quelques secondes puis disparaissait encore plus vite en laissant sur le métal une petite tache brune au bordures blanchâtres.

Il doit y avoir du sel dans la salive.

Les deux hautes fenêtres de la cuisine donnaient sur la rue. On pouvait voir la large porte de la remise, en bas, en face, de l'autre côté. Mon père et ma mère s'étaient fait prendre en photo, un jour, devant cette remise, et l'on m'avait testé. J'avais trois ans.

-- Qui c'est sur la photo ?"

-- Papa et maman !"

-- A quoi tu les reconnais ?"

-- A la porte qui y'a derrière !"

Ca avait bien fait rire tout le monde.

Evidemment que j'avais reconnu papa et maman à leurs figures ! Ce que je voulais dire c'est que je me souvenais bien de quand on avait pris cette photo et que derrière la porte, il y avait la remise, avec dedans la charrette, les charrues, la houe. Les "magaous" aussi et les sarpes accrochés à une traverse dans un angle et qu'en passant sur le côté de la charrette, on arrivait par l'ouverture du fond, au poulailler que mémé allait "gouverner" tous les jours avec son seau en fer galvanisé plein de vieux croûtons de pain, de son, et d'épluchures.

Non, mais !...

Ca n'était pas une porte. C'était l'entrée d'un monde. Un monde sec de poussière et de fer et de bois et des odeurs qui vont avec. Et pour le coup, c'est papa et maman qui auraient presque été de trop sur cette photo ! Ils empêchaient de voir complètement bien la porte refermée de derrière !

Le fauteuil de pépé regardais de biais vers l'intérieur sous la grande fenêtre de gauche. Entre les deux fenêtres, la table ronde était poussée contre le mur. Un de ses côtés était rabaissé grâce à une charnière étudiée pour, afin qu'elle prenne moins de place dans la cuisine. Une jolie table ronde et fine en noyer qui pouvait s'ouvrir et s'agrandir par le milieu de deux rallonges quand toute la famille était réunie comme pour la Noël. Ou quand Monsieur Bini venait nous voir, un fois l'an. C'était un copain de pépé, de la guerre de quarante. Un parisien. Un passionné de photographie. Du délire : il avait trois ou quatre appareils sur lui qui ne le quittaient jamais, pendus en bandoulière, les courroies croisées dans tous les sens ! Dont un (vous vous rendez compte ?) qui prenait des photographies en couleur ! Mais avec TOUTES les couleurs ! Et un flash ! Plus un trépied pour se prendre au milieu de toute notre famille, comme un pacha. Il était gros, toujours en short, un short bleu et large, avec des jambes maigres et "blanquignouas" (blanchâtres), blond ou blanc, les cheveux courts, suant, soufflant, toujours humide, un peu baveux et très gentil. Une sorte de Père Noël sans barbe qui apportait à chacune de ses venues un cadeau à chacun des petits. J'ai eu comme ça la Tour Eiffel dans une boule d'eau en verre avec la neige qui tourbillonnait, et un Pluto fait de petits morceaux reliés par des fils, sur un socle, qui s'effondrait tout ra-plat-plat quand on appuyait sur le piston du dessous et cloc ! se redressait d'un coup tout raide quand on le relâchait.

Monsieur Bini nous livrait au village, à domicile, la magie parisienne.

Il se nommait lui-même "Biniii" mais pépé, lui, l'appelait Bîîîni.

Ils s'entendaient bien.

Les quatre pieds de la table étaient posés sur des petits supports en verre côtelés, comme des flans. C'était pour ne pas mouiller le beau bois des pieds quand mémé passait la pièce. Entre le poêle et la table, il y avait aussi la Suspension accrochée au plafond. Pour éclairer la pièce. Un système compliqué avec des fils qui pendaient n'importe comment et qui me semblait toujours ou trop haute ou trop basse.

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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Panne d'internet ce matin, c'est parti sans crier gare et j'ai rien pu corriger je reprends le même passage :

Au beau milieu de la grande cuisine, au premier étage de la Maison du Mûrier ("a l'Amou(r )ier" comme disait pépé), mémé entretenait un poêle minuscule qu'elle rechargeait de grosses bûches courtes. De ces petits poêles en fonte sur trois pieds, avec deux disques et des cerceaux plats aussi en fonte fine, du plus large au plus petit sur le dessus, qui refermaient les deux ouvertures et que mémé manipulait d'un crochet dans un bruit de ferraille et en donnant des jets d'étincelles. Le tuyau montait à la verticale et faisait un coude presque à angle droit pour rejoindre le canon de la cheminée contre le mur. Souvent, le poêle chauffait au rouge.

Le tirage se faisait par une petite porte verticale du devant, qui s'ouvrait sur le petit plateau de base, et se réglait plus précisément à l'aide d'une toute petite porte dans la porte. C'était l'ouverture de l'ouverture. Au dessous, le chat sommeillait entre les pieds du poêle, à quelques centimètres du plateau et se laissait roussir les poils du dos.

Sur la surface brûlante, la moindre goutte de salive devenait un micro spectacle. Elle se mettait sur le champ à bouillonner à grosses bulles quelques secondes puis disparaissait encore plus vite en laissant sur le métal une petite tache brune aux bordures blanchâtres.

Il doit y avoir du sel dans la salive.

Les deux hautes fenêtres de la cuisine donnaient sur la rue. On pouvait voir la large porte de la remise, en bas, en face, de l'autre côté. Mon père et ma mère s'étaient fait prendre en photo, un jour, devant cette remise, et l'on m'avait testé. J'avais trois ans.

-- Qui c'est sur la photo ?"

-- Papa et maman !"

-- A quoi tu les reconnais ?"

-- A la porte qui y'a derrière !"

Ca avait bien fait rire tout le monde.

Evidemment que j'avais reconnu papa et maman à leurs figures ! Ce que je voulais dire c'est que je me souvenais bien de quand on avait pris la photo et que derrière cette porte-là, il y avait la remise, avec dedans la charrette, les charrues, la houe, les magaous aussi et les sarpes plates accrochés à une barre en bois bâtie dans un angle et qu'en passant sur le côté de la charrette, on arrivait par l'ouverture du fond, au poulailler que mémé allait gouverner tous les jours avec son seau en fer galvanisé plein de vieux croûtons de pain, de son, et d'épluchures.

Non, mais !...

Ca n'était pas qu'une porte, c'était l'entrée d'un monde. Un monde sec de poussière et de fer avec les odeurs qui vont avec. Et pour le coup, c'est papa et maman qui auraient presque été de trop sur cette photo ! Ils empêchaient de voir complètement bien la porte refermée de derrière !

Le fauteuil de pépé regardais de biais vers l'intérieur sous la grande fenêtre de gauche. Entre les deux fenêtres, la table ronde était poussée contre le mur. Un de ses pans était rabaissé grâce à un système de charnières étudié pour, et elle prenait ainsi moins de place dans la cuisine. Une jolie table ronde et fine en noyer qui pouvait s'ouvrir et s'agrandir par le milieu de deux rallonges quand toute la famille était réunie comme pour la Noël. Ou quand Monsieur Bini venait nous voir, un fois l'an. C'était un copain de pépé, de la guerre de quarante. Un parisien. Un passionné de photographie. Un original ! Il avait trois ou quatre appareils sur lui qui ne le quittaient jamais, pendus en bandoulières, les courroies croisées dans tous les sens ; dont un (vous vous rendez compte ?) qui prenait des photographies en couleur ! Parfaitement ! Et avec TOUTES les couleurs ! Plus un flash comme une antenne radar qui faisait exploser ses ampoules ! Plus un trépied pour se prendre au milieu de toute notre famille, comme un pacha. Il était gros, toujours en short, un short bleu et large, avec des chemises à manches courtes et des jambes maigres et "blanquignouas" (pâles). Il était blond ou blanc, les cheveux courts, suant, soufflant, toujours humide, un peu baveux et très gentil. Une sorte de Père Noël sans barbe qui apportait à chacune de ses visites un cadeau à chacun des petits. J'ai eu comme ça la Tour Eiffel dans une boule d'eau en verre avec la neige qui tourbillonnait, et un Pluto fait de petits morceaux reliés par des fils, sur un socle, qui s'effondrait tout raplapla quand on appuyait sur le piston du dessous et cloc ! se redressait d'un coup tout raide et tendu avec la queue qui vibrait quand on le relâchait.

Monsieur Bini nous livrait au village, à domicile, la magie parisienne.

Il se nommait lui-même "Biniii" en accentuant curieusement le dernier "i" mais pépé, lui, l'appelait normalement : Bîîîni.

Ils s'entendaient bien quand même.

La guerre, ça fait des bons copains qu'on se douterait pas qu'ils existent.

Les quatre pieds de la table étaient posés sur des supports en verre côtelés, comme de petits flans lourds et transparents. C'était pour ne pas mouiller le bois des pieds quand mémé passait la pièce. Entre le poêle et la table, il y avait aussi la Suspension accrochée au plafond. Pour éclairer la pièce. Un système compliqué avec des fils qui pendaient n'importe comment et qui me semblait toujours ou trop haute ou trop basse.

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  • 2 semaines après...
Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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La Boulange...

Mais là, je réalise que depuis Tonton, on a laissé la pâte dans la machine !

Et ça... c'est pas possible !

Pour la sortir, il faut se mouiller les mains, les tremper dans le seau d'eau (pour ne pas que ça colle) puis délimiter dans la masse de la pâte, en cisaillant entre les pouces et les autres doigts une portion de quelques kilos que l'on transporte en catastrophe et très rapidement pendant qu'elle commence à dégouliner entre les doigts, jusqu'au tour, sur lequel on la jette plus qu'on ne la dépose. (Le tour c'est la grande planche bâtie dans le mur où l'on va ensuite façonner le pain.)

La masse de pâte lève encore quelques minutes sur le tour, puis, avec la "rape", mon père détache en la tirant vers lui, une longue bande de pâte d'une vingtaine de centimètre de large, (sa longueur se perdant dans la masse de pâte) et il commence, toujours avec la rape, à détailler des "pastons" tous de même grosseur.

Sur le tour, la rape fait tac, tac, tac en coupant la pâte. La main gauche prend le paston et le pose sur la balance à deux plateaux. Sur le plateau de gauche, on a mis les petits poids cylindriques en cuivre jaune qui correspondent au poids du pain désiré. C'est soit un petit pain, soit un gros. Une baguette ou un "restaurant".

En principe, les boulangers étaient tenu de faire chaque jours quelques gros pains ronds, des miches. L'esprit de la loi, c'était que le prix de la miche de pain au kilo étant le plus bas de toutes les formes de pains, s'il venait à passer un mendiant, il fallait qu'on ait de ce pain bon marché à lui proposer.

Un jour mon père avait été contrôlé et quand on lui a reproché de ne pas avoir fait de pain au prix du kilo pour les pauvres, il a répondu :

--"Vous vous foutez de moi ? Si un mendiant vient à la boulangerie, je le lui donne le pain ! Et encore, je lui choisirai la plus belle de baguette !"

Deux grosseurs de pain, donc. Les baguettes (ou plutôt, les "bâtards") à deux cent cinquante grammes et les restaurants à trois cent cinquante.

Si le poids du paston qu'on vient de détailler n'est pas juste il faut, soit rajouter de la pâte, soit en retirer. En rajouter c'est simple : on coupe un petit bout dans la grande bande et on l'envoie sur le plateau où il se colle au paston déjà dessus. Pour en enlever, mon père pinçait la pâte et la tirait un peu hors du plateau, et de la rape, contre le plateau, il découpait l'excédent.

Dans tous les cas (ou presque), l'opération prenait à peine quelques secondes.

Vu que la pâte est plus jetée sur le plateau que posée, si la quantité est insuffisante, la vitesse avec laquelle va se relever le plateau donnera déjà une idée approximative de la quantité manquante. Si au contraire le paston est trop lourd, c'est le bruit de la butée du plateau resté enfoncé qui va renseigner sur l'excédent.

Mon père s'est toujours fait un point d'honneur de faire des pains du bon poids très exactement.

Ce qui pouvait entraîner des scènes amusantes, parce que quand ça ne veut pas, ça ne veut pas :

Il lui arrivait de rajouter l'un après l'autre ou plutôt de jeter à toute volée, cinq ou six morceaux de pâte minuscules avant que le plateau ne descende enfin.

Il feignait de s'en énerver, alors que manifestement, c'était pour lui un vrai plaisir.

Parce qu'au "bout du bout", c'était l'exactitude absolue qu'il visait et ça n'a pas de prix.

En revanche quand un type de la répression des fraudes s'est pointé, un jour, vers les onze heures du matin, en costume-cravate, pour vérifier si les pains avaient bien le bon poids, oui, il s'est vraiment énervé. Et le contrôleur, mon père --empoussiéré de farine de la tête aux pieds--, il l'a chassé jusqu'au milieu de la placette en lui envoyant des baguettes au bon poids en pleine figure et en hurlant : "C'est pas maintenant, qu'il faut venir contrôler le poids, c'est à deux heures du matin quand je coupe la pâte !"

(En vérité il ne s'était levé qu'à trois heures et demie vu que c'était Tonton qui avait fait partir la machine, mais ça, ça reste entre nous.)

Je ne sais pas si nous avions payé une amende. Ce qui est sûr c'est qu'on n'a plus jamais vu de contrôleur.

Il faut dire que quand c'était Marzulo qui coupait la pâte, le paston, il ne le lâchait pas tout-à-fait sur le plateau ! Juste il y passait. Il le lui faisait voir à la balance ! C'était tout au coup d'oeil ! Il coupait la pâte à la rape : tac, tac, tac ! la passait sur le plateau sans la lâcher : cling ! et la posait sur le tour : pam ! pour celui qui mettait en boules.

Quand on lui disait "mais c'est pas peser, ça !" Il répondait : "Ah : le règlement c'est qu'elle doit passer sur la balance, pas de la lâcher !" (Mais je crois bien que c'est lui qui l'avait inventée cette formulation du règlement !)

Et il se mettait à rire :

"'Ah, 'ah, 'ah, 'ah, 'ah, 'ah, 'ah, 'ah !..."

C'était son rire à Paul Marzulo. Un rire que je n'ai jamais entendu que chez lui. Il riait comme une mitraillette, très vite, mais en détachant chaque "ah". Il devait refermer la gorge entre chaque ah ?

Il s'appelait Paul, comme mon père. Il était tout petit et mon père grand et mince. Il appelait mon père "l'Asperge" et mon père l'appelait "Basset". Mais meilleurs copains que ces deux là, ça doit être difficile à trouver. Mon père l'avait embauché un jour qu'il devait avoir besoin d'un coup de main, et depuis, de temps en temps, il venait faire un tour à la boulangerie. Il aidait un peu et en échange il avait à disposition le gite et le couvert. Il couchait dans la maison de Madeleine juste à côté du fournil. Une parfaite masure. C'était un peu un... aventurier, on va dire, sans toit ni lieu et tout modestement. Je crois bien qu'il avait fait de la boxe quand il était plus jeune. Mais c'était un vrai boulanger. Du genre qui ne s'en faisait pas, lui. D'ailleurs, il s'en faisait pour rien ; ou en tout cas n'en laissait rien paraître. Il était d'une gentillesse inimaginable. Son honneur, à Paul Marzulo, c'était sa gentillesse et sa bonne humeur.

Il était brun, les cheveux courts, avait la tête toute ronde et un petit nez rond, aussi, de petites moustaches et le bord de ses yeux était tout plissé du rire et de son sourire permanent.

Un jour mon père nous avait appeler pour qu'on le voit dormir. Il s'était endormi en attendant que la pâte lève dans la machine. Il dormait, à poings fermés, couché sur une de ces planches, celles avec la toile, et sur le dos. Mais les deux bras en l'air, levés à la verticale !

Quand il enfournait le pain, c'était pareil. Si mon père se faisait là encore un point d'honneur de ne jamais tordre un seul pain ; et vu qu'ils étaient enfournés sur une longue pelle jusqu'à cinq ou six à la queue leu leu, en une seule fois et en tirant d'un coup sec la pelle sur le côté, à l'intérieur du four, c'était à chaque fois un exploit, Marzulo, lui, c'était les fournées où il ne tordait pas au moins un pain qui étaient rares ! Mais il transformait ça en exploit ! Quand il avait défourné le pain tordu, il arrivait tout joyeux au magasin et annonçait :

-- "Et un saxophone ! Un ! Ah, 'ah, 'ah, 'ah, 'ah, 'ah, 'ah, 'ah !..."

Et il l'accrochait comme un trophée par sa pointe tordue à un des barreaux horizontaux de la panetière.

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 874 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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(Je mets tout le pain d'un coup , ce sera qu'un mauvais moment à passer !

Après on passera aux "vedettes" de la famille)

Flûte, il faut un peu que je parle de moi : c'est mes mémoires ou quoi ?!

--"Manu ? tu peux aller racler la machine ?"

Voilà ! Mon travail à moi pouvait être de temps en temps de "racler la machine". Avec la râpe (ce carré de tôle en fer d'une douzaine de centimètres de côté, enfoncé pour la préhension sur l'un de ses côtés dans le sens de sa longueur sur un petit manche de bois de la même dimension et qui servait à couper la pâte). Je raclais les petits morceaux de pâte qui étaient restés accrochés un peu partout dans le pétrin y compris sur les deux rotors verticaux un peu en forme d'hélice --et c'était le plus difficile puisqu' aucune ligne n'était droite-- et je les rassemblais en un seul un tas, sur un côté du pétrin. Ce qui évitait que les petits morceaux séparés ne se dessèchent. Il pouvait bien y'en avoir plus de cinq cent grammes ou un kilo chaque fois qui pourraient être mélangés à la "machine" suivante dans la mesure où ça ne s'était pas durci. Quand j'ai été assez grand pour travailler sur le tour, il m'est arrivé bien quelques fois de "mettre en boules". Sur ma droite, mon père détaillait et pesait les pastons comme j'ai dit, et me les passait tout irréguliers de leur découpage. Je les roulais en boules bien rondes et les posais derrière moi, sur une planche, une caisse à petits rebords d'une dizaine de centimètres, bien farinée, de deux mètres de long et quarante centimètres de large, disposée sur deux trétaux.

Plusieurs planches attendaient rangées debout contre un mur et dès que la planche était pleine, mon père en plaçait une autre vide sur la première.

Quand toutes les planches étaient pleines, on les déplaçait et on les empilaient une à une sur le tour contre le mur, à la place de la masse de pâte qui avait toute été mise en boules. Après avoir rangé la balance.

La planche du tour était suffisamment large ou profonde (plus d'un mètre), pour que les planches à rebords étant rangées contre le mur, l'espace plan reste devant elles suffisait pour façonner le pain.

La pâte levait encore quelque temps... Au bout d'un moment les boules qui avaient été placées bien séparées dans la planche se touchaient toutes.

Le façonnage proprement dit pouvait commencer.

Mon père prenait une boule et la plaçait devant lui, sur le tour qu'il venait encore de bien enfariner d'une poignée de farine lancée en plusieurs fois en gardant les doigts un peu ouverts. Il étirait la pâte vers lui, l'écrasait des phalanges de la main droite, le poing à demi fermé, pan, pan, pan ! trois fois. tout était parfaitement rythmé. Il prenait la partie applatie devant lui qu'il venait d'allonger et la repliait vers l'avant sur la moitié de la longueur de la pâte pan ! pan ! Un coup à gauche, un coup à droite. Puis il prenait la partie la plus éloignée et la repliait vers lui, sur l'autre. Il écrasait bien la "soudure" devant lui avec les deux pouces bien à l'horizontale un peu comme on tiendrait un tuyau devant soi, les bras tendus. La boule était devenue un cylindre bien régulier. Il fallait alors rouler le pain des deux mains à plat pour l'allonger : deux fois de suite, en partant du milieu et en roulant le pain vers les deux extrémités légèrement plus écrasée, donc en pointes.

Des bulles d'air de la pâte déjà bien levée claquaient sous les doigts avec des petits tchic ! tchic !

Il prenait le pain en long par en dessous en allongeant les doigts le plus possible les deux extrémités se trouvant sur les poignets et il se tournait d'un demi tour pour le placer sur une autre planche qui avait remplacé les premières sur les tréteaux.

Ces planches-là étaient différentes de celles de la mise en boule. Ce n'étaient plus des caisses mais bien des planches, avec juste une planchette verticale de 15 centimètres à chaque extrémité afin de pouvoir les empiler les unes sur les autres sans écraser les pains. Et puis, chacune avait sa toile. Accrochée à une seule extrémité placée sur la gauche quand on se retournait. L'autre restait libre et pendante, deux fois plus longue que la planche. Le pain façonné était allongé sur la toile, perpendiculairement à la longueur de la planche. Le pain suivant était placé parallèlement au premier sur la toile toujours bien enfarinée, mais assez éloigné de lui pour pouvoir faire un pli de la toile entre les deux en la tirant vers le haut. Le pli qui isolerait les pains entre eux et éviterait qu'ils ne se collent. Le second pain s'en trouvait rapproché, tout contre le pli.

Quand la planche était pleine, mon père grand et mince, la prenait par le milieu en équilibre et avec un demi tour de danseur, allait la placer contre le mur du fond opposé à celui du tour.

Quand les pains avaient suffisamment levé, il fallait enfourner.

Un des grands regrets de ma vie c'est que mon père ne m'ait jamais appris à façonner.

Bien sûr, je sais "toucher la pâte" sans m'en coller plein les mains. Et ça, il suffit de voir comment quelqu'un touche la pâte pour savoir s'il sait ou s'il sait pas.

Mais savoir façonner une baguette, avec les bulles qui claque sous les doigts...

Ce serait quelque chose, ça !

Le four avait eu le temps de "retomber" depuis que les brûleurs à mazout avaient fini de ronfler et avaient été retirés sur le côté. Car à la fin du chauffage, les briques de la voûte juste devant l'entrée étaient chauffées au rouge. Et il fallait donc attendre que la chaleur se répartisse.

Donc, le four était retombé.

Les quelques fois où il avait fallu chauffer au bois, (avec des "feïscines"), à cause des pannes de courant qui rendait le compresseur des brûleurs à mazout hors jeu, comme en 56, c'était vraiment une autre affaire. On remplissait le four de ces feïscines de branchettes de pin et de chêne (dont on gardait en permanence une provision au Vieux four au cas où). Et là, je me demande si c'est pas moi qui ai fait les dernières feïcines. A Peynier. Un petit terrain qu'on avait et qui était bordé de pins. C'était un travail de "bousquétier" (de bûcheron des collines), de faire ces fagots. J'ai toujours adoré ça.

On coupe des branches et après avec le "foouçoun", (une sorte de machette "provençale" avec le bout de la lame légèrement crochu et la poignée aussi recourbée d'un crochet pour le suspendre à la ceinture dans le dos quand on est en haut d'un arbre) on les épluche ! On les débarrasse de toutes les branchettes et c'est de ces branchettes qu'on fait les feïcines. Mon père m'avait expliqué une fois comment il fallait opérer pour ne jamais se faire mal. La branche à "éplucher", on la tient de la main gauche, et on coupe avec le foouçon de la main droite, mais l'extrémité de la branche, par terre doit toujours rester à l'extérieur des jambes à droite et jamais entre les jambes. Sans ça, si le foocon glisse, on se le prend dans le genoux. Avec ce système : il reste à l'extérieur : aucun risque.

Le bois plus gros, on le coupe sur une longueur d 'un mètre pour la cheminée. Des fagots qu'on serre en les écrasant avec le genoux et qu'on attache avec un fil de fer.

Dans le four, on y mettait le feu et on attendait que ça brûle. On en rajoutait parfois si le four n'était pas assez chaud. (Assez chaud c'est quand le four était redevenu "blanc", quand tout le cabone qui avait noirci ses parois au début du chauffage avait disparu.)

Le carbone brûle autour de quatre cents degrés.

Ensuite il fallait premièrement retirer les cendres et les braises qui restaient ; avec une longue tige de fer à l'extrémité applatie et pliée à la perpendiculaire sur une quarantaine de centimètres, comme une raclette. Je ne me souviens pas d'un autre nom que de celui de crochet... C'était le "crochet du four" ?

Puis, les cendres étaient évacuées dans une grande lessiveuse en fer et sorties du fournil. Et il fallait nettoyer la sole des cendres qui restaient avec "l'escoubillon" une grande tige de bois au bout de laquelle était attaché un grand chiffon qu'il fallait rincer quand il avait suffisamment pris de cendres, dans un grand bidon d'eau situé dans la rue, devant la porte du fournil.

On pouvait alors commencer à enfourner. En éventail comme j'ai dit plus haut.

Pour disposer les pains sur la longue "pale", qui attendait, appuyée sur les deux tréteaux en fer, mon père plaçait la "planche" (une planchette de la longueur d'un pain et de quinze centimètres de large) à droite, le long d'un pain qui attendait sur la grande planche contre le mur et tirait vers le haut le pli de la toile immédiatement à gauche : le pain roulait sur la planche. Puis il plaçait la planche au bord de la pale, saupoudrée de "fleurage" à la volée (du son de blé très fin) et faisait rouler le pain sur le côté, le pain se retrouvait allongé sur la pale dans la même position donc qu'il avait sur la grande planche où il avait levé. Il avait fait un demi tour sur lui même pour passer sur la planche et le même demi tour en sens inverse pour arriver sur la pale.

Quand le nombre de pain était bon suivant la rangée à enfourner, il fallait donner "le coup de lame". Un lame de rasoir tenue légèrement de biais ; et c'était trois ou quatre fentes en diagonale sur chaque pain. Zip, zip, zip ; le pain suivant : zip, zip, zip... zip, zip zip...

Pas plus tard que la semaine dernière, la boulangère du village m'en encore a parlé de ce fameux "coup de lame" :

L'apprenti il n'y arrive pas aussi bien que mon mari : il ne comprend pas pourquoi son pain ne lève pas aussi bien : ça, ça vient du "coup de lame" : on sait ou on sait pas !"

En fait, ça vient de la façon d'incliner la lame. La fente est en biseau et ça permet au pain de bien s'ouvrir quand il lève dans le four.

Puis un premier coup de brosse à peine humide sur chaque pain pour que le pain soit bien brillant.

Entre chaque rangée de pelle enfournée, bien sur, le four était refermé pour conserver au mieux la chaleur. La porte avait un balancier sur le côté et une poignée horizontale vers le bas en son milieu. Il suffisait de l'abaisser ou de la relever d'un coup de main machinal.

Mon père était complètement plié en deux pour enfourner, avec la tête relevée, et les yeux aussi pointés vers le haut, ce qui lui avait creusé de grosses rides horizontales sur tout le front.

Il ne regardait pas la planche quand il la prenait avant de l'enfourner. Tous ses gestes étaient machinaux, millimétrés. Se yeux fixaient intensément l'intérieur du four éclairé par la balladeuse, placée dans un renfoncement du mur, à droite de la porte et qui était protégée de la grosse châleur de l'intérieur par une épaisse vitre de micas.

Pour que le pain se développe au mieux, il fallait aussi "envoyer la vapeur" dans le four. Mais juste ce qu'il fallait. Ni trop ni pas assez. Il y avait deux petits bidons de cuivre fixés au mur de part et d'autre de la porte et qui correspondaient avec l'intérieur. Il suffisait d'y verser un ou deux verres d'eau dans chaque. L'eau coulait jusque dans le four où elle se vaporisait rapidement sous l'effet de la chaleur.

Le défournement se faisait dans le même ordre que l'enfournement. Le temps de remplir le four, les premiers pains, ceux de la première rangée à gauche, étaient presque cuits ou en tout cas déjà bien gonflés.

Quand ils étaient tout-à-fait cuits, il fallait enfiler la même longue "pale" dans le four, sous la rangée de pains et les retirer rapidement, tous en équilibre.

Chaque fois, la pelle ressortait avec un chapelet de pains, gonflés comme des ballons et donc en équilibre, tous un peu de travers...

(Et il fallait refermer la porte immédiatement à chaque fois, bien sûr !)

Pour que les pains soit bien brillants, mon père envoyait alors un nouveau coup de brosse. Une brosse avec un petit manche. Elle était légèrement humectée dans une assiette d'eau sur le côté de l'abattant du four, devant la balladeuse, avant de passer rapidement sur tous les pains alignés.

Les pains craquaient, saisis par la différence de température.

Alors il les prenait tout brûlants un par un et les rangeait debout dans la "carriole", un panier rectangulaire en fer et monté sur des roulettes qui les transporterait jusqu'au magasin. Il prenait les pains brûlants... sans se brûler. Il m'avait expliqué : "il suffit de les prendre sans les serrer !" En fait, il les touchait à peine. Les pains sautillaient entre ses mains.

La carriole avait une poignée des deux côtés.

--"Tu viens m'aider à descendre la carriole ?"

Entre le four et la farinière, il y avait quatre marches. Entre la farinière et le magasin, une.

C'est pendant ces longues nuits, tout seul dans son fournil (Tonton ne venait pas tout le temps), que mon père composait ses chansons. Paroles et musique. Lui qui n'avait jamais étudié la musique. (C'est peut-être un peu ça aussi, le génie !)

Je me souviens d'une seule : "Tourner la page"

Depuis le magasin, on entendait sa voix claire, pleine, lisse et bien articulée.

La prononciation de chaque lettre avait été exactement étudiée :

"Vous avez un chagrin d'amour

Qui va durer toute la vie

Vous vous y attendiez toujours

Car elle était la plus jolie

Oui mais aujourd'hui, c'est fini

Que faut-il faire car c'est la vie

Tourner la page, ou la folie ?

Tourner la page : c'est plus joli !

Qu'il est dur de tourner la page !

Et de la fermer sur son coeur

La joie finit près du rivage

(Manque un vers)

Où l'on voyait ses cris de mains

On pleure on crie on est en rage

Mais toute chose a une fin

Qu'il est dur de tourner la page

De la fermer sur son destin..."

Quel type !

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Tonton Marius.

(ou "le prince farceur".)

-- Monsieur A....... (Blaquière!) ! Venez vite ! Y'a quelqu'un qui vient de rentrer dans le magasin, ça doit être un prince ou un président, c'est sûrement un Monsieur important : il me fait peur !

C'est ainsi que la jeune Marinette, qu'on avait embauchée pour vendre le pain pendant que ma mère accouchait de ma soeur ou de moi, venait de surgir dans le fournil pour appeler mon père à l'aide. Elle était complètement paniquée.

Mon père, tout blanc de farine était en train de façonner. Il s'essuie vaguement les mains sur son tablier, un torchon, passé dans sa ceinture qui n'est qu'une ficelle, avec ce geste en suspend qui essuie sans essuyer, presque symbolique ; et il descend les trois marches du fournil à la farinière comme en faisant les claquettes. Il traverse la farinière, arrive au magasin...

Là, un homme cravaté, grand, mince, vêtu de noir, chapeau haut de forme, fait les cent pas dans le magasin en faisant tournoyer sa canne. (Une canne à pommeau, bien sûr, pas à poignée recourbée.) Il se retourne à l'arrivée de mon père... et les deux tombent dans les bras l'un de l'autre.

Le tout noir et le tout blanc.

-- Tonton Marius !

-- Paul !

C'était ça Tonton Marius : la super élégance instinctive, qui en plus n'en a rien à faire.

Il était grand, il était beau, portait moustache et chapeau, une moustache à la Charlot...

Je ne l'ai pas connu. Mais ma soeur se souvient un peu de lui : elle le revoit qui l'amusait à table en faisant les marionnettes avec deux serviettes. Un noeud pour la tête et les deux petites bouts devenaient des oreilles... Avec ça il pouvait amuser les petits pendant une heure. Plus que Charlot c'était vraiment Chalie Chaplin. Et avec le même talent.

A Toulon, il lui est arrivé, habillé sur son trente et un, de se glisser dans la suite d'un mariage un peu chic où il ne connaissait strictement personne. Et personne n'osait rien lui demander, tant il en imposait. De plus, chaque famille, celle du marié comme celle de la mariée, pensait, à voir son assurance et sa décontraction qu'il appartenait nécessairement à l'autre...

Mais voilà que pendant le repas, ses facéties faisait de lui la vedette absolue du mariage... Il chantait, dansait, contait, jouait des tours, imitait les uns, les autres, si bien qu'à la fin du repas, toute la noce se tordait de rire.

Mais Tonton Marius qui n'avait rien d'un pique assiette prenait alors la parole est expliquait sa situation :

--"Je dois vous faire un aveu : Je ne connais personne ici, et je ne suis parent avec aucun d'entre vous !"

L'étonnement était général. Mais dans la bonne humeur : il avait dit ça comme une bonne blague, et vu l'ambiance qu'il mettait depuis le début, c'est en invité d'honneur du mariage qu'il était prié de rester pour le repas du soir.

C'est ainsi que la noce profitait du plus extraordinaire animateur qu'elle aurait pu souhaiter.

Tonton Marius était donc chanteur, aussi. Mais un chanteur spécial. Avec une voix... abominable ! Une voix de "cassicougnat" ! Qui couinait, crissait, striait les tympans ; mais... toujours juste ! Il vous prenait la tierce, ou la quarte, ou la quinte : pas de problème ! à la hauteur parfaite. Mais c'était horrible : à mourir de rire !

Il était grand, il était beau, il était fou.

Les hommes du village se sont un jour défiés : le gagnant serait celui capable de faire l'arbre droit le plus haut. C'était au bar.

L'un l'a fait sur une chaise, l'autre sur la table, un autre a mis une chaise sur la table, encore un autre s'est rétabli sur deux chaises en équilibre sur la table...

Alors, Marius a traversé la place et est allé faire son arbre droit...

Sur la croix du clocher !

Une femme qui passait sur la place à ce moment se serait évanouie en s'écriant :

-- Boudiou ! (Mon Dieu !)

Mais c'est Marius qui a gagné.

Certes, c'est aussi parce qu'il avait dans sa poche la clé du clocher. C'était lui qui montait là-haut tous les lundis pour remonter la pendule.

Il était grand, il était beau, et il était célibataire...

Quand il montait au clocher, remonter la pendule, Simonie venait parfois lui offrir un panier d'oeufs. Elle aurait pu le laisser en bas, sur la marche, mais si la porte était restée entrouverte elle préférait le lui donner en personne, de la main à la main, si on peut dire. Elle montait donc après lui.

Ils y restaient d'ailleurs assez longtemps dans le clocher...

Plus près du ciel !...

(Boudiou !)

Depuis sa fenêtre du Château tante Mariane qui ne craignait pas elle aussi d'aller retrouver Marius à l'occasion, les avait repérés et suivait leur manège. Mais c'était trop dur pour elle de rester à la fenêtre, alors, elle chargeait sa fille (huit ans) et sa petite copine --ma mère !-- de surveiller les allées et venues de Marius et Simonie.

-- Vous me dites quand vous la voyez ressortir ! "

Et les deux gamines se régalaient :

-- Elle est encore dedans !

-- Et maintenant ?

-- Ils sont toujours là-haut !...

Pendant ce temps, Mariane tournait en rond dans sa cuisine, furieuse, elle fulminait, hors d'elle :

-- Ah la salope !... La salope !... La salope !...

Et les petites :

-- Ca y'est ! Il est ressorti en premier !...

-- C'est lui qui porte le panier d'oeufs, maintenant !

-- La salope !... Ah ! la salope !...

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  • 2 semaines après...
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Pépé Manu

Tonton Marius, c'était vraiment un fou.

Dans le bon sens du terme, si on peut dire !

Mais ils étaient deux en famille. Il y avait aussi son frère, Emmanuel, mon grand père. Qui sur ce

plan de la folie ou de l'originalité n'avait peut-être pas grand chose à lui envier.

Pendant la guerre de quatorze (mon père dixit), quand d'autres (pas si couillons), faisaient un pas

en arrière, eux, tous les deux, ils se portaient volontaires. Pour aller couper les barbelés en rampant dans la boue par exemple...

Et bien sûr ils avaient été blessés.

Marius, la moitié de ses côtes avaient été remplacée par des plaques d'argent. (Ce qui ne

l'empêchait pas de faire l'arbre droit sur la croix du clocher.) Et bien pire. Ou mieux. Dans les années trente, on l'a vu, dans les campagnes, les hommes aimaient bien se défier. Pour l'amour du sport, on pourrait dire mais plus certainement par arrogance. (C'est encore mon père qui raconte.)

Au village, il y avait un "bousquétier" (un bûcheron) : le père Michel. Une sorte de brute, un homme des bois, un gorille. Poilu, noueux, hirsute, moustachu. C'était un italien des montagnes

avec les jambes arquées, des bras comme mes cuisses et des mains comme des battoirs. Et pour

savoir qui était le plus fort, le jeu consistait à s'asseoir par terre, les jambes allongées, face à face,

pieds contre pieds. Puis, en tenant chacun de son côté le même manche de pioche, c'était à celui

qui tirerait l'autre vers lui, de son côté, qui le soulèverait.

Emmanuel, mon grand père, déjà malade et épuisé par ses blessures de guerre qui ne s'étaient

jamais complètement guéries, avait bien sûr tiré l'ours des montagnes de son côté. Après, ça avait

été le tour de Marius. Lui, avec la moitié de ses côtes en argent, c'est d'une seule main qu'il l'avait

soulevé, le bûcheron !

Marius, le prince farceur était --on s'en serait douté-- communiste ! (C'était bien un Charlie

Chaplin à tous les étages !) Il ne lui manquait que ça pour finir son portrait d'originalité ! Quant à

Emmanuel il aurait été plutôt de droite, voire d'extrême droite. Un virus qu'il avait pu attraper

chez les aristos de l'aviation pendant la guerre.

Ca ne devait pas être triste les réunions familiales !

Mais mon père avait pu faire la synthèse idéologique de ses deux icônes. Un jour je l'ai entendu

dire, pour se définir, en manière de devise :

"ARISTOCRATE OU PROLETAIRE ! BOURGEOIS ? JAMAIS !"

Comediante !

Emmanuel, mon grand père avait fait une partie de la guerre de quatorze comme mécanicien

d'aviation. Dans l'escadrille de Guynemer. Et ses blessures avaient été, une à l'épaule en faisant

démarrer un moteur d'avion à la main, comme ça se faisait, en lançant l'hélice, qui l'avait donc

frappé à l'épaule ; et deux à l'aine, à la hanche, par une ruade de cheval !

(Car c'était un peu ça, la guerre de quatorze : la guerre des étoiles au moyen-âge avec des chevaux et des engins volant !)

La blessure du cheval ne s'est jamais refermée complètement.

Le moyen-âge avait donc dû s'allier à la pointe de la technique pour l'abattre. Pour abattre cet Hercule, capable de broyer une noix dans sa main.

Mais de ce que mon père m'en a dit, on peut penser qu'il était aussi plutôt spécial, question caractère. Pas vraiment un rigolo comme son frère.

D'un différent qu'il avait eu avec le vieux Barola, un espagnol du village, les deux avaient décidé

de régler l'affaire en duel. Ils étaient donc partis dans les rues du village, chacun avec son fusil ! Le gagnant serait bien sûr le survivant ; le premier qui verrait l'autre et l'abattrait !

Un Western !

Les gens du village (dont mon -futur-autre grand père, Giraud), s'étaient heureusement interposés et l'affaire avait pu, il faut croire, se résoudre autrement.

J'ai gardé son fusil et une hélice d'avion, qu'il avait taillé à ses moments perdus dans une pièce de

bois.

A la fin de la guerre, le père d'Emmanuel, l'Inventeur et donc mon arrière grand père avait voulu

faire entrer son fils à l'Arsenal de Toulon où il travaillait déjà, lui. Emmanuel se présente, et déjà mécanicien accompli, on sait vite où l'employer...

La matinée se passe, mais voilà qu'à midi, la sirène résonne pour signaler l'arrêt du travail, la pose de la mi-journée pour aller prendre son repas.

Emmanuel demande à son voisin d'établi :

-- C'est quoi ça ?"

Et l'autre lui répond :

-- C'est la sirène de midi pour nous dire qu'on peut aller manger."

Réaction de mon grand père :

-- Oh ? Moi je marche pas quand on me siffle !

Il est sorti de l'Arsenal et n'y a plus remis les pieds !

C'est à la suite de ça qu'il est monté à Réoules et s'est marié avec la fille du boulanger, Androline, et qu'il est devenu lui-même boulanger.

Mon père ironisait :

-- "Il savait faire marcher les avions, il a vite compris comment façonner une baguette !"

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Blaquière Membre 18 874 messages
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(Pépé Manu, suite)

Quand il est mort, mon père avait quinze ans.

Et cette mort de son père il me l'a racontée. Ca avait été progressif. Il était couché au premier, allongé dans le grand lit rouge en acajou, et il avait dit :

-- J'ai les pieds glacés !"

Puis au bout d'un moment :

-- Maintenant, le froid me monte jusqu'aux genoux !"

Après ça avait été les cuisses, puis le ventre...

Il racontait à mesure...

-- Et quand c'est arrivé au coeur, il est mort" disait mon père.

Puis il rajoutait :

-- Depuis qu'il est mort, il ne s'est pas passé un jour sans que je pense à lui."

Et il avait plus de cinquante ans, quand il disait ça, mon père. Après quoi, il rajoutais ces deux mots terribles :

-- Tu verras !

Merde ! Et moi, je m'inquiétais !

"Peut-être que je serais pas à la hauteur ? Peut-être qu'un jour, j'oublierais d'y penser, à lui ?"

Foutaise ! Si c'était qu'une fois pas jour que j'y pense, ce serait rien !

Il me suffit d'avancer la main pour que ce soit sa main que je voies, et son geste. On a les mêmes gestes !

Mon geste, c'est son geste ! Exactement comme il m'avait dit. Il est là, en moi, en permanence comme le sien de père était en lui. Il ne m'avait pas mis au défi. Bien au contraire : il m 'avait juste prévenu...

On m'a appelé Emmanuel, comme ce grand père et donc, aujourd'hui, c'est moi, "pépé Manu" !

Eh bien, malgré tout ce background un peu terrible, (et peut-être à cause de lui) c'est un vrai moment de bonheur quand les petits m'appellent comme ça.

J'ai toujours vu mon nom sur une plaque, au cimetière. Et je suis toujours là ! Une sorte de petite immortalité perso !...

En 1979, quand mon second fils est né, à la clinique de Toulon, un bonhomme du quartier (St Jean du Var) passe timidement la tête par la porte entrouverte de la chambre...

--Vous vous appelez Blaquière ? J'ai vu sur le journal qu'un petit Blaquière était né ces jours-ci.

Vous êtes les Blaquières de Réoules ?

--Oui !

Et à moi :

--Tu es le petit de Paul, alors ?

--Bè oui !

--Tiens, j'avais gardé une photo de ton grand père Emmanuel pendant la guerre de 14, je te la donne !...

Et là, surprise !

Certes il y avait en arrière plan, un avion, très vieux modèle, un coucou de 14 !... Peut-être celui de Guynemer ? Exactement le même en tout cas ! Mais le type devant, ce n'était pas un poilu de 14 ! Que ce soit par sa gueule, l'allure, toute sa dégaine on peut dire, ben non : c'était un "jeune de maintenant" !

Vous le croiseriez dans la rue vous diriez juste : Ouch ! La classe !

En 14, il avait juste vingt ans.

Il y a cent ans...

Un jour mon père m'a raconté que son père l'emmenait parfois avec lui, à Toulon, quand il était petit. En guise de chaperon, ou de caution, j'imagine ? "Je me souviens vaguement, j'étais tout petit, je le revois... ou je crois le revoir ? Non, c'était bien vrai : j'ai encore l'image devant les yeux ! Il était beau, grand, décontracté, avec plein de belles femmes, autour de lui, il tenait une guitare dans les mains, et il chantait..."

C'est peut-être pas si grave s'il s'est un peu amusé bêtement. Il avait à peine quarante ans quand il est mort...

L'Inventeur

--"Honoré ! Nous sommes des Honoré !"

Ca, c'était le bon mot de mon arrière grand père (et père du précédent) quand il croisait dans le village un gamin qui avait le même prénom que lui. Je ne l'ai pas connu. C'était "grand père Blaquière". Le nom que lui donnait mon père pour le distinguer de son autre grand père, grand père Brun, le père de sa mère et de Tonton Camille.

Mais il avait aussi une autre appellation qui devait remonter à un époque où mon père, tout petit

ne parlait pas encore très bien. C'était "pépé 'Aquière". Et curieusement, c'était ce nom que tout le monde avait retenu pour lui, au village. Quand il avait pris sa retraite de L'Arsenal de Toulon, il était venu s'installer à Réoules, près de son fils, Emmanuel, mon grand père, comme je l'ai déjà dit...

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