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Elle n'en finit plus de courir.....La dette


cyaon-le-cynique1

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cyaon-le-cynique1 Membre 33 messages
Baby Forumeur‚ 71ans‚
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E

Ça commence sur les chapeaux de roues avec un proverbe américain qui dit en substance : « si tu dois 100 000 dollars à une banque elle te tient par les couilles, mais si tu lui en dois 100 millions, c’est elle qui les a toutes bleues.

D’emblée l’auteur se retrouve dans une garden party entrain de papoter avec une charmante dame, propre sur elle et avocate au service d’une fondation qui aide les associations anti- pauvreté. Il lui dit qu’il participe depuis des années au mouvement pour la justice mondiale. Elle se dit – c’est un « altermondialiste », Seattle, Gênes, les gaz lacrymogènes, les combats de rue. Elle avait lu tout ça…

-- Et pour quel résultat ?

-- Quel résultat ! Et bien nous avons détruit presqu’entièrement le FMI. Au son du sigle à trois lettres les yeux de la belle devinrent vitreux. David (l’auteur de ce polar hors côte) se sentit obligé de lui expliquer qu’il s’agissait grosso modo de l’équivalent « haute finance » des armoires à glace qui viennent vous casser une jambe quand vous ne remboursez pas vos dettes.

Par exemple, pendant la crise du pétrole des années 1970 les pays de l’OPEP avaient tellement déposé de richesses dans les banques occidentales que ces dernières ne savaient plus où investir ; la Citibank et la Chase avaient contacté dictateurs et politiciens du Tiers Monde pour les convaincre d’emprunter. Ce « go-go banking » proposait des taux très bas à la signature, mais en raison de la politique restrictive d’après crise menée par les Etats-Unis, ces taux se sont vite envolés vers les 20 % dès le début des années 80. Pour continuer à se faire financer les pays pauvres durent se soumettre aux conditions draconiennes imposées par le FMI : plus de « soutien aux prix » des denrées de base, quitte à renoncer à maintenir les réserves stratégiques, fin de la gratuité des soins et de l’enseignement. Le résultat fut l’écroulement des mécanismes publics qui subvenaient aux plus mal lotis. De ce pillage des ressources publics s’en suivi encore plus de pauvreté, de violence, de malnutrition et les maladies qui vont avec…

-- Mais vous, votre position la dedans ? lui demande-t-elle.

-- Abolir le FMI.

–- Non, sur la dette du Tiers Monde ?

La dette ? Nous voulons l’abolir aussi et pour ce faire arrêter le FMI avec ses ajustements structurels causes de tous les dégâts et nous y sommes parvenus. Dans un second temps c’est l’annulation pure et simple de la dette.

–- Mais, cet argent, ils l’ont emprunté, répliqua-t-elle comme une évidence. Or, on doit toujours payer ses dettes.

David reconnu là le postulat récurrent selon lequel les dettes « doivent » être payées. Alors que, même dans la théorie économique courante, l’axiome « toujours payer ses dettes » n’est pas vrai. Tout prêteur prend un risque. S’il n’y en avait pas, que toute sorte prêt était possible et sûr, même le plus farfelu, aucun code des faillites ne serait utile. Par exemple, je pourrais dire au banquier « j’ai un tuyau béton sur la course hippique de demain, prêtez-moi deux millions maintenant ! ».Il ne le fera pas car il sait très bien que si le canasson n’arrive pas demain il n’aura aucun recours pour récupérer sa mise. Par contre, s’il existait une loi qui lui garantissait le retour de son investissement, quitte même à vendre mes enfants comme esclave, ou prélever mes organes et d’autres choses plus coquettes encore, il serait moins catégorique dans son refus. En effet, pourquoi attendre demain un projet viable puisque tous les prêts se valent aujourd’hui. Or, c’est exactement la situation qu’a créée le FMI au niveau mondial et pourquoi toutes les banques sont prêtes à gaver n’importe quel escroc qui passe, n’importe quel dictateur non élu avec compte personnel en Suisse.

La rencontre avec l’avocate s’arrêta là car un financier ivre ayant remarqué que leur conversation tournait autour de l’argent se senti obligé de s’inviter. Les propos devinrent vite graveleux, l’auteur prit la tangente.

Tandis qu’il partait, une phrase résonnait en lui : « il est clair que l’on doit payer ses dettes. »

Ce n’est pas un énoncé économique pensait-il, c’est un énoncé moral. S’acquitter de ses obligations à l’égard d’autrui comme on attend d’autrui qu’il s’acquitte des siennes, quoi de plus moral. Quoi de plus fautif que de trahir une promesse ou de refuser de rembourser une dette ?

Ce contenu insidieux dans l’énoncé pouvait donner un petit air inoffensif aux pires des crimes. Le mot n’est pas trop fort car David se souvenait encore de ce qu’il avait vu sur les hauts plateaux de Madagascar. Une terrible épidémie de paludisme fit dix mille morts parce que le programme d’éradication avait un coût : tests périodiques sur les moustiques et campagnes de pulvérisation pour qu’ils ne se reproduisent pas. Les frais n’étaient pas énormes mais le plan d’austérité imposé par le FMI ont conduit l’Etat à négliger cette surveillance. Comment peut-on justifier dix mille vies pour que la Citibank soit remboursée d’un prêt irresponsable ?

Pourtant, David avait rencontré ce soir-là une femme très honorable, avocate au service d’une organisation caritative lui affirmer : « il est clair qu’il faut payer ses dettes ».

D’où provient cette évidence que la faute soit jeter sur le débiteur et jamais sur le créancier ?

Ici commence une enquête sur cinq mille ans partout dans le monde, même les mésopotamiens seront convoqués. Certains diront que ce n’est pas un polar mais un traité d’économie politique. Peut-être, tout dépend de celui qui lit. Pour ma part le lecteur est virtuellement autant écrivain que l’auteur dont il parcourt l’œuvre.

Il se passe que les banquiers dorment moins bien la nuit, c’est tout !

C’est parfaitement possible pour un pays de refuser de payer sa dette jugée illégitime ou illégale . Et que contrairement à ce qu’on fait passer comme message, cela ne produit pas le chaos. Il suffit pour cela que les gouvernements, sous la pression des mouvements sociaux lancent des audits de la dette afin de prendre des mesures unilatérales de non-paiement de la dette.

Equateur, Argentine, Paraguay. Voilà autant de pays qui ont refusé de payer leurs dettes à la Banque mondiale, au Fmi, au Club de Paris et aux banquiers.

Aujourd’hui, l’Argentine connaît un taux de croissance de plus de 8 % depuis 2003. L’Equateur connaît un taux de croissance de 3 à 4 %. Ces pays n’ont pas connu le chaos. Bien au contraire, ils ont enregistré une amélioration des salaires, des pensions et des conditions de vie des populations, soutient Eric Toussaint qui a participé à l’audit de la dette de ces pays.

l’Equateur s’est même permis, et les média ne l’ont pas ébruité, d’expulser le représentant permanent de la Banque mondiale. Ce qui s’est passé en Equateur, peut parfaitement se passer dans la majorité des pays en Afrique. Cela devrait être reproductible en Grèce, par exemple, qui est confronté à une crise terrible de la dette.

L’Argentine a également suspendu les remboursements de la dette au Club de Paris qui est un des principaux créanciers des pays d’Afrique subsaharienne avec le FMI et la BM... L’Argentine a suspendu le paiement de sa dette à l’égard du Club de Paris pour un montant de 6 milliards de dollars de 2001 jusqu’à aujourd’hui. Il n’y a aucun journaliste qui a entendu parler de cela. Parce que le Club de Paris ne veut pas qu’on sache ailleurs dans le monde qu’on peut refuser de le payer. Le Club de Paris ne dit rien et fait tout pour que cela ne se sache pas.

Après dix ans de non paiement, l’Argentine dit qu’on peut recommencer à dialoguer avec le Club de Paris, mais le FMI n’en fera pas partie. Le Club de Paris a accepté ; alors que d’habitude, il estime sa présence comme indispensable.

Mythe fondateur de l’économie en tant que discipline.

En 1776 Adam Smith tente d’établir un fondement de la vie économique. Il présuppose que l’homme a un certain penchant naturel à échanger et comparer les choses en recherchant un avantage personnel. Cette pulsion d’échange créée la division du travail, source de toutes les réalisations humaines.

« […], dans une tribut de chasseurs ou de bergers, un individu fait des arcs et des flèches avec plus de célérité et d’adresse qu’un autre. Il troquera fréquemment ces objets avec ses compagnons contre du bétail ou du gibier, et il ne tardera pas à s’apercevoir que, par ce moyen, il pourra se procurer plus de bétail et de gibier que s’il y allait lui-même à la chasse. Par calcul d’intérêt donc, il fait sa principale occupation des arcs et des flèches, et le voilà devenu armurier. » (Richesse des nations ; A. Smith, t. I ; Flammarion, coll. GF).

Et d’après lui, il en va de même du charpentier, du chaudronnier, du tanneur, etc.

A noter que ce raisonnement nous fait glisser directement d’un sauvage imaginaire aux boutiquiers des villes.

Ici, Adam Smith renverse la théorie admise de l’époque qui veut que la monnaie soit une création de l’Etat. Il se place dans la ligne libérale de John Locke, selon lequel l’Etat est né du besoin de protéger la propriété privée et doit se limiter à cette tâche. La monnaie et le marché préexistant aux institutions politiques devaient être les fondements des sociétés pour faire admettre que l’économie constitue un champs spécifique du savoir humain, une science avec ses principes et ses lois.

Il continue en affirmant que ce n’est qu’après l’apparition de ces spécialistes que les gens se rendent compte d’un problème. Si par malheur une personne n’a pas d’objet échangeable utile aux autres, il devra user de prévoyance en possédant quelque marchandise dont tout le monde aura besoin. Il y aura donc accumulation de cette marchandise utile pour tout échange. Et comme tout le monde en aura un peu, celle-ci en sera d’autant moins précieuse, mais paradoxalement, elle sera rendue plus précieuse, par le fait, qu’elle devient une monnaie.

Par suite, surtout pour le commerce longue distance les objets idéaux devront être durables, transportables et divisible en portions identiques. Les Spartiates utiliseront le fer, les Romains le cuivre, puis l’or et l’argent d’bord en barres informes, sans marque ni empreinte.

Mais, il y avait encore des inconvénients : l’embarras de la pesée. « C’est, en particulier, une opération assez délicate que de peser l’or […] » (Ibid., A. Smith, t. I) D’où la solution simple de marquer les morceaux de métal par des désignations uniformes et garantir ainsi leur poids et leur titre. Ainsi, selon Smith, serait né le monnayage. Cela implique la participation des Etats bien sûr, puisque c’est eux qui en général gère l’hôtel des monnaies.

Cette histoire pleine de raccourcies fonde la science économique et surtout répand l’idée qu’il existe une réalité nommée « économie » avec ses règles propres distinctes de la vie morale et politique. « L’économie » serait un champ où nous nous laissons aller de notre penchant naturel pour le troc depuis toujours et pour toujours. La monnaie n’étant qu’un moyen plus efficace pour le pratiquer.

Ensuite des personnages comme Karl Menger et Stanley Jevons y ont ajouté des équations mathématiques pour faire sérieux et des termes impressionnants pour faire encore plus sérieux comme remplacer « incommodité » par « coûts de transaction »…

Il n’empêche que la fable de départ, qui semble tellement pleine de bon sens, est présente dans tous les manuels scolaire et qui se résume à ceci : « Autrefois nous faisions du troc. C’était difficile, alors on a inventé la monnaie, et les banques, et les crédits… ». Une sorte d’affinage de plus en plus abstrait qui a mené inexorablement l’humanité du troc préhistorique des défenses de mammouth aux marchés boursiers, fonds spéculatifs et dérivés titrisés !

Aujourd’hui tout le monde semble y croire. Partout où il y a de la monnaie cette fable es là aussi, profondément ancrée dans le sens commun ne laissant aucune possibilité d’imaginer une autre explication de la création de la monnaie…

Or, l’histoire l’atteste, que l’évolution a eu lieu dans l’autre sens. Il y a eu la monnaie virtuelle comme on dit aujourd’hui, en premier et plus tard les pièces de monnaies dont la diffusion fut très inégale, sans jamais remplacer le système de crédit originel. Le troc n’est qu’un sous-produit accidentel.

Mitchell Innes démonte les faux postulats sur lesquels reposait l’histoire de l’économie. Ce dont on a besoin, suggéra-t-il, c’est l’histoire de la dette :

« L’une des illusions populaires à propos du commerce consiste à croire qu’à l’époque moderne on a introduit un système, le « crédit », qui permet de se passer de la monnaie, et qu’avant la découverte de ce système tous les achats se payaient en liquide, c’est-à-dire en pièce de monnaie. Autrefois les pièces de monnaies jouaient dans le commerce un rôle beaucoup plus réduit qu’aujourd’hui. D’ailleurs la quantité des pièces étaient si limitée qu’elle ne suffisait même pas aux besoins de la maison royale ( l’Angleterre médiévale) et des domaines royaux, qui utilisaient régulièrement divers types de substituts pour effectuer les petits paiements. Les pièces avaient si peu d’importance que parfois les rois n’hésitaient pas à les rappeler toutes pour les refrapper et les remettre en circulation ,et pourtant le commerce continuait comme avant.

En 1504 Herman Cortès, émigré d'Hispaniola rêvait de gloire et de conquête. Il commençât par séduire les épouses des autres. En 1518,à force d'intrigues il réussit à se faire nommer commandant d'une expédition. Vivant largement au-dessus de ses moyens il partit endetté avec 600 hommes à qui il promit le partage égale des profits et une fois débarqué au Mexique il prit soin de brûler les navire pour être sûr de ne compter que sur la victoire.

Huit ans plus tard il tenait sa victoire au prix d’une guerre atroce et la mort de cent mille Aztèques. Tenochtitlan, l’une des plus grandes villes du monde fut détruite intégralement. Alors que le moment de partager le trésor impérial avec les soldats survivants était venu.Indignation !

Les officiers se sont arrangés de garder pour eux l’essentiel de l’or laissant aux hommes de troupes 50 à 80 pesos chacun. La manigance consistait à reprendre l’essentiel du butin par les officiers en tant qu’ils étaient créanciers – Cortès avait décidé de facturer aux soldats l’équipement et son entretien (un cheval mille piastres ; épée 50 ;escopette cent ; arbalète 60… et ainsi de suite)et aussi les soins médicaux durant le siège, ce qui fait que certains soldats étaient déjà endettés.

Devant l’effronterie de certains hommes lui réclamant plus de parts de butin, Cortès prit la résolution pour se sortir d’affaire sans perdre un pesos d’entreprendre l’occupation de toutes les provinces bonnes à coloniser.

Ce sont donc ces hommes-là qui ont fini par contrôler les provinces et qui ont créé les systèmes locaux d’administration, de fiscalité et de travail forcé.

L’envoi forcé dans les mines des indigènes vaincus se justifiait autant par la cupidité des conquérants que par leur volonté de rentrer dans leurs frais. Les rapports rédigés par les prêtres et moines espagnols présents lors des faits et qui pour soulager leur bonne foi pensaient que l’extermination des Indiens était le jugement de Dieu, n’en sont pas moins effroyables. Ils témoignèrent des atrocités commises par les soldats essayant les lames de leurs épées en éviscérant au hasard des passants, ou arrachant les bébés du dos de leurs mères pour les balancer aux chiens.

Mais plus systématique était la condition des mineurs comme le mentionne Toribio qui s’efforçait de croire être les dix fléaux de Dieu infligés aux habitants du Mexique : petite vérole- la guerre-la famine-le travail forcé-les impôts(à d’eux ils vendaient leurs enfants à des usuriers ou torturés à mort)-la mort dans la construction de la capital-la mort dans les mines-l ’esclavages dans les mines( les esclaves changeaient souvent de maitre et à chaque fois s’ajoutait une marque sur le visage aux stigmates royaux qu’ils avaient déjà. Toute leur face était écrite du passage de ceux qui les avaient achetés et vendus)-le service des mines (marches forcées pour apporter les provisions). Comme personne ne leur donnait à manger on pouvait trouver partout sur les routes, dans les mines des personnes mortes de faim. Il s’en dégageait une puanteur sans nom. A une demi-lieue de Guaxaca on ne pouvait éviter de marcher sur les cadavres ; des volées de corbeaux si nombreux que le soleil était obscurci. Mêmes scènes au Pérou, à Hispaniola où la population indienne fut totalement exterminée.

La cupidité des conquistadors fut portée à des proportions mythiques. Après Tenochtitlan, Cuzco l’acquisition de richesse était inimaginable, mais ils continuaient encre plus loin en quête de nouveaux trésors

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Il n’y avait pas que la cupidité froide, calculatrice,mais aussi la honte ou l’indignation vertueuse, la pression frénétique des dettes dues aux prêts à intérêts qui ne cessait de s’accumuler et la rage de se voir encore débiteur après ce qu’ils avaient enduré.

Pourtant Cortès venait de réaliser le plus colossal vol de l’histoire. Si ses dettes devenaient maintenant insignifiantes il en accumulait d’autres. Dès 1526, pendant qu’il était au Honduras, ses créanciers commencèrent à saisir ses biens. Sur ce il écrivit à l’empereur Charles Quint : « « Quand à posséder une grande partie de la contrée, j’avoue en avoir tiré des sommes considérables, mais toutes considérables qu’elles soient, elles ne m’empêchent point d’être pauvre et d’être endetté de plus de 500 000 piastres d’or, sans avoir un maravédis pour les payer. » des mensonges, sans doute (Cortès avait encore un palais personnel), mais quelques années plus tard il en était réduit à mettre en gage les bijoux de sa femme pour financer une expédition en Californie. Celles-ci fut un fiasco financier et c'est harcelé par ses créanciers qu'il dut rentrer en Espagne présenter une requête à l’Empereur.

C’était aussi le cas de la plus part des conquistadors ; Balboa partit au Amériques pour fuir ses créanciers ; Pizarre après avoir essuyé un revers au Pérou regagna Panama ; Francisco de Montejo mit en gage toutes ses possessions pour une expédition au Honduras ; Pedro Alvarado lui aussi fortement endetté tenta un projet de conquête des îles aux épices et de la Chine et à sa mort toutes les terres qu’ils lui restaient furent vendues aux enchères.

Cela ressemble étrangement à la quatrième Croisade avec ses chevaliers endettés qui avaient dépouillé des villes entières pour pouvoir échapper aux griffes des créanciers.

Il y a un raison à ça car le capital financier qui soutenait toutes ces expéditions venaient à peu près du même endroit : Gêne et Venise. De plus, cette relation entre les aventuriers près à tout risquer et le financier prudent et tout organisé autour d’une croissance inexorable, mathématique de son revenu est au cœur même de ce que nous appelons aujourd’hui le « capitalisme ».

Les indiens avaient-ils une âme ? Pouvaient-ils avoir des droits juridiques ? Etait-il légitime de les asservir par la force ? Et les conquistadors avaient-ils envers eux du mépris, de la répulsion, une admiration involontaire ? Autant de questions qui se posaient dans les universités espagnoles après coup, mais au moment crucial de prendre les décisions, rien de tout ça ne domptait. Ceux qui les prenaient ne se sentaient pas maître du jeu et ceux qui l’étaient ne voulaient pas en connaître les détails. Après les premières années d’exploitation des mines d’or et d’argent où des millions d’Indiens avaient été conduits à la mort, les colons se sont entendus pour mener une politique de péonage- l’astuce habituelle : décréter des impôts élevés, prêter de l’argent à intérêt à ceux qui ne pouvaient pas les payer, puis exiger le remboursement par le travail.

Bien sûr des agents royaux essayaient d’interdire cette pratique au nom de la morale chrétienne (quand les Indiens étaient convertis), mais les exigences financières finissaient par l’emporter. Charles Quint lui-même était très endetté à l’égard des banquiers de Florence, Gênes et Naples alors que l’or et l’argent importée des Amériques ne représentait qu’un cinquième de son revenu total. Dans ces conditions les décrets, les indignations morales des émissaires du roi tombaient vite en désuétude où tout simplement ignorés.

L’argent a toujours le potentiel de devenir lui-même un impératif moral. Si on le laisse s’étendre il deviendra vite une morale si impérative que les autres deviendront futiles. Pour le débiteur, le monde est un ensemble potentiels de dangers, d’instruments et de marchandises même les relations humaines se résument à des coûts/avantages et c’est ainsi que les conquistadors le voyaient.

Le capitalisme moderne a pour essence ces mêmes dispositifs pour forcer à penser de cette manière. La structure de la société anonyme en est un parfait exemple. Les premières sociétés par actions ont été les compagnies anglaises et hollandaises des Indes qui ont fait le même « travail » d’exploration que les conquistadors. C’est une structure qui élimine tout autre impératif moral que le profit. Les dirigeants qui prennent les décisions peuvent soutenir – et ils ne s’en privent pas - que si c’était leur argent personnel, bien sûr qu’ils ne licencieraient pas à une semaine de la retraite des salariés qui ont travaillé toutes leur vie pour la compagnie, qu’ils ne pollueraient pas jusque devant les écoles avec des produits cancérigènes. Mais en tant qu’employé il ne sont tenus moralement de ne pas en tenir compte au nom du rendement dus aux actionnaires, auxquels actionnaire, évidemment, on ne demande rien.

Le cas de Cortès est emblématique. Voilà un homme qui en 1521, avait conquis un royaume, possédait un immense stock d’or sans aucune intention de le céder –même à ses hommes - et cinq ans plus tard le voilà sans un sou.

La réponse est simple : Cortès n’était pas roi, mais sujet du roi dans une structure juridique qui pose qu’un mauvais gestionnaire de son argent devait le perdre bien qu’à d’autre niveau, nous l’avons vu plus haut, il pouvait ignorer la loi. Mais c’était sans compter que Charles Quint lui-même n’était pas un agent libre, il était continuellement endetté et quand son fils Philippe II - dont l’armée combattait sur trois fronts à la fois - tenta le vieux truc médiéval du défaut de payement, tous ses créanciers – l’Office de Saint Georges à Gênes aux familles Fugger et Welser en Allemagne, ont fait bloc pour lui signifier que dans ce cas ’il n’aurait plus aucun prêt.

Dans ces conditions, le capital n’est pas simplement de l’argent liquide. Ni même un recours au pouvoir politique pour se faire de l’argent avec de l’argent comme voulait le faire Cortès comme pendant l’Age axial. A l’Age axial, la monnaie était un outil de l’empire, un instrument politique essentiellement utile pour toucher l’impôt. Mais, quand les empires se sont effondrés, les armées démobilisées, tout le système s’est évanoui. Une nouvelle logique monétaire autonome émergeât autour de laquelle politiques et militaires se réorganisèrent.

Contrairement à l’Islam médiéval, dans le contexte d’un vrai marché libre – sans intervention aucune de l’Etat-, ou l’on ne verra pas se développer de marchés concurrentiels, ni de remboursement de prêt par la seule prohibition islamique de l’usure. Dans le monde chrétien (pour qui l’usure était un péché) un renversement moral s’opérait avec la réforme de Luther. Dès 1524, juste au moment où Cortès avait des problèmes de créances une nouvelle morale disait qu’on ne pouvait pas vivre en bon chrétien comme Jésus l’avait fait et qu’il fallait payer ses dettes d’emprunt. Cette infraction dans la théorie scolastique où le prêt à intérêt était assimilé à un vol marque la fin du Moyen Age et le début de l’âge des grands empires capitalistes qui lui prendra fin le 15 août 1971...

Il faudrait un jubilé tous les sept ans pour effacer l’ardoise

Si Hammurabi revenait, il serait horrifié. Dans la Mésopotamie antique, les rois babyloniens effaçaient l’ardoise des créditeurs quand ça commençait à couiner. Des siècles plus tard, la loi biblique du jubilé dispose que toutes les dettes seront automatiquement annuléestous les sept ans. Et pourtant, en sautant deux millénaires, on atterrit sur un juge qui condamne un Américain « à l’incarcération illimitée » jusqu’au remboursement d’une dette de 300 dollars...

L’effacement de la dette était nécessaire dans l’Antiquité pour éviter les bouffées de colère populaire. Sans quoi les paysans cassaient et brûlaient les tablettes, papyrus, grands livres et autres registres de dettes. Ou se barraient dans la forêt pour mettre le boxon.

David Graeber aimerait bien que l’on s’inspire un peu du passé :

« Il est plus que temps, je pense, de procéder à un jubilé de style biblique – un jubilé qui concernerait à la fois la dette internationale et la dette des consommateurs. [...] Rien ne serait plus bénéfique que d’effacer entièrement l’ardoise pour tout le monde, de rompre avec notre morale coutumière et de prendre un nouveau départ. »

« Mais il faut toujours payer ses dettes »

L’anthropologue vedette d’Occupy appuie « Rolling Jubilee ». Ce collectif rachète les dettes médicales de ménages qui ont la tête sous l’eau. Pas pour faire du fric, mais pour les annuler. A ce jour, près de 12 millions de dollars (9 millions d’euros) ont été effacés. Il reste de la marge : plus de sept foyers américains sur dix seraient endettés.

C’est en défendant l’annulation de la dette du Tiers-Monde que David Graeber a eu l’idée d’écrire son bouquin. Lors d’une garden-party à Westminster Abbey (même les anars peuvent être mondains), il rencontre une jeune avocate qu’on lui présente comme étant « du genre militant ».

Au terme de la discussion l’avocate dit: « Mais ils l’ont emprunté, cet argent. Il est clair qu’on doit toujours payer ses dettes. »

L’air lui manque, ses mains deviennent moites, l’agacement pointe dans sa gorge. Ses arguments se bousculent :

•par la magie des intérêts composés, la somme empruntée par des dictateurs sous la pression des pays riches a déjà été remboursée « trois ou quatre fois » ;

•le FMI impose des coupes si drastiques que des gamins en crèvent ;

•le taux d’intérêt rémunère le risque et faire défaut fait partie du système.

Elle, imperturbable : « Mais il faut rembourser ses dettes. »

D’où la question qui tire toute la réflexion du livre :

« [Qu’est-ce qui donne à cet énoncé (“il faut rembourser ses dettes”)] cette force morale capable de donner un air inoffensif et banal à des horreurs ? »

Quand on déguise la baston en morale, ça donne la dette

D’où vient cette force morale de la dette ? De la violence.

Scarface et Alexandre le Grand ont en commun de transformer leurs conquêtes en dette. « Je ne t’ai pas complètement pété la gueule, donc tu m’appartiens, mais on va s’arranger. » Si elle ne rembourse pas sa vie épargnée, la victime devient le coupable. Petit miracle.

Bizarrement, malgré cette violence, la dette reste une relation contractuelle passée entre deux individus égaux. L’endettement suppose l’égalité. C’est pour cela qu’il est le ferment des révolutions. D’où le slogan des révoltes paysannes :

« Annulez la dette, redistribuez les terres. »

Sauf que ces révoltes – souvent d’inspiration religieuse – parlent le langage de l’adversaire. Elles utilisent le registre de la morale et un vocabulaire économique. Exemple : la « rédemption » chrétienne, dont l’étymologie se rattache au « rachat » (de la dette).

Bref, la dette s’enkyste dans notre idée du bien et du mal. Voilà d’où vient sa force morale. La violence est toujours là, mais enfouie sous nos conventions.

« L’histoire montre que le meilleur moyen de justifier des relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, est de les recadrer en termes de dettes – cela crée aussitôt l’illusion que c’est la victime qui commet un méfait. »

Parfois la dette permet de se faire des amis

Il y a, pour le dire vite, de la bonne et de la mauvaise dette. La bonne, c’est la promesse bienveillante entre voisins. Je te rends un service aujourd’hui, tu m’en rendras un demain. La mauvaise, c’est celle imprégnée par les mathématiques et imprimée par la contrainte.

Graeber aime prendre comme exemple les Tiv, un peuple d’Afrique de l’Ouest. Les femmes y tissent des liens en se faisant de petits cadeaux mutuels. Elles prennent garde à ne jamais répondre à un présent par un objet de valeur équivalente.

Ce serait dire :

« Nous sommes quittes, bye-bye la mégère. »

Si le cadeau en vaut trois, il faut répondre avec deux ou quatre. Histoire d’avoir une excuse pour revenir faire coucou.

Les dettes, « seule forme des rapports humains suivis »

Commentaire de Graeber :

« Si nous tenons à définir toute interaction humaine comme l’échange d’une chose contre une autre, les rapports humains suivis ne peuvent prendre qu’une seule forme : les dettes. Sans elles, nul ne devrait rien à personne. Un monde sans dettes retomberait dans le chaos primordial, dans la guerre de tous contre tous [...]. Chacun de nous deviendrait une planète isolée. »

La monnaie a besoin de guerres et d’esclaves

« Qu’est-ce qu’une dette, en fin de compte ? Une dette est la perversion d’une promesse. C’est une promesse doublement corrompue par les mathématiques et la violence. »

De la monnaie grecque (Classical Numismatic/CC)

Et ce passage de la promesse à sa perversion commence avec les pièces de monnaie.

La différence entre le crédit et la monnaie sonnante et trébuchante, c’est que les pièces peuvent êtres volées et personne ne demandera d’où elles viennent.

A la taverne du coin, la soldatesque aura du mal à faire accepter une ardoise. Si elle tend du flouze, le patron sera moins réticent. En temps de guerre, la confiance se fait rare, le crédit aussi. Les pièces de monnaie sont apparues dans le sillage des soldats.

Pour Graeber, le processus est simple :

•pour nourrir une armée, il faut que les soldats puissent acheter avec des pièces de la boustifaille sur des marchés ;

•pour cela, il faut créer des marchés – où les soldats pourront acheter des poules, des fruits, des légumes ;

•ce que font les conquérants en exigeant que les taxes soient payées en pièces métalliques. L’or et l’argent étant acquis par la guerre, extraits des mines par des esclaves et distribués aux soldats ;

•pour obtenir ces pièces et payer les taxes, les peuples « occupés » sont donc forcés de vendre leurs poules, fruits et légumes aux militaires ;

•bingo.

Du coup, les historiens font valser les périodes :

•en temps de paix, c’est la monnaie virtuelle qui prédomine (la confiance règne, on se fait crédit) ;

•en temps de guerre, la monnaie « en dur » fait la loi (on préfère des pièces à une promesse).

Les bons du Trésor américain, « un tribut impérialiste »

L’anthropologue va plus loin :

« De fait, on pourrait interpréter l’ensemble de l’Empire romain à son apogée comme une immense machine à extraire des métaux précieux, à les transformer en pièces de monnaie et à les distribuer à l’armée – tout en encourageant les populations conquises, par des politiques fiscales, à utiliser ces pièces dans leurs transactions quotidiennes. »

Plus près de nous, la Banque d’Angleterre a été créée lorsqu’un consortium de quarante marchands de Londres et d’Edimbourg a offert au roi Guillaume III un prêt de 1,2 million de livres pour l’aider à financer sa guerre contre la France.

Bref, la monnaie – et la dette – auraient toujours à voir avec la violence et l’esclavage. Et Graeber de souligner, perfide, que les « bons du Trésor » émis par les Etats-Unis sont achetés par les pays placés sous leur protection militaire. Ne peut-on pas parler de « tribut » ?

« Le système de bons du Trésor américain, par exemple, est un tribut impérialiste. Pendant la guerre froide, les Etats qui ont acheté la dette américaine n’étaient autres que l’Allemagne de l’Ouest, le Japon, la Corée du Sud, les pays du Golfe, tous sous protection américaine. A plusieurs reprises, l’Allemagne a essayé de se désengager de cette dette et, à chaque fois, les Etats-Unis ont menacé de retirer leurs troupes de l’Allemagne de l’Ouest. Les bons du Trésor sont en réalité un impôt indirect qui finance le budget du Pentagone. »

Nietzsche parle d'une dette d'avant la civilisation fonctionnant par blocs finis dont on peut s'acquitter et d'une dette infinie instaurée par le monothéisme religieux.

5

Dieu sort du flanc du pèze

Les grandes religions naissent avec les pièces. En forçant les gens à penser en termes de profits, les pièces ont engendré, en réaction, le tralala divin.

•Là où se développent le « complexe armée-pièces de monnaie-esclaves » éclosent des philosophies matérialistes ;

•en réaction, des philosophes explorent les idées d’humanité et d’âme ;

•et font bloc avec des mouvements sociaux qui font face aux élites violentes et cyniques.

Ces mouvements se mettent à imaginer des arrières-mondes où la dette est anéantie. Dieu sort de la thune.

Le troc originel, c’est de la branlette d’économiste

Adam Smith, 1787 (Wikimedia Commons)

Au commencement, le troc. Au cœur de l’économie se nicherait un « penchant naturel à tous les hommes » qui « les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges ». Le postulat d’Adam Smith est devenu une vérité acceptée.

Selon cette thèse, la monnaie naît des difficultés pratiques posées par le troc. Si tu n’as pas besoin d’une vache en échange de tes poulets, je te les paie avec des pièces.

Le crédit se développerait en dernier. Après le troc et la monnaie.

« Historiquement, les marchés commerciaux sont nés du vol »

Sauf que, selon David Graeber, c’est bidon. Personne n’a jamais vu une société fonctionner ainsi. Les échanges se font d’abord entre voisins. Les gens se connaissent, se font confiance. « Prends la vache si tu la veux ! » Même si c’est un non-dit, celui qui repart avec le bovidé sait qu’il en doit une à son voisin. Le crédit apparaît en premier. Vient ensuite la monnaie.

Alors pourquoi les économistes s’entêtent selon Graeber ?

« L’inlassable récitation du mythe du troc, utilisée comme une incantation, est avant tout pour les économistes une façon de conjurer le risque de devoir regarder en face cette réalité. [...] Historiquement, les marchés commerciaux sont nés du vol. »

Schématisons. Pour Graeber, c’est l’esclavage, puis le monnayage, qui en arrachant les personnes et les objets à leur contexte ont participé à faire émerger l’idée d’un marché impersonnel traversé de rapports froids et mathématiques.

Je « péone » tous les jours

Péon, n.m. Paysan pauvre (qui n’a pas de cheval). Du latin pedo, onis « qui a de grands pieds ».

Péonage, n.m. Dans le bouquin de Graeber, désigne la situation du débiteur privé de liberté et contraint de travailler pour son créancier jusqu’au moment où il sera acquitté de sa dette par son travail.

Un concept qui serait toujours d’actualité aujourd’hui :

« Le péonage reste la base principale du recrutement de la main d’œuvre au niveau planétaire : soit littéralement, comme dans une vaste partie de l’Asie orientale ou de l’Amérique latine, soit subjectivement, puisque la plupart de ceux qui effectuent un travail salarié ont le sentiment de le faire avant tout pour rembourser des prêts à intérêt. »

Le mot « chèque » vient de l’arabe « sakk »

Après des siècles fondés sur l’or et l’argent, le Moyen Age voit un retour à la monnaie virtuelle. A l’échelle du monde, ce qui se passe alors en « Europe occidentale » tient de l’anecdote. Les grands mouvements se font au Proche-Orient, en Chine, en Inde.

L’or et l’argent retournent dans les temples. La monnaie virtuelle reprend le dessus. L’islam invente le « chèque » (d’autres étymologies lient le mot à l’ancien français « eschec », qui a donné « échec »).

Mais cette « virtualisation » s’accompagne de mécanismes de régulation. Par exemple, la charia ou le droit canon, très méfiant vis-à-vis des taux d’intérêt. On retrouve un mécanisme de protection des créditeurs comme l’étaient la loi du jubilé ou l’effacement des tablettes en Mésopotamie.

Et c’est là qu’intervient le point 9.

Là, ça craint, mais ça va s’éclaircir

Depuis 1971 et la fin de la convertibilité du dollar en or, nous serions entrés dans une nouvelle ère de monnaie virtuelle. Mais à l’inverse des périodes précédentes, le grand mécanisme régulateur (le FMI) protégerait les débiteurs plutôt que les créanciers.

Pas de panique. Graeber souligne que les périodes dont il parle se mesurent en demi-millénaire. Le monde a encore le temps de changer.

« La liberté, capacité de faire de vraies promesses »

Conclusion de l’anthropologue :

« Si la liberté (la vraie) est l’aptitude à se faire des amis, elle est aussi, forcément, la capacité de faire de vraies promesses. Quelles sortes de promesses des hommes et des femmes authentiquement libres pourraient-ils se faire entre eux ?

Au point où nous en sommes, nous n’en avons pas la moindre idée. La question est plutôt de trouver comment arriver en un lieu qui nous permettra de le découvrir. Et le premier pas de ce voyage est d’admettre, qu’en règle générale, comme nul n’a le droit de nous dire ce que nous valons, nul n’a le droit de nous dire ce que nous devons. »

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Membre, 114ans Posté(e)
stvi Membre 20 709 messages
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Je ne sais pas ce qui s'est passé ,mais notre échange a été interrompu par un phénomène de trou noir qui absorbe les posts sur des sujets "polémiques"

je disais donc que ton sujet ressemble étrangement à celui du nouvel obs (rue 89) ainsi qu'à un article de médiapart ...

il y ressemble dans la forme puisque si on lit le tien et celui de ses journaux le fond est identique ....

ceci dit il est très inintéressant ,mais un peu touffu et à choisir je préfère celui du nouvel observateur qui détaille bien les neufs points dont tu parles

"Son histoire de la dette est un best-seller aux Etats-Unis. Et pour cause : l’anthropologue David Graeber y milite pour qu’on efface l’ardoise. Fiche de lecture.

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David Graeber, à l’université de Yale, en 2005 (MICHELLE MCLOUGHLIN/AP/SIPA)

Aux pays du crédit, il est une star en exil. On raconte qu’il serait à l’origine du slogan d’Occupy Wall Street – « Nous sommes les 99% ».

Large d’épaules, l’œil moqueur, David Graeber a la patine antisystème d’un Chomsky et l’abord sympa d’un dandy maladroit. L’université de Yale l’ayant viré, c’est désormais à Londres qu’il enseigne l’anthropologie devant des étudiants gagas.

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« Dette, 5 000 ans d’histoire » de David Graeber, éd. Les Liens qui libèrent, septembre 2013

En France, son nom est associé à un article sur les « jobs à la con ». Rappel pour ceux qui prennent en route : selon Graeber, la technologie devrait nous permettre de ne travailler que quatre heures par jour, mais plutôt que de lever le pied nous inventons sans cesse des boulots inutiles voire nuisibles (ressources humaines, management, consulting, communication, etc.).

Au début du mois d’octobre, il a fait sa promo dans l’Hexagone. Dissertant avec Thomas Piketty (ouch), squattant les ondes de France Culture, il a aussi salué les altermondialistes d’Attac et visité l’usine Fralib près de Marseille. Avec un bouquin imposant sous le bras – « Dette, 5 000 ans d’histoire » (éd. Les Liens qui libèrent) –, traduit en français à la fin du mois de septembre.

L’« anthropologue anarchiste », comme il déteste qu’on l’appelle, est apprécié des bobos et des prolos.

Je l’ai lu, j’ai appris des trucs. Petite revue personnelle et non-exhaustive.

1

Il faudrait un jubilé tous les sept ans pour effacer l’ardoise

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Le roi Hammurabi face au dieu Shamash, détail du bas-relief de la stèle du code de Hammurabi, XVIIIe siècle av. JC (Wikimedia Commons/CC)

Si Hammurabi revenait, il serait horrifié. Dans la Mésopotamie antique, les rois babyloniens effaçaient l’ardoise des créditeurs quand ça commençait à couiner. Des siècles plus tard, la loi biblique du jubilé dispose que toutes les dettesseront automatiquement annuléestous les sept ans. Et pourtant, en sautant deux millénaires, on atterrit sur un juge qui condamne un Américain « à l’incarcération illimitée » jusqu’au remboursement d’une dette de 300 dollars...

L’effacement de la dette était nécessaire dans l’Antiquité pour éviter les bouffées de colère populaire. Sans quoi les paysans cassaient et brûlaient les tablettes, papyrus, grands livres et autres registres de dettes. Ou se barraient dans la forêt pour mettre le boxon.

David Graeber aimerait bien que l’on s’inspire un peu du passé :

« Il est plus que temps, je pense, de procéder à un jubilé de style biblique – un jubilé qui concernerait à la fois la dette internationale et la dette des consommateurs. [...] Rien ne serait plus bénéfique que d’effacer entièrement l’ardoise pour tout le monde, de rompre avec notre morale coutumière et de prendre un nouveau départ. »

« Mais il faut toujours payer ses dettes »

L’anthropologue vedette d’Occupy appuie « Rolling Jubilee ». Ce collectif rachète les dettes médicales de ménages qui ont la tête sous l’eau. Pas pour faire du fric, mais pour les annuler. A ce jour, près de 12 millions de dollars (9 millions d’euros) ont été effacés. Il reste de la marge : plus de sept foyers américains sur dix seraient endettés.

C’est en défendant l’annulation de la dette du Tiers-Monde que David Graeber a eu l’idée d’écrire son bouquin. Lors d’une garden-party à Westminster Abbey (même les anars peuvent être mondains), il rencontre une jeune avocate qu’on lui présente comme étant « du genre militant ».

Les deux adultes prennent langue :

L’avocate :
« Quelle est votre position [sur la dette du Tiers-Monde, ndlr] ? »

David Graeber :
« La dette ? Nous voulons l’abolir [...]. Pour nous, trente ans de flux financiers des pays pauvres vers les riches, ça suffit ! »

L’avocate (pourtant supposée gauchisante) :
« Mais ils l’ont emprunté, cet argent. Il est clair qu’on doit toujours payer ses dettes. »

L’air lui manque, ses mains deviennent moites, l’agacement pointe dans sa gorge. Ses arguments se bousculent :

  • par la magie des intérêts composés, la somme empruntée par des dictateurs sous la pression des pays riches a déjà été remboursée « trois ou quatre fois » ;

  • le FMI impose des coupes si drastiques que des gamins en crèvent ;

  • le taux d’intérêt rémunère le risque et faire défaut fait partie du système.

Elle, imperturbable : « Mais il faut rembourser ses dettes. »

D’où la question qui tire toute la réflexion du livre :

« [Qu’est-ce qui donne à cet énoncé (“il faut rembourser ses dettes”)] cette force morale capable de donner un air inoffensif et banal à des horreurs ? »

DAVID GRAEBER PARLE DE SES SOIRÉES À WESTMINSTER ABBEYEn anglais

2

Quand on déguise la baston en morale, ça donne la dette

D’où vient cette force morale de la dette ? De la violence.

Scarface et Alexandre le Grand ont en commun de transformer leurs conquêtes en dette. « Je ne t’ai pas complètement pété la gueule, donc tu m’appartiens, mais on va s’arranger. » Si elle ne rembourse pas sa vie épargnée, la victime devient le coupable. Petit miracle.

3135.jpg

Capture d’écran de paysans pas contents dans « Kaamelott » (M6)

Attention, ça devient ésotérique.

Bizarrement, malgré cette violence, la dette reste une relation contractuelle passée entre deux individus égaux. L’endettement suppose l’égalité. C’est pour cela qu’il est le ferment des révolutions. D’où le slogan des révoltes paysannes :

« Annulez la dette, redistribuez les terres. »

Sauf que ces révoltes – souvent d’inspiration religieuse – parlent le langage de l’adversaire. Elles utilisent le registre de la morale et un vocabulaire économique. Exemple : la « rédemption » chrétienne, dont l’étymologie se rattache au « rachat » (de la dette).

Bref, la dette s’enkyste dans notre idée du bien et du mal. Voilà d’où vient sa force morale. La violence est toujours là, mais enfouie sous nos conventions.

« L’histoire montre que le meilleur moyen de justifier des relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, est de les recadrer en termes de dettes – cela crée aussitôt l’illusion que c’est la victime qui commet un méfait. »

3

Parfois la dette permet de se faire des amis

Il y a, pour le dire vite, de la bonne et de la mauvaise dette. La bonne, c’est la promesse bienveillante entre voisins. Je te rends un service aujourd’hui, tu m’en rendras un demain. La mauvaise, c’est celle imprégnée par les mathématiques et imprimée par la contrainte.

Graeber aime prendre comme exemple les Tiv, un peuple d’Afrique de l’Ouest. Les femmes y tissent des liens en se faisant de petits cadeaux mutuels. Elles prennent garde à ne jamais répondre à un présent par un objet de valeur équivalente.

Ce serait dire :

« Nous sommes quittes, bye-bye la mégère. »

Si le cadeau en vaut trois, il faut répondre avec deux ou quatre. Histoire d’avoir une excuse pour revenir faire coucou.

Les dettes, « seule forme des rapports humains suivis »

Commentaire de Graeber :

« Si nous tenons à définir toute interaction humaine comme l’échange d’une chose contre une autre, les rapports humains suivis ne peuvent prendre qu’une seule forme : les dettes. Sans elles, nul ne devrait rien à personne. Un monde sans dettes retomberait dans le chaos primordial, dans la guerre de tous contre tous [...]. Chacun de nous deviendrait une planète isolée. »

Précisons de suite que l’auteur conçoit d’autres interactions humaines que l’échange. Même s’il reste un peu flou là-dessus.

4

La monnaie a besoin de guerres et d’esclaves

« Qu’est-ce qu’une dette, en fin de compte ? Une dette est la perversion d’une promesse. C’est une promesse doublement corrompue par les mathématiques et la violence. »

greekcoins.jpg

De la monnaie grecque (Classical Numismatic/CC)

Et ce passage de la promesse à sa perversion commence avec les pièces de monnaie.

La différence entre le crédit et la monnaie sonnante et trébuchante, c’est que les pièces peuvent êtres volées et personne ne demandera d’où elles viennent.

A la taverne du coin, la soldatesque aura du mal à faire accepter une ardoise. Si elle tend du flouze, le patron sera moins réticent. En temps de guerre, la confiance se fait rare, le crédit aussi. Les pièces de monnaie sont apparues dans le sillage des soldats.

Pour Graeber, le processus est simple :

  • pour nourrir une armée, il faut que les soldats puissent acheter avec des pièces de la boustifaille sur des marchés ;
  • pour cela, il faut créer des marchés – où les soldats pourront acheter des poules, des fruits, des légumes ;
  • ce que font les conquérants en exigeant que les taxes soient payées en pièces métalliques. L’or et l’argent étant acquis par la guerre, extraits des mines par des esclaves et distribués aux soldats ;
  • pour obtenir ces pièces et payer les taxes, les peuples « occupés » sont donc forcés de vendre leurs poules, fruits et légumes aux militaires ;
  • bingo.

Du coup, les historiens font valser les périodes :

  • en temps de paix, c’est la monnaie virtuelle qui prédomine (la confiance règne, on se fait crédit) ;
  • en temps de guerre, la monnaie « en dur » fait la loi (on préfère des pièces à une promesse).

Les bons du Trésor américain, « un tribut impérialiste »

L’anthropologue va plus loin :

« De fait, on pourrait interpréter l’ensemble de l’Empire romain à son apogée comme une immense machine à extraire des métaux précieux, à les transformer en pièces de monnaie et à les distribuer à l’armée – tout en encourageant les populations conquises, par des politiques fiscales, à utiliser ces pièces dans leurs transactions quotidiennes. »

Plus près de nous, la Banque d’Angleterre a été créée lorsqu’un consortium de quarante marchands de Londres et d’Edimbourg a offert au roi Guillaume III un prêt de 1,2 million de livres pour l’aider à financer sa guerre contre la France.

Bref, la monnaie – et la dette – auraient toujours à voir avec la violence et l’esclavage. Et Graeber de souligner, perfide, que les « bons du Trésor » émis par les Etats-Unis sont achetés par les pays placés sous leur protection militaire. Ne peut-on pas parler de « tribut » ?

« Le système de bons du Trésor américain, par exemple, est un tribut impérialiste. Pendant la guerre froide, les Etats qui ont acheté la dette américaine n’étaient autres que l’Allemagne de l’Ouest, le Japon, la Corée du Sud, les pays du Golfe, tous sous protection américaine. A plusieurs reprises, l’Allemagne a essayé de se désengager de cette dette et, à chaque fois, les Etats-Unis ont menacé de retirer leurs troupes de l’Allemagne de l’Ouest. Les bons du Trésor sont en réalité un impôt indirect qui finance le budget du Pentagone. »

5

Dieu sort du flanc du pèze

Les grandes religions naissent avec les pièces. En forçant les gens à penser en termes de profits, les pièces ont engendré, en réaction, le tralala divin.

  • Là où se développent le « complexe armée-pièces de monnaie-esclaves » éclosent des philosophies matérialistes ;
  • en réaction, des philosophes explorent les idées d’humanité et d’âme ;
  • et font bloc avec des mouvements sociaux qui font face aux élites violentes et cyniques.

Ces mouvements se mettent à imaginer des arrières-mondes où la dette est anéantie. Dieu sort de la thune.

6

Le troc originel, c’est de la branlette d’économiste

adamsmith_0.jpg

Adam Smith, 1787 (Wikimedia Commons)

Au commencement, le troc. Au cœur de l’économie se nicherait un « penchant naturel à tous les hommes » qui « les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges ». Le postulat d’Adam Smith est devenu une vérité acceptée.

Selon cette thèse, la monnaie naît des difficultés pratiques posées par le troc. Si tu n’as pas besoin d’une vache en échange de tes poulets, je te les paie avec des pièces.

Le crédit se développerait en dernier. Après le troc et la monnaie.

« Historiquement, les marchés commerciaux sont nés du vol »

Sauf que, selon David Graeber, c’est bidon. Personne n’a jamais vu une société fonctionner ainsi. Les échanges se font d’abord entre voisins. Les gens se connaissent, se font confiance. « Prends la vache si tu la veux ! » Même si c’est un non-dit, celui qui repart avec le bovidé sait qu’il en doit une à son voisin. Le crédit apparaît en premier. Vient ensuite la monnaie.

Alors pourquoi les économistes s’entêtent selon Graeber ?

« L’inlassable récitation du mythe du troc, utilisée comme une incantation, est avant tout pour les économistes une façon de conjurer le risque de devoir regarder en face cette réalité. [...] Historiquement, les marchés commerciaux sont nés du vol. »

Schématisons. Pour Graeber, c’est l’esclavage, puis le monnayage, qui en arrachant les personnes et les objets à leur contexte ont participé à faire émerger l’idée d’un marché impersonnel traversé de rapports froids et mathématiques.

7

Je « péone » tous les jours

Péon, n.m. Paysan pauvre (qui n’a pas de cheval). Du latin pedo, onis « qui a de grands pieds ».

Péonage, n.m. Dans le bouquin de Graeber, désigne la situation du débiteur privé de liberté et contraint de travailler pour son créancier jusqu’au moment où il sera acquitté de sa dette par son travail.

Un concept qui serait toujours d’actualité aujourd’hui :

« Le péonage reste la base principale du recrutement de la main d’œuvre au niveau planétaire : soit littéralement, comme dans une vaste partie de l’Asie orientale ou de l’Amérique latine, soit subjectivement, puisque la plupart de ceux qui effectuent un travail salarié ont le sentiment de le faire avant tout pour rembourser des prêts à intérêt. »

8

Le mot « chèque » vient de l’arabe « sakk »

Après des siècles fondés sur l’or et l’argent, le Moyen Age voit un retour à la monnaie virtuelle. A l’échelle du monde, ce qui se passe alors en « Europe occidentale » tient de l’anecdote. Les grands mouvements se font au Proche-Orient, en Chine, en Inde.

L’or et l’argent retournent dans les temples. La monnaie virtuelle reprend le dessus. L’islam invente le « chèque » (d’autres étymologies lient le mot à l’ancien français « eschec », qui a donné « échec »).

Mais cette « virtualisation » s’accompagne de mécanismes de régulation. Par exemple, la charia ou le droit canon, très méfiant vis-à-vis des taux d’intérêt. On retrouve un mécanisme de protection des créditeurs comme l’étaient la loi du jubilé ou l’effacement des tablettes en Mésopotamie.

Et c’est là qu’intervient le point 9.

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Là, ça craint, mais ça va s’éclaircir

Depuis 1971 et la fin de la convertibilité du dollar en or, nous serions entrés dans une nouvelle ère de monnaie virtuelle. Mais à l’inverse des périodes précédentes, le grand mécanisme régulateur (le FMI) protégerait les débiteurs plutôt que les créanciers.

Pas de panique. Graeber souligne que les périodes dont il parle se mesurent en demi-millénaire. Le monde a encore le temps de changer.

« La liberté, capacité de faire de vraies promesses »

Conclusion de l’anthropologue :

« Si la liberté (la vraie) est l’aptitude à se faire des amis, elle est aussi, forcément, la capacité de faire de vraies promesses. Quelles sortes de promesses des hommes et des femmes authentiquement libres pourraient-ils se faire entre eux ?

Au point où nous en sommes, nous n’en avons pas la moindre idée. La question est plutôt de trouver comment arriver en un lieu qui nous permettra de le découvrir. Et le premier pas de ce voyage est d’admettre, qu’en règle générale, comme nul n’a le droit de nous dire ce que nous valons, nul n’a le droit de nous dire ce que nous devons. »

On tirerait presque une larme.

sinon il y a aussi médiapart

http://blogs.mediapart.fr/blog/jjmu/111013/david-graeber-la-dette-bastonne-la-morale-et-assassine-les-plus-pauvres-de-la-planete

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