Le cimetière des animaux

Je t'avais recueilli dans un bois, petite boule de duvet tombé de haut, tout chaud, tout palpitant, tel un petit cœur affolé. Puis je t'avais ramené à la maison, et sur la route t'avais montré fièrement à tout le monde. Personne n'avait pu dire ce que tu étais au juste : un bébé geai, un bébé corbeau... Peu importait ce que tu pouvais bien être, car je t'aimais déjà.

Arrivé chez moi, je t'avais aménagé un nid dans une boîte à chaussures, et m'étais mise à mâcher ta nourriture avant de l'injecter dans ton gosier à l'aide d'une pipette. Tu en pris rapidement l'habitude, et, chaque fois que j'apparaissais devant toi, tu m'accueillais en battant des ailes et en ouvrant tout grande ton bec. Les larmes me montent aux yeux rien que de m'en rappeler.

Grâce à tous ces bons soins, tu grandis, et le pigeon finit par se révéler.

Mon tort fut cependant de vouloir faire de toi un pigeon libre... Aussi, lorsque que je te sentis prêt, te voyant traverser le salon à tire d'aile pour venir picorer dans mon assiette aux moments de mes repas, je jugeai qu'il était temps de te donner des cours de liberté. je t'attachai une heure ou deux au bord de la fenêtre, pour que tu voies comment cela se passait dehors, pour que tu aies l'occasion d'observer les tiens. Ensuite, nous passâmes au niveau supérieur : de cette fenêtre, tu devais déployer tes ailes pour me rejoindre sur le trottoir d'en face. Tu devins très fort et très doué à ce jeu, véritable spectacle pour les gens du voisinage qui y assistaient avec émerveillement.

Enfin, vint le temps où je trouvai bon de te laisser aller à ta guise. Tu pouvais aller te promener comme bon te semblait à l'extérieur de la maison, mais, fidèle, me revenait sans cesse.

Un jour pourtant, un gros camion passa à toute vitesse dans la rue, et peu après la mauvaise nouvelle parvint jusqu'à moi : le voisin d'à côté t'avait trouvé agonisant sur le sol, et grâce au numéro de téléphone gravé sur ta bague m'avait appelé. Je suis allée te chercher, t'ai ramené chez moi sans te lâcher du regard, t'ai déposé dans ton nid en carton. Tes petites billes de jais semblaient m'interroger : "Vas-tu me sauver une fois de plus ?". Non, hélas, je n'ai rien pu faire. Tu es parti pour toujours, t'es envolé au paradis des oiseaux, toi qui n'eut jamais de nom, puisque les oiseaux libres n'en ont pas.

Très joli ce récit Loargan :blush:

Merci.

Tu étais la surprise du dimanche soir qu'on attendais, ma soeur et moi, avec impatience.

Et puis on est rentrées dans la voiture, et là, maman t'as montré à nous. Toute jeune, j'ai réellement cru que tu était une peluche...

Nous étions folles de joie, nous t'avons pris avec nous tout le long du voyage, et tu m'a pissé sur les genoux, ma saloperie...

Et puis nous avons du choisir un nom. Avec ta blancheur et tes longs poils, on voulais opter pour Falkor, comme dans une histoire sans fin. Maman n'as pas voulu, elle avait déjà son idée derrière la tête...

Alors tu te nomma Joke, en référence à sa réaction quand notre beau père t'as pris sous son aile, sans lui demander son avis, et qu'il lui a annoncé au téléphone : "c'est une blague ?"

Alors on t'a vu grandir, et vice versa. On t'as recherché dans la neige qui était aussi haute et blanche que toi, dans les jeux à Croix Rouge. J'ai appris la culpabilité, quand je t'ai laissé tomber par terre.

On t'as vu faire des courses incroyables le long de l'étang, courant un coup vers l'une, un coup vers l'autre... Et oui, les bâtons et les baballes, c'était pas pour toi !

On t'as entendu chanter, de ta belle voix, quand on te le demandais...

On t'as vu bleu, vert, violet... (merci les produit pour mèches de cheveux !) et aussi orange, merci les spaghetti !

On t'as vu péter un plomb, quand tu sortais de la douche, tout propre et tout content...

Et surtout, on t'as vu élever des chats... Jouer le rôle de maman, pour Kim, si longtemps... si patient... et pourtant, il en a fait des noeux dans tes poils...

Et puis le temps est passé... nous sommes parties de la maison, mais c'était toujours la même joie de nous revoir... jusqu'à ce que tu rentre définitivement dans ta bulle à toi, celle qui semblait si sereine...

Jusqu'à ce qu'un jour, tu ne semble plus du tout être là. Alors on t'as emmené, la frangine et moi, vers ton dernier sommeil.

Excuse maman de ses plaintes, c'était dur pour elle de toujours tout nettoyer depuis des années...

Excuse beau papa pour son absence, c'était trop dur pour lui de venir dans cette salle froide, pour te voir rendre ton dernier souffle...

A notre petit coton