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De la montagne


Mazzepa

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Membre, Posté(e)
Mazzepa Membre 162 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

C'est l'histoire d'une histoire. Elle n'a rien pour elle au début, ou tout c'est selon. Lentement elle se decroqueville, s'étire et se couche de tout son long, langoureuse. Le papier, un chanceux celui-là ! Une histoire au début c'est comme un rouleau de papier toilette. C'est tout beau et compact. Puis il faut détacher la première page ; la partie la plus délicate, tout compris. Parfois c'est pas beau à voir, le rouleau est ruiné. Elle aurait bien pu t'absorber mais t'as envie de la jeter. D'autre fois la page se tourne sans voir et ses voisines libérées s'enchaînent. Le rouleau decompacté coule sur le sol son paysage, où il s'agit de survivre. Les bons écrivains ne font pas toujours les atmosphères les plus respirables. Cette histoire est de la montagne. Tragique et charmante ; aux bons marcheurs, elle se montrera généreuse. Son air est sec, ses sentiers escarpés. On n'y survit pas sans éprouver l'appel du vide. Tout n'y est qu'arêtes, orgues rocheuses, cathédrales de terre et de roc drainés dans une même poussée monumentale. Escaliers, murs entremêlés - ses villes mûrissent sur le flanc de géants. Ses cocons rocheux embrassent le vide, suspendus aux lèvres des montagnes et au bon désir du temps. De ces sentiers on écoute silences et échos. Ils sont le poids des mots. L'air s'y peut faire rare, elle exige quelque effort. Ainsi le soleil est-il à la montagne d'autant plus généreux qu'elle ne s'y laisse jamais prendre tout à fait. D'amour, il bute sur les flancs qu'elle lui offre. C'est qu'il sait les coins d'ombrage qu'elle dérobe dans leur danse.

"Un mur murât Murat et Murat murmurât". Dans la ville de Murat vit un fou. Il amuse le roi par quelques jeux de mots et autres galipettes du corps et de l'esprit. Ce fou n'est ni malheureux ni heureux, c'est pourquoi il plaisante tant. Tout lui étant également drôle, il ne connait ni le rire jaune ni l'ironie ni l'humour ni l'idiot. Pas même l'éclat de rire. Le matin il dessine un rire sur son visage et ne le change pas de la journée. Parfois il s'encanaille : fou d'indifférence, il dessine un rire cruellement plus ordinaire que d'habitude. Ce fou là connait un autre fou. Celui-ci est pénible. Pénible n'est jamais de la même humeur. Chaque matin, il se lève dans un monde changé. Pénible change de rire comme de draps, et il est très méticuleux. Il ne dort jamais deux soirs dans la même couche. Le roi l'a une fois fait enfermer dans le cagibi du troisième étage de la tour nord de la cave du palais pendant un jour et trois nuits. Pénible lui avait dit un mot dont aucune phrase n'avait le même ton. Il avait été mélancolique puis joyeux et triste et affamé et le roi n'a pas supporté plus de 47 lettres d'un tel discours. Pas une fois Pénible n'a dormi deux fois au même endroit du temps qu'il a passé dans le cagibi. On raconte qu'il a du faire de drôles de choses, mais il refuse d'en parler. D'ailleurs il est muet.

Fou est très apprécié des personnages de la cour du roi. Son rire est si parfaitement rond d'indifférence qu'ils y trouvent tout ce qu'ils cherchent. Plus d'un pense que c'est un sage, mais tous s'accordent sur Safolie. Safolie est le vrai sage du palais. D'ailleurs il dit que Fou est fou. Fou rit, alors Safolie est content. Il lui tapote le dos, affectueux "tu es fou mais il y a de la sagesse en toi". LaRumeur se fait alors sur la sagesse de Fou. LaRumeur est un bouton. Il pousse sur le flanc gauche de la trempe postérieur élevé, et il bourdonne dans ce coin. Fou ne l'apprécie pas particulièrement et ne le chasse pas non plus. Il lui est d'autant plus indifférent qu'il ne lui demande pas de rire. Mais LaRumeur ne reste jamais longtemps au même endroit.

Pénible n'aime pas plus LaRumeur que Safolie. Safolie a réponse à tout et ne se mêle jamais de rien. LaRumeur n'a réponse à rien et se mêle toujours de tout. Pénible, lui, est incapable d'une telle constance : il change tout le temps. Pourtant il apprécie Fou, ils passent du temps ensemble. Pénible aime LeReflet dans le rire de Fou. LeReflet est une e-mage. Les e-mages sont des mages, leur magie est de se travestir. LeReflet n'est pas particulièrement douée, mais elle est implacable. Elle prend l'apparence de ceux qu'elle croise, dans la cour du roi elle devient juge, victime, condamné ou tarentule de comptoir au grès de ses promenades. La tarentule de comptoir est une espèce en voie d'extinction. Elle ne pousse que sur les éphémères. Les éphémères sont les ombres du palais. On raconte qu'elles sont jadis sorties de la montagne comme d'innombrables pierres. À les voir aujourd'hui on ne le croit pas : elles sont vaporeuses et si légères qu'elles flottent au dessus du sol. Une à une elles glissent dans le vide. On ne sait pas trop où elles tombent ; elles se décrochent doucement et s'enfuient sans bruit. Les gens de la montagne disent "pour partir aussi petitement elles doivent aller vivre dans la plaine", et ils rigolent. Mais Safolie dit que le bruit ne fait pas de bien et que le bien ne fait pas de bruit. Les gens applaudissent. On ne croise plus tant de tarentules de comptoir parce que les éphémères se font plus rares de jour en jour. LeReflet n'en a que faire, mais les éphémères aiment que l'e-mage leur montre leur tarentule de comptoir. D'une existence ténue tous les signes se font précieux.

Les éphémères sont la seule chose qui intéresse Fou. Dire qu'il s'y intéresse est un peu fort ; il n'y est pas indifférent. Mais puisqu'il est indifférent à tout il ne pense qu'à elles. Un jour où tout l'indifférait plus platement que d'habitude, il est arrivé à la conclusion que les réponses aux questions "d'où viennent-elles ?" et "où vont-elles ?" ne le laissent pas indifférent.

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Membre, 37ans Posté(e)
Ozmaestro Membre 413 messages
Baby Forumeur‚ 37ans‚
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Cela m'a fait étrangement pensé à du Zarathoustra, la montagne, les personnages, toussa. Cela dit je crois que sans t'en rendre compte tu as installé une atmosphère de mauvais goût au début, je note:

"Une histoire au début c'est comme un rouleau de papier toilette."

"Les bons écrivains ne font pas toujours les atmosphères les plus respirables."

"On n'y survit pas sans éprouver l'appel du vide."

Enfin, je ne sais pas ce que ça t'évoque mais personnellement j'me suis vu dans les chiottes :D

Alors si c'est fait exprès, c'était bien joué sinon...

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Membre, Posté(e)
Mazzepa Membre 162 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

Pour être tout à fait honnête c'est écrit d'une traite, écrit spontané d'une plume pour ainsi dire inconsciente ou automatique. On en interprète ce qu'on veut, c'est même sa raison d'être en quelque sorte. Ça ressemble assez à un rêve.

Pour ce qui me concerne, j'y vois une réponse à la question du commencement rapidement évoquée dans le texte, "la partie la plus délicate" se fait en quelque sorte torcher c'est vrai. Ça me semble relever du même jeu des contraires qui s'est naturellement mis en place dans l'association des idées.

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