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Tribune fantastique.


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Membre, nyctalope, 40ans Posté(e)
Criterium Membre 2 874 messages
40ans‚ nyctalope,
Posté(e)

étant donné que j'aime bien lire des nouvelles fantastiques, et que dans ce genre assez confidentiel — dès que l'on quitte les têtes de gondole — se tapissent dans l'ombre de grands auteurs et des nouvelles parfois très réussies (et parfois très ratées), je me suis dit que serait l'intéressante l'idée de rédiger, de temps en temps, et de partager avec tous des critiques de telles nouvelles parues dans des recueils un peu plus difficiles à trouver que ceux de Maupassant, E.T.A. Hoffman ou encore H.P. Lovecraft. — Car certains de ces textes mériteraient d'être lus et appréciés par un public moins restreint, non de s'empoussiérer dans un oubli que ne bravent que quelques personnes au seuil de l'insanité mentale, comme moi.

A priori au programme figureraient des continuateurs de/influencés par l'œuvre de H.P. Lovecraft (Ramsey Campbell, Colin Wilson, Brian Lumley, Clark Ashton Smith...), des nouvellistes tragiques du XVIe/XVIIe (Boiasteau, de Rosset), des écrivains du début XXe, en particulier allemands (Gustav Meyrink, H.H. Ewers), etc. Arthur Machen, W.H. Hodgson, et peut-être des coups de cœurs plus récents ou plus anciens. — C'est donc de tout. Mot d'ordre, le seuil entre réalité et irréalité, insolite, bizarre. Pas plus de SF que Cthulhu n'en exigerait.

Débutons par un exemple.

_________

Aujourd'hui Brian Lumley — Le coquillage de Chypre & La conque des grands fonds.

Où les trouver? — En français, ces deux nouvelles débutent le recueil paru chez NeO (Nouvelles éditions Oswald), L'Avant-poste des Grands Anciens ; il n'est pas aisé à trouver, et cela ne sera qu'en occasion.

Résumé & critique — Il s'agit de deux nouvelles indépendantes, mais qui se suivent ; la première fut apparemment le premier texte de Brian Lumley à être inspiré par H.P. Lovecraft, et la seconde fut rédigée plus tard ; les deux ont été écrites pour Weird Tales. Le coquillage de Chypre se présente comme la lettre d'un militaire retraité à un ami, lettre d'excuse pour tenter d'expliquer pourquoi être parti de manière assez impolie dès lors qu'il aperçut un plat d'huîtres au menu du repas. Il raconte ainsi la mésaventure qui lui arriva lorsque dans l'armée, en poste à Chypre, il fut le plus à même de saisir l'horrible fin d'un collègue passionné de conchyiologie. Celui-ci repéra un jour un coquillage à l'aspect étrange, manifestement doué de propriétés hypnotiques, ce qui lui permet de chasser de petits poissons. Souhaitant l'observer dans son environnement naturel avant de l'ajouter à sa collection de conques, l'homme plonge régulièrement à proximité ; cependant, rapidement, il s'aperçoit que le coquillage a remarqué sa présence, et tente de l'hypnotiser. évidemment, ses rêves deviennent horribles... et cela termine très mal pour lui. — Le second volet, La conque des grands fonds, aborde un autre coquillage étrange : il se présente comme la lettre de réponse de l'ami ayant organisé le dîner, se moquant du militaire et de sa trop grande imagination. Il s'amuse même à lui raconter une histoire dont il a eu ouï-dire : un homme collectionnant les coquillages se vit remettre un bien curieux spécimen par un marin qui revenait d'une expédition scientifique. Voulant nettoyer le coquillage par un bain d'acide doux, il s'aperçut en le replongeant par la suite dans l'eau que celui-ci était encore vivant et insensible à l'acide! étonné, il recommence avec une concentration plus forte, et l'aide d'un ami. Toujours rien! La conque elle-même semble incassable. Son ami a l'idée de tester une autre méthode, la chaleur, et ainsi l'attaque au chalumeau — expéditive méthode pour un coquillage préhistorique trop récalcitrant — voyant s'ils ne pourraient pas en faire sortir la créature dont on n'aperçoit qu'un petit opercule vert... Un cri étouffé résonne. L'homme se penche vers son ami pour le ranimer, mais s'écarte, plein d'horreur, en voyant un petit opercule vert se terrer tout au fond de la gorge de son ami. Et l'appartement prend feu.

Résumer une histoire, c'est toujours très révélateur ; on en expurge quasiment toute la forme, et ne transparaît que l'idée toute nue. Dans les mauvais textes, cela permet de se rendre tout de suite compte de la nullité du récit. Mais il y a quatre types de bons textes : ceux qui tiennent à cause de leur histoire/scénario — cela devient flagrant au résumé, qui a tendance alors à rester assez proche de l'original — ceux qui tiennent à cause de leur style d'écriture — et qui, même avec une histoire moyenne, sont très agréables à lire ; le résumé semble si mauvais par rapport à la sensation que l'on a éprouvé en lisant le texte que les textes présentant ce cas de figure sont très faciles à repérer également — en troisième, ceux qui tiennent à cause des deux, et finalement, ceux qui sont tout simplement trop difficiles voire impossibles à résumer (généralement, de par tous les raccourcis et parti-pris que l'on serait obligé de prendre à s'essayer à l'exercice). — Ces deux nouvelles font partie du deuxième type, à mon sens. En quelque sorte, le fond n'est pas si effrayant que cela, ni même franchement extraordinaire ou surnaturel ; cependant la forme, d'une part au niveau du mode d'expression choisi — épistolaire — et d'autre part quant à la façon dont cela est raconté — dans la veine lovecraftienne — les héros, traumatisés, en gardent des traces à vie (dans Le coquillage de Chypre, le fait de ne plus pouvoir supporter la vue d'un plateau de fruit de mers — ce qui est d'ailleurs déjà en soi une référence à H.P. Lovecraft étant donné qu'il est de notoriété publique que cela était le cas de cet écrivain), ou adoptent un point de vue distant, cynique et moqueur (dans la deuxième nouvelle). — En sus de cela, l'utilisation judicieuse d'un vocabulaire adapté à la conchyiologie donne une touche très appréciable au texte. Ainsi, j'ai aimé.

:yahoo:

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  • 2 semaines après...
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Membre+, 53ans Posté(e)
Ocytocine Membre+ 17 770 messages
Forumeur Débutant‚ 53ans‚
Posté(e)

Je ne suis pas très connaisseuse ; j'ai un peu de mal à trouver la légitimité de m'exprimer ici, mais au moins cela fera remonter le sujet.

On m'a très généreusement prêté récemment un petit recueil d'Ambroise Bierce (1842-1914?), simplement dénommé en français Contes noirs et donc la traduction française de Jacques Papy est publiée chez Rivages (collection "bibliothèque étrangère"). Il s'agit de nouvelles fantastiques d'un auteur américain que je ne connaissais pas, mais d'une génération environ après Edgar Allan Poe.

Ce fut une lecture plaisante, mais je la termine plus convaincue par la manière de raconter que la teneur de chaque histoire. Je trouve chaque nouvelle très grand-guignolesque, avec des effets un peu "surjoués" pour provoquer terreur, répulsion et sans doute éveiller l'attraction morbide du lecteur amateur de ce type de scène. L'effet Grand Guignol est renforcé par la manière invariable de raconter : description des lieux et de leur atmosphère (décor), description des personnages, puis action, comme si l'on se trouvait au théâtre, mais avec abondance de sang, de cadavres en cours de décomposition, de gens blancs comme des linges, de découvertes macabres, etc. Cela manque de crédibilité, il y a trop de coïncidences. Ou alors il faudrait lire une nouvelle par mois pour éviter l'effet d'indigestion de la recette. En outre, si j'aime bien les thrillers, le suspense et la montée de l'angoisse, je ne raffole pas des scènes sanglantes, sordides, du souffle dans les arbres morts fantomatiques et autres descriptions de cimetière. C'est juste une question de goût personnel et en ce sens, le conte fantastique est un mauvais choix.

Chaque histoire est d'une grande qualité narrative (servie, il est vrai, par une bonne traduction, ce qui devient rare. A quelques exceptions près... mais je suis pointilleuse) et un excellent exemple pour un apprenti noveliste. Il y a là une structure "académique" d'introduction du récit (cf. plus haut), de chute propre à la nouvelle, mais aussi une exploitation judicieuse du vocabulaire, ce que je regrette parfois dans les textes d'aujourd'hui, et la pointe d'humour distillée ça et là qui arrache au lecteur, concentré sur la noirceur du récit, un franc sourire*. Le texte porte son époque, mais ce n'est pas désagréable.

Je n'ai pas été emballée, juste satisfaite de ma lecture, mais j'ai une indulgence pour la nouvelle intitulée L'homme et le serpent, sur le pouvoir de l'auto-suggestion. La chute est bien trouvée : même si à bien y réfléchir l'ensemble n'est absolument pas crédible, on est hypnotisé par la description méticuleuse d'Ambrose Bierce et l'explication finale.

Le Grand Guignol n'existe plus, et à ce titre c'est une curiosité de le voir "ressusciter" :yahoo: dans la plupart de ces nouvelles.

* @Criterium: cette phrase devrait aussi, pour raisons personnelles te faire sourire : "Dieu me bénisse, quelle ignorance crasse ! Ma chère amie, un homme qui s'aperçoit après son mariage que sa femme ignore le grec a le droit de demander le divorce". :rtfm:

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