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Le temps des amours.


Invité chat_ooo

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Invité château
Invités, Posté(e)
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Invité château Invités 0 message
Posté(e)

J'ai vingt deux ans et je suis le produit d'une longue lignée. Mon baccalauréat en poche l'engagement dans une grande école s'imposait, aussi grâce au pécule que j'ai hérité de mes parents il me fut loisible de louer un spacieux meublé proche du Parc Montsouris, à distance raisonnable de l'Ecole nationale supérieure des télécommunications à Paris. Je ne conserve qu'un souvenir vague de mes parents, décédés au cours d'un accident de voiture déroulé il y a presque une dizaine d'années, c'est sans doute cela qui m'a poussé, lors de ma période adolescente, à étudier mon arbre généalogique jusque deux siècles en arrière, afin que ces liens, aussi ténus soient-ils, nourrissent mon jardin secret et me permettent de me sentir plus humain que les jeunes de mon âge. Doté d'un quotient intellectuel très supérieur à la moyenne, mon goût de l'échange avec mes congénères s'est exprimé autant que je pouvais, au-delà du simple besoin que je ressentais avec violence, comblant l'absence d'affection parentale.

Ce soir-là, j'avais réussi à m'arracher de la contemplation des portraits et documents familiaux montrant principalement des gens simples ayant succombé vieux, après une vie remplie des labeurs ruraux, à la suite de cancers ; cancer du foie, de la prostate, de la peau. Cette maladie aujourd'hui presque banale et soignée représentait le Diable aux yeux des gens de l'époque, à l'instar de la Peste ou le Choléra jadis. Mon emménagement au sein de la capitale me faisait ressembler, du moins j'aimais le penser, à un héros Balzacien de la Comédie humaine. Les divertissements ne me laissaient pas indifférents, mais ils comptaient moins que mon intime envie de laisser quelque chose, une trace de moi aussi modeste fût-elle. Le sexe opposé n'existait pas vraiment pour moi, je vivais dans un univers rationnel et n'ayant point reçu moi-même de l'amour, je réservais la connaissance de celui-ci à plus tard, lorsque ma maturité, dont je me faisais une haute idée, aurait grandie.

Elizabeth faisait un doctorat d'Histoire à la Sorbonne. Elle me compara plus tard avec le Roi Soleil, Louis XIV, personnage central de la période qui l'inspirait. Je l'aperçus pour la première fois alors qu'elle dansait sur la piste de cette boîte de nuit, ce soir-là, repoussant férocement les prétendants masculins qui souhaitaient lui offrir un verre ; je me contentai pour ma part d'admirer de loin les formes de son corps, l'esthétique de son habillement, le raffinement de ses cheveux. C'est sa présence qui rendait l'endroit luxueux alors que le prix de l'entrée, attractif, avait aspiré en cette structure troglodyte une foule homogène. Elizabeth se distinguait de bien des façons, mais elle restait obstinément seule jusque vers une heure du matin lorsqu'elle s'attabla en face de moi. Elle avait commandé une boisson chaude et me sourit ; le chatoiement de ses yeux noirs, lorsqu'elle dansait, m'avait empêché de remarquer qu'elle m'observait elle aussi. Nous nous intriguions mutuellement tout en consommant nos commandes respectives, et savions dés lors que le temps de la soirée ne suffirait pas afin de faire connaissance.

Nous nous réveillâmes en début d'après-midi enlacés l'un à l'autre tels des reptiles, encore inconnus l'un pour l'autre alors que le plaisir partagé apaisait notre for intérieur. J'eus rapidement la sensation qu'un météore venait de s'abattre sur ma vie, tant Elizabeth recelait un univers mouvementé, les soirées devinrent autant de fêtes, mes sens s'exaltaient comme jamais au cours de mon existence, mon adolescence et mon enfance me semblaient de loin en loin comme les épisodes négligeables d'un film épique. Tout comme moi Elizabeth était orpheline, son regard se rembrunissait quelquefois lorsqu'on évoquait nos souvenirs, c'est pourquoi le troisième jour de notre rencontre je rangeai mon jardin secret au fond d'un tiroir de mon bureau en me jurant de ne plus l'en sortir. Un sentiment commençait à naître entre nous, une tendresse qu'on peut bien appeler de l'amour. Nous vécûmes sous le même toit durant les trois semaines que dura notre histoire, nous douchant ensemble le matin, nous habillant et nous déshabillant sans pudeur chacun sous les yeux de l'autre. Le soir, nous ne regagnions ce qui était devenu notre appartement à tous deux qu'après de folles aventures dans les artères de la capitale.

Elizabeth connaissait Paris, sa ville de naissance, et bien que je fus aisé financièrement, les restaurants du bord de la Seine ne nous attiraient pas, nous nous enfoncions dans les bouches du métro et nous mêlions à des orgies de corps humains en transe, nous nous abreuvions d'un alcool dont nous ne nous préoccupions de la provenance, nous participions à des karaokés vibrants au fond des ruelles, nous gloussions sous la Tour Eiffel, narguant les badauds hantant la capitale nocturne. Je ne sais ce qui déclencha la crise, mais un vendredi soir, de retour de l'Ecole, je découvris mon bureau dévasté, mon jardin secret en lambeaux, et Elizabeth fondue en larmes à même le sol, échevelée, hagarde. La fenêtre ouverte et le vent faisaient voler autour d'elle les documents de ma famille, les images et les mots anachroniques. Pourtant, sans un pincement au coeur, je m'assis à son côté et attendit que cesse la crise ; Elizabeth comptait déjà davantage pour moi que ma propre histoire. Et elle m'apprit la vérité ; ayant grandi sous la tutelle d'un oncle violent et la prenant pour sa maîtresse, elle avait fugué et le soir de notre rencontre elle en était à son troisième jour de liberté, guidée par une sensation de vide en elle-même qui lui donnait l'impression d'être deux femmes en une seule, ne sachant laquelle était vraiment elle.

Je lui proposai le financement de son inscription en première année à l'université, puisqu'elle avait un faible pour l'Histoire, blottis l'un contre l'autre nous formâmes des projets, nous existions l'un pour l'autre, seuls au monde. Il me semblait que sans Elizabeth ma vie eût été monotone, en dépit d'un avenir professionnel probablement brillant dans le domaine des télécommunications. Elizabeth ne revint pas en paroles sur la crise dont j'avais été témoin, mais notre comportement se modifia, elle attendait mon retour de l'Ecole et il ne devint pas rare qu'elle cuisinât pour moi ; notre couple était soudé. Puis un jour, je ne la vis plus, j'appris plus tard qu'elle était rentrée à l'hôpital pour y mourir. Je croisai ses parents dans un couloir, et n'osai leur demander si leur fille savait à propos du virus. Finalement je préfère la conservation du mystère, Elizabeth a fait quelque chose de ma vie, je ne peux lui en vouloir et le fantôme de ma famille parfois le soir me visite afin de me rassurer : ils m'attendent, et Elizabeth s'impatiente sûrement elle aussi, car en dépit des mensonges proférés de son vivant, notre histoire est vraie, pure, je veux y croire, non je le crois sincèrement, et lorsque le laboratoire m'a remis les résultats de ma prise de sang, je n'ai pu m'empêcher de sourire et admirer le parallélisme des formes : Elizabeth et moi, deux jeunes gens prochainement tous deux décédés du Sida.

(chais pas si j'ai bien fait de poster ça, c'est une pure fiction hein, je rassure mes futures conquêtes)

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Membre, 33ans Posté(e)
Amelane Membre 189 messages
Baby Forumeur‚ 33ans‚
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Tres bien écrit, j'aime beaucoup ce genre d'histoire écrites a la premiere personne, mais c'est triste bon sang, et voila ! Le cafard pendant quelque heures... Snif

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Membre, nyctalope, 40ans Posté(e)
Criterium Membre 2 873 messages
40ans‚ nyctalope,
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C'est bien que tu n'hésites pas à poster de nombreux textes ; je ne sais pas si tu en as conscience ou pas mais j'ai l'impression que tout cela mûrit, progresse. C'est plaisant ; c'est également pour cette raison que je vais insister sur des points de détails qui m'ont embêté — du négatif donc — n'y vois donc qu'un encouragement.

Au niveau du choix de certains mots ; parfois, cela fait mouche — j'ai eu cette impression en fait en lisant le terme de "structure troglodyte" pour qualifier la boîte de nuit — et parfois, cela sonne bizarrement et enlève, en quelque sorte, quelque chose à l'image — c'est par exemple le cas de "enlacés l'un à l'autre tels des reptiles", ou encore de la mention des héros balzaciens... (il y en a tant, d'héros balzaciens ; l'image est donc forcément un peu pédante). L'incipit du texte n'est pas très clair, on pourrait croire que le narrateur a 22 ans et vient tout juste d'avoir le bac, ce qui signifie s'il est surdoué qu'il a connu un fort échec scolaire qui pourrait bien lui empêcher d'accéder aux grandes écoles, si l'on suit ta logique... ce qui n'était à mon avis absolument pas ce que tu voulais dire. Sinon, il est intéressant de constater que même si le personnage principal n'est pas toi et que tu estimes qu'il faille même préciser cela à la fin du texte, il est évident que certains traits sont éminemment les tiens : cette vision de la pureté (tu utilises toi-même le terme, c'est très significatif), du sexe et de l'amour remis à plus tard, pour une personne, signifiante, dont la rencontre a des conséquences nécessairement et littéralement renversantes (le météore abattu sur ta vie) ; que derrière cela, l'on pressent également le tien fantasme, très fort, qu'elle soit dans une position de souffrance (qui d'ailleurs ne concerne pas seulement son passé, mais continue jusqu'à la mort). — En somme, quand bien même tu ne voulais en rien que cela te définisse, je crois au contraire que l'on lit à travers ce texte en toi comme dans un livre ouvert, pour ce qui est du domaine de l'amour et de ton projet de vie.

Qu'en penses-tu? :yahoo:

(Pour ce qui est de la sexualité, cf. un autre topic, citons : "tain c'est pas de la mayonnaise rien à voir c'est blanc, poisseux et ça pue ; ça devrait pas être permis de sortir des fluides pareils de notre corps, rien à voir avec la cyprine, le nectar des dieux, on s'en barbouillerait le nez et les yeux si en fait si c'était pas déjà obligé pour pouvoir accéder à la petite fleur dont les pétales évoquent le printemps, et non faut pas voir ça comme une sangsue aux lèvres dissimulant des dents en forme de couteaux.... ")

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Invité château
Invités, Posté(e)
Invité château
Invité château Invités 0 message
Posté(e)

ouais ouais ouais pour un texte écrit en cinq -dix minutes, disons que je l'aurais pas posté si effectivement y avait pas quelques petites choses, y a un truc qui me fascine là dedans, chais pas on dirait que c'est bourré de clichés

mais bon, "tels des reptiles" tiens ça le fait pas ? curieux, je pensais que c'était des animaux à sang froid, et comme je voulais projeter dans cette histoire tout ce que je pense de la superficialité des relations humaines (humains est un mot trop fort je trouve pour qualifier ces bestioles qui marchent sur deux pattes)

fin bon j'aurais peut-être pas dû jeter à la corbeille un poème érotique que j'ai essayé de faire il y a quelques jours, y avait des jolis mots même si je trouvais pas le fil conducteur pour faire une chute digne de ce nom

décidément ;

lol ;

bonne nuit tout le monde, vais regarder un épisode de "au-delà du réel" pis vais dodoter ;

ravi que ce petit texte suscite de la compassion, ça démontre que je suis pas si mauvais que ça ; Criterium tu sais je prends toujours tes critiques comme des encouragements, si ça ne t'intéressait pas du tout je pense bien que tu ne prendrais même pas la peine de répondre

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Membre, 47ans Posté(e)
HappyAloe Membre 1 253 messages
Baby Forumeur‚ 47ans‚
Posté(e)

Moi qui ne suis pas littéraire, j'ai bien apprécié ton texte. Merci:)

Je pense aussi que tu fais bien d'explorer l'exercice de l'écriture.

Visuellement parlant, je verrais bien une structure plus aérée (par exemple juste sauter une ligne entre la narration de vos tribulations parisiennes, et la crise d'Elizabeth. Après ptêt que c'était voulu que ce soit très abrupte, mais je voulais juste donner mon ptit avis ^^).

(PS Critérium, ton sens de l'analyse est génial, peut-être parce qu'il n'est pas que critique mais également sensible. C'est très bluffant)

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Invité zazou
Invités, Posté(e)
Invité zazou
Invité zazou Invités 0 message
Posté(e)

le temps de amours,

pour moi est arrivé,

tel un nouveau jour,

que je n'aurais espéré...

Château, je te proute, je croyais que t'avais enfin trouvé l'Amour :yahoo:

Moi, oui, c'est fait :rtfm:

Et ce quatrain résume assez bien ce que je vis depuis quelques temps :o°

Je te souhaite autant de bonheur que j'en vis actuellement, car c'est juste merveilleux! :o°

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Invité château
Invités, Posté(e)
Invité château
Invité château Invités 0 message
Posté(e)

tiens, Zazou ça fait plaisir alors :rtfm:

(ouais l'épisode de "au-delà du réel" que je viens de regarder était nul, un type qui se fait sauter le caisson dans l'espace)

bon je vais vraiment dodoter maintenant

bonne nuit :yahoo:

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