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Adrénaline


Arkon

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Membre, 44ans Posté(e)
Arkon Membre 202 messages
Baby Forumeur‚ 44ans‚
Posté(e)

- "Ah! ah! Tu te souviens de la première fois où on s'est rencontré?

Je t'ai trouvée magnifique dès que j'ai croisé ton regard. J'étais assis au fond de l'amphi en train d'essayer de finir ma nuit, avant le début du cours. Droit des affaires...sacré Delaf'! Tu te souviens de lui? Quel guignol ! On aurait dit qu'il avait pris l'apéro avant de venir à la fac. Ta chevelure blonde resplendissante rassemblée en queue de cheval et ton allure sportive m'ont fait craquer.

J'étais en train de me demander ce qu'une beauté comme toi venait faire en fac de droit pendant que toi, spontanément, tu es venue t'asseoir à côté de moi. Je crois que j'ai bégayé pour te dire bonjour. Tu sais, j'ai toujours été très émotif. Mais toi, toujours à l'aise, tu as commencé à me taper la discussion. Tu venais tout juste de t'installer à Grenoble. C'était quoi déjà l'excuse? La faculté de droit est une des meilleures de France? Tu parles, la seule chose qui t'intéressait, c'était les montagnes...c'est vrai qu'à Rennes, côté dénivelé, c'est pas le top.

Il me semble qu'on a parlé pendant tout le cours. J'avoue, lorsqu'on s'est revu le soir même, je commençais à croire que tu en pinçais pour moi. Mais jamais je n'ai osé faire le premier pas...quelque part, je crois que j'ai bien fait, je pense que ça aurait pu changer beaucoup de choses entre nous. Et puis, je ne pense pas que j'aurais trop apprécié de me prendre un méchant vent...Comme celui que tu as mis à Rudy. Tu ne l'avais pas loupé le pauvre vieux. Il a du mettre un mois a s'en remettre. Je dirais que j'ai mis à peu près deux semaines à comprendre que jamais tu ne serais amoureuse de quelqu'un. Tout ce que tu voulais c'était de l'adrénaline. Le plus souvent possible et le plus intensément possible.

Je me souviens, un mois après la rentrée des classes, on allait déjà grimper à Espace Vertical. L'escalade était à peu près le seul sport que je faisais et encore, seulement de temps en temps. De toutes façons, il me manquait un compagnon de cordée. Je reconnais que tu as très bien assumé ce rôle. Tu m'as impressionné lorsque tu as enchaîné une 6C, moi qui ai du mal à passer une 6B. Je me souviendrai toujours de tes paroles une fois que je t'ai redescendue : "un peu dure celle-là, elle m'a réchauffé les avant-bras". Phrase un peu exaspérante de la part de quelqu'un qui grimpait pour la première fois. Je me rappelle, le lendemain, tu m'as soulé toute la journée pour que l'on y retourne le soir-même. C'est ce qu'on a fait d'ailleurs...ce fut le début d'une longue série. Au moins deux fois par semaine, ça fait un bon entraînement au final.

Puis, j'ai commencé à te montrer les quelques activités que je connaissais en montagne... l'escalade en falaise, la randonnée, le cyclisme, mais bien vite, c'est toi qui a prit les devants et qui me traînait dans tous les plans que tu nous trouvais. J'étais souvent réticent, je l'admets mais bon, tu comprends, j'ai toujours eu un peu peur. C'est pour cela que je me suis cantonné à des sports plutôt softs. Et toi, c'était le contraire, une vraie accro à l'adrénaline! Tu faisais tout pour avoir le plus de sensations possible. Je me souviens de toi dévalant les parois des montagnes en rappel comme une dingue. Je n'ai jamais vu quelqu'un descendre aussi vite...mais ce qui est le plus impressionnant, c'est que à aucun moment, tu n'as plus maîtrisé. Tout le temps, tu atterrissais en douceur. C'est vrai, j'étais un peu jaloux de toi. J'ai toujours voulu pouvoir me dépenser à fond dans un sport, aller tout le temps jusqu'au bout mais je sais pas ce qui me fait ça...la peur me tenaille toujours.

Tu te souviens de la tyrolienne de Chamrousse? Oh la la! Quel boulet j'ai du faire! Je suis encore désolé, impossible de me contrôler. T'as bien du m'attendre 5 minutes en bas, le temps que je descende. Je n'arrivais pas à lâcher les mains, dès que je prenais trop de vitesse, je ne pouvais m'empêcher de freiner.

Et le canyoning? Qui est-ce qui fait du canyoning en novembre? Et bien c'est nous...j'ai cru que j'allais mourir d'hypothermie. Tout ce courant, c'était impressionnant! Plusieurs fois, j'ai prié pour que tout s'arrête... et toi, à l'aise comme dans n'importe quel élément, tu descendais à toute allure. Il ne me semble pas t'avoir remerciée pour m'avoir attendu si souvent et d'avoir fait preuve de tant de patience avec moi.

Tout l'hiver, tu m'as traîné sur les pistes pour skier. Je reconnais que je m'étais un peu rouillé pendant toutes ces années où j'avais pratiqué un ski de grand-père mais après un petit décrassage, ça allait beaucoup mieux. Je me rappelle des courses que l'on faisait au milieu des touristes... des "parisiens", comme tu les appelais. On était comme deux fous dans les pentes enneigées. Que c'était bon ! C'est vrai que je te suivais rarement en hors piste... et oui! Qu'est ce que tu veux... la peur des avalanches...

Je crois que j'ai passé un des meilleurs moments de ma vie alors que je descendais une piste aux Deux Alpes. On était en train de faire la course quand tout à coup, tu es passée devant moi et tu m'as fait signe de te suivre. C'est ce que j'ai fait, bien que je ralentisse un peu ma course pour essayer de voir ce qui allait m'attendre. Quelques dizaines de secondes après, une immense bosse se dressa devant nous. Bien sur, tu t'élanças sans réfléchir mais ce qui est bizarre, c'est que moi non plus, je n'ai pas hésité. Sentant l'adrénaline monter, je me suis penché en avant pour gagner de la vitesse. Quel bond j'ai du faire ! Mais alors la réception, ce n'était pas encore ça... merci la poudreuse. C'était quand même du pur bonheur.

Et puis, il y eut ce raid. Tu me l'as annoncé comme "un truc de tarés" mais tu n'as pas pu résister longtemps à l'envie de t'y joindre. Le principe était simple : louer un énorme 4x4 équipé de chaînes pour aller en haut d'un sommet des Alpes puis descendre en ski dans la nature à travers les champs et les forêts. Le 4x4 devait récupérer tout le monde en bas 2 heures après. Le coût était assez élevé mais cela n'a pas suffit à t'arrêter. Par contre, en ce qui me concerne, j'ai hésité pendant de longues heures. Je n'avais jamais trop pratiqué en hors piste mais je culpabilisais de te laisser y aller toute seule. Malheureusement, ma peur des avalanches fut plus forte et je restais calfeutré chez moi pendant que tu bravais la montagne. Je me suis fait du soucis pour toi, j'ai du laisser trois messages sur ton répondeur alors que je voyais la nuit tomber.

Le risque d'avalanche était faible dans le secteur mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a aucun de risque.

Lorsque le lendemain matin, j'entendis à la radio qu'il y avait eu une coulée de neige importante et que 5 skieurs étaient portés disparus, j'ai bien cru que j'allais mourir. Je tombais à genoux et il me fallut quelques minutes pour me redresser et t'appeler. Répondeur, une fois de plus. Alors, je suis allé en cours... tu n'y étais pas. Je suis allé chez toi...tu n'y étais pas non plus. J'ai appelé chez tes parents mais ils n'avaient aucune nouvelle de toi depuis plus d'une semaine. Et voila, une semaine plus tard, je suis en train de parler à un cercueil vide.

Cependant, je n'arrive pas à éprouver de la tristesse. Il est vrai que tu me manques énormément, tu as pris plus de place dans ma vie en six mois que n'importe qui mais je reste convaincu au fond de moi que c'était cette mort qu'il te fallait. Mourir dans les montagnes était la mort la plus belle que tu puisses avoir. Parfois, j'essaye de t'imaginer en train de skier les cheveux dans le vent alors qu'une avalanche était en train de couler derrière toi. J'ai vraiment du mal à t'imaginer avoir peur et je pense que tu t'es juste dit : "Et voila, c'est le moment" et tu t'es laissé prendre par la faucheuse.

Les deux images de toi qui me sont gravées à vie dans la mémoire sont toi en train de skier en levant le pouce pour me féliciter de te suivre et la deuxième est lorsque tu m'as fait un clin d'oeil avant de partir pour le raid. Ce clin d'oeil était plein de complicité et disait : "Je te laisse tranquille aujourd'hui mais prépare tes skis pour demain".

Bon, je suis désolé, il se fait tard il va falloir que j'y aille... Oh! Au fait, juste une dernière chose. Saches que désormais, il suffit que je pense à toi pour que cela me donne envie de profiter à fond de chaque instant de la vie. Toujours être à fond¿profiter au max tout le temps. C'est ça qui est bon¿

Merci pour tout ma belle et à bientôt."

Bertrand déposa alors la rose rouge qu'il tenait sur la tombe et reprit son VTT, couché à quelques mètres dans les herbes. Sur le chemin du retour, il aperçut à plus de 20 kilomètres le col du Galibier. Malgré l'heure un peu tardive, il n'hésita pas, il bifurqua à droite et pris la direction du col Galibier, un léger sourire aux lèvres.

à Miga, le 27/08/2003

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Membre, 53ans Posté(e)
alandick Membre 2 873 messages
Baby Forumeur‚ 53ans‚
Posté(e)

juste .... magnifique !

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Invité château
Invités, Posté(e)
Invité château
Invité château Invités 0 message
Posté(e)

idem.....

au début je songeais à une parodie d'histoire d'amour gnan gnan à l'eau de rose.... ensuite me demandait quelle serait la "chute" parce que cette accumulation d'activités sportives.... il en fallait une...... et en fait la parodie que j'imaginais..... est malheureusement très réaliste.... ça fait bizarre et on ne songe pas à "blâmer" le narrateur pour cela puisqu'on a adhéré à fond à ce texte dés le début.....

je trouve donc ce procédé très inventif, bien trouvé, en dépit de la fin.....

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Membre, Posté(e)
halman Membre 2 191 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

Superbe.

On en a tous connu une comme ça qui est partie se bruler les ailes.

Et dont on n'en trouve plus de comparable après.

Parce qu'on la recherche dans toutes celles qu'on rencontre, ce qui est impossible bien sur.

Le coup de poing dans le ventre qui assomme que l'on se prend quand on en croise une sosie dans la rue.

Une fée à qui l'on pense tout le temps.

Je l'ai rencontrée elle avait 10 ans de plus que moi.

Bien sur je la laissais totalement indifférente.

Elle n'était pas de la taille mannequin, mais quand elle était là tout changeait. Tout le monde en était amoureux. Les gens étaient calmes d'un seul coup quand elle arrivait.

Certains jours elle pilotait comme un pied, limite dangereuse, comme une débutante.

D'autres jours, on ne sait pas pourquoi, elle pilotait comme un ange. Nous laissant tous sur place et la voyant faire des choses d'un autre monde qui ne nous concernait pas.

Et de temps en temps, avec une facilité déconcertante, elle pulvérisait un record du monde de vitesse ou d'altitude.

Et puis un samedi midi, les gendarmes nous téléphonent. Il fallait qu'on aille reconnaitre ce qui restait de ses jambes "pour éviter ça à la famille", et parce que "il ne restait plus rien au dessus du bassin".

Le silence sur le lieu de l'accident. Un monde fou, des pompiers, des voitures, des gens partout, mais un silence de mort. J'ai reconnu ses petites chaussettes. Ses jambes blanches piquetées de taches de sang minuscules.

Sa voix, son rire, ses mots, tout d'elle est gravé en moi comme dans un cristal d'une pureté quasi divine.

Quand le cercueil a été mis dans le fourgon et qu'il est parti (la famille ne voulait pas qu'on l'accompagne jusqu'au cimetière), c'était comme si mon corps s'arrachait en deux partie et qu'une partie la suivait je ne sais pas où.

Tout le village était rempli de monde. La moitié de l'aviation française était venue.

On m'a raconté après que je suis resté plusieurs semaines sans parler, menant ma petite vie en automatique, comme un zombie.

C'était il y a 30 ans. Mais c'est comme si c'était encore maintenant.

Depuis je suis incapable de tomber amoureux d'une qui n'est pas aviatrice.

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Membre, Posté(e)
halman Membre 2 191 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

Pourquoi je ne peux plus éditer mes messages ?

Si un modo a fait quelque chose au moins qu'il explique pourquoi.

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Membre, 44ans Posté(e)
Arkon Membre 202 messages
Baby Forumeur‚ 44ans‚
Posté(e)
juste .... magnifique !

Merci :yahoo:

On en a tous connu une comme ça qui est partie se bruler les ailes.

Quand j'ai écrit ce texte, je n'en avais pas connu. C'était purement imaginé... mais, la réalité a rejoint la fiction quelques années plus tard, quand un ami a fait une chute mortelle en base-jump.

Les années passent et j'ai toujours en tête son sourire et sa manière de croquer la vie à pleines dents.....

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Membre, nyctalope, 40ans Posté(e)
Criterium Membre 2 873 messages
40ans‚ nyctalope,
Posté(e)

J'aime bien également : c'est raconté de manière fluide, agréable, la chute (la mort) était effectivement attendue mais était l'aboutissement logique de cette passion de l'adrénaline... ainsi oui, je serais d'accord pour dire que c'était effectivement la mort qui lui convenait ¿ celle qui lui serait la plus belle. Le petit clin d'¿il final pour foncer vers le col Galibier est à mon sens un des effets les mieux réussis du texte : l'instigation, l'influence de la passion et de la force de la disparue sur l'ami vivant ¿ ce changement de direction lui paraît maintenant comme une évidence. Si c'est de l'inconscience, c'est néanmoins une inconscience belle.

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