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Arkon

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Membre, 44ans Posté(e)
Arkon Membre 202 messages
Baby Forumeur‚ 44ans‚
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Bonjour à tous,

Je vous propose une nouvelle se déroulant dans un univers médiéval fantastique type Donjons&Dragons.

Bonne lecture :yahoo:

Le soleil de décembre se rapprochait inexorablement de l'horizon, annonçant la proche fin de journée. Urgor évitait soigneusement chaque plaque de neige, afin de ne laisser aucune trace, non qu'il eut peur qu'on le retrouve, mais cela était devenu un réflexe pour lui de passer inaperçu et de se prémunir ainsi du danger.

Il tenait par les oreilles un lapin au crâne ensanglanté et aux yeux immobiles, scrutant le néant. L'arme coupable de la mort de l'innocent animal, une fronde aux lanières en cuir tressées, pendait à sa ceinture à côté d'une hache de combat, nullement destinée à la chasse mais dédiée à la défense d'Urgor, rôle qu'elle avait rempli à la perfection jusqu'à présent.

Urgor dépeça méticuleusement le lapin et le fit cuire sur des braises, tout ça dans un silence absolu, le regard perdu dans le vide. Son cerveau avait été assailli par des pensées qu'il triturât longuement, dans tous les sens, mais aujourd'hui, il était sûr qu'il n'y avait qu'une solution à son dilemme.

Urgor posa quelques pièges à loup avec de la viande séchée, nourriture peu odorante pour ne pas attirer toutes les créatures de la forêt.

Il aurait pu paraître paranoïaque à un observateur extérieur, et ces précautions démesurées, mais elles étaient devenues des automatismes de survie qu'il avait acquis au fil des ans, lors de ses aventures. Pourtant, il savait que le danger était moindre dans ces bois. Il connaissait bien cette forêt¿

***

Urgor a onze ans.

Voici près de huit ans que Marcito, le bûcheron du village, l'a trouvé, abandonné comme un vulgaire détritus, au milieu des bois. Les demi-orcs, souvent le fruit d'un acte obscène perpétré par des pillards orcs s'attaquant à la populace humaine, sont régulièrement rejetés à leur naissance et ne doivent leurs survie qu'à leur solide constitution et la pitié de certains gens. Urgor avait été adopté par Leanora, une jeune veuve qui, malgré sa rudesse, déborda d'affection pour le jeune bâtard.

Il fallut plusieurs longues années pour qu'il se fasse accepter par les villageois, et même encore, il était fréquemment le sujet de brimades non justifiées ou de moqueries sur ses origines.

Mais Urgor était heureux. Il avait une mère aimante, des amis avec qui passer ses après-midi et était, secrètement, comme la quasi-totalité des enfants de son âge, amoureux de la jeune Tisaëlle, une elfe de trois ans son aînée qui avait été adoptée elle aussi. Il la comparait souvent à un ange, et aimait s'imaginer s'endormir à ses côtés lorsque la nuit tombait.

Mais là, le soleil brillait haut dans le ciel. Les gens du village préféraient rester confinés chez eux à cause de la chaleur étouffante de l'été, mais les jeunes du village, eux, n'en avaient que faire. Ils aimaient à courir jusqu'à la petite rivière au milieu de la forêt, pour passer la plus grande partie de l'après-midi à se baigner. Les arbres le long de l'eau étaient denses et leurs feuilles verdoyantes, ils offraient une ombre bienvenue en ces journées caniculaires.

Tour à tour, Talnorane, Joréan, Batris et Trigos sautaient du haut d'un rocher et accordaient une importance capitale à éclabousser leurs amis. Urgor, lui, préférait nager jusqu'au milieu de l'eau, là où il n'a pas pied, mais ce jour-là plus que n'importe quel autre, il ne pouvait s'empêcher de regarder Tisaëlle qui, assise sur une souche, les regardait s'amuser, le sourire aux lèvres¿

***

Cela faisait des siècles que cette époque s'en était allée, mais il se souvenait encore de la robe que Tisaëlle portait. S'il avait eu des talents pour le dessin, il aurait pu en faire une représentation fidèle, même plusieurs dizaines d'années plus tard.

Le craquement d'une brindille le tira de ses songes. Il se redressa brusquement et saisit sa hache. Les sens à l'affût, il se déplaça discrètement vers un arbre, et s'appuya le dos contre. Le demi-orc s'efforça de garder une respiration lente, pour ne pas qu'elle le trahisse. Il attendit, patiemment, les doigts solidement fermés sur le manche de son arme, prêt à trancher la tête de la première créature, qui passera à portée.

Mais cela n'était qu'une fausse alerte, plusieurs minutes s'écoulèrent avant qu'Urgor ne se détendît. Il ne devait sans doute s'agir que d'un petit animal.

Un rayon de soleil commença à percer à travers les feuillages. La lumière était peu vive, la matinée semblait déjà bien entamée. Urgor avait somnolé durant un long moment. Il ramassa ses différentes affaires et se rafraîchit avec l'eau glacée de sa gourde. Une fois tout son bardas réuni, il regarda autour de lui, hésita une dernière fois et finalement se décida à prendre la route, en direction du village¿ de son village.

La plaine qui l'accueillit pendant ces journées chaudes d'été était recouverte d'une fine couche de neige. Il la parcourut cette fois-ci sans se soucier des traces qu'il laissait, et marcha d'un pas décidé vers les maisons, et plus particulièrement vers l'auberge.

Fouler à nouveau ces rues fit ressurgir des visions passées dans l'esprit d'Urgor¿

***

Les années de son enfance passèrent vite, Urgor a tout juste atteint les dix-neuf ans.

En cette journée automnale, le soleil était en train de baisser derrière les collines. Urgor sentait encore sa chaleur sur la peau, mais il savait que cela n'était qu'éphémère et que bientôt le crépuscule allait recouvrir le village amenant froid et humidité.

Après avoir passé une grande partie de la journée dans les champs avec sa mère, celle-ci lui avait confié un dernier petit travail. Elle voulait qu'il aille livrer l'ouvrage qu'elle avait réalisé pour Natie. Cela ne le dérangeait nullement, il se disait qu'il pourrait s'arrêter à l'auberge boire une chope avant de rentrer manger¿

***

Lorsque qu'il se retrouva à l'entrée de la rue principale du village, un vague doute le submergea. Et s'ils le reconnaissaient ? Pour pallier cette incertitude, Urgor remonta sa capuche pour dissimuler son visage et se hâta vers l'auberge dont il ouvrit la porte d'un geste brusque.

Il sentit alors les regards des gens, curieux de voir un étranger, se poser sur lui. Ses muscles se tendirent, il était persuadé qu'ils allaient se rappeler de ce jeune demi-orc qui habitait chez la vieille Leanora et faire le rapprochement, mais finalement, au bout de quelques instants, les discussions reprirent et chacun se remit à déguster son repas.

Ils ne le reconnaissaient pas ; ils ne se souvenaient pas.

Urgor n'hésita pas un instant et prit la direction du fond de l'auberge, vers le coin d'ombre où aucune lumière ne perce jamais. Il s'assit à une table, son capuchon dissimulant toujours son visage.

Rapidement le tavernier s'approcha de lui. Urgor sentit ses tripes se nouer quand il reconnut Batris. Celui-ci avait pris un embonpoint considérable et sentait la transpiration à plusieurs mètres à la ronde, mais impossible de se tromper, il s'agissait bien du gamin avec lequel le demi-orc avait passé le plus clair de son enfance.

Urgor commanda une chope de bière avec une voix rauque, volontairement déformée, comme si l'aubergiste avait pu reconnaitre le timbre de sa voix après tant d'années.

Il la but doucement, scrutant les autres personnes. Beaucoup de visages lui étaient familiers malgré les rides.

***

En route, il aperçut le gros Batris, un enfant de sa génération avec qui il avait beaucoup joué dans son enfance, mais qui était trop niais pour que les liens de l'amitié perdurent avec le temps. Il semblait se cacher au détour d'une maison, tout en l'épiant. Troublé, Urgor s'avança, mais celui-ci fila en courant dès qu'il le vit. Le demi-orc décida de livrer rapidement le colis et se mit sur ses traces.

Le retrouver ne fut pas difficile, il était revenu vers la maison. Comme précédemment, il repartit en courant quand il le vit. Urgor décida de le filer discrètement et se retrouva à la lisière de la forêt, sur le sentier de la cabane de Marcito, le bûcheron. Celui-ci était mort deux printemps auparavant, écrasé par le tronc d'un arbre récalcitrant, laissant sa cabane abandonnée depuis.

***

Des heures passèrent.

Batris raccompagna son avant-dernier client avant de remarquer le demi-orc.

« Hé clochard ! Je ferme, casse toi d'ici ! »

Urgor se leva et s'approcha.

« T'as jamais été très poli Batris¿ »

Il bascula sa capuche et dévoila enfin son visage.

Batris blêmit. Ses lèvres arrivèrent tout juste à articuler : « Urgor¿ mais qu'est-ce que¿ »

Avant qu'il ait fini sa phrase, le demi-orc posa une main musclée sur son cou et le placarda contre un mur. L'aubergiste se débattit mais ses muscles flasques ne pouvaient rien contre ceux burinés et surdéveloppés de son adversaire.

Urgor pensait les faire souffrir, tous, un par un. Mais lorsqu'il se rendit compte de la pathétique vie de Batris, ce fut presque par pitié qu'il prit sa hache et lui fendit le crane, d'un coup précis, le même qu'il avait déjà donné des centaines de fois auparavant.

Il arracha la clé qui pendait à la ceinture de l'aubergiste et lâcha le corps défiguré qui s'effondra mollement au sol. Sans se retourner, il franchit la porte et verrouilla fermement l'auberge.

En marchant dans les ombres naissantes du crépuscule, il rejoignit la forêt où il passa la nuit, assis sur une souche, perdu dans ses pensées. Il ne fut pas tenté de fermer l'¿il, il était hanté par ses pensées et ressassait sans cesse cette journée maudite où tout avait basculé.

***

Batris venait de rejoindre Trigos.

« Qu'est ce que t'as fait Bat' ? Tu l'as mené directement à nous ?? »

Urgor s'approcha, ne comprenant pas trop ce qu'ils tentaient de lui cacher. Arrivé au pied des marches, il toisa Trigos et lui demanda :

« Qu'est ce que vous fabriquez ici ? »

« C'est pas tes oignons. Pars d'ici avant qu'il ne t'arrive quelque chose de déplaisant. »

Trigos était solidement bâti. Il labourait les champs depuis ses dix ans et ses muscles saillaient sous ses vêtements fripés.

Le demi-orc hésita donc à le provoquer et à monter les marches qui les séparaient, mais un cri étouffé lui parvint. Il reconnut facilement la voix de Tisaëlle, bien qu'elle fût étouffée. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu'on s'en prenait à elle. Laissant parler sa colère, il monta quatre à quatre les marches, fermement décidé à entrer. Trigos s'écarta une seconde pour le laisser atteindre la poignée, mais lâchement il le frappa à la mâchoire.

Le coup mit le demi-orc au sol, légèrement étourdi. Un bref hurlement se fit entendre dans la maisonnette, suivi du bruit d'une claque. Trigos jeta un coup d'¿il vers la porte et Urgor profita de ce petit laps de temps pour se relever et pour foncer sur lui. Son épaule le frappa au niveau de l'abdomen et le poids de son corps le fit chuter en arrière. Sa tête heurta violemment la barrière de bois et il s'effondra, inconscient.

Batris, à qui il n'avait pas accordé la moindre importance lui donna un coup de pied dans les côtes. Il avait visiblement surestimé ses forces car le choc fut quasiment indolore et Urgor se remit sur pied en un instant. Batris pâlit en le voyant avancer vers lui. Le demi-orc, assailli par la colère, était prêt à se ruer sur lui et l'assommer à grands coups de poing quand Batris tourna ses talons et prit ses jambes à son cou. Pendant une fraction de seconde, Urgor eut envie de lui courir après, de le rattraper et de le faire souffrir pour sa lâcheté, mais son esprit reprit le dessus et il focalisa son attention vers la porte de la cabane.

***

Trigos s'emmitoufla dans son manteau et enfonça profondément son bonnet sur sa tête. Il jeta un coup d'¿il par la fenêtre de sa maison mais ne put apercevoir âme qui vive. Le froid était presque palpable avec ces longues stalactites qui descendaient du toit des maisons. Il poussa un soupir avant de prendre son arc et quelques collets. Il allait sans doute encore revenir bredouille de sa partie de chasse, mais bien qu'il aurait préféré rester sous une couverture en fourrure chez lui, il était obligé d'affronter ce rude hiver pour tenter de ramener du gibier, c'était son rôle dans ce village.

Lorsqu'il avait grandi et atteint l'âge adulte, bien malgré lui, il dut choisir un métier. Il se disait que chasseur avait quelque chose d'excitant, toute la journée à traquer ses proies, beaucoup plus en tous cas que paysan, le travail de ses parents, mais il ne se serait pas douté un instant qu'il aurait été le seul à devoir marcher dans la forêt enneigée par une température avoisinant le zéro degré.

Restant pensif devant un piège à loup rouillé qui ne s'était pas déclenché alors qu'un animal s'était emparé du bout de viande, Trigos n'entendit pas les bruits de pas étouffés par la neige derrière lui. Ce n'est que quand deux mains puissantes se refermèrent sur son cou qu'il se rendit compte de la présence d'Urgor. Le visage du chasseur blêmit puis se cyanosa, mais avant qu'il ne rende son dernier souffle, le demi-orc le projeta violemment contre un arbre.

Il se retrouva au sol, toussant à cause du manque d'air et le visage écorché par l'écorce rugueuse. Il était à deux doigts de s'évanouir et dut lutter pour rester conscient. Il se mit sur le dos pour voir son agresseur, néanmoins sa vision était floue, troublée par le sang qui lui coulait dans les yeux. Tant bien que mal, s'aidant maladroitement de ses bras, il tenta de s'éloigner, mais un pied massif vint se poser lourdement sur sa poitrine, le clouant au sol.

« Salut Trigos »

Le pied se retira de son poitrail. Le chasseur cligna des yeux plusieurs fois pour essayer de distinguer le visage de son assaillant. Il aperçut une peau verdâtre couverte de cicatrices, mais cela ne lui rappela rien.

« Qui¿ qui êtes-vous ? »

« Tu ne te souviens pas de moi ? Moi je me souviens parfaitement de toi¿ et surtout du jour où tu as essayé de m'empêcher de rentrer dans la cabane. » Urgor respira profondément, refoulant ses souvenirs. « Ce jour me hante depuis trop longtemps¿ »

« Urgor ? » Sa voix tremblante était pleine d'étonnement et de peur. Il tenta de se ressaisir et ajouta :

« Mais on était que des gosses ! »

« Tu ne te rends pas compte de ce que j'ai perdu ce jour-là. La seule chose qui m'empêche de me laisser mourir, c'est de vous imaginer la gorge tranchée¿ »

« Urgor non ! »

La hache vint frapper le chasseur au niveau du c¿ur. La lame affûtée tant de fois n'eut aucun mal à briser les côtes et à sectionner en deux l'organe vital. Des morceaux d'os et de chair ensanglantés s'éparpillèrent autour du corps. Une gerbe de sang gicla au visage d'Urgor lorsqu'il dégagea son arme, mais jamais il n'avait été autant réchauffé par une aspersion de liquide.

Le demi-orc essuya sa hache sur les vêtements du chasseur puis abandonna le corps aux loups et autres charognards. Il repartit en direction du village, dissimulé sous sa cape et sa capuche.

Le chemin était court, mais les souvenirs affluaient, ne lui laissant aucun répit.

***

Il l'ouvrit brutalement. Un frisson le parcourut quand ses yeux purent distinguer ce qu'il se passait à travers la poussière qui volait dans la cabane.

La première chose qu'il reconnut, c'est la silhouette frêle de Tisaëlle, étendue sur une botte de paille. Ses habits étaient en lambeaux, Urgor put voir la peau blanchâtre d'un de ses seins.

Deux personnes la maintenaient fermement, l'empêchant de faire le moindre mouvement. Joréan lui immobilisait les bras tandis qu'Olaenis, elle, lui bloquait les pieds.

***

Joréan, lui, aimait bien l'hiver. Il avait juste à nourrir les bêtes trois fois par semaine et changer leur paille de temps en temps, et le reste de la journée, il pouvait le passer chez lui, au coin du feu, avec sa femme. Certes, ce n'était pas ce qu'il y a de plus palpitant comme vie, mais le reste de l'année, lui et son épouse devaient labourer la terre, planter et récolter. Un travail fatiguant, mais qu'il s'était résolu à faire tant son adresse et son intelligence lui faisaient défaut.

Aujourd'hui, comme chaque jour hivernal, il était en train de préparer le repas, des lentilles et de la viande séchée accompagnés de pain, tandis que sa femme, Olaenis, était à l'étage en train de confectionner une nouvelle couverture pour remplacer l'ancienne, trouée par le temps.

Alors qu'il surveillait la marmite, il sursauta au bruit que fit une personne en frappant trois coups lourdement appuyés sur la porte.

« Qui est-ce ? »

Aucune réponse.

Cela devait être Trigos qui revenait de la chasse et qui venait le narguer avec sa biche ou quelque lapin qu'il aurait enfin réussi à attraper. Joréan et lui étaient amis sans s'aimer, ils passaient leurs temps à se narguer et à humilier au possible l'autre.

Trois autres coups furent portés, nets, précis, résonnants dans la cuisine.

Joréan n'avait pas le choix, il devait ouvrir sinon Trigos allait défoncer sa porte. Il tira sur le loquet prêt à couvrir d'insultes son « ami » et sur ses manières de ne pas répondre quand on lui pose une question, mais à la place de ça, c'est le poing droit d'Urgor en pleine mâchoire qui l'accueillit.

Le paysan s'effondra net, inconscient.

Olaenis, alerté par le bruit au rez-de-chaussée s'approcha de l'escalier.

« Chéri ? Qui c'était ? »

Mais personne ne lui répondit. Elle descendit précautionneusement quelques marches et jeta un coup d'¿il dans la cuisine. Joréan était assis sur un banc, la tête posée sur la table.

« Joréan, mais qu'est ce qu'il se passe ? »

Devant le manque de réaction de son mari, elle s'approcha pour le secouer, mais avant qu'elle ait pu mettre la main sur lui, elle se retrouva projeter dans les airs par un choc dans son dos. Urgor venait de la percuter, l'épaule la première. Olaenis renversa la table, et par la même occasion son mari, et se cogna le nez contre le sol dur de sa maison. Le sang commença à affluer mais avant que la douleur ne lui parvienne, Urgor s'approcha et la frappa d'un coup de pied dans la tête, lui faisant perdre connaissance.

Un seau d'eau froide réveilla Olaenis et Joréan. Ils étaient assis sur deux bancs, dos à dos, une corde leur attachant les jambes entre elles, une autre les bras et une dernière le cou. Elle était d'ailleurs si tendue qu'ils avaient du mal à respirer.

Urgor les regarda, incrédules. Rien dans leur journée n'aurait laissé présager une si mauvaise rencontre.

Joréan dévisagea le demi-orc et se mit à lui parler, d'une voix suppliante :

« Si vous voulez de l'argent, on a presque rien, on est que des paysans. »

Urgor le fixa un instant sans vraiment écouter ce qu'on lui disait, il fit le tour des bancs pour se retrouver face à sa deuxième victime. Du manche de sa hache, il pointa le ventre proéminent d'Olaenis.

« Tu n'es plus la sexy jeune femme, belle, vicieuse et perverse que j'ai connu. ». Elle leva des yeux chargés de larmes et plein d'incompréhension vers lui. En temps normal, elle aurait rougi de honte devant une telle remarque, mais là, la seule question qu'elle se posait était de savoir ce que voulait cet étranger. Il fit quelques pas, tout en parlant :

« C'est d'avoir épousé Joréan qui t'a mise dans cet état ? »

Un déclic se fit, elle écarquilla les yeux. Sa mâchoire s'ouvrit mais aucun mot ne réussit à en sortir, elle restait figée par la stupeur. Le demi-orc se mit face au paysan, qui lui n'avait toujours pas fait le rapprochement.

« Tu ne m'as toujours pas reconnu Joréan ? Allez, souviens-toi de ton enfance¿»

Et ce fut au tour de Joréan de reconnaître le demi-orc. Instantanément, ses muscles se figèrent et sa vessie inonda son pantalon.

Urgor n'y prêta pas la moindre attention, aucune pitié et aucune gloire dans ce qu'il faisait. Délicatement, il se pencha pour ramasser sa hache, posée contre le bahut de la cuisine. Olaenis essaya de tourner la tête tant bien que mal mais son mouvement était bloqué par ses attaches. Se doutant de ce qu'il risquait de se passer, elle s'adressa au demi-orc :

« Urgor, ça fait longtemps. Qu'est ce que tu deviens ? T'étais passé où ? »

Le demi-orc serra fermement le manche à deux mains et arma le coup, montant la hache derrière sa tête, avant de répondre :

« J'ai tenté toute ma vie d'oublier quelque chose mais aujourd'hui, j'ai décidé de l'affronter »

Le bras gauche lança le mouvement. La lame de l'arme suivit une trajectoire circulaire qui ne trouva que peu de résistance quand elle traversa les larynx et les vertèbres cervicales des deux paysans. Les têtes roulèrent au sol, arrosant de sang la terre du sol.

Dehors des gens commençaient à s'amasser devant l'auberge en se demandant pourquoi Batris n'avait toujours pas ouvert.

***

Quelqu'un se tenait un peu sur le côté, dans l'ombre. Il s'agissait de Talnorane, le fils du maire, un garçon arrogant et méprisable. Il avait son pantalon aux chevilles et son sexe, dressé, à l'air.

***

Urgor avait plus qu'une seule chose à faire pour parachever son ¿uvre. Plus qu'une vie à prendre et il pourrait être de nouveau en paix avec lui-même.

Alors qu'il quittait la maison de Olaenis et Joréan, la hache ensanglantée à la main en direction de la maison qui avait abrité Talnorane dans son enfance, il vit des villageois qui venaient d'enfoncer la porte de l'auberge et qui avait découvert le corps de Batris. Des cris d'épouvante s'élevaient de la rue, mais le demi-orc n'y prêta aucune attention. Il se moquait bien que tout le monde le voit, il n'avait qu'une chose en tête, briser les membres de Talnorane et lui soutirer son dernier souffle.

Il était en chemin lorsqu'il reconnut la silhouette de Talnorane qui sortait d'une maison, une petite habitation qui servait visiblement de mairie. Ils se reconnurent mutuellement en une fraction de seconde. La cicatrice qui ornait toujours sa joue ne lui enlevait rien de son air hautain.

Urgor s'élança, Talnorane, lui, fit demi tour et rentra dans la mairie.

Il put atteindre le premier étage avant que le demi-orc n'entre. Il s'enferma dans son bureau et sauta par la fenêtre. Cela retarda de quelques secondes son poursuivant, mais rien ne pouvait l'arrêter.

Talnorane courut dans la rue jusqu'à sa demeure où il claqua la porte et poussa plusieurs loquets.

Urgor, les yeux injectés de sang, la frappa d'un grand coup de pied, mais celle-ci ne céda pas. Il donna un coup de hache qui fendit en profondeur le bois puis termina le travail de son épaule. Il était prêt à tout pour verser le sang de Talnorane, pour le voir souffrir.

Mais jamais il n'aurait imaginé voir ce spectacle.

***

Ses yeux s'habituèrent à la pénombre et il put distinguer le visage et l'air terrifié de l'elfe. Elle était tellement vulnérable et ces vils humains avaient profité de sa faiblesse pour tenter d'abuser d'elle¿

***

Tisaëlle était devant lui, à quelques mètres. Ses vêtements avaient été arrachés à la hâte. Elle dissimulait tant bien que mal avec des lambeaux ses seins et son pubis.

Urgor fut coupé dans son élan, frappé de stupeur. Jamais il n'avait osé imaginer qu'elle ait survécu. Malgré son air triste, Tisaëlle était toujours aussi belle ; un ange meurtri. Elle semblait si fragile et si malheureuse qu'Urgor eut envie de la prendre dans ses bras, de la réchauffer, de la réconforter, de la protéger, de la¿

***

Une profonde haine monta en lui. Tous ses muscles sentirent cette impulsion électrique lui parcourir le corps. Sans chercher à réfléchir, il se saisit d'un bâton posé contre un mur et courut vers Talnorane. De toutes ses forces, il abattit son arme improvisée sur son visage. Sa joue explosa dans une bouillie sanguinolente tandis qu'il était projeté au sol. Urgor s'approcha de lui, prêt à finir le travail. Il leva le bâton en le regardant, pleurnichant, le suppliant de lui laisser la vie sauve, mais cela ne le convainquit pas. Il avait osé lever la main sur Tisaëlle, cette pauvre fille sans famille. Mais alors qu'il allait abattre son arme sur son crâne, il sentit une douleur fulgurante dans le flanc. La fourbe Olaenis venait de le poignarder dans le dos.

Surpris et affaibli, le demi-orc mit un genou au sol.

Olaenis recula regardant le sang dégoulinant de sa lame. Urgor sauta sur l'occasion et en profita pour rassembler son énergie pour donner un coup circulaire sur son poignet et la désarmer.

***

Le bruit d'une corde qui se détend, suivi de celui d'une flèche qui siffle le tira de sa stupeur, mais pas assez vite pour qu'il l'esquive. Elle vint se figer dans son abdomen.

La douleur fut vive, mais Urgor savait qu'il ne devait pas se laisser submerger s'il voulait survivre ; et sauver Tisaëlle.

Il franchit de nouveau le pas de la porte et tenta de fuir vers l'extérieur pour contourner le problème, mais deux gars armés d'arbalètes l'avaient repérés et suivis. Deux carreaux volèrent à leur tour. Le premier arracha un morceau de pierre du mur derrière lui mais le second atteignit le mollet gauche du demi-orc, lui faisant poser un genou à terre.

Il sut instantanément qu'il ne s'en sortirait pas. A trois contre un, eux équipés d'armes à distance et lui déjà blessé ; il n'avait aucune chance de survivre à cet affrontement. Un sursaut de rage le submergea, il se savait condamné, néanmoins il avait encore quelque chose à accomplir, et tandis que les gardes armaient leurs arbalètes, il se releva et courut vers la maison, la hache levée haut, menaçante.

Lorsqu'il passa la porte de la demeure de Talnorane, il fondit sur lui, évitant de regarder Tisaëlle car la moindre vision d'elle l'aurait distrait, et condamné. Il vit Talnorane au fond de la salle à manger et bondit sur la table pour l'attaquer, mais sa jambe blessée plia sous son poids, le ralentissant.

Une nouvelle flèche fut décochée. La trajectoire aléatoire que lui donna le nouveau maire lui fit frapper le demi-orc au niveau du bras, plutôt que dans la gorge, comme initialement prévu. Cela suffit néanmoins à le déséquilibrer, le faisant tomber de la table. Il retrouva in-extremis son équilibre en arrivant au sol, mais ses forces diminuaient à mesure que son sang inondait ses vêtements. Il ne put se retenir et tomba à genoux.

***

Il sentit alors une présence le soutenir. Tisaëlle tenait d'une main ses haillons et d'une autre, elle l'aida à se relever. Leurs regards se croisèrent et Urgor put voir une expression de gratitude perdue au milieu d'une douleur et d'une détresse incommensurables. Elle ne dit pas un mot mais tous deux savaient qu'il fallait qu'ils partent rapidement ; ils se devaient de fuir ce village maudit car plus rien de bon ne les y attendait.

***

Le temps sembla s'arrêter. Son regard se posa malgré lui sur l'elfe qui le regardait d'un air apitoyé et impuissant dans un coin de la pièce. Une vision furtive de sa mère lui revint à l'esprit ; elle le regardait souriante, fière de son fils adopté. Il faillit sourire à son tour, mais rapidement cette image laissa place à un souvenir, celui du corps ensanglanté de sa mère qui chutait lourdement à terre.

***

Tisaëlle le supportant autant que possible, ils regagnèrent sa maison. Il devait se panser rapidement et prendre quelques affaires avant de quitter ces lieux, pour toujours. Mais ce qu'il avait craint arriva. Sa mère adoptive, qui l'avait élevé et choyé comme si elle l'avait porté pendant neuf mois se trouvait dans la cuisine, pièce incontournable pour monter à sa chambre. Elle poussa un cri horrifié en voyant la chemise ensanglantée.

« Ne t'inquiète pas Maman, ça va aller. »

Elle s'approcha, tremblante.

« Il faut que l'on quitte le village maintenant, Talnorane va nous tuer s'il nous met la main dessus. Il a tenté de violer Tisaëlle et je l'ai frappé¿ »

Il essaya de lui expliquer rapidement ce qu'il s'était passé. Il ne fallait pas qu'elle les retarde mais ne pouvait lui mentir.

« S'il te plait¿ Aide nous »

Elle dut voir la détresse dans son regard car elle ne posa pas la moindre question.

« Dépêchez-vous. Montez, je vais les retenir un moment. Sautez par la fenêtre derrière et courez vers la forêt ! »

Urgor sentit des larmes se former au coin de ses yeux, c'était sans doute la dernière fois qu'il voyait sa mère.

« Urgor, mon enfant... Sois fier de ce que tu es ! »

Les marches n'avaient jamais semblé aussi hautes à Urgor, il devait s'aider de la rampe pour avancer, toujours en prenant appui sur Tisaëlle. Des gouttes de sang laissèrent une trace pourpre derrière eux.

Pendant ce temps, Leanora alla chercher l'épée de son défunt mari et se posta devant la porte d'entrée, prête à barrer le passage à quiconque tenterait de rattraper son enfant adoptif.

Urgor n'arrivait pas à empêcher ses mains de trembler. En bas, il y eut du bruit, comme si la porte avait été enfoncée. Des gens se mirent à parler et même si les paroles n'étaient pas audibles, Urgor sentait la tension monter. Il jeta en toute hâte quelques vêtements dans une besace puis s'apprêta à sauter par la fenêtre lorsqu'il entendit un cri. Le demi-orc, la gorge serrée ne put retenir sa curiosité, terrifié par ce qu'il avait pu se passer. Entrebâillant la porte, il vit distinctement une lame rougie transperçant le corps de sa mère. Talnorane tenait l'arme. Son sourire vicieux se transforma peu à peu en expression de culpabilité, mais quand il vit le demi-orc, il ordonna aux gardes de le saisir.

Le sang d'Urgor se mit à bouillir. Il n'était pas armé mais se sentait capable de rompre le cou à chacun de ces infâmes êtres.

***

Une haine débordante empli chaque parcelle de son corps. Il se redressa en hurlant. Plus que quelques mètres à parcourir avant de porter le coup et tout cela serait terminé. Il rassembla son énergie et bondit en avant.

Une flèche le frappa dans le poitrail, lui vidant instantanément tout l'air de ses poumons et le stoppant net dans son élan.

Ses dernières forces disparurent, il chuta lourdement. Son regard était vitreux, son souffle court.

Talnorane décocha un nouveau projectile mais celui-ci ne fit que frôler Urgor.

Il ne réagit pas au bruit sifflant à côté de son oreille. Ses lèvres purent juste former un « désolé » silencieux avant qu'il ne s'étale de tout son long dans la demeure de Talnorane et de Tisaëlle.

Il ne put entendre le rire gras de Talnorane quand il lui donna un coup de pied, ni même quand il lui dit qu'il était trop prévisible et qu'il savait qu'il le ferait craquer en lui montrant les chairs nues de Tisaëlle.

***

Il ne dut son salut qu'à Tisaëlle qui réussit à l'apaiser avec quelques paroles. Elle lui dit de partir, de fuir pour revenir plus tard la chercher et venger sa mère. Avant qu'il n'ait pu dire un mot, elle s'élança dans l'escalier, à la rencontre des gardes. Elle donna un grand coup de pied dans le torse du soldat de gauche, lui faisant perdre l'équilibre et dévaler les marches, mais le second la frappa avec une énorme masse. Sa tête bascula vers l'arrière et du sang gicla de sa tempe. Son corps désarticulé tomba contre la rampe.

Urgor sentit la rage, la peur et la douleur se mêler en lui. Il venait de perdre sa mère et sans doute Tisaëlle, mais il n'avait aucun moyen d'assouvir sa vengeance. Tout au mieux, il arriverai à porter un coup de poing ou deux à un garde, peut-être même à le tuer en lui écrasant la trachée, mais rien d'autre, et il se ferai emprisonner puis pendre le lendemain.

Son cerveau lutta pendant de longues secondes contre toutes ces émotions qui lui tétanisaient le corps, mais parvint à gagner et ainsi il prit son balluchon de fortune à la volée et enjambait la fenêtre. La chute fut lourde, mais l'adrénaline l'empêchait de souffrir et il se mit sans attendre à courir vers les bois¿partir loin et revenir dès que possible¿

***

Tisaëlle faisait les cent pas. Elle n'arrivait pas à se calmer. Talnorane, son époux l'avait enfermée dans leur maison suite à la tentative de meurtre d'Urgor. Elle connaissait Talnorane et savait que vaincre le demi-orc avait été une obsession pour lui. Il n'avait cessé de penser à l'être qui l'avait défiguré à vie et le défaire allait le rendre encore plus imbu de sa personne.

Elle savait que quand il allait revenir, il aurait envie d'elle, de se soulager. Voici de nombreuses années qu'il l'avait maltraitée, humiliée, rabaissée sans qu'elle ne puisse réagir, elle, pauvre elfe orpheline qu'il avait eu « la bonté » d'épouser.

Mais aujourd'hui n'était pas un jour comme les autres. Voir Urgor déverser son sang pour se venger, pour venger sa mère mais aussi pour la venger, elle, Tisaëlle, l'avait profondément affectée. Elle resta songeuse de nombreuses heures, allongée sur le lit.

Elle sursauta quand le loquet de la porte s'ouvrit. Elle voulut fuir loin de là, mais elle était tétanisée, aucun de ses muscles ne voulait réagir. Un frisson glacial l'envahit à chacun des pas de son mari sur les marches de l'escalier.

Il entra dans la chambre et se mit à défaire ses vêtements, sans dire un mot.

Elle, regardait dans le vide, lui tournant le dos. Elle écrasa discrètement une petite larme pour ne pas qu'il la voit dans cet état.

Nu, il se laissa tomber lourdement sur le lit. Il s'approcha d'elle et posa sans aucune délicatesse une main sur son sein.

Elle ne ressentait plus rien. C'était comme si son esprit s'était envolé, loin de son corps.

Voyant qu'elle ne réagissait pas, il la saisit brutalement par l'épaule et l'appuya dos au lit.

Elle leva les yeux au plafond, se rappelant ce jeune demi-orc qui rougissait à chaque fois qu'elle lui adressait la parole.

Il lui enleva sa culotte sans ménagement.

Son regard posé sur une nervure du bois, elle revit ce moment lointain où l'être abject qui lui sert de mari tenta de la violer avec l'aide de plusieurs de ses amis.

Il la pénétra et commença un mouvement de va-et-vient.

Fixant une fente sur la poutre, elle se souvint d'Urgor qui la sauva et de sa mère, innocente, qui fut tuée. Puis elle revit la scène de l'après-midi où elle regardait le demi-orc meurtri tombait au sol, impuissante.

Le moment de l'extase approchait, il commença à pousser des petits soupirs.

Elle glissa doucement la main sous l'oreiller. Ses doigts effleurèrent le métal froid mais réconfortant de la lame du couteau qu'elle y avait caché plus tôt dans la journée. Elle les posa délicatement dessus puis les serra avec précaution, comme si elle avait peur de casser cette arme, synonyme de liberté. Elle se déhancha d'un coup et d'un geste vif et précis trancha net la gorge de son mari.

Il regarda surpris le sang se déverser sur elle. Lorsqu'il comprit qu'il provenait de sa carotide tranchée, il porta sa main à son cou et tenta vainement de retenir le précieux liquide écarlate de s'écouler.

Il ne fallut pas quinze secondes avant qu'il ne s'effondre sur le sol.

Elle resta à contempler le plafond, les yeux rivés sur une poutre pendant que son mari agonisait sur le parquet. Puis, longtemps après, elle se leva et s'approcha machinalement de sa garde-robe. Elle choisit une tenue proche du corps, à base de cuir, qu'elle n'avait pas porté depuis des années puis prit la direction de la salle de bain.

Elle enjamba le corps de Talnorane sans même baisser les yeux, ses pieds se teintant de rouge. Dans la salle de bain, elle se déshabilla, se lava précautionneusement et enfila sa tenue ainsi qu'une paire de bottes, elles aussi, en cuir.

Lorsqu'elle sortit de la salle de bain, on eut dit une autre femme. Le regard plein d'impuissance et de tristesse avait laissé place à un air de défi. Sa démarche, ferme, contrastait avec celle, hésitante, qu'elle avait quelques minutes auparavant. Cette fois-ci, elle prit le soin de faire le tour de la flaque de sang, récupérant au passage le couteau abandonné sur le lit, qu'elle glissa à sa ceinture.

Elle descendit les marches et ouvrit la porte d'entrée, sans aucun bruit. La nuit était tombée et si quelqu'un avait été dans les rues à ce moment-là, il aurait pu jurer avoir vu une elfe disparaître dans les ombres, comme happée par celles-ci.

Sa silhouette réapparut à la lueur de la torche qui était fixée sur le porche de l'ancienne tannerie, qui servait actuellement de cachot.

Tisaëlle n'hésita pas une seconde et ouvrit la porte en douceur.

Urgor pouvait encore sentir la sensation des flèches qui pénètrent ses chairs. Talnorane l'avait abattu comme un animal sauvage. Ses forces vitales l'avaient quittées et il n'avait même plus la volonté de se lever pour voir ce qu'il l'entourait. Il se laissait porter par ses souvenirs, qui lui revenaient en flashes aveuglants, étourdissants.

Il avait l'impression que cette journée où il avait surpris Talnorane en train d'essayer de violer Tisaëlle, aidés par ses amis, ne datait que de la veille.

Il aura fallu qu'il tombe dans un piège alors qu'il parcourait un temple abandonné lors d'une de ses aventures pour qu'il se rappelle de tout ça. Une oubliette, installée pour protéger les biens du temple, lui avait servi de geôle pendant plusieurs semaines. Il avait dû son salut qu'à ses rations séchées et son incroyable résistance. Face à lui-même, ses souvenirs étaient revenus, en force, et il avait jugé qu'il était temps revenir de au village, venger sa mère et Tisaëlle.

Il fallait qu'il fasse face à ses démons pour les exorciser à jamais. Il n'y avait pas plusieurs manières d'y arriver, répandre le sang était la seule.

Le garde qui était assis sur une chaise sursauta et se jeta sur son épée. Il se mit en position de combat mais se détendit quand il reconnut l'elfe, cette si douce et si timide Tisaëlle, même s'il semblait étonné de la voir accoutrée de cette manière.

Elle s'approcha de lui d'un pas décidé. Il hésita mais avant qu'il ait pu lever de nouveau son épée, elle fit quelques pas rapides et dégaina son couteau qu'elle posa sur la gorge du garde.

« Pose ton épée et donne-moi les clés. »

L'homme de main se crispa mais céda facilement. Il lança son épée au loin et défit laborieusement les clés de sa ceinture, sans poser la moindre question.

Tisaëlle sentit alors une pression énorme lui tomber sur les épaules.

Qu'est-ce qu'elle était en train de faire ? Qu'est-ce qu'elle avait fait ? Qu'est-ce qu'elle devait faire du garde ?

Elle se força à garder un ton dur en prenant le garde par le col et le faisant se tourner. Au moins il ne verrait pas le tremblement qui s'était emparé d'elle. Elle sentait qu'elle allait craquer et partir en courant, mais une porte ouverte de cellule lui donna une idée. Elle posa sa lame contre le dos du garde et lui dit d'avancer jusqu'à cette pièce où elle l'enferma avec un soulagement non contenu.

Une fois remise de ses émotions, elle se dirigea vers la seule autre porte fermée. Ses mains mirent longtemps à trouver la clé sur le trousseau, elle avait peur de ce qu'elle trouverait derrière et de ce que ça impliquerait.

La porte s'ouvrit dans un grincement. Une silhouette était étendue sur une table, parfaitement immobile. Tisaëlle entra rapidement et s'agenouilla aux côtés d'Urgor. Le demi-orc était gravement blessé, ses plaies avaient été bandées avec hâte, juste de quoi le maintenir en vie jusqu'au lendemain, pour pouvoir le pendre haut et court sur la place du village.

Ses larmes, qu'elle avait si longtemps contenues se mirent à se répandre sur ses joues.

« Urgor¿ »

En entendant son nom, le demi-orc bougea. Il crut tout d'abord à une hallucination, annonciatrice d'une mort proche, mais, posant sa main sur la joue de la jolie elfe, il sentit une chaleur enivrante et sut que tout ceci était bien réel. Elle reprit d'une voix douce :

« Talnorane est mort, je l'ai tué. »

Un sanglot sortit de sa gorge, comme si elle regrettait son geste. Urgor se redressa dans une grimace de douleur, puis la serra dans ses bras.

« C'était un homme mauvais. Tu as fait ce que j'aurais dû faire il y a bien longtemps¿»

Elle renifla et leva les yeux vers cet être massif. Il semblait tellement dur avec ses cicatrices et ses muscles imposants, mais elle sentait battre en lui un c¿ur en or.

« Il faut qu'on parte de ce maudit endroit. »

Il se leva mais s'affaissa lorsqu'il voulut prendre appui sur sa jambe blessée. Elle vint se blottir contre lui et passa son bras autour de son torse pour le soutenir.

Ils sortirent d'une démarche lente, mais le village était profondément endormi. Ils allaient pouvoir atteindre la forêt sereinement, cependant rien n'était gagné, Urgor était dans un piètre état et même les talents innés de Tisaëlle pour les soins, héritage de ses ancêtres, allaient avoir du mal à le rétablir.

Urgor savait tout cela, mais il était prêt à mourir. Il se sentait terriblement soulagé d'avoir pu rétablir la justice en vengeant sa mère. En plus, il avait retrouvé l'ange de son enfance, cette elfe qu'il avait aimé si tendrement.

S'il mourait dans les heures ou jours qui allaient venir, il serait heureux et libre, enfin¿

Le 29/07/2010

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