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Expliquer un poème, n'est-ce pas ruiner sa valeur poétique ?


Invité Delling

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Invité Delling Invités 0 message
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Expliquer un poème, n'est-ce pas ruiner sa valeur poétique ?

Une belle nuit blanche fait souvent sortir un maelström de questions. Je vous livre mes élucubrations et ouvre, évidemment le sujet en débat. N'hésitez pas à dériver sur certaines autres questions Corrélées avec la poésie.

Je suppose que la majorité d'entre vous va broncher si je réponds par la négative. Aussi, je vais donc, répondre par la négative.

L'explication du poème se heurte à la résistance d'un discours canonique, qui oppose le sentir à l'intellection. On devrait, selon lui, accéder au poème par le seul chemin de la « sensibilité », ou de l'intuition ; toute autre opération serait de nature à manquer son objet. Mais un tel discours repose sur une opposition grossière des facultés Kantiennes ( Pour Kant, l'entendement n'est-il pas le pouvoir de penser l'objet de l'intuition sensible ?). Il sert d'ailleurs en général de cache-misère aux goûts les plus conformistes, incapable de rencontrer des formes étrangères au champ de connaissance du sujet.

Expliquer un texte, c'est produire un discours apte à le décrire convenablement. Mais un texte n'étant qu'un fonctionnement de signes, le décrire revient à rendre compte de ce fonctionnement même; à épouser et suivre les mouvements selon lesquels les signes se déploient dans un espace que la lecture est appelée à créer. Expliquer, ce n'est ni plus ni moins que parcourir ce déploiement, dans la lenteur et le détail et l'espace d'un texte second.

Il n'en va pas différemment face au poème, où toutefois, la secondarité de l'explication ouvre plus nettement encore sa capacité à déplier (Explicare), à ramifier - Bref, sa complexité.

L'explication recrée un nouvel espace et un nouveau temps, dans lesquels se reflètent le temps et l'espace du poème. Or, ce reflet est problématique dans la mesure où, projection d'un espace dans un autre, il produit des déformations ; mais où, inversement, cette projection est la condition de l'explication. On touche là au principe de la paraphrase, dont l'explication de texte présente une variation. La poésie appartiendrait-elle alors à cette sorte de discours qui, comme la musique, ne sont pas paraphrasables ?

L'argument qui vaut pour la musique vaut en effet partiellement pour la poésie. De même qu'une oeuvre de sons ne peut être expliquée par une oeuvre de sons, de même un poème ne saurait recevoir l'éclairage d'un autre. L'immanence du « sens », en poésie, nous condamnerait donc à cette seule forme d'explication : Une relecture à l'infini.

Ce serait pourtant oublier que les poèmes aménagent fréquemment en eux-même la fonction du commentaire. Le premier vers de l'Enéide « Arma virumque cano » prolonge et commente le premier vers de l'Iliade. Le premier vers de la dédicace « A Monseigneur le Dauphin » qui ouvre les Fables de La Fontaine, parodie et commente le premier vers de l'Enéide. Les fables sont, à leur manière, des remarquables explications de celles d'Esode et de Phédre.

Au chant II des Chants de Maldoror, le mot spleenétique trahit la présence insistante des Fleurs du mal dans les Chants.Lautréamont « explique » Baudelaire. De même fait encore, Apollinaire, dans « Le voyageur », ou Jouve à maintes reprises ( Dans les années profondes), si bien qu'il n'est au fond pas de poème qui ne soit la revisitation d'un autre, jusque dans les réécritures les plus explicitement désaccordées de l'Oulipo.

Dès lors, expliquer un poème, c'est procéder au repérage et à l'explication de ces traces ; c'est rendre compte de leur organisation dans de nouvelles configurations, et de leur déformation. Toute une histoire de lectures se trouvera ainsi révélée ; et l'interprétation du poème ne sera bien souvent rien d'autre que le récit de cette histoire, croisé avec le récit des lectures du sujet critique. Récits multiples auxquels ce dernier tentera de donner un sens, une valeur heuristique, une puissance ordonnatrice.

Qui lit ces vers de Pierre Jean Jouve :

Le corps de l'inceste est blond d'une blondeur

Atrocement pure...

Peut bien sûr entendre atrocement comme un simple modalisateur, et renvoyer au lexique courant. Ce serait manquer le « Timbre » baudelairien de ce mot, qui vient re-sonner ici dans le souvenir d'un poème « Le Masque » des Fleurs du Mal :

Et, regarde, voici, crispée atrocement,

La véritable tête, et la sincère face

Renversée à l'abri de la face qui ment.

Ainsi s'impose le parallèle entre le masque et l'inceste, dont la vérité et la pureté si proches sont, dans l'un et l'autre cas, marquées au sceau du même adverbe, entraînant avec lui tout un monde.

Naturellement, cet adverbe n'est nullement isolé, dans la langue de Jouve, et l'explication devra passer aussi par cet autre récit des lectures internes, ce parcours de l'idiolecte.

Les grands lecteurs de la poésie se pensent volontiers comme des collecteurs, des rassembleurs, et des résonateurs de signes épars.

Une phrase que j'aime de Jean-Pierre Richard paraphrase, finalement, et peut-être bien mieux mes idées à ce sujet :

« Lire, c'est sans doute provoquer ces échos, saisir ces rapports nouveaux, lier des gerbes de convergence ».

Ainsi pour ma part, loin qu'elle ruine sa valeur poétique, une telle explication du poème, avec le poème, sait au contraire lever en lui des « Parcours possibles », mais jamais clos ni arbitraires, qui constituent, véritablement sa profondeur.

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VIP, 42ans Posté(e)
Yiauthli VIP 4 197 messages
Baby Forumeur‚ 42ans‚
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Je ne vois pas pourquoi les gens "broncheraient"... C'est par l'explication que l'on transmet la compréhension. Si en expliquant, je t'apprend à comprendre, cela grandi le poème puisque j'initie un nouveau lecteur. En cela, je ne fais pas de différence entre prose et poésie.

Par ailleurs, il me semble que ton passage sur l'intertextualité est une digression n'ayant que peu de rapport avec le sujet puisque l''intertextualité n'est en rien propre au poème.

Reste donc à élucider "Pourquoi l'explication du poème aurait une valeur ou une "conséquence" sur l'émotion, la poésie ou le sens du texte différente de l'explication du texte en prose?"

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Membre, nyctalope, 40ans Posté(e)
Criterium Membre 2 874 messages
40ans‚ nyctalope,
Posté(e)

Même impression.

Au sens où, si l'on résume dans son plus simple appareil ton message, Delling, tu parles tout d'abord de l'opposition entre les deux camps extrêmes, celui du "tout poème ne se transmet que par le ressenti" et celui du "tout poème ne se transmet que par l'explication" ¿ des positions absurdes, je défie quiconque de trouver un poème tout à fait en accord l'une ou l'autre de ces positions étirées ¿ puis tu parles de l'explication comme quelque chose qui ne serait que du déroulement et de la compréhension de l'intertextualité. Même si c'est très important et que cela plaît beaucoup à G. Genette (cf. Palimpsestes), ce n'est pas satisfaisant car éminemment incomplet ¿ il suffit de penser aux registres de langue, aux styles, à l'évolution de la langue ou du contexte, à l'utilisation ou l'influence éventuelle d'un symbolisme qui ne serait pas pré-écrit ; certes, il est possible de trouver des exemples de poèmes dans lesquels ces choses-là subissent une influence de leurs hypotextes, cela n'en fait pas une règle générale pour autant. Cela reviendrait à un déterminisme littéraire, et l'on en arriverait à un exercice de rhétorique, un peu abscons, sur la métaphysique de l'écrit.

Autant revenir à la question de départ et définir de manière un peu plus claire ce qu'est une explication, et comme le dit Yiauthli, si et à quel point celle-ci influe sur le ressenti du poème.

Parce qu'autant, expliquer à quelqu'un la forme précise des pieds d'un poème, peut lui donner une impression de surintellectualisation de la poésie et lui apparaître au final comme quelque chose de laid ¿ et celui-ci modulera son opinion un peu plus vers le "oui" ; autant, expliquer que ¿ par exemple! ¿ telle référence au lac, au reflet, à la Lune, évoque très nettement le mythe de Narcisse, et quand bien même l'auteur n'en aurait pas conscience, cela apparaîtra souvent comme une explication enrichissant le poème, comme quelque chose de beau ¿ et l'on modulera son opinion un peu plus vers le "non".

D'ailleurs, je n'ai pas choisi cet exemple innocemment ; Genette qualifierait ce recours au mythe de Narcisse comme de l'intertextualité (au sens où le poème en question n'aurait pas été écrit si l'hypotexte n'existait pas), et pourtant, il apparaît très clairement que ce thème est un archétype de l'esprit humain, et y serait né sous un nom ou un autre (cf. Jung pour les archétypes, mais surtout G. Bachelard dans l'Eau et les rêves pour une explication détaillée de comment ce mythe en entier s'impose de manière tout à fait naturelle à l'homme, et part de l'image symbolique de l'eau) ¿ quelque part, le poème aurait donc sans doute forcément été écrit, il n'est plus un hypertexte, stricto sensu.

Pour prendre des exemple plus précis et accessibles en deux clics : expliquer un poème de guns n'y apporte pas grand-chose ; en revanche expliquer un octosyllabe médiéval sans rien connaître à cette époque, c'est clairement passer à côté de quelque chose. é côté de cela, il y a des poèmes comme ceux de Titsta : dans ce cas précis, ce qui est explicable, et plus ou moins intéressant à expliquer, ce n'est pas intrinsèquement le poème, mais plutôt les raisons inavouables qui lui font poster tout ce vent dans du papier d'or à peu de carats.

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  • 1 an après...
Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 413 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Entre lire un poème et l'expliquer, il y a autant de différence qu'entre l'érotisme et la pornographie.

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Invité morphee_
Invités, Posté(e)
Invité morphee_
Invité morphee_ Invités 0 message
Posté(e)

:dort: sur ce sujet juste une chose à dire

pas assez casse couille le fait de devoir (?) faire des rimes ?

sans parler de la métrique

alors bien sûr le ressenti de l'auteur est important

mais en tant que lecteurs qu'est ce qu'on en a à branler ?

c'est à mon sens la même différence qu'entre une baguette achetée chez Leclerc et un quignon de pain acheté dans une boulangerie au sens noble de ce terme ;

qui a lu tous les textes de Victor Hugo ?

pas moi... ^^

pourtant qui ignore qu'il excellait en alexandrins ?

bien sûr c'est incomparable avec les poèmes de forum, qui permettent de dialoguer avec les auteurs dont la personnalité du coup devient très intéressante

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