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Jedino

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Billets posté(e)s par Jedino

  1. Jedino
    « Fais-le donc, tu n’attends que ça! Ne résiste pas, tu sais que ça ne sers à rien. Allez, ne fais pas semblant, car je sais que tu es tenté, que tu irais te laisser prendre à ce jeu bien mérité. Cela ne t’amuses pas? Cela ne te plaît pas, vraiment? Ne me mens pas, car tu te mentirais à toi-même. Inutile que je ne te le répète, que je m’acharne à intégrer cette idée dans ta tête : elle est déjà en toi, n’attendant que le moment idéal pour s’immiscer à la surface et s’exprimer de toute sa force vitale. Ce jour là, tu ne réfléchiras pas puisque que la colère sera au commande, et que la haine remplacera tes émotions. Tu deviendras ce que tu es : un prédateur sans pitié et sans cœur. N’entends-tu pas ton propre rugissement? »
    Tout perdait de sa clarté, de sa couleur, et de sa positivité. Elle paraissait entrer en chacun des objets, des amis, et des étrangers que je pouvais croiser, transformant mon âme sans même me le faire remarquer. Tout allait vers l’obscurité. Combien de fois avais-je cru apercevoir les nuages d’un démon amusé autour de moi? Combien de fois aurais-je à défaire cette réalité pour me maintenir en ce monde désuet? Suffisamment pour ne plus être autorisé à y sombrer.
    Mais je pense que, de tout ceci, rien n’est vrai. Tout est invention de mon esprit, mensonge de mes émotions, manipulation de mes envies. Cette créature inexistante qui m’habite ne me dévore pas plus qu’un corbeau mort perché depuis mille ans à attendre sa proie. En vérité, elle n’est plus qu’un souvenir, une pensée singulière, une dépouille assez forte pour m’affecter toujours aujourd’hui. Chaque cadavre a finalement son poids, et il faut le porter loin avant de n’être en droit de s’en séparer. Cela revient à posséder une chaîne au bout du pieds, et de spéculer sur les raisons qui m’amènent à la garder.
    Heureusement, il suffit de peu pour se libérer, déverser sur le sol toute cette chair pourrie et délavée, oublier qu’un soir ou un matin, il y a eu l’écriture d’un texte délirant afin de tenter d’y échapper.
    J'aurais aimé avoir du talent à l'image de cet homme-là.
  2. Jedino
    Ce matin encore, cela me tracassait de me ressasser ce qu'il avait dit. Étais-je vraiment cet être morne et las, incapable de sortir de ma spirale par la tromperie d'un bien-être illusoire, ou simplement par lâcheté? Étais-je cette victime d'une vérité qui, pourtant, ne semble aucunement me correspondre? Je me préparais le plus consciencieusement possible à m'élancer dans une journée aussi nouvelle que banale. Les gestes mécaniques me revenaient sans peines, et je m'exécutais sans avoir à vraiment y réfléchir. "Vous êtes aspirés dans la spirale de vos habitudes", m'avait-il balancé en pleine face la première fois. J'avais du mal à accepter pareil jugement, au début. Seulement, le temps passait, et doucement, je prenais plaisir à me remettre en question. Ou non, les questions venaient à moi sans me demander si je souhaitais les écouter ou non. Elle s'imposait à moi comme des balles n'ayant pour but que de me blesser. Une blessure physique qui deviendrait moral par le constat désespéré de ma situation.
    Oui, j'étais bien cette machine qu'il avait décrite. Oui, j'étais bien cet instrument de la réalité, ma réalité. Elle me transformait, me conditionnait, m'apprivoisait. Voilà pourquoi je n'étais plus que l'ombre de moi-même, un personnage caricatural et idéalement calibré pour suivre un chemin en particulier. Mais que pouvais-je faire contre? Et que pouvais-je vraiment espérer de meilleur? Rien ne me permettait de savoir si tout serait mieux en délaissant cette existence qui, finalement, n'était pas si difficile à vivre lorsque je l'ignorais. Bien sûr, je n'étais pas toujours emplis de joie. La volonté de sourire et de le partager ne fusait pas à toutes les occasions. Le constat n'était tout de même pas si affligeant pour autant. "Pourquoi vous poser la question, alors?" avait-il ajouté, l'air de rien. Et c'était vrai. Pourquoi en douter, si j'en étais convaincu? Décidément, il me mettait mal à l'aise, et je souffrais de ma position ridicule.
    Néanmoins, je devais m'y préparer, à cette journée qui commençait tôt. J'avais mis une certaine croix sur les excès trop excessif, et j'avais abandonné l'idée de revivre ce que j'avais déjà vécu. Aujourd'hui, je me lançais à l'aventure, en espérant trouver un autre chemin qui me conviendrait un temps. Ensuite, il me faudra renouveler l'expérience. Parce que, vraiment, je sentais qu'il savait. Il n'avait pas tort. La vie restait une expérience nécessitant des risques, avec ses victoires et ses échecs. Nous n'avions pas à jouer un quelconque rôle pour satisfaire un monde qui paraissait nous plaire. La vie est ailleurs, non pas dans la distance, mais dans la recherche. Elle était, et restera un apprentissage perpétuel, une connaissance toujours originale et nouvelle de tout. Elle est une rencontre avec nous-mêmes. Et pour cela, il faut être capable de sauter dans le vide avec l'once d'espoir de chuter sur une pierre en bordure. Il n'y a que le sacrifice qui puisse rendre beau une vie ankylosée.
  3. Jedino
    Voici le début, si je peux dire, d'une de mes plus récentes histoires. Bonne lecture, si toutefois certains en trouvent le courage!



    De nouvelles questions déferlent dans ma tête tous les jours. Par exemple, ce matin encore, je me demandais si la politique permettait réellement de faire évoluer les choses. C’est pas que je suis anarchiste, mais bon. Au fond, un gentil dictateur, c’est presque pareil, non? Vraiment, les dirigeants, les puissants, ça me dépasse. J’y comprends que dalle. Et je crois que c’est pas plus mal, avec tous les ennuis qu’on a maintenant. D’ailleurs, les anciens, eux, disent que ça date pas d’hier. Putain de vie, moi je vous le dis. Ils disent aussi qu’à force de se demander des trucs, on perd la tête.
    Depuis, je suis convaincu que chaque idée qui nous vient, c’est au prix d’un neurone. Vous imaginez? Un peu comme s’il explosait pour la libérer dans notre esprit. Beaucoup me disent que c’est bizarre, qu’ils comprennent rien à ce que je dis. En fait, ils me pensent fous. Même mes parents, quoi. Au début, ils voulaient m’envoyer dans un endroit spécial, avec des gens spéciaux, des gens qui me ressemblent. « Pour me soigner », qu’ils me répétaient. Pourtant, je me sens pas malade, moi. Je vais même plutôt bien. Je fais juste attention à ne pas trop penser, histoire d’économiser pour plus tard. Faut être prévoyant, vous savez. N’empêche que ça m’aurait intéressé d’aller en cet endroit, rien que parce que je suis curieux de savoir si je suis le seul à croire ceci. C’est que je me sens parfois mis en retrait pour ça. Alors forcément, il m’arrive de déprimer, vous voyez. Rien de grave pour autant, ou pas de quoi alarmer plus que ça les autres.
    Bref, on peut dire que, dans l‘ensemble, je suis plutôt heureux. J’aurais pu connaitre mieux, bien évidemment, mais je préfère me satisfaire de ce que j’ai : mon encéphale et ses mystères. Faut dire que c’est plutôt rare ces temps-ci, étant donné que la science a progressé à un point tel qu’il est difficile de pouvoir s’affirmer original et incompris. Il parait même qu’on sera bientôt capable de changer de cerveau naturel par des artificiels, tout beau, tout neuf, tout tellement meilleur. Moi ça me fait peur. Déjà que notre monde a hérité de machines presque trop humaines, alors transformer les humains en machine! Ce serait vraiment une erreur. Heureusement, il n’est prévu de modifier que ceux qui sont « dérangés ». A croire qu’il y a un idéal majoritaire.
    Mais je vais cesser. Quand je vous disais que je pensais de trop. En plus, ce sont des problèmes qui me dépassent de loin. J’ai pas l’âge pour ces affaires là, qu’on me corrige souvent, quand je fais preuve d’une curiosité orale. Du coup, je me concentre pas mal sur la lecture, ici et là. Tout est bon à apprendre, vous savez. Donc, j’étais en train de commencer à vous expliquer que je devais me calmer. Enfin, dans ma tête, quoi. C’est bien pour cette raison qu’il m’arrive de sortir me promener. Parfois seul, dans les rues, au milieu des nombreux passants pour qui je n’existe pas. Et puis, parfois avec quelqu’un. Tantôt un ami, tantôt un inconnu. Ca n’a rien de véritablement étrange. Les amis, c’est bien. On peut discuter de pleins de sujet, avouer ce qu’on n’oserait pas raconter à notre famille, et tout. Mais en fait, ça va pas plus loin. Toujours les mêmes soucis, toujours les mêmes blagues ou souhaits. Voilà pourquoi j’apprécie grandement les inconnus. Rarement bavards, et encore plus rarement à se lamenter de leurs problèmes à eux. Parler, mais pour parler, pas pour conter une histoire dont tout le monde se moque bien. Bah oui, franchement, qui perdrait bien son temps à s’intéresser aux malheurs de ceux qu’il connait? On en a déjà énormément, nous, alors pourquoi accélérer encore la saturation? Surtout qu’une fois vieux, ça nous fait encore plus de matière à déprimer.
    Seulement, j’ai envie de vous parler d’une de mes rencontres fortuites. C’est que des pauvres, il y en a toujours, et depuis longtemps, qu’ils disent, les sages, comme je les appelle, moi. Faut dire qu’ils savent tellement que je les trouve passionnant, même s’ils sont chiants quand ils se mettent à se remémorer des souvenirs à en souffrir de nostalgie. Alors bon, moi ça m’attriste. Je suis de nature sensible, vous savez. Je vous parlais donc d’un paumé, un de ces mecs qui attendent qu’à crever dans les rues les moins fréquentables, avec qui j’avais échangé quelques paroles. Au début, il m’ennuyait, comme la plupart. Il me distrayait simplement, à parler de ses trouvailles ici et là, ces merdes qu’il ramasse et qu’il conserve comme des trésors, à parler du temps qui est pourri et qui sera pourri aussi demain, et ceci, jusqu’au moment où il s’est mis à devenir différent.
    J’aurais pas pu traduire comme je l’ai vécu à ce moment là. Mais, si vous l’aviez connu, à cet instant, vous auriez compris. C’est comme si vous veniez d’être frappé par un je ne sais quoi, une force qui change en vous votre perception de la personne qui marche à votre côté. J’avais un sentiment amical à son égard. Je le trouvais presque sympathique. C’en était un choc. Parce que, même si j’étais sensible, j’avais pas l’habitude de ça. Quand j’en ai parlé aux sages, ils m’ont dit que la bête qu’on avait mis dans mon cerveau à la naissance venait de dérailler. Un peu comme moi, qu’ils disaient. Les vieux, ils étaient certains qu’on nous contrôlait de loin, mais qu’on nous laissait la possibilité de choisir et de croire à notre individualité. Comme les machines quoi. Ils les aimaient pas, les machines. Oh ça non! Moi non plus, en fait. Pour ça que je les appréciais malgré tout.

  4. Jedino
    Il était une fois un couple heureux. Ne voyez point de l'ironie de ma part, je ne suis là que pour conter.
    Ils eurent évidemment beaucoup d'enfants, bien assez pour qu'ils s'en soient satisfaits. Beaux, jeunes, éduqués comme il convient : tous étaient parfaits, à leurs façons. De qualités, ils ne manquaient pas. Mais quoi qu'heureuse, cette sympathique famille restait modeste : les acquis ne devenaient pas religion.
    Mais comme les histoires qui devraient se finir avec la joie et le sourire, il y arrive toujours le pire. Qu'est-ce à dire ? Sinon que tout soleil qui avance doit se coucher. Tout comme mes yeux qui, eux, sont fatigués.
    J'allais d'ailleurs débuter à raconter ce qui doit l'être, quand l'envie de trouver une idée s'est égarée. Où ? Je ne le sais. Qu'importe !
    Voilà que l'inutilité me gagne, et que je la transmets. Parle. Parle.
    Les feuilles tombent. L'automne se promène. Promène-toi. Et tout ira. Oui, tout ira. Vers un après. Un après coloré.
    Et ils continueront à aller comme il faut, à poursuivre dans cette existence chaque chose qui, jusqu'ici, leur a apporté du plaisir.
    Allons ! Allons ! Un peu d'entrain ! Il est l'heure de se coucher, à demain.
  5. Jedino
    Il était un nain qui, habitant sur les lunes,
    Y verdissait gaiement courgettes, pommes et prunes.
    Voyageur de l'univers, il était chez lui
    Partout. Serait-ce donc son lointain monde qu'il a fui ?
    Nul ne le sait. Mais, quand il a ici fini
    De donner la vie, il retourne à l'infini
    Retrouver un ailleurs qui l'attend en dormant.
    Car, si en partant la paix y règne en chantant,
    Ce n'est bien là que le temps de le voir allé.
    Rapidement, le chaos s'y est installé :
    Les fleurs luxuriantes donnent de larges ronces
    Et les plaines se recouvrent des pierres ponces.
    A son grand retour, l'ordre alors réapparaît.
    Elle est, pour sa visite, ce qu'elle paraît,
    Cette lune où tout ne fait jamais que sembler.
    Tout le long, elle ne cessera pas de trembler
    Que son terrible secret ne soit découvert.
    Triste vérité ! Que celle cachée en vert.
    Une journée et le voilà déjà reparti,
    Ce nain qui a aimé vivre et s'est dégarni
    Pour offrir aux autres une simple heure éphémère,
    Heure sur laquelle il veille telle une mère.
    Il est, cependant, joué par ses protégés
    Qui, en son absence, se sont désagrégés.
    D'abord une, elle chemine vite vers des plusieurs
    Où les tensions précèdent toutes les terreurs.
  6. Jedino
    Elle me disait à quel point j'avais raison dans mes choix, que je devais poursuivre ainsi si je voulais réussir. Je me sentais grandi, enfin valorisé par quelqu'un. Vous savez, nous avons tous un peu tendance à créditer d'importance ceux qui semblent nous pousser à aller au bout de nous-mêmes, à faire confiance à ces personnes-là alors qu'elles peuvent être en train de nous tromper. Il est difficile de sortir de cet engrenage censé nous laisser dans l'illusion qu'il a effectivement de l'intérêt pour nous, qu'il se préoccupe vraiment de ce que nous souhaitons. Il manipule nos envies pour mieux contrôler nos désirs.
    Va-y ! Va-y ! Pourquoi tu hésites ? Pourquoi tu ne te lances pas à corps perdu dans ce qui t'attire tant ? Tu sais que tu le veux, tu sais que tu le feras. Ne te frustre pas à le contenir, tu perds ton temps et ne fais que l'exacerber. Laisse-la... Laisse-la s'exprimer. Cette bête qui est en toi. Cette bête qui n'attend qu'une chose : se réveiller.
    Il, elle. Je ne sais pas trop ce qui convient le mieux. Ce n'est pas tant que je ne sache pas à quoi cette personne ressemble, c'est simplement que je ne sais pas qui, de ces pronoms, reflète parfaitement ce qui m'a longuement convaincu de me dépasser. A vrai dire, je crois qu'il m'a réalisé, me libérant de toutes ces contraintes qui pourrissaient mon âme. Cela m'importait peu, au départ : comme chacun, je restais sceptique face à sa proposition, ne croyant pas en de telles paroles, en ces promesses qui résonnaient comme des mensonges. Je faisais erreur.
    Ainsi elle a pris forme, dévorant les malheureux qui croisent sa route. Son atout majeur est de paraître endormie en dehors. Elle peut alors épier sa proie doucement, l'amenant dans un piège dont elle ne pourra s'extirper. Elle s'infiltre, pénètre les pores de sa conscience, et empoisonne de toute sa noirceur ce qui peu avant était encore en vie. Maintenant, ce n'est plus qu'une apparence. Une apparence qui masque l'agonie ineffable et inaudible. La sienne.
    Elle m'avait expliqué que je devais guider les autres, que sans moi ils ne pourraient pas quitter cet état d'ignorance dans lequel ils gisaient depuis toujours. Elle me répétait chaque instant que j'étais l'élu, l'être choisi pour briser les chaînes qui les étouffaient. Que tout ça, je devais le faire. Grâce à elle, grâce à sa voix. Les amener sur sa voie, pour qu'elle se charge de les sauver. Je ne sais pas si j'avais raison ou tort de l'écouter, mais je sais qu'aujourd'hui je ne souffre plus de mes fautes : elle a complètement avalé mes souffrances en avalant mon âme.
    Viens, approche-toi ! Ne crains rien, je suis le rédempteur. Abandonne-toi à moi et tu seras sauf. Refuse, et tu connaîtras l'éternel enfer. Celui du souvenir et du regret. Viens, que j'entre en toi ! Mon travail est de travailler pour toi. Tu es mien. L'un parmi d'innombrables. Je peux te chuchoter ce que tu ne sais, te montrer ce que tu ignores. Avec moi, tu ne rêveras plus de vérité : tu la prêcheras. Il te suffit de t'approcher. Lentement. Très lentement.
  7. Jedino
    Il est des gens comme des bêtes : un coup de trique et ça se remet en marche. L'autre stratégie, plus vicieuse et moins radicale, c'est d'aguicher la proie comme on appâte un poisson : une promesse, et vous voilà devenu prophète, homme à mener ses fidèles jusqu'à la Voie Sainte. Bref, il suffit de manier quelques tours de main pour arriver à ses fins.
    Il est autre chose de chercher à vraiment faire le Bien. Celui des philosophes et des sages, vous savez. Bien pour tous, et tous par un. Autrement dit, il s'agit de trouver celui qui, par un hasard de l'expérience, en est venu à transcender son être avec une idée ô combien supérieure à lui. Un anti-dictateur, en quelque sorte, qui sait incarner les idées bonnes et les mettre au mieux en application. C'est d'un tel homme que je vais, ce soir, vous parler.
    Notre philosophe-roi, comme nous pourrions le nommer, se levait ce matin tout à fait joyeux. En effet, il allait commencer aujourd'hui à répandre sa bénédiction sur tous les gens qui lui ont accordé sa confiance, et même, à ceux qui se sont méfiés de lui. Son altruisme naturel l'avait donc mené à réformer massivement toute la journée, et toute la semaine durant. Les gens l'acclamaient, et la confiance qu'ils lui louaient ne cessait de grandir.
    Mais les pays voisins aux rois parfaitement installés commençaient à sentir les conséquences d'une telle réussite : les populations demandaient la même chose et le revendiquaient progressivement, les obligeant à sortir le bâton plus qu'à l'accoutumée. En outre, ils faisaient écrire par leurs journaux libres combien ce chef d'Etat était ridicule et sans éloquence. Ce personnage grossier, venant d'en bas, ne méritait pas son titre.
    Le bien-être de son pays continua cependant à grimper. Alors ils prirent la décision qui s'imposait : une fermeture des liens qui unissaient autrefois les nations afin d'endiguer le mal et, surtout, de le réduire jusqu'à le détruire. S'il le fallait, ils iraient songer à désinfecter complètement cette plaie. Il suffirait pour cela de faire quelques exemples, et les troupes se mettraient en rang d'elles-mêmes.
    Ils n'avaient toutefois pas tort : bien que sage, il n'avait pas l'élégance et la subtilité des hommes anciens. Il ne connaissait que la vérité de la terre et la saleté de l'usine. Il ne s'habillait jamais comme il faut, laissant les costumes à ceux qui avaient besoin du paraître pour arriver à taire le non-être de leurs actions.
    Un jour qu'il rencontra ses semblables à l'occasion de l'ultime discussion avant la guerre, il refusa de revenir en arrière sous-prétexte de nuire à des carrières. Finalement, faute d'avoir été soutenu par autre chose que le peuple qu'il avait rendu heureux, le monde retrouva son état intermédiaire entre le pire et le meilleur, préférant rester dans l'incertitude que d'affronter le poids d'une certitude, fusse-t-elle positive. C'est pourquoi il termina son mandat devant un juge, condamné à avoir tenté de créer un déséquilibre profond dans le monde et à avoir sans cesse négligé la hauteur de sa fonction pour la railler de par son attitude.
  8. Jedino
    A l'aune de tes élucubrations,
    Alors que disparaît toute considération,
    Je me suis laissé emporter
    Et hésite à me décider.
    C'est nul, et sans intérêt. Pas de fond, encore moins de forme. Juste un semblant de quelque chose qui n'en est pas.
    Malgré mille factions,
    Après autant en condamnation,
    Comment ne pas succomber,
    S'abandonner pour mieux voguer?
    Mauvais. C'est le mot. Tout ceci est très mauvais. Si cela avait du sens, ce serait même à recommencer. Mais, tu ne recommenceras pas.
    Les fils te grattent les ganglions,
    Quelle drôle de damnation!
    Que d'aller te dodeliner
    Sans jamais t'arrêter.
    Vous reconnaissez cet air? Celui de l'absurde. Celui d'une répétition infinie qui, à force d'user le vent, en devient un air.
  9. Jedino
    Vite. Il faut faire vite. Tracer ton chemin, ne jamais faire un écart. Tout droit, toujours dans la même direction. Elle ne peut qu'être la meilleure.
    C'est ça, que je ne saisis pas : pourquoi voulons-nous toujours aller de l'avant alors que l'expérience nous apprend tout le contraire? Lorsque je suis sur la route, je fais de nombreux virages. Parfois aussi, je ralentis. Ailleurs, j'accélère ou continue. Pire, il m'arrive de faire un détour, de me tromper. Qu'importe? Cela se corrige, inutile de paniquer.
    Mais la vie, ce n'est pas ça. C'est différent. C'est complexe. C'est le truc que, tu vois, tu expérimentes tous les jours mais ne connais pas. Parce que la vie, ouai, ça n'est rien de tout ces trucs-là. Une espèce d'au-delà, d'idéal à idolâtrer. Les philosophes me font un peu penser à ces célébrités qui peuvent se taper les nanas les mieux roulées sur le marché : chacun aimerait la meilleure place, rares sont ceux qui peuvent y siéger. Sauf que personne n'envie les faiseurs de pensée.
    Là est tout le problème, selon eux : en considérant notre existence comme autre chose que ce qu'elle est au premier abord, nous devrions nous y précipiter. Pourtant, rien. Eux réfléchissent dans un coin bien discret, et les autres poursuivent comme si de rien n'était. Qui a raison? La minorité clame fort que la majorité a trop souvent tort. La majorité ignore cette minorité qui aimerait se donner raison. Conclusion? La solution n'est nulle part car le problème n'est pas. Penser un idéal, c'est déjà créer un carcan. Imposer une vérité, c'est ensuite réduire la réalité. Je crois que cette erreur provient de ce désir d'universalité : nous aimerions tant trouver, comme en la mathématique, le "x" qui manquerait à l'équation. Nous aimerions, oui, que d'une brique dépende tout le reste. Mais le fait est qu'une bâtisse, qu'elle soit modeste ou sublime, se fait de plusieurs briques, toutes aussi nécessaires, et que chacune trouve et use de nouvelles briques. Qui irait penser que pour construire sa maison, il déconstruirait celle du voisin? De même qu'il est absurde de partager en moitié : que faire d'un bâtiment à moitié fini?
    Donc j'avance, sans vraiment savoir vers où. J'avance, parce que je ne sais faire que ça. Aujourd'hui seulement j'ai compris à quel point mon raisonnement, mes actions, ma réflexion, et toutes ces belles choses que je cherche depuis longtemps à exercer et aiguiser, souffrent d'un virus à ce point caché et évident qu'il m'a toujours échappé. Il aura fallu que je songe à mes journées, un soir de fatigue, pour m'en rendre compte : dès le matin, je calcule, j'organise les heures qui me sont imparties pour gérer les exigences et les devoirs, les plaisirs et les besoins. Ce poison qui défait toute surprise et détruite toute magie s'impose à moi comme une immense horloge qui, face à moi, tournerait lentement pour me rappeler en chaque instant que je dois optimiser ces secondes, les rendre efficaces et rentables. Il me faut faire vite, il me faut faire tout, il me faut faire bien. Le monde est si pressé qu'il s'empresse et se met en pression. Et de la pression naît nécessairement la réaction.
    Alors oui, nous allons. Nous le faisons tantôt bien, tantôt mal. L'essentiel n'est pas là. Viser une fin est honorable, et l'atteindre est admirable. Tout comme la cause doit mener à son effet. Mais aussi noble soit cette mesure, tout est dans son dépassement, dans la démesure. Asseyez-vous un instant, un unique, inutilement, et demandez-vous : est-ce vivre que de vivre pour le temps?
  10. Jedino
    Ô temps ! Toi l’insaisissable. Toi le monstre. Pourquoi rôdes-tu ici? Autour de moi? Pourquoi es-tu fini? Pourquoi comme ça? Tu es l'art et la manière des événements. Celui qui orchestre les amours et les sangs. Cette tension, que trop subtile, entre l'avant et l'après. Mais, de l'instant, qu'en fais-tu? Qu'en laisses-tu? Pas une miette, pas une once d'espoir. Tu abandonnes les malheureux. Tu m'abandonnes. Où vas-tu donc ainsi? Où cours-tu inlassablement? Est-ce vraiment cet avenir qui, chaque seconde, t'attire et te pousse à continuer? Ou, est-ce l'horreur d'un passé qui, désespérément, te poursuit? Je n'en puis plus. De mes veines s'écoulent lentement la vie. Mon coeur, lui, ne trouve plus foi. Il ne sait plus que battre. Ni comment. Ses battements se font plus rares. Plus difficilement. Paradoxe de l'existence que voici : j'inspire, j'expire. J'insuffle en moi l'usure de mon corps. Le déraillement de mes sens. Et, pourtant, il ne faut point s'oublier, s'adonner au mal être. Si la partie doit terminer, un jour, le principe même est d'en accepter les règles et de jouer. Le plaisir ne se trouve pas dans l'attente inextinguible de l'ultime instant, de cette rupture qui inspire à la fois la crainte et la fascination. Seulement, quelle carte déposer? En ce monde, nulle place à la certitude. D'assurance, je n'en ai aucune. Je ne sais seulement que ce que homme m'a appris.
    Ô temps ! Tes meurtrissures ne sont visibles qu'aux yeux alertes et guéris. Guéris de ton poignard. Guéris de ton mensonge. Ils ne meurent pas tous. Ils ne font que choisir d'autres chemins. Celui de la poussière ou de l'éternité. Je resterai cependant ignare. Esclave de tes humeurs. L'un de ces êtres qu'aveugle la lumière. Nous ne décidons pas de nos états d'âme. C'est à peine si nous décidons de nos vies. Qui suis-je, moi, si de mon temps, je ne puis faire ce que je souhaite? Si de mon temps, je ne dois pas en gâcher? Car des minutes que je n'occupe pas, jamais je ne pourrai les rattraper. Il y a quelque chose d'immuable en cette réalité. Une sorte de vérité. L'inchangeable. Comme si, bien innocemment, j'étais la craie qui, sur un tableau, écrivait. Comme si, une fois l'histoire racontée, elle finirait par être effacée. Sans disparaître. Devenue souvenirs. Devenue pensées. Je me sens abattu. Voilà qu'il m'a assassiné. De ce ressenti naîtra une cruelle fatalité. Une sotte conscience. Celle d'avoir été, et de n'être plus.
  11. Jedino
    Le soir, ouverture à l'obscurité du monde et des coeurs, m'offre quelques raisons que j'ignore. Le feu du désespoir brûle les dernières joies. Tout est cendre. Tout se vide. Il n'y a d'existence que pour les âmes égarées, celles-là même cherchant vainement la lumière d'un espoir.
    Ce serait tellement mieux de raconter des choses positives, des choses qui me tiennent à coeur et dont j'apprécierais partager l'histoire. Mais comment faire si je ne peux qu'avoir honte de moi-même? Comment parvenir à écrire cela? Si je m'y suis essayé, une ou deux fois, ce n'est pas sans un effort énorme, sans prendre trop de temps qu'il n'en faudrait. Et puis, cette horrible impression d'écrire du vide, du raté, du mauvais, d'en recevoir un écho tellement faux. Comment changer ma plainte inutile en un texte beau?
    Ce discours est futile, puéril, et j'en passe. Au fond, il nous est difficile de décider de comment nous allons écrire, et de quoi nous allons raconter. Ou peut-être que si. Je n'en sais rien. Et cela importe peu. Du coup, il y a ce sentiment de répétition, de dire ce qu'on a déjà dit mille fois. Les mots changent. Les idées, plus rarement.


    Parlons sérieusement : je ne suis pas vous, vous n'êtes pas moi. Vous n'êtes pas non plus lui ou elle. Pourtant, cet homme, cette femme, cet enfant, toutes ces personnes que vous croisez, apercevez, connaissez, ignorez, imaginez, sont à la fois une part de vous-mêmes, et une part de ce que vous auriez pu être, ou ne jamais être. Il y a une part de vérité en ce que sont les autres. Nous avons beau réfléchir, philosopher, creuser livres et maximes, rien ne remplace le secret que porte chacun de nous. Mais trop nombreux sont ceux qui croient qu'explorer l'autre, c'est le blesser : il y a tant à faire sans déchirer l'âme de celui qui donne. Le principe consiste non pas à simplement prendre ou donner, mais surtout à échanger. Nous avons plus à apprendre d'un inconnu qu'on ne le pense. Aussi repoussant soit-il.
    "Je" veut ce qu'il n'est pas. Il veut rendre lui ce qui ne lui appartient pas. S'il pouvait aspirer un corps, il le ferait. Il s'échappe, s'enfuit, se retrouve. Et si nous n'étions jamais un esprit? Si celui-ci, ce "Je" que nous semblons être, n'était jamais le même le lendemain? Se pourrait-il que nous ne soyons jamais ce que nous paraissons être : un et équilibré? Pourrions-nous être, malgré nos souvenirs, nos ressentis toujours similaires, un autre, c'est-à-dire, tout le monde? Une sorte de puzzle construit à partir de chaque pièce rencontrée. Un ami, un amour, un étranger.
    Je ne suis donc pas moi. Je ne suis pas non plus un français. Je suis ce que j'ai vécu, ce que j'ai connu, ce que j'ai ressenti, perçu ou déchu. Je suis l'amour de l'un, la haine de l'autre. L'espoir, l'indifférence, le sourire, les cheveux blonds, la chaleur, le tissu. Un amas infini de petites choses formant un tout que je sens comme un. Cependant, je ne suis pas rien, car je ne suis pas vide. Personne ne l'est. Le plus insensible des hommes n'a d'insensible que le nom. Jamais il ne peut être sans un ressenti, sans une once de ces perceptions qui font notre essence. Et pourtant, je ne suis pas "moi". Je ne suis pas cet esprit, cette entité étrange et complexe que je ne sais décrire que par la raison, puisque la raison n'est, elle, que la connaissance et la jonction de tout ce que je suis. Voilà pourquoi un homme n'est homme que parmi les hommes. Comment pourrait-il le devenir s'il ne recevait pas ce qui fait de lui ce qu'il sera? Cessons-là ces bêtises. Je ne suis pas. Je ne serai pas. Les mots ne sont bons qu'à nous tromper. Jouez avec, et vous comprendrez. Vous comprendrez pourquoi la fausseté se trouve partout, tout le temps, inlassablement. Elle nous envahit, nous pourrit. Nous votons pour ça, nous réfléchissons sur ça. Les autres font ce que nous sommes. Mais nous ne sommes pas les autres. Pas exactement. Donc, nous pouvons refuser cela. Nous pouvons retourner l'apprentissage, l'utiliser contre lui-même. Et ceci, c'est notre liberté.
    Il n'y a d'homme libre qu'au sein de la rébellion. Mais une société de rébellion est-elle libre pour autant? Tenez-vous en à ce que vous voyez, car je ne saurais vous aider. Moi, je suis aveugle, aveugle d'avoir trop mal regardé.
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