Je dédie ce topic à un genre que j'apprécie particulièrement, la poésie en prose, et je vais en profiter pour y glisser un petit coup de gueule sur la poésie en général, et quelques réflexions.
La poésie en prose est un genre rebelle aux définitions ; en effet, où commence-t-il, où s'arrête-il? A notre époque où tout le monde et n'importe qui s'improvise écrivain en pastichant sa fantasy favorite ou en écrivant ses confessions, où tout le monde et n'importe qui s'improvise Poète et considère qu'un poème, c'est une suite de rimes sans métrique où il faut parler de ses sentiments (amour, haine, dépression pour 99%), où lesdites horreurs sont postées partout sur Internet, il me semble particulièrement pertinent de s'intéresser à cette forme étrange de littérature qu'est le poème en prose.
"En prose" tout d'abord ; cela s'oppose aux vers (je citerai le très connu mot de Molière : Tout ce qui n'est pas prose est vers et tout ce qui n'est point vers est prose), c'est la forme classique de l'expression, écrite et orale. Se débarrasse-t-on pourtant d'un carcan en se refusant aux rimes? Et bien non, car (i) un poème en vers n'est pas forcément en rimes (ii) les rimes ne sont qu'un aspect du poème, malheureusement souvent le seul connu désormais : n'oublions pas la métrique, la prosodie et les figures de style (iii) qu'est-ce qu'une allitération ou une assonance sinon qu'une rime en prose, quelque part?
"Poème" ensuite : c'est là le mot le plus important. On ne peut plus faire quelque chose qui ressemble à un poème, mais l'on est obligé de faire véritablement un poème, lorsque ce qu'il faut faire ne se limite pas à l'imitation d'une forme. La redécouverte du fond! Voilà ce en quoi c'est non seulement beau, mais utile, surtout aujourd'hui. Celui qui en écrit un est obligé de revenir à ce que cela était à la base : l'art pour l'art ; une gratuité (qui n'est pas forcément synonyme d'amoralité ni d'absence de profondeur), une sculpture des mots, choisissant les figures, la métrique lâche, la construction avec les briques de la langue - et tenter ainsi, de saisir un portrait, un instantané, une impression, une émotion, une allégorie ou un symbole, avec des images un peu plus personnelles voire hardies (dans un bon poème en prose).
J'avoue d'ores et déjà que je connais mal les expérimentateurs modernes, depuis le surréalisme et son écriture automatique (voir André Breton) jusqu'aux expérimentations spatialistes en passant par les manipulations bizarres des mots de l'Oulipo. Je ne vais donc que conseiller deux ouvrages, deux grands classiques qui ont donné leurs lettres d'or au poème en prose, en France. Ce sont:
-Gaspart de la Nuit, d'Aloysius Bertrand
-Le Spleen de Paris, de Charles Baudelaire.
A lire d'urgence, le soir, la nuit, bercé par d'oniriques volutes d'encens.
:blush: