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Stay-behind.


Criterium

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L'horloge cliquète. — Elle accueille, imposante, les deux hommes venant d'entrer dans la vieille maison. Le sol en parquet est recouvert de poussière; on en voit des particules qui virevoltent dans l'air, au gré des faisceaux de lumière. L'on dirait que tout a été laissé à l'abandon. La haute horloge murale, une comtoise, peut-être en merisier, continue pourtant de marquer le temps — le balancier poursuit un monotone va-et-vient. Seul semblant de vie dans cette demeure morte. Placée devant la grande porte, dans ce hall desservant toutes les pièces de la maison — cuisine à droite, salle à manger à gauche, large salon au devant, ainsi qu'un escalier menant aux chambres, à l'étage — elle occupe le point focal, trône entre les deux entrées du salon. Elle semble encore vouloir régler et diriger la vie de la bâtisse, qui n'en a pourtant plus.

Après un instant de contemplation devant ce contraste, les deux hommes reprennent leurs esprits. Ils portent des masques sur le visage, pour ne pas respirer la poussière; tous deux sont en treillis militaires et se meuvent d'une manière à la fois rapide et leste. Sans hésitations. L'un se dirige vers la salle à manger et parcourt du regard chaque meuble, comme pour jauger du terrain qu'il aura à fouiller, surface par surface. L'autre homme observe chaque étagère du salon, et les longues rangées de livres de l'imposante bibliothèque... Celle-ci occupe un mur entier de la pièce. Les tranches et les reliures sont parfois lisibles; toutefois la majeure partie a été salie par la poussière et l'abandon. Certains livres semblent déjà avoir été abîmés du temps où ces pièces étaient habitées; beaucoup de vieux bouquins brochés s'étalent le long des rayons. Puis le premier homme sonde, une par une, les marches de l'escalier du hall. Systématiquement, il ré-inspecte chacune également par en-bas, à la recherche d'une cavité quelconque. Pendant ce temps-ci, l'autre homme a repoussé les tapis du salon sur le côté et observe chaque latte.

Plus tard, les deux hommes se rejoignent à nouveau, au bas de l'escalier.

— "Ça devrait être quelque part dans la maison".

— "Est-ce que la maison était déjà en 1950?", demande l'autre. "Je pensais que les consignes étaient de faire attention à choisir des éléments de décor qui ne risquaient pas de changer sur le long-terme, comme des montagnes, plutôt que des habitations ou que des arbres".

— "Nous avons des informations selon lesquelles le groupe A2 a relocalisé la ressource dans cette maison en 1977".

L'autre homme se tait; il sait que de nouvelles questions seraient sans réponse, de par le fait de la compartimentation de l'accès à l'information: l'on n'est dit que ce que l'on a besoin de savoir.

Si cela ne se trouve pas au rez-de-chaussée, il s'agit maintenant d'explorer les chambres à l'étage. En haut de l'escalier dont les marches grincent, le palier en bois est tout aussi poussiéreux et pas très engageant; certaines planches pourraient céder. Tout l'étage se trouve au niveau des combles. Un corridor central amène à deux chambres et à une salle de bains. Celle-là est baignée de lumière; le rideau de douche a été enlevé — ou a-t-il été mangé par le temps? — et les surfaces en céramique ne reflètent plus le soleil tant elles sont recouvertes de poussière. L'un des hommes se dirige directement vers la chasse d'eau, une cache classique. Cela fait longtemps que l'eau a été coupée, tout est sec; et il n'y a rien. L'homme vérifie derrière chaque installation — lavabo, baignoire, petite commode — à la recherche de quelque indice. Rien. — Dans les chambres, les lits sont encore parfaitement faits. Les deux pièces sont très similaires: grande armoire en bois; matelas et draps blancs posés sur des bases en lit en bois massif; petit bureau. Dans celui-ci, un bric-à-brac d'objets et de papiers ayant appartenu au dernier propriétaire. Il y a là des notes sur l'histoire de la région, des cartes postales de monuments proches; une carte topographique et un compas... L'on devine à quelques dates écrites çà et là que la maison doit être abandonnée depuis le début des années 80.

Époussetant les bords du grand lit, le premier homme hésite soudain, comme saisi d'une intuition que quelque chose n'y était pas tout à fait normal. Il contemple le bois de longs instants. — Quelques aspérités dissimulées dans des recoins de la structure, et qui seraient difficiles à apercevoir même sans la poussière, trahissent la présence d'un compartiment; en fait, le lit lui-même est une caisse secrète. L'endroit est inhabité, il n'y a pas besoin de prendre de précautions et de trouver la clef adéquate: les hommes décident donc de forcer l'objet. De son sac à dos, l'un d'eux sort divers outils: pied-de-biche, cric... Le vieux bois devrait pouvoir se détruire, dans le pire des cas.

Le matelas et la literie sont repoussés sur le côté de la pièce; les outils placés - ou plutôt, forcés - dans les minuscules interstices, et de plusieurs coups secs et violents, le bois craque assez rapidement. Soudain, le panneau latéral cède; l'air est épais et étouffant. Finir l'ouverture de la cache en faisant sauter les tenons de la face du dessus prend quelques minutes supplémentaires, éreintantes, au pied-de-biche. — Le travail est fait en force: le meuble est détruit; mais le seul but a été d'ouvrir le coffre caché. Lorsque ce panneau est lui aussi repoussé sur le côté, le contenu se révèle.

Un dossier contenant des documents jaunis par le temps, tapés à la machine à écrire. Toutes les feuilles sont codées, par séries de cinq lettres et chiffres: RG78C EZIK2 AZJAZ TY8UC GEICX... En en-tête, cette formule cryptique: "Eyes Only - Group A.˙."

À côté, une douzaine de fusils-mitrailleurs. Il y a des FG42 et des Sten. Étrangement, ceux-ci semblent en parfait état de marche; pas de poussière, un bel éclat le long des canons... Ces armes avaient l'air neuves. Un grand nombre de boîtes de munitions tapissaient le fond de la cache; 7.92mm et 9mm. Il doit y avoir des milliers de balles.

— "Il va falloir faire quelques voyages jusqu'à la voiture", constate l'un des hommes après un instant de silence.

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