L'utilitarisme a mauvaise presse et souvent les gens ne veulent pas y être associés, sans se demander ce que l'utilitarisme est vraiment.
Sans prendre pour axiome que l'utilitarisme est la bonne moralité, je voudrais tout de même éclaircir un peu ce que dit cette philosophie.
Tout d'abord, l'idée fondamentale est la suivante : ce qui compte, ce sont les conséquences concrètes pour les humains et les êtres vivants dans le monde réel. Pas les normes imposées arbitrairement ou bien basée sur la recherche d'une récompense après la mort et l'évitement d'une punition après la mort.
C'est-a-dire qu'assez naturellement, pour un athée, l'utilitarisme est une option morale possible. Réaliser le maximum de bonheur pour le plus grand nombre sur Terre, c'est un objectif qui est séduisant et pertinent dans une optique naturaliste.
L'utilitarisme et le favoritisme
La première difficulté qui vient, est que si c'est la somme du bonheur qui compte, alors favoriser des individus semble moralement neutre. Ce n'est pourtant pas le cas parce que favoriser de façon excessive certains individus entraine des conséquences négatives :
- la jalousie des défavorisés envers les favorisés : il y a une souffrance qui peut apparaitre spontanément chez ceux qui sont défavorisés
- la souffrance du manque pour ceux qui sont trop défavorisés : la richesse augmente beaucoup le bonheur quand on est pauvre, mais plus on est riche, moins la richesse apporte de bonheur. La somme du bonheur est donc plus grand quand on partage la richesse
Cela n'indique pas pour autant l’égalitarisme, parce que retirer du bonheur coute deux fois plus qu'en donner, alors il est a priori négatif de prendre a autrui pour donner a un tiers. Le cas des impôts ne peut se justifier que parce que le bonheur apporté par redistribution est au moins deux fois plus important que le préjudice subis. En d'autres termes, plus nous sommes riches, plus le transfert de la richesse vers des personnes pauvres entraine a priori une augmentation du bonheur collectif. Cela est valable pour la charité envers les pauvres et envers les pays pauvres.
L'utilitarisme et le machiavélisme
Un autre difficulté provient de l’idée que l'on peut imaginer des situations où nuire, et même tuer quelqu'un peut faire parti d'un plan qui semble avoir une issue positive. L'exemple classique est celui du train sans conducteur ni passager qui va écraser 5 personnes. On peut empêcher cela en faisant tomber une grue sur le passage. Cependant la grue contient une personne, qui mourra certainement si la grue tombe. Si l'on s'en tient a compter les cadavres, on peut choisir entre 5 cadavres ou 1 cadavres, et de toute évidence 1 cadavre est moins négatif que 5 cadavres.
Cependant, il faut prendre en compte que cela se passe dans un corps social, qui comprends des règles de conduites. Provoquer la mort de quelqu'un est considéré comme immoral. C'est l'opposition entre l'utilitarisme de l'acte et l'utilitarisme de la règle. L'exemple machiavélique dont nous parlons ne mentionne pas la société qui est autour, pourtant elle est sous-entendue. Si l'on accepte un tel plan, on a les conséquences négatives suivantes :
- Tout d'abord, on n'est pas sûr que cela va sauver les 5 personnes, tandis qu'il est certain que la personne sur la grue va mourir. On a donc a priori la conséquence négative de la mort de la personne sur la grue sans certitude que cela va éviter la mort des 5 personnes.
- Si l'on accepte le meurtre comme façon de résoudre les situations, cela a un effet sur la population entière : on ne peut plus faire confiance aux autres, ils peuvent nous tuer si cela leur semble un bon plan. Il s'ensuit une tension dans le corps social et une inquiétude généralisée. Cela affecte donc négativement la population entière. Dans un pays de 50 millions de personnes, il faut multiplier par 50 millions cette conséquence négative !
- Il se peut que par colère contre l'acte de faire tomber la grue, des proches se vengent et tue la personne qui pousse la grue. Il y a alors en fait 2 cadavres : la personne qui pousse la grue et la personne qui tombe de la grue. De plus, une méfiance peut s'installer envers toutes les personnes proches de la personne qui pousse la grue.
En résumé, on ne doit pas seulement évaluer les conséquences directes, mais les conséquences indirectes également, notamment de savoir si le corps social peut accepter l'action effectuée. Bien entendu, l'exemple donné ici est dramatique, mais on peut imaginer des cas ou ne pas suivre la règle est préférable.
L'utilitarisme et la règle
La confiance entre les gens est essentielle et donc se mettre d'accord sur des règles de conduites a une certaine importance d'un point de vue utilitariste. Un exemple où la désobéissance est encouragée parfois est celui du mensonge. L'exemple classique est un assassin qui poursuit quelqu'un. L'assassin vous demande où est parti le fugitif. Dans ce cas, mentir est une bonne chose, puisque cela empêche ou au moins ralenti la progression de l'assassin, et donc peut empêcher la mort du fugitif. De façon moins dramatique, on ment souvent pour ne pas froisser autrui. Dans ce cas, la question morale est de savoir si la potentielle perte de confiance entre soi-même et autrui qui résulte du mensonge est compensée par la préservation de bonnes relations avec autrui.
On voit bien qu'il n'y a pas d'opposition entre le conséquentialisme et la déontologie, mais une subtile interaction entre les deux et une potentielle coopération pour s'assurer du maximum de bonheur.
Bon nombre de dilemmes moraux sont abordés par l'utilitarisme. Voila pourquoi la mauvaise image de cette philosophie n'est pas méritée. Simplement l'utilitarisme ose poser des questions auxquelles avec lesquelles on est toujours pas a l'aise.
Pour poursuivre la réflexion
Comment évaluer l'action de quelqu'un qui sauve Adolphe Hitler de la noyade, avant qu'il ne devienne dictateur ? S'agit-il d'une différence entre conséquences prévisibles (sauver un individu) et conséquences non prévisibles (la dictature) ? Ou bien s'agit-il d'une indépendance des conséquences, puisque ce n'est pas l'avoir sauvé qui l'aurait rendu dictateur ?
Vaut-il mieux donner a des organisations caritatives qui peuvent sauver la vie a des pauvres dans le monde, leur rendre la vue, les soigner, pour une quantité d'argent qui pour nous ne nous donne qu'un peu de confort ou bien un peu de divertissement ? Vaut-il mieux donner a des organisations caritatives pour soigner 100 inconnus au lieu de dépenser son argent pour soigner un de ses proches ? N'est-ce pas là la limite de l'utilitarisme ?
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