Pour paraphraser Grand Corps pas très Forestier, né dans le béton 1, je suis un enfant de la ville 2. Non, non, pas de Philippe. Je n’ai rien d’un rat des champs, et ce n’est pas faute d’être pingre. Mon père s’appelle bien Philippe mais il ne tape pas sur des bambous ; il n’est pas même musicien. Je m’accommode très bien du bruit des sirènes et de l’odeur des pots d’échappement. Il joue bien de la flûte de temps à autre — et c’est pas du pipeau ! —, mais ça n’en fait pas un musicien pour autant. J’aime pouvoir passer d’un bout à l’autre de la ville sans voir la lumière du jour et d’un jour à l’autre sans voir une peau de vache autre que le cuir de mes chaussures, la grognasse du troisième ou la jolie fleur qui me mène par le bout du cœur. Cette métaphore n’est pas de moi, c’est une image superbe inventée par M. Brassens 3 qui n’eut toute sa vie que des bonnes idées, sauf celle d’être mort avant Julio Iglesias. Ce compliment n’est pas de moi, c’est un magnifique éloge formulé par M. Desproges 4 qui toute sa vie n’eut que des bonnes idées, sauf celle d’être mort d’un cancer. Cette mise en abyme est bien de moi, en revanche ; prends ça, Inception ! Parce que si on va par-là — pardon, je reprends le fil de ma pensée —, on pourrait m’honorer du titre de violeur sous prétexte que je viole sporadiquement, sans aucun talent et sans être rémunéré, sur la simple base du volontariat, mon volontariat, et pour mon seul plaisir ; c’est absurde !
J’aime les interrogations quotidiennes de la vie francilienne, les énigmes du train-train en métro-c’est-trop. Mieux me vaut-il marcher dans l’escalator ou courir dans l’escalier pour attendre quelques secondes de plus sur le quai avant l’arrivée du RER qui passe toutes les cinq minutes ? Qu’y a-t-il au bout de la queue interminable — à l’instar d’un bouquin de Zola mais avec plus d’action — devant le Burger King de la gare Saint-Lazare ? Ne vient-il jamais à l’idée des badauds qui passent leurs trajets monotones dans les transports en commun à fixer le paysage — pittoresque, j’en conviens, surtout quand il est souterrain — ou, pire, un journal gratuit — et dans « journal gratuit », il y a au moins un mot mensonger — d’investir dans un passe-temps plus enrichissant — comme lire un bouquin, même un Balzac, un shōnen à rallonge (manquant cruellement d’imagination comme un poivrot désespérant de ne pas gagner au loto manque sa vie, Loana, sa mort et un politicon présidentiel, ses promesses électorales), ou le manuel d’instructions d’un mixeur ?
Par contre, j’aime autant la foule — sentimentale, mon cul ! — que les discussions stériles et insipides des bougres entravant leur esprit avec les chaînes rouillées « d’information » de l’écran qui n’est pas plus petit par sa taille que par sa bassesse. Si les histoires d’amour sont un peu comme les voyages en train, assurément, les Transilien m’ont dégoûté à jamais des partouzes. Non contents de mettre mes nerfs à rude épreuve, ils sont avant tout un véritable défi pour mes antiperspirants et je m’estime heureux quand j’ai tout juste l’espace suffisant pour tourner les pages de mon roman sans avoir les bras parallèles et les pieds joints — inutile de préciser que je suis plus enthousiaste quand j’arrive à poser les fesses sur un misérable strapontin qu’un Manuel Valls s’asseyant sur son trône ou sur la liberté d’expression.
Que la vie serait belle en toutes circonstances si le mépris inconséquent pour la contraception n’avait tiré du néant ces jobards qui, une fois sortis de ces rames bondées, vont déferler sur les trottoirs moroses comme la misère sur le pauvre monde, les tsunamis sur le Japon, les cailloux sur la femme iranienne adultère et les coups de cuiller sur ma part de tarte au citron meringuée. Fichtre que j’ai horreur d’arpenter des boulevards populeux dont les masses d’abrutis, à l’instar de ma pensée, affichent un cheminement tellement erratique qu’il est légitime de penser qu’ils sont très loin de savoir où je vais. D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais populeux est l’anagramme de poulpeux. Et alors ? me direz-vous. Eh bien, ce mot est aussi inapproprié qu’inexistant, c’est dire si vous auriez tort de ne pas trouver tout cela insensé.
1 « Je suis né dans le béton, / Coincé entre deux maisons, / Sans abri, sans domicile, / Comme un arbre dans la ville », Maxime le Forestier, Comme un arbre dans la ville.
2 « Je suis un enfant de la ville, je suis un enfant du bruit », Grand Corps Malade, Enfant de la ville.
3 « Un’ jolie fleur dans une peau de vache, / Un’ jolie vach’ déguisée en fleur, / Qui fait la belle et qui vous attache, / Puis qui vous mène par le bout du cœur. », Georges Brassens, Une jolie fleur.
4 « Rien au monde ne pourra jamais libérer mon esprit prisonnier de vos charmes inouïs, madame : vos yeux étranges et malicieux, où je m’enfonce comme dans un bain de champagne incroyablement pétillant, votre poitrine amplement arrogante, véritable insulte à l’usage du lait en poudre, et « votre dos qui perd son nom avec si bonne grâce qu’on ne peut s’empêcher de lui donner raison » — ce n’est pas de moi, c’est une image superbe inventée par M. Brassens qui n’eut toute sa vie que des bonnes idées, sauf celle d’être mort avant Julio Iglesias. », Desproges, Vivons heureux en attendant la mort.
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