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La misère, des larmes et du sang


konvicted

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Fait-on pire muselière que le bonheur ? Ce sentiment de bien-être dégoulinant de mièvreries est à l’inspiration ce que le fascisme est à la liberté ; il vous passe les menottes dans le dos dès lors que vous tentez d’écrire autre chose qu’une carte de vœux. Regardez ! j’ai à peine commencé ce texte que je bâille déjà comme à l’enterrement de mon grand-père. Déjà qu’il n’était pas très passionnant de son vivant, toujours à se vanter de ses exploits pourtant modestes de la guerre de l’an 40. « Tu sais combien de juifs j’ai fait arrêter ? Et des communistes aussi ! Sans oublier les pédés. » Ah, ce bon vieux papy Hans ! Rest in pieces. Où en étais-je avant que ce rustre m’interrompe d’outre-tombe ? Ah oui, je suis convaincu que l’homme fait son propre malheur, et éventuellement celui de son prochain quand le temps le lui permet, donc j’ai évidemment cherché à combattre le bonheur qui me rongeait.

Je voulus d’abord me dépouiller de mes biens matériels. Pour cela, je quittai mon appartement à l’aube en prenant soin de laisser les volets ouverts sur mes objets de valeur — une boîte de Prozac devenue caduque, un pyjama Superman et une baguette de pain —, un coq décédé sans jamais avoir été cuit patientant dans le four tout aussi éteint, et la porte entrouverte. Je revins au soir et alors que j’étais au pied de mon immeuble, j’aperçus de la lumière émanant de la fenêtre de mon salon. « Un cambrioleur a dû oublier d’éteindre les lumières après s’être allègrement servi. Enfin, j’espère que je ne vais pas l’interrompre », pensai-je. En actionnant délicatement la clenche, j’eus la surprise de découvrir que la porte de mon appartement était verrouillée. J’avais pourtant emporté mon seul jeu de clés avec moi ! En entrant, comble de la stupéfaction, je sentis une odeur de coq au vin. J’étais dans l’incompréhension la plus totale. Là, une voix familière cria depuis la cuisine : « Où t’étais passé ? C’est l’heure de manger. Tu prends un verre de rouge ? ».

J’avais oublié que mon appartement était également peuplé d’un pot de géraniums, d’un chat, de ses puces et d’une concubine — la mienne, pas celle de mon matou. Or, il arrive quotidiennement que cette dernière se mette aux fourneaux, d’où la lumière du salon était allumée. Cela dit, mon chat n’a pas de concubine. Toujours est-il qu’en posant les yeux sur elle — ma concubine, pas celle du greffier, puisque je vous répète qu’il n’en a pas —, je réalisai qu’une rupture serait un excellent moyen de me niquer le moral. Mon mistigri a des vues sur la minette des voisins mais il n’est pas encore prêt à s’engager avec elle. Je lui dis donc — non pas à la minette des voisins, mais à mon minet — : « Il serait temps que tu te décides. Tu ne peux pas sortir et avec la chatte de gouttière que tu m’as présentée la dernière fois et avec une moustache pareille, ça fait vraiment négligé.», mais mon félin de canapé est têtu. Bon, où en étais-je avant qu’on me harcèle de questions superflues sur la sexualité de mon chat ? Ah oui ! ma prise de conscience quant à la félicigénicité de ma concubine. Pour mettre fin à la tyrannie qu’elle exerçait sur ma plume, je lui déclamai avec mon air le plus sérieux : « J’ai bien réfléchi, je suis trop heureux avec toi, ça ne peut plus durer. Je te quitte ». Vous savez ce que la malheureuse m’a répondu ? Rien, elle était trop occupée à se tenir les côtes.

Puisque des années de blagues continuelles et autres farces intempestives avaient ôté toute crédibilité à ma menace, je renonçai à me faire briser le cœur et je me rabattus sur l’idée de me faire casser la gueule, the next best thing. Je me postai donc à la sortie d’une école primaire avec le regard lubrique et un T-shirt estampillé « j’aime vos enfants, ils ne portent pas plainte », mais personne ne prit la peine de toucher à mon intégrité physique. Dans l’étourderie qui me caractérise, j’avais laissé mon pull par-dessus. Je passai alors au plan B et contentai de me balader dans des ruelles sombres d’un quartier craignos d’une ville rongée par l’insécurité en arborant un sourire niais, une coupe de cheveux au bol et une montre en or. Vous pensez que je me suis fait refaire le portrait version Picasso ? Que nenni !

Aujourd’hui les rues du cinquième arrondissement sont devenues tellement sûres que les Arabes osent de nouveau sortir seuls le soir. Pour preuve, notre ministre de l’intérieur — dont je tairai le nom pour ne pas lui faire de la publicité — est tellement désœuvré qu’il en est réduit à faire la promotion d’un humoriste — que je ne citerai pas non plus pour ne pas faire davantage de publicité pour Manuel Valls — pour justifier de son salaire. N’est-il pas attristant de penser que sans cette tâche ingrate et futile consistant à, pour le dire élégamment, lustrer les couilles en or de ce comique — qui vendait déjà suffisamment de places au demeurant et de grain à moudre aux demeurés pour remplir ses salles tout seul — ce valeureux républicain n’aurait pas d’emploi et se verrait obligé de puiser dans ses comptes en Suisse ?

Soit dit en passant, si notre ministre de l’intérieur ne sait pas quoi faire de nos impôts, je lui présenterais volontiers mon intérieur qui mériterait un bon coup de balai. En effet, je peine davantage à prendre son manche en main que mon destin. Pourtant, après plus de neuf cents mots, je suis toujours aussi heureux qu’au début de ce texte. Le bonheur est-il donc irrémédiable ?

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