Inhumain
L'homme sans visage se regardait dans le miroir. Il n'y voyait rien. Rien,sinon sa propre laideur qui le dégoûtait. Il se demandait comment il parvenait encore à s'imposer un tel supplice alors qu'il se voyait continuellement, déjà, dans les pupilles des passants qu'il rencontrait dans ses journées. Il avait pourtant essayé des centaines de fois de s'inventer, de se réinventer. Mais, à chaque essai, la vérité finissait par lui retomber dessus. Ce même poids qui, tantôt, l'avait mené en enfer. Il n'en était jamais sorti.
Son travail devenait de plus en plus pénible. Sa vie, elle, était chaotique. Il n'avait rien trouvé qui lui permis de s'en échapper, de prendre la place d'exutoire. L'alcool, la drogue, ne faisait plus effet. Plus suffisamment longtemps. Il ne parvenait plus à s'oublier, à oublier ce que le monde avait fait de lui. Un monstre. Une horreur. Les enfants fuyaient à son passage. Les femmes levaient les mains pour cacher leur surprise.Toutes ces paires d'yeux qui le harcelaient, le transperçaient jusque dans la chair, lui, celui qui n'avait rien demandé, rien souhaité, sinon une vie tranquille, une vie banale. Une vie en paix et dans la paix.
Comment pouvaient-ils plaindre ceux qui quittaient la guerre, choqués, quand d'autres héritaient, en plus de cela, d'une guerre contre eux-mêmes? Comment aurait-il pu accepter l'idée d'être ce qu'il n'était pas? Le mot "beauté" l'exécrait. Il ne voulait pas de leur pitié, de cette reconnaissance malheureuse. Il n'attendait qu'une chose : disparaître. Disparaître dans les foules, des rues, des vies. Devenir un fantôme pour les autres. Il l'était déjà en lui.
Pourtant, le désespoir n'aboutit que rarement là où il devrait aller. A celui qui tient, l'espoir revient. Toujours. Tôt ou tard. Sous une forme ou une autre. De l'ordinaire se détache de l'extraordinaire. De la pitié naît le mépris, l'indifférence ou l'amour. Peut-être avait-il tout simplement croisé une âme perdue, aussi, ou un être exceptionnel. Peut-être existait-il de quoi bombarder une existence trop en phase, équilibrée. Peut-être, oui, que la rencontre, jour après jour, avec lui-même lui avait offert cette chance de se faire une raison. Il savait, en tous les cas, que l'unique chose qui le détruisait était ses croyances, ces concepts, qui le décrivait comme il n'était pas : inhumain.
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