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Incipit #2


latin-boy30

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28 Août 2057

Sorensen se réveilla tout habillé vers sept heure du matin. Un léger rayon de soleil dardait à travers les persiennes de la petite fenêtre donnant sur Vrankenborg. Il avait environ une heure et demie devant lui avant de se rendre à la CHR. Il sortit dans le parc et jardin collectif. Surveillant les dernières carottes qu'il avait moyennement bien plantées, il fut tout de même satisfait de lui-même.

Elles poussent bien les petites, finalement... remarqua-t-il en inspectant d'un œil serein les jeunes pousses à travers le film plastique du petit système de serre. Le réchauffement climatique survenu dans les années 2020 avait permis de faire pousser plus facilement des légumes au Danemark. On avait moins froid l'hiver, mais plus chaud l'été en contrepartie.

Il se grilla une cigarette puis alla surveiller l'état du pommier. Il jugea que ça allait à peu près. Consommer de la viande était devenu rare. Pour le poisson, Sorensen avait à sa disposition une criée où il pouvait échanger une petite cargaison en échange d'autres aliments, ou sinon il pouvait lui-même mettre la main à la pâte et emprunter avec d'autres courageux un chalutier pour aller pêcher en mer.

Comme si j'avais que ça à foutre et envie de le faire... pensa-t-il.

Il repartit un instant dans son studio puis revint en survet' de sport. Il utilisa les appareils de musculation du parc public.

Une fois passé sous la douche, il se mit en route pour la CHR. Il décida d'emprunter la petite voiture électrique Saab qu'il gardait au garage. Il mit environ une demi-heure pour se rendre au bureau.

Devant ses yeux défilaient des fichiers. Il devait, de façon abstraite mais aux implications bien concrètes, déplacer des allocations déduites de foyers d'opérations d'un secteur géographique et populaire à un autre. En clair, pour des travaux effectués sur une certaine zone géographique (A), pour le compte d'une autre zone (B), la zone (B) devrait en échange fournir un travail égal pour le compte de la zone (A). Et le boulot de Sorensen était de veiller à ce que tout se déroule correctement. En cas de fraude ou de manquement à la solidarité, il devait en informer le Conseil Suprême d'Oslo et des officiers d'humanité devaient se rendre sur zone pour rectifier le tir.

Vers onze heure, il parvint à se connecter. Retournant sur Galliam-34, il parvint à entrer en contact avec Sainte-Myrtille. Il s'en doutait sans en être sûr mais derrière ce pseudo se dissimulait une jeune femme du Sud de la France, travaillant à l'équivalent local de la CHR. Depuis Montpellier, Sainte-Myrtille consentit à livrer à Sorensen l'information en question.

Il en prit connaissance jusqu'à midi et demi. Ça décoiffait.

Affamé, n'ayant avalé qu'un vieux biscuit et un mauvais café ce matin, il se rendit à pied dans un restaurant collectif à deux pattés de maison de là. Il se servit de ce qu'il put trouver. Par chance, il avait pu dégoter une entrecôte plutôt bien préparée, avec un peu de riz et un quart de vin rosé de Bordeaux. Pas de serveurs, il fallait soit-même s'aménager une petite table avec le couvert. Il mangea seul en une demi-heure, repensant à l'info de taille que venait de lui fournir généreusement la jeune française.

Putain, alors ça ! Alors ça ! ressassa-t-il.

Sainte-Myrtille connaissait un moyen d'échapper au merdier. Mais il fallait faire un long voyage pour cela... serait-il prêt à l'entreprendre ? Il repensa à sa vie d'avant, et se dit que le jeu en valait la chandelle...

Depuis 2050, le monde n'était plus le même. A la fin de l'année 2049, l'humanité connaissait une période mêlant désespoir, hargne et envie. La famine en Afrique existait toujours, même si elle était moins dure qu'avant. Des milliers de personnes y restaient soumises au joug de seigneurs de la guerre installés par les services secrets chinois, russes, indiens et américains. Dans certains pays, on s'était émancipé de l'étranger. En Angola, la démocratie s'était installée et une économie mixte, florissante avait fait passer les angolais de la misère à l'opulence en vingt ans. Pareil pour la Côte d'Ivoire et le Zimbabwe.

Ailleurs dans le monde, on s'indignait sans arrêt. Des inégalités, on montrait du doigt les individualistes, les riches, les intellectuels conservateurs sans arrêt. Un jour la cocotte-minute a sauté. En Décembre 2049, peu avant Noël, un groupe d'ouvriers américains avait attaqué une banque à Detroit, dans l’État du Michigan. Ils avaient fait des émules à Shanghai, Bombay, Kinshasa et Jakarta. Incités par un brûlot anticapitaliste paru en 2045, par le bolivien Hugo Stroesnner, des poignées de citoyens du monde entier se mettaient à attaquer les institutions d'argent. Banques, multinationales, agences de notation, bourses... tout y passait, et tout avait brusquement dégénéré vers Février 2050.

Les leaders des syndicats ouvriers, avec l'appui de certains patrons de PME en rupture, et d'idéologues fanatiques à travers le monde, avaient commencé à embraser le monde entier. Appuyés par les ouvrages d'Hugo Stroesnner, mais aussi du japonais Satochi Hoyama ou du canadien Georges De La Prairie, ils entamaient "les évènements".

Un jour, une bonne centaine de leaders mondiaux de la révolte mondiale s'étaient réunis à Cartagène en Colombie. Ils rédigèrent la Déclaration de la Grande Révolution, en anglais, puis elle fut rapidement traduite en français, chinois, espagnol, portugais, hindi, japonais, russe, allemand, arabe, italien, suédois, malais, turc, iranien, hébreu, coréen.

Le texte, avançant des préceptes révolutionnaires, fut mis en application de façon plus ou moins scrupuleuse et fidèle, dans le monde entier. Des massacres furent provoqués par endroits. En Suisse, au Chili et à Singapour notamment, on massacra en tout pas moins de 7 millions de personnes qui ne souhaitaient pas aller jusqu'au bout de la Déclaration.

Alors qu'en 2049, la population mondiale atteignait 10 milliards d'habitants, elle était tombée à 2 milliard et demi en 2055. En six ans, les trois quart de l'humanité étaient décimés par la plus grande révolution que le monde ait jamais connu. Et cela avait commencé par sept syndicalistes américains un peu trop passionnés qui avaient décidé d'attaquer une banque... "Effet papillon garanti !" avait dit un humoriste belge bien sarcastique.

Des scientifiques qui avaient survécu, et de ceux qui pensaient assez froidement, voyaient cette brutale perte démographique comme un moyen de réguler la surpopulation mondiale. Des réactions dithyrambiques s'étaient élevées du camp conservateur de la Révolution. On les disait dépourvus d'humanisme, et quelque part, contre-révolutionnaires.

D'autres intellectuels, plus mesurés, critiquaient la façon dont s'était déroulé l'ensemble du mouvement et l'ampleur que cela avait pris. Ils établissaient les points positifs du chaos : répartition égalitaire des richesses sur toute la surface de la Terre, mise en place de la décroissance improductive partout dans le monde, fin de la famine, fin des guerres militaires, en clair, le capitalisme était mort. On avait abattu le Capital à bout portant partout sur Terre. On avait aussi supprimé toutes les armes nucléaires et interdit tout ce qui était plus ou moins polluant.

Mais les points négatifs demeuraient nombreux selon les idéologues plus ou moins "modérés" de la Révolution : les massacres, les nouvelles famines, les maladies provoquées par négligences. Les insurgés mondiaux n'avaient pu s'empêcher de tuer ceux qui refusaient le changement et de se concentrer sur leurs luttes avec un excès irresponsable et maladif.

Sorensen, lui, faisait partie de ces capitalistes qui avaient fermé leur gueule et suivi la Révolution pour ne pas mourir, mais qui dans le fond, comme Sainte-Myrtille, cherchaient à trouver un moyen de revenir en arrière... et Sainte-Myrtille venait de trouver.

Et puis il faut dire que le Danemark était un des pays du monde où l'on avait le moins envie de faire la révolution. Les danois d'avant étaient assez heureux de leur situation. On avait trouvé un modèle de capitalisme à la fois social et responsable qui plaisait aux gens. Mais ils avaient été contraints de suivre la marche, sous peine d'y laisser trop de plumes...

A suivre...

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