D’une théorie de la propriété, ou la possession.
Il existe defrappantes similitudes entre deux formes de détachement quand à la propriété, la possession et leurs incarnations matérielles.Celle du dépouillement, du renoncement à la possession afin de detacher laconscience qu’on a du monde des choses matérielles et de leur douloureusevolatilité, et celle qu’on voit émerger dans des cultures où le sentiment deposséder quelque chose s’est dissous dans d’assez grandes quantitésd’opportunités et de biens pour que le désir d’appropriation semble aller de soi et futileen ce qu’il n’est plus source de douleurs.
Les crédules,les faibles et quelques réalistes entretiennent ce rejet de la possession, de lapropriété, de l’identification aux choses matérielles, et fabriquent de laculture sur cette base, foncièrement idéaliste (et pourtant nous le verrons bassement matérialiste), participant à la propagation de ce point de vue tout enentretenant une dynamique de consommation plus ou moins soutenue, plus ou moinsrestreinte. D’autres en revanche, les cyniques, remettent en question cerejet, et répondent à leur besoin d’être pensant cynique en se vautrant dansl’esprit de contradiction, trouvant là légitimité à une débauche de lapossession la plus totale, non seulement assumée mais également revendiquée, deconsommation débridée jusqu'à l'abrutissement. Un amour invétéré pour leurs choses, en même temps un profond dégoût pour ce besoin compulsif, et des dents grandes commedes couteaux.
Toujours est ilqu’il se pose donc la question ; quelle attitude adopter face à la possession ?A la propriété ? Qu’est ce que la propriété ? Est ce un besoin fondamentale del’homme, est ce l’empreinte d’une réalité hostile dans laquelle il est primordialde s’approprier pour survivre ? Quoi qu’il en soit et quelqu’en soient lesorigines, le fait est que dans le ressenti la propriété semble largementenracinée en nous. Les relations amoureuses par exemple, bien qu’ellessubissent un large liberation, restent soumises à cet enjeu de possession.Possession de l’autre, fidélité, propriété. Des affects tout à fait puissantssont à l’oeuvre dans la trâme conjugale et qui renvoient à un systèmed’appropriation de l’autre. Qui peuvent être examinés sous cet angle, etdoivent donc l’être, afin d’en apercevoir la pertinence philosophique. Car despositions envisageables et qu’on rencontre autour de theme de la fidélité dansle couple (loyauté en amitié), combien sont pur fruit du hasard et non le fruitd’un positionnement conscient face à la question de la possession de l’autre ?Dans un couple la question peut disparaître, émerger à nouveau, mais cet affectqui dort et ne se reveille que sous forme de jalousie, de tristesse, de peine,de colère ou au contraire de déni, d’acceptation ou de rejet, reste un pointcommun entre presque toutes les positions qu’on rencontre. Du couple libre aucouple traditionnel, il se pose cette question, l’affect est bien là.
Les affects en réalité. S’approprier etn’être la propriété de personne, voilà une manière intéressante d’observer lesrelations entre nous tous, et nos relations aux choses de ce monde. N’est ce pasque Platon répondait à ce besoin urgent de n’appartenir à rien et des’approprier tout ? A sa manière, philosophique, dans toute la générosité deson âme, dans toute sa spontéanéité retorde, Platon l’insoumis tend tout sonêtre à s’évader. Noble cause, et qu’il était doué! Doué parce qu’en plus d’êtrepuissant, il est resté rationnel ; dans ses actes, il n’a jamais vraimentcherché à mourrir, s’en est bien plutôt accomodé, par là il a possédé la mort.Possédé sa mort, posséder la souffrance pour posseder sa vie. Qu’y a t ild’autre à l’origine d’une telle optique, qu’une conscience aigüe du poids de laréalité, de la souffrance potentielle qu’elle recèle, en somme une sensibilitéà la fois morbide et tout à fait généreuse ? Voilà le combat de Platon, soncombat quotidien. Voilà ce qui justifie cette position face à la propriété, àla matérialité et au corps ; une sensibilité aigüe à la réalité, si aïgue qu’elle recquiertde très grands moyens pour éloigner les blessures qu’elle annonce, ou pourpanser celles qu’elle n’a pas annoncé. Platon, comme nous tous, en pronant lamort, s’est battu pour survivre. Battu… il s’est débattu et a abandonné,dignement, sauvant les apparances en évoquant la profondeur, la créant du memecoup. Un coup de maître décidément.
Quand à l’autreposition, celle qui consiste en se vautrer dans la débauche, par cynisme ensomme, est relativement intéressante elle aussi. Elle a du bon, en ce qu’ellecrée de la sensibilité, de l’intensité, en ce que ce désir se satisfait, etqu’on peut y travailler. Mais lasatisfaction de ce désir est bien évidemment alors directement soumise àl’environnement social, surtout en ce qui concerne notre époque despecialisation intense. Bien peu de gens peuvent subvenir à leurs besoin danss’intriquer un minimum dans le tissu social, ce désir de possessionet ce rejet d’être possédé, donc l’appropriation et la propriété, est dissousdans une quantité incroyable de biens, tandis que le sentiment de libertéexplose lui aussi avec les opportunités.
Une autreposition, autrement intéressante, consiste en resteindre sa consommation,réduire les possessions pour en augmenter la valeur. Les stoïciens vont jusqu’àréduire leurs possessions à la vertu, bien indestructible. Pourtant lesfluctuation de la vertu sont du même ordre sinon plus terribles encore quecelles des choses matérielles. Ce qu’il y a en revanche c’est qu’ils ont cetteingéniosité de choisir quelque chose qui est entièrement en leur pouvoir. En cesens ce sont des tyrans et des renards, plus attachés à leur possession quetous les autres, plus attachés à oeuvrer à une domination totale et planétairepuisqu’elle conquiert leur conscience du monde petit à petit. Une philosophieactive s’il en est, séduisante par son force sereine, dépouillée. Elle convientparfaitement à un Sénèque qui fait de la politique, en ce qu’elle est uneréponse pertinente à ce que son environnement lui impose et lui insuffle.
Mais voyons nous cette chose fondamentale que l'homme se bat exclusivement toujours pour sa propriété ? Son territoire, ses biens, sa femme (pourquoi croyez vous que tant de gens pensent encore que le viol est le crime le plus horrible et dont on ne se relève pas ? Est ce de la femme dont on parle, ou de l'homme qui ne se remettra pas d'avoir vu sa propriété violée ? Cette vision du viol et les conséquences qu'elle a sur le vécu de la femme qui se retrouve en somme obligée de ne pas guérir sont catastrophiques et totalement arbitraires. Non le viol n'est pas la chose la plus horrible qui puisse arriver, oui ça fait mal, ou ça détruit, oui on s'en relève et on peut même en faire quelque chose, non votre mari ne vous pardonnera probablement jamais d'avoir été salie). Il se bat pour s'approprier et protéger, donc.
Mais ne faut il pas oublier alors, que l'homme échange aussi ? L'homme tisse des liens, toujours, dans toutes les sociétés. La propriété devient la revendication de l'existence dans ce système de dons et de dettes. La propriété d'une dette est elle même préférable à ne pas se mêler à la danse.
Suivons le filon...
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