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La théorie argumentative du raisonnement


épixès

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Membre, 51ans Posté(e)
épixès Membre 1 815 messages
Forumeur alchimiste ‚ 51ans‚
Posté(e)

Publiée dans un papier de 2011, Mercier et Sperber proposent une nouvelle hypothèse sur la fonction première du raisonnement qui permettrait d'expliquer nombre de biais cognitifs: le raisonnement ne servirait pas à améliorer le savoir et prendre de meilleures décisions mais à convaincre vos interlocuteurs dans un débat et débusquer ceux qui chercheraient à vous tromper ! Le raisonnement aurait donc une fonction première "argumentative". Il est important de noter que dans cette théorie, le raisonnement à un rôle à jouer dans la production d'arguments mais également leur évaluation: il ne sert pas qu'a produire des arguments susceptibles de convaincre vos interlocuteurs, il permet également d'évaluer les leurs et à trouver des failles dans leur raisonnement.

Cette fonction permettrait de résoudre un problème de taille pour l'espèce humaine: celui de la fiabilité de la communication. Une des caractéristiques de l'espèce humaine qui ne vous aura pas échappé est qu'elle communique beaucoup, notamment grâce à un langage inégalé dans le monde animal. On ne s'en rend pas forcément compte mais nous sommes des êtres sociaux extrêmement dépendants de la communication et cela pose un problème: comment faire le tri des bonnes et mauvaises informations que l'on nous communique ? Comment savoir si ce que vous dit un interlocuteur est vrai ? Le raisonnement, "tout simplement". En plus de nous permettre de produire des arguments convaincants, il nous permet d'évaluer les arguments des autres pour savoir si l'on devrait accepter leurs conclusions ou non.

Le biais de confirmation rend compte de notre tendance à chercher des arguments qui justifient nos opinions sans chercher à être impartial. Précisément ce que l'on attendrait si la fonction du raisonnement était argumentative. C'est là que cette théorie montre toute sa force: les biais de confirmation ne sont plus expliqués comme des "erreurs de raisonnement" mais bien au contraire comme des raisons d'être de celui-ci ! On peut dire que la théorie argumentative est "positive" car elle arrête de voir les biais cognitifs comme des dysfonctionnements, comme le posent Mercier et Sperber:

"Le raisonnement humain n'est pas un mécanisme général profondément malfonctionnel; c'est un appareil remarquablement spécialisé et efficace adapté à un certain type d'interactions sociales et cognitives dans lesquelles il excelle."

De plus le biais de confirmation s'exprime surtout quand nous produisons des arguments et pas quand on évalue ceux des autres. C'est à nouveau une caractéristique en faveur de la théorie argumentative: si la fonction du raisonnement est non seulement de convaincre les autres mais aussi de remarquer quand ils sont en train de nous raconter n'importe quoi, il est tout à fait normal de trouver cette asymétrie dans le biais de confirmation.

Le raisonnement motivé pousse ceux qui y cèdent à confirmer ce qu'ils croient déjà tout en rejetant des données contraires et il les incite à créer des rationalisations complexes pour justifier la préservation de croyances que la logique et les faits ont clairement invalidés. Le raisonnement motivé riposte aux preuves contraires en cherchant à discréditer avec vigueur ces preuves ou leur source, et ce, sans justification. Sans aucun doute la motivation dont il est ici question se fonde sur un besoin émotionnel. Les sociologues pensent que le raisonnement motivé permet d'éviter la dissonance cognitive. Autrement dit, nous sommes nombreux à nous réfugier dans l'illusion et c'est ce qui motive bien des gens à défendre bec et ongles des mensonges évidents.

Contrairement à ce que prédisent les théories classiques, raisonner n'aide pas vraiment à prendre les bonnes décisions. Ces théories conjecturent que le raisonnement sert à peser le pour et le contre avant de prendre une décision alors que la théorie argumentative postule que les décisions sont majoritairement prises intuitivement et que le raisonnement ne sert qu'a justifier pourquoi telle ou telle décision à été prise.

La théorie argumentative du raisonnement n’est pas la seule en psychologie permettant d’expliquer tous ces résultats. Mais contrairement à d’autres théories, elle est unificatrice, car elle permet d’expliquer TOUS ces résultats à la fois alors que les autres théories se contentent d’expliquer certains résultats seulement, nécessitant de multiples théories pour tout expliquer. De plus, la théorie argumentative permet de répondre aux questions “Pourquoi ?”, “Pourquoi les humains possèdent un biais de confirmation ?”, “pourquoi font-ils du raisonnement motivé ?”, “pourquoi basent-ils leurs décisions sur la justification la plus facile ?”. La théorie argumentative du raisonnement, parce qu’elle est basée sur une pensée évolutionnaire, est la seule qui permette de proposer une réponse à ces questions.

Cela ne veut pas dire non plus que le raisonnement aujourd’hui ne sert qu’à argumenter. S’il avait réellement évolué en premier lieu pour des raisons argumentatives, il pourrait très bien être utilisé maintenant pour d’autres fonctions. Cependant, comme nous l’avons vu, il conserve toujours sa “marque de fabrique argumentative” : ses biais de raisonnements.

Et je laisserai conclure Mercier et Sperber:

“Parvenus à ce point, certains pourraient faire remarquer que, malgré tout, le raisonnement est responsable de certaines des plus belles réalisations de la pensée humaine dans le domaine épistémique et moral. C’est on ne peut plus vrai, mais ces réalisations sont toutes collectives et le résultat d’interactions sur plusieurs générations (sur l’importance des interactions sociales sur la créativité, créativité scientifique incluse, voir Csikszentmihalyi & Sawyer 1995; Dunbar 1997; John-Steiner 2000; Okada & Simon 1997). L’entreprise scientifique toute entière a toujours été structurée autour de groupes, de l’académie de Lincei au Grand Collisionneur de Hadrons (LHC). Dans le domaine moral, des réalisations telles que l’abolition de l’esclavage sont le résultat de débats publiques intenses. Nous avons fait remarquer que, dans des contextes sociaux, les biais de raisonnement peuvent devenir une force positive et contribuer à une sorte de division du travail cognitif. Néanmoins, pour exceller dans de tels groupes, il peut être nécessaire d’anticiper la façon dont ses propres arguments seront évalués par les autres et d’ajuster ces arguments de manière appropriée. Faire preuve d’une capacité à anticiper les objections des autres pourrait être une capacité acquise culturellement, comme au temps des disputationes moyenâgeuses (voir Novaes 2005). En anticipant les objections, on pourrait même être capable de reconnaître les failles dans ses propres hypothèses et les réviser dans la foulée. Nous avons suggéré que ce comportement dépendait d’une capacité acquise dans la douleur à exercer un contrôle toujours limité sur ses propres biais. Même parmi les scientifiques, cette capacité serait rare, mais ceux qui la possèdent pourrait avoir une influence énorme sur le développement des idées scientifiques. Ce serait une erreur, néanmoins, de traiter ces incroyables et presques effrayantes contributions comme des exemples paradigmatiques du raisonnement humain. Dans la plupart des discussions, plutôt que de chercher les failles dans nos propres arguments, il est plus aisé de laisser la personne en face les trouver et d’ajuster ensuite, si besoin, nos arguments.”

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Membre, Enigmologue, Posté(e)
contrexemple Membre 6 293 messages
Enigmologue,
Posté(e)

Le raisonnement est simplement le meilleur outil dont l'humanité dispose pour prendre des décisions consensuelles.

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Invité riad**
Invités, Posté(e)
Invité riad**
Invité riad** Invités 0 message
Posté(e)

Il se base sur la théorie de la pertinence qui stipule qu' "il y aurait à l'œuvre un principe d'économie dans le langage, visant à ne dire que ce qui est pertinent" , cette théorie distingue entre le sens naturel, lorsqu'un son à du sens par lui même et qui n'a pas besoin d'interprétation, et le sens non naturel sujet à une convention.

Sperber ajoute qu'un effort coopératif est nécessaire pour l'interprétation de la communication selon le contexte, l'intention du locuteur est donc retrouvé grâce l'inférence parmi plusieurs possibilités, et voici une vidéo dont il parle de ce truc :
 

 

 

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Membre, 51ans Posté(e)
épixès Membre 1 815 messages
Forumeur alchimiste ‚ 51ans‚
Posté(e)
Il y a 20 heures, contrexemple a dit :

Le raisonnement est simplement le meilleur outil dont l'humanité dispose pour prendre des décisions consensuelles.

Et c'est pour cela qu'il est important d'en comprendre les mécanismes et les limites.

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  • 3 semaines après...
Membre, 75ans Posté(e)
Pratika Membre 1 522 messages
Mentor‚ 75ans‚
Posté(e)

Je ne suis pas certaine d'avoir bien suivi le raisonnement...   :rtfm:

Quelle idée ai-je eue ? Pourquoi lire un tel pavé un soir du 31 ???  :help:

Jamais plus une telle curiosité... jusqu'à l'an prochain !!!!   ;)

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