Aller au contenu

Du pays de la culture


InstantEternité

Messages recommandés

Membre, 42ans Posté(e)
InstantEternité Membre 1 134 messages
Baby Forumeur‚ 42ans‚
Posté(e)

Mon essor m’avait emporté trop loin dans l’avenir ; un frisson d’horreur me saisit. Et ayant jeté les yeux autours de moi, voici, je vis que je n’avais plus d’autre compagnon que le temps. Je revins alors en arrière, vers mon pays, volant à tire-aile, me hâtant de plus en plus ; c’est ainsi que j’arrivai chez vous, hommes d’aujourd’hui, au pays de la culture.

Pour la première fois je vous accordais un regard et un préjugé favorable ; en vérité, c’est la nostalgie au cœur que m’amenait vers vous. Mais que m’est-il advenu ? J’avais beau avoir peur, je pouvais m’empêcher de rire. Jamais mes yeux n’avaient vu pareil bariolage. Je riais sans pouvoir m’arrêter, tandis que les jambes me manquaient et le cœur aussi. « C’est ici, en vérité, la patrie de tous les pots de couleur », pensai-je. Le visage et les membres enluminés de cinquante couleurs différentes, tel vous m’apparaissiez, à ma stupeur, hommes d’à présent.

Et entourée de cinquante miroirs qui flattaient vos chatoiements en les reflétant. En vérité, vous ne sauriez porter de meilleurs masques que vos propres visages, hommes d’à présent. Qui donc pourrait vous reconnaître ?

Tout gribouillés des hiéroglyphes du passé, ces signes eux-mêmes barbouillées de signes nouveaux, vous avez bien réussi à vous mettre à l’abri de tous les augures. Et fût-on celui qui sonde les cœurs et les reins, à qui feriez-vous croire que vous avez des reins ? Vous paraissez pétris de couleurs et de bouts de papier collés ensemble.

A travers vos voiles, nous voyons transparaître le bariolage de tous les temps et de tous les peuples ; toutes les coutumes et toutes les croyances s’expriment en tohu-bohu par vos gestes. Si l’on vous dépouillait de vos voiles, de vos draperies, de vos couleurs, de votre mimique, il vous resterait à peine de quoi épouvanter les oiseaux. En vérité, je suis moi-même cet oiseau épouvanté qui vous a vus nus et sans fard, et je me suis enfui en voyant votre squelette me faire des signes d’amitié.

Plutôt encore être tâcheron aux enfers auprès des Ombres du passé ! Les ombres des enfers sont plus grasses et plus pleines que vous. Ce qui est amer à mes entrailles, c’est que je ne vous supporte ni nus ni vêtus, hommes d’à présent. Toutes les menaces de l’avenir, et tout ce qui a jamais pu épouvanter des oiseaux égarés est encore plus rassurant et plus familier que votre « réalité ». Car votre prétention est de dire « Nous sommes entièrement attachés au réel, purs de toute croyance et de toute superstition. » Et de vous rengorger bien que vous n’ayez guère de gorge !

Comment pourriez-vous croire, en effet, sous vos bigarrures, vous qui n’êtes que les enluminures de tout ce qu’on jamais cru ? Vous êtes la réfutation ambulante de la foi, la dislocation de toutes les pensées ; indignes de croire, telle est l’épithète que je vous donne, ô réaliste. Tous les rêves et tout le verbiage des siècles argumentent l’un contre l’autre dans vos esprits, et les rêves et le verbiage des siècles étaient encore plus près du réel que toute votre lucidité. Vous êtes stériles, c’est pourquoi vous manquez de foi.

Mais tous ceux qui sont nés créateurs ont toujours eu des rêves prophétiques et su lire des présages dans les étoiles ; ils ont eu foi dans la foi. Vous êtes des portes entrebâillées, au seuil desquelles le fossoyeur est en attente. Et voici votre réalité : « Tout mérite de périr. »

Hélas ! Vous voilà devant moi, stériles, avec vos côtes décharnées ! Et plus d’un entre vous a même eu un soupçon de cette vérité. Et il s’est dit : « Un dieu a dû, tandis que je dormais, me dérober quelque chose. En vérité, juste de quoi se fabriquer une petite femme. C’est étrange comme je me sens dépourvu de côtes. Ainsi s’est exprimé déjà tel ou tel de ces hommes d’à présent.

Certes, vous me faites rire, hommes d’aujourd’hui. Et surtout quand vous êtes là à vous ébahir de vous-mêmes. Et malheur à moi si je ne pouvais rire de votre ébahissement, et s’il me fallait avaler la liqueur nauséabonde de vos coupes ! Mais vous ne me pèserez sans doute guère, à moi qui ai tant de choses lourdes à porter. Et que m’importe que scarabées et moucherons viennent s’ajouter à mon fardeau !

En vérité, il n’en pèsera pas plus lourd. Et ce n’est pas de vous, hommes d’à présent, que me viendra la grande lassitude. Hélas ! où pourrais-je encore monter dans ma nostalgie ? Du haut de tous les sommets je cherche du regard le pays de mes pères et de mes mères. Mais je n’ai trouvé de patrie nulle part, je ne suis jamais qu’un passant dans toutes les villes, et en partance de tous les seuils.

Ils me sont étrangers, ils me sont une dérision, ces hommes d’à présent vers qui mon cœur, naguère, m’appelait, et je suis banni de toutes les patries, des pays des pères et des mères. Je n’aimerai donc plus que le pays de mes enfants, l’île inconnue au cœur des mers lointaines, c’est sur elle que je mettrai le cap, sans me lasser.

Je réparerai dans la personne de mes enfants le fait d’avoir été l’enfant de mes pères ; et je dédommagerai tout l’avenir de ce présent.

Ainsi parlait Zarathoustra.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Membre, 152ans Posté(e)
Annalevine Membre 3 528 messages
Mentor‚ 152ans‚
Posté(e)
il y a 30 minutes, InstantEternité a dit :

Mon essor m’avait emporté trop loin dans l’avenir ; un frisson d’horreur me saisit. Et ayant jeté les yeux autours de moi, voici, je vis que je n’avais plus d’autre compagnon que le temps. Je revins alors en arrière, vers mon pays, volant à tire-aile, me hâtant de plus en plus ; c’est ainsi que j’arrivai chez vous, hommes d’aujourd’hui, au pays de la culture.

Pour la première fois je vous accordais un regard et un préjugé favorable ; en vérité, c’est la nostalgie au cœur que m’amenait vers vous. Mais que m’est-il advenu ? J’avais beau avoir peur, je pouvais m’empêcher de rire. Jamais mes yeux n’avaient vu pareil bariolage. Je riais sans pouvoir m’arrêter, tandis que les jambes me manquaient et le cœur aussi. « C’est ici, en vérité, la patrie de tous les pots de couleur », pensai-je. Le visage et les membres enluminés de cinquante couleurs différentes, tel vous m’apparaissiez, à ma stupeur, hommes d’à présent.

Et entourée de cinquante miroirs qui flattaient vos chatoiements en les reflétant. En vérité, vous ne sauriez porter de meilleurs masques que vos propres visages, hommes d’à présent. Qui donc pourrait vous reconnaître ?

Tout gribouillés des hiéroglyphes du passé, ces signes eux-mêmes barbouillées de signes nouveaux, vous avez bien réussi à vous mettre à l’abri de tous les augures. Et fût-on celui qui sonde les cœurs et les reins, à qui feriez-vous croire que vous avez des reins ? Vous paraissez pétris de couleurs et de bouts de papier collés ensemble.

A travers vos voiles, nous voyons transparaître le bariolage de tous les temps et de tous les peuples ; toutes les coutumes et toutes les croyances s’expriment en tohu-bohu par vos gestes. Si l’on vous dépouillait de vos voiles, de vos draperies, de vos couleurs, de votre mimique, il vous resterait à peine de quoi épouvanter les oiseaux. En vérité, je suis moi-même cet oiseau épouvanté qui vous a vus nus et sans fard, et je me suis enfui en voyant votre squelette me faire des signes d’amitié.

Plutôt encore être tâcheron aux enfers auprès des Ombres du passé ! Les ombres des enfers sont plus grasses et plus pleines que vous. Ce qui est amer à mes entrailles, c’est que je ne vous supporte ni nus ni vêtus, hommes d’à présent. Toutes les menaces de l’avenir, et tout ce qui a jamais pu épouvanter des oiseaux égarés est encore plus rassurant et plus familier que votre « réalité ». Car votre prétention est de dire « Nous sommes entièrement attachés au réel, purs de toute croyance et de toute superstition. » Et de vous rengorger bien que vous n’ayez guère de gorge !

Comment pourriez-vous croire, en effet, sous vos bigarrures, vous qui n’êtes que les enluminures de tout ce qu’on jamais cru ? Vous êtes la réfutation ambulante de la foi, la dislocation de toutes les pensées ; indignes de croire, telle est l’épithète que je vous donne, ô réaliste. Tous les rêves et tout le verbiage des siècles argumentent l’un contre l’autre dans vos esprits, et les rêves et le verbiage des siècles étaient encore plus près du réel que toute votre lucidité. Vous êtes stériles, c’est pourquoi vous manquez de foi.

Mais tous ceux qui sont nés créateurs ont toujours eu des rêves prophétiques et su lire des présages dans les étoiles ; ils ont eu foi dans la foi. Vous êtes des portes entrebâillées, au seuil desquelles le fossoyeur est en attente. Et voici votre réalité : « Tout mérite de périr. »

Hélas ! Vous voilà devant moi, stériles, avec vos côtes décharnées ! Et plus d’un entre vous a même eu un soupçon de cette vérité. Et il s’est dit : « Un dieu a dû, tandis que je dormais, me dérober quelque chose. En vérité, juste de quoi se fabriquer une petite femme. C’est étrange comme je me sens dépourvu de côtes. Ainsi s’est exprimé déjà tel ou tel de ces hommes d’à présent.

Certes, vous me faites rire, hommes d’aujourd’hui. Et surtout quand vous êtes là à vous ébahir de vous-mêmes. Et malheur à moi si je ne pouvais rire de votre ébahissement, et s’il me fallait avaler la liqueur nauséabonde de vos coupes ! Mais vous ne me pèserez sans doute guère, à moi qui ai tant de choses lourdes à porter. Et que m’importe que scarabées et moucherons viennent s’ajouter à mon fardeau !

En vérité, il n’en pèsera pas plus lourd. Et ce n’est pas de vous, hommes d’à présent, que me viendra la grande lassitude. Hélas ! où pourrais-je encore monter dans ma nostalgie ? Du haut de tous les sommets je cherche du regard le pays de mes pères et de mes mères. Mais je n’ai trouvé de patrie nulle part, je ne suis jamais qu’un passant dans toutes les villes, et en partance de tous les seuils.

Ils me sont étrangers, ils me sont une dérision, ces hommes d’à présent vers qui mon cœur, naguère, m’appelait, et je suis banni de toutes les patries, des pays des pères et des mères. Je n’aimerai donc plus que le pays de mes enfants, l’île inconnue au cœur des mers lointaines, c’est sur elle que je mettrai le cap, sans me lasser.

Je réparerai dans la personne de mes enfants le fait d’avoir été l’enfant de mes pères ; et je dédommagerai tout l’avenir de ce présent.

Ainsi parlait Zarathoustra.

Jouir de se déclarer et de sentir éclairé, de se sentir avantageusement différent, jouir de soi, utiliser son désir de vivre pour s’illuminer soi-même, bref ce brave philosophe n’apporte rien d’autre au monde que la possibilité de s’enivrer de soi en utilisant un miroir qui dévalorise les autres.

Activité narcissique, sans aucun intérêt. Sinon utiliser ce philosophe pour justifier son amour de soi même.  

Un philosophe pour les mecs et leur souci phallique.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 42ans Posté(e)
InstantEternité Membre 1 134 messages
Baby Forumeur‚ 42ans‚
Posté(e)
il y a 20 minutes, Annalevine a dit :

Jouir de se déclarer et de sentir éclairé, de se sentir avantageusement différent, jouir de soi, utiliser son désir de vivre pour s’illuminer soi-même, bref ce brave philosophe n’apporte rien d’autre au monde que la possibilité de s’enivrer de soi en utilisant un miroir qui dévalorise les autres.

Activité narcissique, sans aucun intérêt. Sinon utiliser ce philosophe pour justifier son amour de soi même.  

Un philosophe pour les mecs et leur souci phallique.

Ce pauvre Nietzsche, en plus d'avoir été accusé d'être antisémite il a été effectivement accusé de misogynie. Ce qui est une pure injustice, admirez plutôt la beauté de ses paroles et aussi :

"La femme parfaite est un type plus élevé de l'humanité que l'homme parfait ; c'est aussi quelque chose de plus rare". Nietzsche

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Talon 1, 78ans Posté(e)
Talon 1 Membre 22 880 messages
78ans‚ Talon 1,
Posté(e)
Il y a 1 heure, InstantEternité a dit :

Et ayant jeté les yeux autours de moi,

C'est dur la cécité ? La prochaine fois, contentez-vous de jeter un regard.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×