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La philosophie du christianisme et la démocratie


InstantEternité

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Bonjour, 

Nous sommes bien placés en France pour savoir ce que la passion démocratique peut avoir de destructeur, de narrateur et d'avilissant. Après la grande Révolution, tout est à reconstruire. Les libéraux sont à peu près seuls à savoir quoi faire de bon avec ce pays, bien qu'ils ne soient pas pris très au sérieux. Il faut lire les développements d'un Guizot sur la nécessité de faire émerger ce qu'il appelait "les capacités", les extraire de la fange démocratique (je reformule à ma façon), les former et leur donner les moyens de la responsabilité. Les représentants élus du peuple ont ce rôle. Ils ne sont pas mandatés : élus, ils sont appelés à délibérer. On suppose la resolution d'un problème politique, qui regarde le vivre ensemble, ne pouvant être atteinte avant la délibération (le mandat impératif suppose au contraire la solution connue d'avance) et d'autre part le représentant dispose de toute liberté pour choisir ce qui est le mieux, pour toute la nation et devant elle (et pas seulement ceux qui l'ont élu). Délibération, indépendance et responsabilité. Ainsi la République n'est pas en opposition avec l'existence en son sein même d'une elite et d'une culture aristocratique qui la fait tenir debout et qu'elle entretient. Il est un lieu commun dans la pensée actuelle de dire que tout bon régime est aristocratique par certains aspects, etc. D'autre part il y a toujours aussi la formation d'oligarchies, qui ne sont pas contradictoires avec la démocratie, mais vont avec main dans la main (le pouvoir étant "distribué"). Mais l'édifice est toujours fragilisé notamment parce qu'il repose sur ce magma démocratique qui est un fait de la nature comme une chaine de montagne, un continent ou un océan. Il ne s'agit pas de quelque chose qu'on peut révolutionner comme on change son mode de consommation. D'ailleurs vous même parliez d'un changement à long terme, cent ans ou cent cinquante mais à mon avis, c'est plus loin encore qu'il faut viser. Les considérations de Nietzsche n'étaient-elles pas inactuelles, après tout ? 

Mais alors enfin, sur ce magma démocratique (animé d'une morale chrétienne platonicisee) autre chose encore à lieu, dans les profondeurs. Ce que Ortega y Gasset décrit regardant l'Espagne et l'Europe des années 1920-30 dans "la révolte des masses". Il se produit cette inversion dans le rapport qu'entretiennent les masses et les élites. Une mutation où ce sont les masses qui prennent désormais le devant de la scène : plus d'acteurs, que le coeur. Toutes les couches sont atteintes et plient incidemment, même les plus distinguées, vers ce renversement. 

Le phénomène concordant au même moment c'est l'élévation générale et rapide du niveau de vie, soit aussi l'entrée dans l'ère technicienne. Où nous sommes, et pour longtemps. Longtemps, peut-être pas en temps mesuré, car on n'est pas à l'abris de catastrophes mais dans nos contradictions personnelles et sociales, qui reflètent toutes ces problématiques. Il n'y a guère d'echappatoire, parce qu'il n'y a aucune contradiction tenable (de et dans l'ordre du discours) devant la technique. C'est elle qui s'oppose désormais à la liberté de l'individu, au sens ou nous l'entendons, comme aucune morale n'a jamais pu s'opposer, et sur un mode entièrement nouveau. Elle comporte en elle les morales dont elle est issue (de façon générale partout où elle gagne tendent à se reformer ses conditions sociales, économiques, morales etc. d'émergence) et à travers elle, celles-ci trouvent, on pourrait dire, une nouvelle "matérialité" où elles deviennent plus contraignantes et obligatoires que jamais. Ce qui est incompatible est éliminé d'avance. Bref "démocratie et technique" atteint mieux le problème que vous visez (si j'interprète bien, si vous me pardonnez cette arrogance) que "philosophie du christianisme et démocratie". 

Quant au christianisme, personnellement, et pour situer rapidement d'où je parle, je reviens d'un athéisme dogmatique, non à être devenu religieux, mais plus simplement pour avoir pris conscience du caractère dogmatique, des lieux communs, de la tendance et du sens uniquement sociologique de certaines représentations, attitudes et discours. Dépasser cet athéisme dogmatique, passe par une redécouverte du christianisme dont il est issu et encore tout imprégné. Donc une ouverture à sa vérité ou disons à son esprit (plutôt que sa philosophie), et l'attention à ses effets historiques et sociaux d'autre part. Car je ne peux pas simplement les confondre.

Je ne sais pas m'expliquer comment ces hommes du moyen age dans la chrétienté ont pu être à ce point déterminés par l'institution religieuse, et finalement la question est sans doute absurde. Ils n'avaient pas les mots, les instruments, ils vivaient dans la peur, terrorisés d'un ciel trop embrasé, trop rouge ou du passage d'une comète, d'un songe ; ils vivaient dans la mort, le temps même n'était pas bien fixé, l'avant et l'après se confondaient souvent, les morts revenaient, la vérité était ce mystère absolu (cet au delà platonicien..) et pour eux, il ne pouvait être question que de jouer et de dire avec plus ou moins grande vraisemblance le jeu extérieur des apparences. Quant à la vérité, quant à l'exactitude, quant à la structuration du discours.. Tout ca est encore loin. Et le christianisme jouait ce rôle de contenir toute la vie, lui donnant son cadre, son rythme, son sens, etc. Comment le christianisme finalement en est venu à jouer ce rôle de forclore aussi toute échappée, dans le jeu du berger et son troupeau, je ne sais. Mais j'observe qu'il n'est pas non plus que ce que Nietzsche a pu en dire. Celui ci en fait une lecture personnelle, on ne saurait lui reprocher. Mais j'observe aussi que le christianisme à formé les esprits les plus grands, les plus vigoureux, les plus conséquents, finalement les plus grands philosophes qu'il m'ait été donné de lire ou côtoyer. Formé, de différentes manières. Certains en contre. Bref, et j'en reviens un peu plus au sujet. 

Cette société que vous jugez malade du christianisme et de l'égalitarisme (je suppose, dans la ligne de Nietzsche) n'est pas celle des philosophes. Et les philosophes sont appelés, il me semble, à la plus grande prudence dans leur prétention à la bouleverser ou à l'orienter, car elles sont avides de bouleversement. Voyez le destin non seulement du christianisme, mais de Marx, et de Nietzsche également : la trahison systématique.

Que faire de Nietzsche ? On peut discourir mais sans conséquences et pas ou très difficilement, pleins de prudence, sur la meilleure forme pour la société, sur son progrès possible, sur ce qui devrait être. Nietzsche ne pense pas (je crois, je me trompe peut être) la vie en ses termes politiques.

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Membre, 42ans Posté(e)
InstantEternité Membre 1 134 messages
Baby Forumeur‚ 42ans‚
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Bonjour,

Tout d’abord je voudrais vous dire que j’aime bien débattre par aphorismes (un peu comme notre ami Nietzsche !). Mais j’ai lu attentivement votre contribution ci-dessus.

En la lisant, il y a 3 choses qui me sont venues à l’esprit :

1. Je pense que vous comme moi, nous attaquons ici un thème d’envergure trop importante, incommensurable. Personne et je dis bien personne ne peut prétendre aujourd’hui juger le bilan du christianisme sur cette période de 2000 ans. Pour vous dire le fond de ma pensée, je me demande : Si l’Europe n’avait pas connu le christianisme, est-ce que la race humaine aurait encore existé aujourd’hui ou pas ? Inversement, est-ce que si l’Europe n’avait pas connu le christianisme est-ce que nous n’aurions pas inventé des technologies qui nous auraient permis de voyager dans notre galaxie à l’heure actuelle ? Le christianisme (en Europe) un fléau ou un salut ? Personne ne peut le dire.

2. Je comprends un peu mieux ce qui en fin de compte me gène dans la démocratie moderne et ce n’est pas tant le système politique mais c’est la culture chrétienne qui y est attachée et qui est omniprésente dans la société. Maintenant, s’agissant d’une culture je dirais que « les goûts et les couleurs ne se discutent pas » et que toutes les cultures se valent, je ne me permets pas de porter un jugement sur une culture. C’est ainsi.

3. Concernant Nietzsche, on est d’accord qu’il n’a jamais prétendu vouloir proposer un système politique donc quand il parle d’aristocratie ce n’est pas une espèce de féodalisme ou autre mais c’est le fait que d’après lui les hommes doivent respecter une certaines hiérarchie entre eux (ce que je n’aime pas trop non plus chez lui… mais bon ce n’est pas le sujet). 

Maintenant pour moi un système idéal serait un système « effacé ». Moins les citoyens sentent la présence d’un gouvernement mieux c’est et c’est seulement à partir de ce moment là qu’à mon avis on pourrait assister à l’avènement du surhumain et d’une société nouvelle. Je pense un peu au système des pays scandinave mais que là aussi bizarrement on est loin du compte en ce qui concerne l’apparition d’une société basée sur les idées de Nietzsche et je ne sais pas pourquoi. Peut être que j’ai simplement une illusion concernant ces pays là.

Mot de la fin : Un système politique effacé et des citoyens émancipés (attention je ne parle pas d’anarchie !).

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