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Le goût du paradoxe


Blaquière

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Blaquière Membre 18 865 messages
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Il y a 7 heures, Dompteur de mots a dit :

Évidemment, si l'on fonde son appréciation du paradoxe sur de mauvais exemples, il en ressortira qu'il ne s'agit que d'une figure rhétorique qui tourne à vide. Mais c'est évidemment la mauvaise manière de procéder. Il faut fonder son appréciation sur de bons exemples. Celui cité par Anna, ou encore celui de Zénon, qui a tant fait réfléchir les philosophes. Est-ce que l'on se fait une appréciation d'une espèce de fleurs en examinant les pousses rabougries ? D'un écrivain en lisant ses mauvais romans ? Bien sûr que non.

En un sens, toutes les réflexions philosophiques tournent autour de paradoxes. Le paradoxe est comme un froissement, un mauvais pli dans la toile langagière qui recouvre notre monde, une déchirure, une plaie par laquelle s’écoulent les mots et au milieu de laquelle le philosophe vient se placer, lui-même manieur de couteau, révélateur de cette fragile pellicule qui enchâsse ce que nous appelons notre monde, et à la fois petite plaquette sanguine chétive étirant ses tentacules, cherchant désespérément à trouver quelque prise qui lui permette d’endiguer la fuite. En révélant le paradoxe, le philosophe provoque une blessure qui a le pouvoir de revivifier.

(J'ai aussi tenté, en ce lieu, de situer le poète là-dedans.)

Je n'avais pas pensé à Zénon !

C'est presque le procès de la philosophie que vous fêtes, là... (Si elle est toujours paradoxe.) ! Mais si le philosophe révèle le paradoxe, c'est qu'il n'en est pas dupe? Il n'est pas là (je crois) pour les asséner mais pour les dénoncer. Nous dire que le paradoxe est un "faux plis" de l'esprit ?

La poésie me semble un bon argument en faveur du paradoxe. Il faudrait analyser (pour moi) plus à fond. Mon impression est qu'il peut s'agir de poudre aux yeux. Sauf si le paradoxe n'est qu'apparent ? "L'obscure clarté" est une clarté faible, pas une obscurité... Mais "cette faible clarté qui tombe..." ça ne "l'aurait pas fait" du tout ! C'est en disant trop, en comprimant que Corneille est poète, là. Son obscure clarté est une clarté dans l'obscurité. Une clarté, oui, mais insuffisante pour éliminer l'obscurité. (En partant du principe que l'oxymore est comme une cristallisation du paradoxe.)

Le paradoxe fait réfléchir, c'est certain. Si on refuse de le prendre d'emblée pour argent comptant (ce qu'il veut nous empêcher de faire en nous éblouissant !).

Mais que dit Zénon ? Que Achille ne dépassera pas la tortue ou que la flèche n'atteindra jamais son but... ça nous fait beaucoup réfléchir sur la découpe du temps. Mais est-ce la réalité ?

Je vois un peu le paradoxe comme une malice, une astuce pour nous faire croire que ce qui est (le réel) n'est pas... Et même que c'est le contraire de ce qui est, qui est. Son mérite certain est de choquer, de secouer, de réveiller. Reste à vérifier où il nous mène vraiment. Et ce qu'il va nous permettre de découvrir. Mais je peux me tromper.

Encore une fois il faudrait juger sur pièces, Aligner des listes de paradoxes (!) --qui nous touchent-- et les défricher cas par cas...

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Il y a 1 heure, Blaquière a dit :

Le paradoxe fait réfléchir, c'est certain. Si on refuse de le prendre d'emblée pour argent comptant (ce qu'il veut nous empêcher de faire en nous éblouissant !).

Mais que dit Zénon ? Que Achille ne dépassera pas la tortue ou que la flèche n'atteindra jamais son but... ça nous fait beaucoup réfléchir sur la découpe du temps. Mais est-ce la réalité ?

Je vois un peu le paradoxe comme une malice, une astuce pour nous faire croire que ce qui est (le réel) n'est pas... Et même que c'est le contraire de ce qui est, qui est. Son mérite certain est de choquer, de secouer, de réveiller. Reste à vérifier où il nous mène vraiment. Et ce qu'il va nous permettre de découvrir. Mais je peux me tromper.

Le meilleur exemple c'est le Koan du Zen.

Dans le but d'aider son disciple a atteindre l'illumination par l'éveil, le maitre lui donne une phrase éminemment paradoxale a méditer jusqu'a l'obsession, du genre: "quel bruit fait une main qui applaudit ?"

Le but est de dérouter l'intellect jusqu'a ce qu'il lache prise, seul moyen d'atteindre l'illumination spirituelle.

( laquelle consiste a voir que rien n'a de réalité en soi, tout est vacuité )

La voie inverse du pĥilosophe, en somme.

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 865 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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Il y a 5 heures, swam a dit :

Le meilleur exemple c'est le Koan du Zen.

Dans le but d'aider son disciple a atteindre l'illumination par l'éveil, le maitre lui donne une phrase éminemment paradoxale a méditer jusqu'a l'obsession, du genre: "quel bruit fait une main qui applaudit ?"

Le but est de dérouter l'intellect jusqu'a ce qu'il lache prise, seul moyen d'atteindre l'illumination spirituelle.

( laquelle consiste a voir que rien n'a de réalité en soi, tout est vacuité )

La voie inverse du pĥilosophe, en somme.

Mais cette fois c'est le procès de l'illumination :

Dans ce cas, Diogène, lui,  aurait simplement applaudi...

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 865 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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Je vous relis, @Dompteur de mots !

"La blessure qui a le pouvoir de revivifier"... En voilà un beau paradoxe ! (J'en ai mis du temps à m'en rendre compte !) Mais c'est la "saignée" ! Qui peut être efficace mais aussi fatale. Elle est abandonnée depuis longtemps par la médecine qui ne peut se satisfaire de symboles ou de faux semblants sous peine d'être  sanctionnée par le réel. La philosophie oui ? Qui pour se développer par le langage (et comme en surface du réel) en serait dispensée (du réel) ?

La philosophie se réclame pourtant du fond des choses. Ou du fond de leur apparence ? Paradoxe !

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Invité Vintage
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Invité Vintage
Invité Vintage Invités 0 message
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Il y a 10 heures, Blaquière a dit :

Je vous relis, @Dompteur de mots !

"La blessure qui a le pouvoir de revivifier"... En voilà un beau paradoxe ! (J'en ai mis du temps à m'en rendre compte !) Mais c'est la "saignée" ! Qui peut être efficace mais aussi fatale. Elle est abandonnée depuis longtemps par la médecine qui ne peut se satisfaire de symboles ou de faux semblants sous peine d'être  sanctionnée par le réel. La philosophie oui ? Qui pour se développer par le langage (et comme en surface du réel) en serait dispensée (du réel) ?

La philosophie se réclame pourtant du fond des choses. Ou du fond de leur apparence ? Paradoxe !

Regarder dans le fond des apparences, c'est tomber les masques. A quoi bon ?

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Dompteur de mots Membre 1 841 messages
Forumeur activiste‚
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Il y a 18 heures, Blaquière a dit :

Mais si le philosophe révèle le paradoxe, c'est qu'il n'en est pas dupe? Il n'est pas là (je crois) pour les asséner mais pour les dénoncer. Nous dire que le paradoxe est un "faux plis" de l'esprit ?

Bien vu.

Le paradoxe est le mamelon qui fait saillie sous le col roulé du langage. Voilà que soudainement, ce vieux chandail que nous ne remarquions même plus demande à être retiré, afin que nous puissions redécouvrir le corps qu'il recouvre.

Celui qui assène les figures oxymoriques sans en faire une occasion réelle de réflexion est semblable à l'être qui bourre son chandail de mouchoirs afin de se donner des allures aguichantes.

Il y a 18 heures, Blaquière a dit :

"L'obscure clarté" est une clarté faible, pas une obscurité...

C'est une figure qui pourrait par exemple fonctionner dans le contexte où il s'agirait d'ironiser sur les prétendues vertus éclairantes d'une quelconque doctrine. "L'obscure clarté de la doctrine kantienne." Est-ce que ça constitue un paradoxe philosophique ? Pas vraiment.

Il y a 18 heures, Blaquière a dit :

Mais que dit Zénon ? Que Achille ne dépassera pas la tortue ou que la flèche n'atteindra jamais son but... ça nous fait beaucoup réfléchir sur la découpe du temps. Mais est-ce la réalité ?

C'est la réalité du langage ! Tous les paradoxes mettent au fond ceci en relief: à savoir que ce que nous disons n'épuise jamais le réel. En un certain sens - certes tordu, ce que dit Zénon est exact. Seulement, ça ne colle pas à la réalité. Ça a permis par exemple à Bergson de créer le concept du mouvant, du temps comme mouvance.

Il y a 18 heures, Blaquière a dit :

Je vois un peu le paradoxe comme une malice, une astuce pour nous faire croire que ce qui est (le réel) n'est pas... Et même que c'est le contraire de ce qui est, qui est. Son mérite certain est de choquer, de secouer, de réveiller. Reste à vérifier où il nous mène vraiment. Et ce qu'il va nous permettre de découvrir. Mais je peux me tromper.

Et tu n'as pas tort ! C'est une astuce dans la mesure où l'esprit se révulse lorsqu'il tombe sur un paradoxe, il ne peut l'accepter. Par conséquent, il doit chercher une issue. Or, la meilleure manière de chercher, c'est de continuer à lire où à écouter.

Maintenant, je me demande si tout ce débat ne tient pas finalement dans le fait que nous donnons une connotation négative aux idées d'astuce ou de rhétorique. L'astuce peut être bonne, la rhétorique aussi. Tout discours philosophique vise à saisir l'esprit. Par conséquent, un contenu rhétorique est profondément intriqué au cœur de tout discours philosophique. Mieux encore: il en est tout bonnement inséparable. Même le discours le plus rêche, le plus gris, le plus rationaliste fait de sa grisaille un procédé rhétorique: celui par lequel il prétend justement être au-dessus des procédés rhétoriques et, corollairement, que tout son contenu découle d'une froide et impartiale - sinon divine - dialectique. Même les concepts, ces bestioles en apparence si inoffensives, ont un contenu rhétorique. Les concepts prêchent pour leur paroisse. Le concept de Volonté de Schopenhauer prêche pour la paroisse schopenhauerienne. On peut le considérer comme un expédient sur la route du renoncement. On peut le dire, mais est-ce toute la vérité ? Ce concept n'est-il que ça ?

Mais nous tiquons seulement sur la mauvaise rhétorique, la grossière, celle qui détonne, celle qui distrait. Par conséquent, nous la jugeons mauvaise. Comme le mélomane qui, par exemple aux prises avec un enregistrement d'un concerto de Bach y allant fort sur les frioritures romanticisantes, juge ce concerto mauvais.

C'est le paradoxe (!) de Platon: occupé à condamner la rhétorique des sophistes, il déploie avec ses dialogues théâtraux l'un des concepts rhétoriques les plus puissants de la philosophie.

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 865 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
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@Dompteur de mots on est d'accord !

Comme pour les chasseurs, il y a la bonne et la mauvaise rhétorique ! Qui finalement se jauge plus en fonction du but à atteindre que sur sa qualité intrinsèque... Mais comment définir autrement qu'intuitivement que tel chenin/but poursuivi -par tel autre- serait "le bon" ?

(Notre intuition c'est tout notre bagage antérieur qui la constitue, et souvent dans un brouillard.)

Le mauvais exemple rhétorique (d'un pt de vue formel) à mon sens serait "l'écriture trop fleurie" On trouve ça aussi dans les romans. Elle peut être un indice de superficialité ou de fausse profondeur (?) On est ici encore sur un fil de rasoir. (Jusque "là", ça va et c'est même bien, au delà, ça devient insupportable !)  Mais on se force un peu notre "insupportabilité, notre irritabilité !)

Tu as bien fait de la comparer à l'écriture rigoureuse ou "blanche" qui exerce aussi sa fascination.

Et la poésie est une manière de rhétorique. Il y a des mauvaises poésies... Le choix semble là plus facile, plus évident.

 

Oui pour les fioritures sur Bach ! Mais il y a pire, c'est un tempo élastique ! (Romantique aussi !) Parce qu'il est encore plus difficile d'y échapper...

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