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Aspects de la littérature

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satinvelours

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Blanchot reprend une question de Mallarmé en 1890 « Sait-on ce que c’est qu’écrire ? Une ancienne et très vague mais jalouse pratique dont gît le sens au mystère du cœur. Qui l’accomplit intégralement se retranche ». Cette conception mallarméenne du poète ou de l’écrivain comme retranché, exilé du monde, délibérément retranché, exilé du monde explique que Blanchot s’est rarement laissé prendre en photo. 

Sa mort a été annoncée de façon absolument confidentielle par rapport bien sûr à l’ampleur de sa pensée. Ce retranchement va de pair avec l’idée que développe Blanchot que toute écriture requiert une « relation anticipée avec la mort ».

 Le thème de l’extinction, qui n’est pas seulement une extinction singulière, est aussi une pensée qui est d’abord traversée par la philosophie allemande, la phénoménologie et par l’holocauste. Cette pensée sur l’extinction, la relation anticipée avec la mort aboutit à ces notions d’impersonnalité ou de neutralité.

Chez Blanchot il y a l’idée que la personne est neutre c’est-à-dire anonyme, impersonnelle et substituable. Il y a une réflexion d’ordre esthétique et une réflexion d’ordre éthique. La personne est neutre, le sujet est neutre et impersonnel. Il y a dans cette idée l’hypothèse que la relation anticipée à la mort nous destitue à l’avance de toute singularité.

Nous devenons le lien vide ou s’annonce l’affirmation impersonnelle. Évacuation du sujet, évacuation de la personne. Il faut admettre cet anonymat, cette impersonnalité, cette neutralité qui sont des manières de rentrer en relation d’une façon anticipée avec la mort.

 Il y a un prolongement éthique dans la mesure où Blanchot a pratiqué, a fréquenté l’œuvre de Heidegger. Il y a l’idée que puisque toute personne est anonyme, neutre et impersonnelle, toute personne est aussi substituable, c’est-à-dire que la responsabilité de chacun n’est pas avérée puisque chacun est personne. Il y a une réflexion de nature éthique importante. Sur cette question qui est directement reliée à la responsabilité face à l’Histoire s’engage un dialogue avec Emmanuel Levinas dont la pensée dominera les années 80.

 La pensée de Blanchot domine les années 60 et la pensée de Levinas qui réinscrit la responsabilité, l’impossibilité de se substituer à qui que ce soit, caractérisera les années 80. L’importance de la réflexion éthique dans les années 80 sous les auspices de Levinas ou de Paul Ricoeur est déterminante.

Mais dans les années 60/70 c’est Blanchot  qui tient le discours le plus audible ou le plus entendu avec ses idées d´impersonnalité. La conséquence sur le plan de l’écriture du roman est que l’auteur disparaît, le sujet etant neutre, impersonnel et anonyme, cela favorise l’hypothèse du structuralisme, hypothèse selon laquelle un texte n’est jamais qu’un système de faits linguistiques sans auteur.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 L’hypothèse selon laquelle le sujet est neutre et impersonnel favorise la disparition du personnage et l’obsession de la mort, et l’idee que toute nomination est une mise à mort favorise l’asphyxie, voire le coma, de la matière romanesque qui est fondée en général sur l’hypothèse que la vie est possible.

Il y a de la part de Blanchot une sorte d’étouffement du roman, c’est la raison pour laquelle il  appelle récits ses propres textes. Il y a aussi l’idée que dans l’acte littéraire ce qui compte c’est le jaillissement de la parole et la profération. C’est une conception de la littérature plus proche de la poésie que du roman.

 On ne peut pas dissocier dans ces années là, qui sont des années de grande théorisation, la critique toute puissante pour comprendre une forme d’asphyxie du roman. Il a fallu beaucoup de force et beaucoup d’énergie de la part d’écrivains, comme Le Clézio qui écrit au début des années 60, dont l’œuvre est très évolutive, pour s’affranchir de ces interdits, de ces anathèmes, et retrouver le souffle du roman.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Jean Echenoz est un écrivain des éditions de minuit. Il a subi cette « interdiction d’écrire du roman », c’est-à-dire la terreur du structuralisme de la pensée de Foucault, Derrida, Deleuze, ceux qui régissaient la scène intellectuelle, tout en étant nourri par le désir d’écrire du roman. 

 Echenoz, lorsqu’il parle de son œuvre, fin des années 70, la pose en terme de problème stratégique. Comment réussir à la fin des années 70 à écrire du roman alors que le roman est complètement interdit ? Comment réussir à récupérer une autorité, une légitimité et surtout un plaisir du romanesque lorsque la plus grande suspicion pèsent sur le roman ?

C’est un écrivain qui a réveillé le roman en étant parfaitement conscient du travail que cela représentait et de la façon dont il devait imposer ou réimposer quelque chose.

 Son premier roman est « Le Méridien de Greenwhich » en 78 et le dernier dernier s’appelle « Envoyée spéciale » en 2016. 

 Le Méridien de Greenwich répond à la question : comment retrouver l’autorisation pour écrire du roman, comment reconquérir le droit d’écrire une histoire, c’est-à-dire le plaisir du récit et non pas du texte ? Étant donné le contexte il choisit une contrainte, donc de récupérer quelque chose du programme oulipien pour pouvoir retrouver le territoire du roman.

 La contrainte du Méridien de Greenwich est que d’un chapitre à l’autre on observe un changement de situation. C’est la contrainte d’écriture initiale, et l’objectif que doit subir le narrateur est que, à terme, cela constitue un roman. L’éclatement, la fragmentation, l’atomisation du nouveau roman sont là. On change de situation à chaque chapitre donc on a bien une écriture éclatée, fragmentaire. 

 Echenoz  dit qu’il « a osé franchir le pas grâce à Le Clézio ». Le Clézio a réussi à partir d’un premier roman en 63, « Le Procès-verbal », qui est encore très marqué par le nouveau roman, à se déplacer et à reconquérir le territoire du roman, du roman d’aventure, du roman de quête y compris le roman de quête spirituelle, qui est aux antipode de l’oulipo et du nouveau roman.

Dans les années où le roman est étouffé par la théorie kafkaïenne ce qui se développe pour satisfaire l’envie de roman c’est la bande dessinée et le roman policier, c’est-à-dire la paralittérature qui n’a pas la noblesse de la littérature. Et à la fin des années 70 l’enjeu est que le roman puisse se réécrire en récupérant ce qui a fait la fortune du policier et de la bande dessinée, c’est-à-dire du romanesque à travers un jeu de contraintes ou de constructions.

Echenoz renvoie à l’exemple de Le Clézio, et aux paralittératures qui avaient bénéficié d’une liberté, la liberté des marginaux dont personne ne s’occupait.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Dans l’œuvre d’Echenoz il y a un phénomène que l’on peut mettre en rapport avec Les choses de Pérec et certain Robbe-Grillet qui correspond à une écriture de notre contemporain : c’est l’importance des objets. Il y a beaucoup d’objets dans les romans d’Echenoz, une sorte d’excès d’objets.

Ce qui l’intéresse en particulier ce sont les objets manufacturés qui envahissent notre univers, et les lieux de la « surmodernité » ( Marc Augé) c’est-à-dire les lieux inhabitables du genre les aires d’autoroute, les supermarchés, les aéroports où l’humain n’a pas sa place, où il n’est pas prévu que l’humain trouve sa place.

 Le Clézio interroge ces lieux ou ces objets là en essayant de figurer le contemporain dans son roman. Dans les romans d’Echenoz il y a très peu de place pour la psychologie.

La critique a tenté, autour des écrivains actuels de minuit, de créer une nouvelle école ou un nouveau mouvement. On a parlé à propos de gens comme Echenoz, Jean-Philippe Toussaint, d’écriture minimaliste ou d’écriture impassible, une écriture où serait absente toute émotion ou réduite au strict nécessaire.

 Echenoz ne se reconnaît pas dans ce minimalisme parce que son univers lui semble être habité de façon excessive par des objets. Ce qui caractérise le minimalisme d’Echenoz viendrait du fait qu’il ne cherche aucun effet rhétorique, son écriture est très économique, très elliptique. C’est dans ce sens une écriture minimaliste que l’on pourrait aussi dire classique.

Ce qui est caractéristique c’est un jeu avec les modèles romanesques intérieurs. Pour revendiquer une ouverture de l’imaginaire, ou pouvoir déployer une ouverture de l’imaginaire, il dit ce qu’il a cherché à faire dans certains de ses romans. 

Dans« L’équipée malaise » la question qui se pose est comment écrire un roman d’aventure à la fin du XXe siècle, « Ah non » comment décrire un roman réaliste, un roman d’éducation à la fin du XXe siècle. Ce qui est typiquement classique dans la façon de poser le problème est qu’il reconnaît que son écriture est une réécriture à partir de modèles auxquels il rend hommage.

Il s’agit de poser la question sur l’actualité possible à la fin du XXe siècle du roman d’aventure ou du roman réaliste. C’est classique au sens ou d’une certaine façon il prend un topo du roman, roman d’aventure, roman policier, ou roman sociologique et il l’actualise.

C’est une variation contemporaine sur la possibilité du roman réaliste ou la possibilité du roman d’aventure. Il n’y a pas beaucoup d’imagination singulière. Il dit lui-même qu’il travaille à partir d’enregistrements, d’éléments dans la vie qui lui paraissent avoir une pertinence romanesque.

 L’idée qui est intéressante par rapport à Blanchot de l’extinction du sujet, du neutre, c’est que l’auteur revient entre le lecteur et le texte et il compte aussi sur le « romanesque intérieur de son lecteur ». Il y a un retour à l’imaginaire.

Par rapport à Echenoz la critique s’est engagée sur la voie du minimalisme impassible et a du mal à se détourner de ce malentendu. Comparé à d’autres auteurs de nouvelles fictions, on parle de nouvel imaginaire. C’est mots là ne signifient pas que les fictions sont nécessairement inouïes, mais que l’écriture de fiction est redevenue possible, et dans le cas d’Echenoz à partir de modèles reconnus qui ne sont pas tournés en dérision.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Ce que la critique appelle minimalisme est perceptible dans « L’occupation des sols ». L’occupation des sols raconte le deuil, donc le retour du sujet, de l’émotion, du refoulé, d’un jeune homme qui ne garde d’image de sa mère que sous la forme d’une image publicitaire qui recouvre la façade de l’immeuble où elle vante un dentifrice ou un savon. 

 L’effigie de la mère est détruite au moment où un bulldozer rase l’immeuble. Cette mort n’a jamais été mise en mots et le deuil n’a jamais été fini ni par le mari ni par le fils. C’est au moment de l’occupation des sols, au moment où on abat l’immeuble et avec l’immeuble le mur sur lequel figure l’image ultime de la mère, qu’a lieu le deuil du fils. 

 On peut parler d’impassibilité car il n’y a aucun pathos, aucune émotion. Les choses sont dites en termes de choses, d’éléments matériels. Néanmoins c’est un texte sur le deuil et sur le retour de cette figure maternelle, et d’une douleur, et d’une perte qui n’ont jamais été dites et qui n’ont jamais été accomplies. C’est plus riche que simplement minimaliste ou impassible.

Echenoz est un romancier assez symptomatique de la fin du millénaire. Il y a aussi dans ses romans l’importance de la question du temps. On peut dire qu’il y a un retour au roman, retour à l’imaginaire, retour au romanesque, à l’histoire, mais ce qui est déboussolé dans ses romans  c’est le temps.

Les personnages ont une relation au temps totalement flottante, leur présent est infini. Les personnages ressemblent assez aux personnages du nouveau roman.

 Par exemple dans « Je m’en vais » les personnages sont en état de désinsertion virtuelle. Ils déambulent beaucoup, ils ne sont pas animés par l’énergie ni par l’ambition. Ils sont bien des personnages postérieurs au nouveau roman, ils n’ont pas de rapport au temps. D’ailleurs dans L’occupation des sols on voit bien que le rapport au temps n’a pas été effectué, ainsi que le rapport à la mort, sauf au moment où c’est dans l’espace que se lit le rapport au temps, au moment où le mur est abattu dans l’espace, où il y a une disparition spatiale de la figure de la mère. À ce moment-là le temps fait retour et le sentiment de la perte aussi. 

Cette primauté de l’espace sur le terrain c’est ce qui caractérise le roman de la fin du XXe siècle. Il y a un travail sur le simultanéisme tel qu’il apparaît dans le roman d’Olivier Rolin « L’invention du monde ». Le passé n’est pas refusé, il n’est pas aboli, on n’en fait pas table rase, mais il est diluée. Et on ne peut pas se projeter vers l’avenir parce que le monde n’offre pas suffisamment de repères pour que l’on se projette vers lui.  Ce qui reste c’est une sorte de dispersion dans l’espace et une sorte de vertige de la vision planétaire.

Quand Echenoz écrit L’équipée malaise ou Le Méridien de Greenwich, les titres indiquent bien l’importance de l’espace et de la vision planétaire. L’espace a remplacé le temps, et avec cette substitution et l’importance accordée à l’espace, la question se pose de la place du personnage et donc de la place du sujet.

La multiplication des moyens de communication et en particulier d’Internet, c’est-à-dire d’une communication virtuelle n’importe où dans le monde et à n’importe quel moment, transforme la relation au temps et à l’espace. Les romans de l’extrême contemporain, ceux qui paraissent depuis 1990, à leur manière, rendent compte de cette forme, à la fois mise à la disposition du monde entier, et du sujet, par rapport à la situation dans ce monde entier prétendument à sa disposition.

La question du statut du sujet est très différent chez un écrivain comme Echenoz qui se situe dans la mouvance de Robbe-Grillet et du nouveau roman, et dans l’admiration pour Pérec, et le statut de sujet chez d’autres écrivains qui suivent.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Je reviens sur L’occupation des sols qui, pour moi, est un petit bijou. C’est un texte extrêmement bref, c’est plutôt une nouvelle.

C’est la destruction d’un immeuble, en particulier d’un mur sur lequel était représenté à destination publicitaire l’effigie d’une jeune femme vantant un flacon de parfum. On comprend que cette jeune femme est morte et la destruction du mur correspond à la définitive mise à mort de cette jeune femme puisque toute image d’elle disparaît à jamais pour ceux qui restent, le veuf et le fils.

L’écriture d’Echenoz est une écriture que la critique appelait minimaliste et que l’on pouvait en tout cas appeler économiste et elliptique. Il parle en terme d’objet et non pas de sujet. Au depart du texte on ne sait pas de quoi il sera question.

Ce qui est intéressant dans le début de la nouvelle c’est que dans l’énumération « Comme tout avait brûlé – la mère, les meubles et les photographies de la mère –... »  aucune distinction ne soit effectuée entre les choses et la mère elle-même. Le deuil est aussi dit après les cendres.

Le sujet, l’affectivité et l’émotion sont escamotés au profit de l’incendie et de la nécessité matérielle, de la difficulté matérielle de reconstituer quelque chose qui pourrait s’apparenter à un foyer, ou en tout cas un logement où l’on puisse convertir les pièces au gré des besoins : acheter un canapé convertible et permuter le salon en chambre.

Cet univers de la permutation, de la combinaison où ce sont les choses et la fonctionnalité des choses qui prennent le pas sur les affects, sur les émotions, est tout à fait caractéristique du roman echenozien.

De ce point de vue là il s’inscrit dans l’héritage du nouveau roman.

Le sujet, l’émotion et l’affectivité se vengent au fur et à mesure que la nouvelle avance et à mesure que le mur est détruit. La destruction de la chose permet de ressusciter le souvenir d’une souffrance et permet au fils d’opérer une sorte de catharsis par rapport à ce deuil.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Le nom de Louis-René des Forêts est un nom assez peu connu, plus obscur que celui de Blanchot. Il est associé d’une part à la fin des années 40 et à l’année 97 pour ce qui concerne l’écriture narrative. Par ailleurs il a publié des nouvelles et des poèmes. Il y a dans les années 40 deux textes de Louis-René des Forêts qui imposent un ton et seront très marquants pour le nouveau roman : «  les Mendiants » en 43 et « Le Bavard » en 46.

Le bavard est un discours à la première personne, une sorte de logorrhée verbale adressée aux lecteurs et des Forêts en profite pour poser aux lecteurs la question de ce qu’est le plaisir de lire, en quoi consiste le plaisir de lire. Ce qui l’intéresse avec beaucoup de malice dans ce texte là, c’est la question de l’articulation entre la vérité et la fiction. Ce roman a eu une influence considérable pour les jeux de construction ou de déconstruction de Robbe-Grillet.

Le bavard est un personnage qui ne peut pas s’empêcher de parler et se laisser séduire par le vertige de ses propres paroles et le plaisir de séduire l’autre. Des Forêts manipule, à  travers le « je » qui parle, le paradoxe du menteur.

Un mensonge est dit mais on ne sait à quel moment ni quel est le référent de ce mensonge. La réflexion porte sur le rapport entre la fiction et la narration, entre le vrai et le faux. Le bavard déploie devant le lecteur une série de postures qui sont aussi bien des impostures. On ne sait jamais quel est le degré de véridicité, c’est l’enjeu du texte, de ce bavardage.

Ce que dit des Forêts c’est que la lecture est à la fois une certaine forme de voyeurisme pour l’auteur et pour le lecteur. Dans ce jeu de bavardage, ce jeu logorrhéique, on retrouve un plaisir de l’oralité, un jeu de chat et de la souris engagé avec le lecteur qui n’est pas étranger au jeu que Beckett engage avec son propre lecteur dans ses récits. Le bavard est un peu antérieur aux romans de Beckett écrits directement en français.

 C’est un texte sur la jouissance de la parole et sur la jouissance de la séduction de la parole, c’est-à-dire de la capacité de retenir l’attention, de susciter l’intérêt, la curiosité. C’est aussi un texte sur la frustration qu’est la lecture, c’est-à-dire l’impossibilité de satisfaire le désir du lecteur, toujours déçu.

Il y a aussi une certaine désinvolture, une certaine irrévérence à l’égard des lecteurs qui rappellent le ton XVIIIe siècle. Ce texte est beaucoup plus un récit qu’un roman puisque le contenu de la fable est complètement évacué. Le bavard ne raconte rien il nous entraîne dans sa jubilation à lui et la séduction de sa propre parole. Cela annonce l’évacuation de la fable que portera à son comble le nouveau roman.

 Le personnage n’est plus que le locuteur d’un discours donc l’énonciateur d’une parole. Il n’a plus d’autre existence que celle d’être ce bavard. C’est un texte important sur l’echiquier littéraire au mi-temps du siècle. 

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Le texte de 1997 « Ostinato » est un volume qui reprend des écrits qui ont été publiés de façon dispersée et propose des textes jamais édités. L’ensemble de la composition est assez hétérogène. Il y a des textes prévus pour des revues, des inédits qui forment des ensembles, des sous-section à l’intérieur d’Ostinato.

L’ensemble du volume lorsqu’il est paru a suscité beaucoup d’intérêt, en particulier dans la mouvance de la pensée de Blanchot. Sur le plan formel ce qui caractérise ce volume c’est la forme très fragmentaire. C’est une écriture de moraliste très aphoristique. Cette écriture est caractérisée aussi par le fait qu’il y a très peu de verbes. C’est la difficulté à trouver la langue qui a traversé le sujet depuis sa mémoire jusqu’au texte. Ces souvenirs se déclinent en deux temps.

Premier temps : ce sont les souvenirs de l’enfant que fut des Forêts mais qui sont mis à distance par un procédé de fictionnalisation. Aucun usage n’est fait de la première personne, l’enfant est désigné par « il », troisième personne.

Toute la réflexion qui accompagne cet accouchement de souvenirs d’enfant est une réflexion sur la mémoire et sur le caractère trompeur de la mémoire. La mémoire ne peut compter que sur la langue pour ressusciter quelque chose de ce qui fut. « Non pas cela fut, cela est qui ne demandait qu’un peu de temps et l’abandon au courant de la langue pour refaire surface ».

 La langue est assortie d’une capacité maïeutique de faire remonter le passé, et en particulier l’enfance, à la surface et en même temps cette mémoire est lacunaire. La langue est en quête d’un foyer qui est le sujet et la mémoire du sujet dont elle a la charge. Elle ne produira que des traces qui n’ont à répondre en aucune façon à la question de la vérité ou du mensonge. Il n’y a aucune prétention à dire quelque chose qui soit vérifiable et attestable. Cela c’est pour ce qui concerne l’enfant que fut Louis René des Forêts.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Il y a un deuxième temps de l’œuvre qui est le versant le plus pathétique c’est le pan qui concerne non pas l’enfant qu’il fut mais l’enfant qu’il a perdu, c’est-à-dire son deuil pour un enfant. 

La question de la langue est accordée à celle de la possibilité de dire une pareille souffrance. « Ce visage prodigieusement lointain, toujours visible et vigilant, sans cesse questionné et qui semble à chaque question renvoyer la juste réponse. Étrange va-et-vient qui fait de chacun le porte-parole d’un mort passionnément aimé. » 

 Au-delà du texte de commémoration et de deuil il y a une sorte de présentation du phrasé, de cette parole la plus juste possible comme ascèse et comme discipline à la fois pour essayer de dire avec le plus possible de justesse cette souffrance et en même temps donner la mesure de cette souffrance par l’indicibilité qui la caractérise.

 Il parle du passé infatigable à propos de cette mort et de ce deuil. La puissance de la langue à figurer un passé mort et son impuissance à coïncider avec une souffrance aussi ravageuse que ce deuil qui est au cœur du texte, et la tentation du silence ne cessent d’entrer en compétition avec la tentation du bavardage.

Cette pulsion à dire, à parler et à continuer à écrire, à livrer des textes qui étaient restés inédits pour des raisons d’intimité, et d’autre part la tentation du silence et la rétention que les mots ne répondent plus à l’appel de la langue donc la tentation de la discrétion est en permanente rivalité  avec celle de la parole.

Ce volume est construit sur cette tension douloureuse. Ce qui caractérise certaines sections d’Ostinato c’est qu’après avoir dit dans Le bavard qu’il ne s’agissait pas de dire la vérité ni de vanter les mérites de l’invention, de la fiction.

 À la fin d’Ostinato toute la crise de la pensée, à propos de Beckett, l’emprise du scepticisme qui ne permet à quiconque de dire quoi que ce soit sans remettre en question ce qui peut être pensé ou écrit, cette crise de la pensée finit par mettre en péril le doute lui-même. Le doute s’autoabolit.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Dans l’ultime section d’Ostinato il y a une réflexion de des Forêts sur l’importance du dépassement du doute et en particulier l’importance du retour à l’invention, à l’imagination, à la fable comme résolution des apories auxquelles nous condamne le doute.

On trouve des termes tout à fait familiers à Beckett, la confusion qu’est la vie, le chaos, l’impossibilité de trouver un point d’appui, cela pourrait définir une esthétique beckettienne. Pour sortir de cette impasse il y a une déviation possible qui est de retourner vers la fiction, l’imaginaire et la puissance fabulatrice de l’imaginaire.

 L’invention devient une source possible de vérité. On est sorti de l’impasse où la vérité s’oppose au mensonge. L’invention serait du côté de la fable, de la fiction, ce que l’on ne peut pas prendre au sérieux, ni accréditer, alors que dans le texte de des Forêts cela se vérifie dans une philosophie qui est celle de Sylvie Germain : l’invention devient puissance de vérité et l’imagination devient puissance de vérité.

 Dans les années 80 ce qui est symptomatique en France c’est une relégitimation de l’irrationalité et donc l’invention fait partie de ce programme de l’irrationalité, une relégitimation de l’intuition, de l’expérience religieuse et, intellectuellement, l’invention, la fiction deviennent porteuses de vérité.

Au lieu d’être les puissances trompeuses de Pascal, l’invention, la vision, la transmutation deviennent source de vérité. C’est un revirement spectaculaire. On est sorti du cadre du rationalisme qui est arrivé au bout de sa logique, au bout de sa vie.

Ce qui caractérise la fin du XXe siècle c’est cette nouvelle respiration qui, issue d’autres choses que du discour logique, de la question de la vérité et du mensonge, du jeu de construction et déconstruction néoromanesque ou oulipien,  a à voir avec la spiritualité. Dans les années 80 s’observe du point de vue philosophique comme politique cette relégitimation du phénomène religieux ou spirituel. 

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Le roman de soi

Bergounioux–Michon–Ernaux.

Ces romans se caractérisent par un retour du sujet, de l’affectivité et de l’émotion qui avaient été sacrifiés dans les années 70.

 Les années 80/90 représentent un retour du sujet mais gardent des traces des années 60/70. Le sujet qui prend la parole à la première personne ou le sujet dont on parle dans une littérature à la troisième personne, n’est pas le sujet triomphant, maître et possesseur de soi-même, sûr de ce qu’il avance, de ce qu’il sait, de ce qu’il fait, que l’on pouvait connaître dans le roman du XIXe siècle. 

Le discrédit et la crise, d’abord épistémologique puis littéraire, a laissé des traces. Le sujet revient sur la scène du roman mais sous une facette légèrement différente. Là où l’ère du soupçon avait censuré et interdit toute certitude dans la représentation, toute affirmation de soi, toute croyance dans une cohérence narrative, biographique, dans les années 80/90 il y a un retour timide à la représentation, à la subjectivité et au récit de vie.  Le récit de vie étant la bête noire de l’avant-garde antérieure.

 Le soupçon n’est plus assimilé à l’impossibilité de savoir, comme on l’avait vu chez Beckett ou Claude Simon, ou d’assurer quoi que ce soit, le soupçon se convertit en élan de l’imaginaire. Puisque l’on ne sait pas, on peut tout imaginer. Et au lieu d’aboutir à la forme stérilisation d’imaginaire, le soupçon aboutit à un envol d’hypothèses, de spéculations, de rêveries, d’évocations.

Ce qui caractérise la littérature des années 80/90 c’est une sorte de nouvel apprentissage de l’imaginaire, de nouvel envol de l’imaginaire donc une réconciliation du roman avec l’évocation, la suggestion, la rêverie. 

Cela ne se présente pas du tout comme le récit poétique. Ce sont des récits proposés, imaginés et présentés au lecteur comme des hypothèses narratives. Ce qui est conservé dans le mouvement de dépassement de la crise c’est l’approximation, la spéculation et le mouvement toujours conjecturel de la pensée : on suppose que … 

 L’évocation s’apparente à une sorte d’approche de l’autre, ou d’invention de l’autre. Sont conservés dans ces romans de soi, ou de soi par soi-même dans le cadre de la biographie ou de biographie d’autrui, sont conservés ces mouvements de la pensée, mouvements de l’hypothèse, mouvements de la spéculation, mouvements de l’imagination présentés comme tels par le narrateur, proposés comme tels au lecteur. Le lecteur doit partager l’ignorance et le soupçon.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Il y a un auteur précurseur du roman des années 80, mais tout à fait anachronique au moment où il écrit : c’est Patrick Modiano. Au moment où il écrit il a l’outrecuidance de faire ce qu’il est interdit de faire.

Patrick Modiano est né en 45, écrit en 68 au moment où d’autres ont envie de faire table rase du passé et d’oublier qu’ils ont des pères. Lui commence son œuvre en entreprenant une longue recherche spéculative sur l’image de son père. Il est totalement en contretemps par rapport au mouvement des années 70.

Modiano est un précurseur de ce qui sera confirmé dans les années 80/90 d’une problématique prédominante qui est la problématique de la filiation et de l’héritage. Dans sa vie l’image de son père est une image fuyante, très énigmatique qui peut donner corps à un personnage romanesque.

 L’entreprise de Modiano est de tenter de saisir la figure de son père et au-delà de la figure de son père, de saisir le climat « vénéneux » de la France sous l’occupation. A la fin des années 60 il se retourne vers le passé non seulement un passé individuel et subjectif, sa propre adolescence au moment où son père a disparu de sa vie, mais aussi le passé de la France, en particulier l’occupation. 

Le père de Modiano est juif, lié à des activités clandestines pendant la guerre, ayant connu une sorte de succès commercial un peu douteux au moment de la libération. Tout cela est sondé par Patrick Modiano qui est hanté non seulement par la question d’identité mais aussi par le thème du faussaire et la question de l’authenticité.

L’œuvre de Modiano dès 68 avec « La place de l’Étoile » présente un cas tout à fait singulier  et donc tout à fait prophétique de questions qu’il va falloir remettre au devant de la scène et qui font réapparaître celles du sujet, et de l’histoire du sujet entre autres, dans la problématique de la filiation et celles de l’histoire nationale. 

 Ce qui demeure non anachronique c’est l’extrême équivocité de ses romans. Il insiste toujours sur la perplexité du narrateur, sur l’équivocité de ce qu’il traverse. Les déambulations dans Paris, la traversée des espaces parisiens sont toujours associées à l’image d’une quête, à l’effort pour saisir un sens, une vérité. C’est marqué par une certaine modernité et ce sont les sujets de l’image du père, ou la question sur la France pendant l’occupation qui sont en contretemps par rapport à la fin des années 60. 

 On peut considérer aussi que Modiano est intéressant parce qu’il présente une forme d’autobiographie fictive. Il travaille à la frange ou au seuil d’un imaginaire romanesque et d’une matière personnelle. Cette mixité entre l’imaginaire romanesque et la matière personnelle est caractéristique de beaucoup de textes de Modiano plus récents que les œuvres des années 70.

Les romans de Modiano sont marquées par la nécessité de sauver de l’oubli.

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  • 2 semaines après...
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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Le nouveau roman, et tout le paysage mental autour du nouveau roman, est marqué par l’obsession de ne pouvoir savoir, de ne pouvoir se rappeler, de ne pouvoir être sûr de ce que l’on se souvient.

Au contraire l’effort pour sauver de l’oubli, l’effort pour maintenir une mémoire, c’est-à-dire pour s’inscrire dans une filiation et dans une tradition, essayer de trouver des repères qui avaient été déboutés, cet effort caractérise la fin du XXe siècle.

Donc un élan d’imaginaire puisqu’il s’agit de proposer des hypothèses pour saisir, tenter de saisir des figures fuyantes, celle du père, tenter de saisir une atmosphère vénéneuse, celle de l’occupation, ne pas réduire le caractère énigmatique et complexe de la réalité dont on parle, assumer la perplexité et en tout cas sauver de l’oubli.

 Revient aussi la question de la responsabilité du sujet par rapport à l’histoire. 

Si l’on admet que l’œuvre de Modiano dans les années 70 s’apparente à une autobiographie fictive : ll’autofiction, d’autres récits de vie sont des imaginations biographiques.

 Le terme de biographie est réservé à un récit qui prétend répondre de lui devant l’histoire, d’un point de vue scientifique, alors que l’on voit paraître dans les années 80 et 90 un certain nombre de textes : « Vie de… » qui se présente comme des biographies mais des biographies de personnages imaginaires, des personnages humbles.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Pierre Michon est un romancier qui s’est lancé dans une entreprise consistant à tenter de restituer des vies, mais de personnages qui ne sont pas nécessairement des figures importantes ou  célèbres pour l’histoire de l’Humanité.

En 84 Michon publie un ensemble de nouvelles « Vies minuscules » toutes consacrées à un personnage où  revient le nom et le prénom, tout ce qui depuis Kafka avait été aboli. Le nom et le prénom reviennent, c’est-à-dire une identité romanesque. Le personnage n’a aucune prétention à être un héros ou un personnage historique par rapport à la mémoire nationale.

C’est un personnage obscur. Il n’est plus anonyme, ni impersonnel, c’est une différence fondamentale, il est quelqu’un mais quelqu’un d’obscur, dont la vie ne ressemble pas à un destin exemplaire aux yeux de l’Histoire.

« Vies minuscules » : le titre dit clairement pour Michon qu’il s’agit de s’intéresser aux humbles. Évidemment il n’y a aucune condescendance dans cet adjectif, il n’y a aucun jugement de valeur ni axiologique, mais au contraire il s’agit de restituer ce qu’il peut y avoir de romanesque dans une vie minuscule. Ce qu’il peut y avoir d’élan, de grandeur, de rêve, d’énergie dans une vie minuscule.

 Chez Modiano on peut très vite détecter la partie personnelle dans son œuvre,  Michon, lui, utilise le détour de l’autre pour parler de sa propre nostalgie, de ses propres désirs, de ses propres rêves eux-mêmes inaboutis.

Dans « Vie de Joseph Roulin » en 88, c’est le facteur qui livre à Van Gogh son courrier, Michon entreprend de raconter non pas la vie de Van Gogh, mais la vie du facteur, c’est-à-dire qu’il s’intéresse au personnages humble et minuscule qui entoure un génie, même si Van Gogh de son vivant n’a pas été reconnu.

Ce qui intéresse Michon c’est le regard du facteur sur Van Gogh, la façon dont un personnage humble, Joseph Roulin, peut voir un artiste, un peintre à qui il livre son courrier.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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La subjectivité qui est mise au premier plan n’est pas celle de Van Gogh mais celle du facteur.

En 90 Michon publie « Rimbaud le fils » un des textes les plus connus. L’écriture du texte est révélateur de l’élan de l’imaginaire qui est associé au soupçon. Non plus une paralysie de l’imagination – on ne sait pas, il est impossible de savoir donc on n’invente plus rien – mais puisqu’il est impossible de savoir on peut tout imaginer, ce qui est tout à fait différent. 

« Rimbaud le fils » est consacré à une figure majeure et tutélaire mais à travers les relations de filiation entre le fils et la mère. Le premier personnage du texte n’est pas Arthur, mais Vitalie Rimbaud la mère. C’est une invitation à entrer dans l’évocation de Rimbaud, mais l’enfant fils de Vitalie. C’est une technique qui s’apparente à la technique de la biographie, du roman historique et à une technique romanesque.

 Il s’agit d’une biographie imaginaire d’Arthur Rimbaud  pétrie par le couple parental tel qu’il est évoqué sous la plume de Michon, et la biographie assume absolument la part de fable – « on dit que… il paraît que… » –  de spéculation, d’hypothèse. 

Cette imagination est présentée comme collective dans la mémoire et la culture nationales. Arthur Rimbaud a une existence pour une collectivité qui est « on » et toute cette spéculation nous appartient collectivement. Les biographies d’imaginaire : Vies minuscules, Rimbaud le fils ou Vie de Joseph Roulin sont marquées par le retour de l’intérêt porté au sujet et au dialogue avec le sujet.

Ce qui se lit aussi dans cette littérature c’est la nostalgie de l’autre tel que je puisse le rêver et l’imaginer.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 La collection « L’un et l’autre » chez Gallimard joue un rôle majeur dans le développement et le déploiement dans ce type de textes. « L’un et l’autre » indique très clairement qu’il s’agit d’accueillir des textes qui sont un dialogue entre un sujet qui imagine et un autre sujet qui est imaginé. Cette collection est dirigée par Jean-Bertrand Pontalis, un psychanalyste.

Autant la psychanalyse a détrôné le sujet, c’est-à-dire aboli l’idée que le sujet était tout-puissant et pourrait se connaître soi-même, donc a  pu à ce titre contribuer à la destruction du personnage dans le roman, autant l’idée que le sujet est nécessairement une fiction préside à cette collection. 

« Lun et l’autre » a favorisé l’élan imaginaire vers l’autre qui correspond en fait à écrire un roman sur soi, ou sur ses propres désirs ou sur ses propres rêves, par le détour de l’autre.  Puisque le sujet ne se connaît que sur le mode de la fiction qui est l’hypothèse de la psychanalyse, la biographie imaginaire s’est trouvée déployée et amplifié par cette hypothèse. C’est une caractéristique de la fin du XXe siècle en France .

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Gérard Macé a écrit en 91 « Vies intérieures », une biographie imaginaire sur Champollion « Le dernier des Égyptiens » en 88, puis des biographies imaginaires sur les grands explorateurs. 

En 95 il publie « L’autre hémisphère du temps » où il raconte en les imaginant les vies  et les explorations de Vasco de Gama de Christophe Colomb de Magellan. Ce qui est important c’est l’intérêt pour un personnage qui a une dimension un peu fabuleuse, dans ce cas précis, et l’investissement par l’imaginaire d’un autre.

 D’autres biographies, tels les ouvrages de Françoise Chandernagor, ne sont pas présentées comme des biographies imaginaires. On n’y trouve pas cette part de supputation, de spéculation, d’évocation sur le mode de la rêverie proposée en partage au lecteur.

 Dans les biographies imaginaires l’objectif n’est pas de faire croire à quelque vérité que ce soit. C’est le fantasme de Rimbaud ou le fantasme de Vasco de Gama qui est intéressant, c’est-à-dire un rapport très vivant à la mémoire et à la culture. 

 Et ce qui intéresse ces auteurs, c’est la façon dont notre imaginaire peut être imprégné, travaillé de l’intérieur par ces histoires. Loin du roman historique, car il ne s’agit pas de vérité véritable, loin de la biographie historique, c’est plutôt proche du récit poétique au sens où il s’agit d’évocations, de suggestions et de fables. 

Dans tous les cas du point de vue du ton ce qui est symptomatique c’est l’implication du narrateur, c’est-à-dire la résonance de l’un à l’autre et la projection de soi dans la figure de l’autre.Il n’y a pas seulement les choses, il y a les deux sujets, celui dont on parle et celui qui parle, en l’occurrence l’écrivain.

On peut considérer que « Les mémoires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar,  très antérieur 1951, peuvent se présenter comme prophétiques par rapport à ce mouvement-là. Parce qu’il s’agit bien d’imaginer pour Marguerite Yourcenar la vie subjective et intérieure d’Hadrien, donc d’une sorte de dialogue entre la Modernité et l’Antiquité.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Un autre nom illustre ce dialogue c’est celui de Pascal Quignard. C’est une œuvre très évolutive de plus en plus tournée vers l’essai.

Il a publié en 84 un journal imaginaire « Les tablettes de buis d’Aponenia Avitia ». C’est le nom d’une patricienne romaine du Ve siècle qui écrivait son journal sur des tablettes de buis. Quiniard imagine ce que cette patricienne romaine pouvait déposer sur ses tablettes de buis.

Comme dans toute écriture de journal il y a des catégories et des rubriques et des tons très différents. Aponenia évoque aussi bien ce qu’elle doit acheter, qui elle doit inviter, quelles sont les amis qu’elle a fréquentés que les circonstances politiques et en occurrence la multiplication  des conversions plus ou moins forcées des païens au christianisme et l’évocation de la violence du christianisme à Rome au Ve siècle.

 Tout cela forme une sorte de rêverie sur ce que pouvait bien-être la vie intérieure d’une patricienne romaine au cinquième siècle ressuscitée par Quignard. Au-delà des différences de style il y a un intérêt pour le passé et pour des figures du passé même si ce ne sont pas des figures héroïques. C’est tout à fait singulier par rapport aux années 70. C’est ce qui correspond au passage de la modernité à la postmodernité

Quignard est typique de ce point de vue parce qu’il n’a cessé de s’intéresser à la Renaissance, à l’Antiquité. 

 Ce mouvement là, le cas Modiano mis à part, est assez inconcevable dans les années 70. À côté de ces biographies imaginaires il y a aussi un déploiement de l’autobiographie qui correspond à une revanche par rapport un moment où le sujet était en mauvaise posture.

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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@satinvelours

 

Citation

Au-delà des différences de style il y a un intérêt pour le passé et pour des figures du passé même si ce ne sont pas des figures héroïques. C’est tout à fait singulier par rapport aux années 70. C’est ce qui correspond au passage de la modernité à la postmodernité

Je crois que tu as touché quelque chose d'extemement fondamental pour notre époque et pour définir le "postmodernisme" que je voyais jusqu'à présent un peu comme un concept de blablabla... Je ne dirai pas que j'y ai pris ma part (personne ne sait sur quoi j'ai pu travailer), mais c'est tout-à-fait mon état d'esprit. J'ai passé des années à déchiffrer des archives pour m'intéresser à la vie des gens ordinaires. Que ce soit de l'antiquité (les potiers de Millau) ou surtout "nos" paysans du XVème ou du XVIème...

Chuis post moderne !

Et ma posture

N'est plus en berne :

Je la susurre

A qui de droit !

 

Ça ne concerne

pas ma coiffure

Mais je discerne

Dans mes souillures

Que je suis roi !

 

Bon, je vais pas passer la matinée à faire de mauvais vers !... mais cette idée m'a plu...

 

 

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