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Vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o'clock


Ai ton nu dieu

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Membre, 51ans Posté(e)
Ai ton nu dieu Membre 158 messages
Baby Forumeur‚ 51ans‚
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lettre de Léo Ferré à André Breton

Votre voix me frappa au visage comme une très ancienne chanson, une voix d’outre-terre dont je n’ai pas fini de dénombrer les sourdes résonances, un peu comme votre écriture lente, superbe, glacée. Avant de vous entendre on vous écoute, avant de vous comprendre on vous lit. Vous avez la science des signes, du clin d’œil, de la pause. Vous parti, il ne reste qu’une inflexion, qu’un froissement d’idée, qu’une sorte de vague tristesse enfin qui s’éteint avec les derniers frottis de vaisselle. Et l’on en redemande ! C’est assez dire le charme que vous distillez, un peu comme les jetons de casino, cette fausse monnaie, qui détruisent la vraie valeur pour ne laisser qu’une pauvre hâte à recommencer toujours et à perdre sans cesse. À vrai dire vous êtes un Phénix de café concert, une volupté d’après boire, un rogaton de poésie. Vous êtes un poète à la mode auvergnate : vous prenez tout et ne donnez rien, à part cet hermétisme puritain qui fait votre situation et votre dépit.

 

Vous avez amené chez moi toute une clique d’encensoirs qui en connaissaient long sur le pelotage. Ce n’étaient plus de l’encens, mais un précis frotti-frotta comme au bal, dans les tangos particulièrement, quand ça sent bougrement l’hommasse et qu’il y passerait plus qu’une paille. Vos amis sont nauséabonds, cher ami, et je me demande si votre lucidité l’emporte sur les lumières tamisées ou les revues à tirage limité. Tous ces minables qui vous récitent avec la glotte extasiée, ne comprenez-vous pas peut-être leurs problèmes et leurs désirs : ils vous exploitent et c’est vous en définitive qui passez à la caisse car l’ombre que vous portez sur leurs cahiers d’écoliers c’est tout de même la vôtre. Ils ont Votre style, Vos manières, Vos tics, Votre talent peut-être, qui sait ? Je suis venu quelquefois vous chercher à votre café « littéraire » et ne puis vous exprimer ici la honte que j’en ressentais pour vous. On eût dit d’un grand oiseau boiteux égaré parmi les loufiats, chacun payant son bock, et attendant la fin du monde. Quelle blague, cher ami, Vous qui m’aviez émerveillé, je ne sais comment, et qui vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o’clock.

que signifie vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o'clock, dans cet extrait.

qu'est ce que Léo Ferré veut sous entendre par vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o'clock.

merci pour votre aide

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Membre, Posté(e)
tison2feu Membre 3 106 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)
Il y a 12 heures, Ai ton nu dieu a dit :

lettre de Léo Ferré à André Breton

Votre voix me frappa au visage comme une très ancienne chanson, une voix d’outre-terre dont je n’ai pas fini de dénombrer les sourdes résonances, un peu comme votre écriture lente, superbe, glacée. Avant de vous entendre on vous écoute, avant de vous comprendre on vous lit. Vous avez la science des signes, du clin d’œil, de la pause. Vous parti, il ne reste qu’une inflexion, qu’un froissement d’idée, qu’une sorte de vague tristesse enfin qui s’éteint avec les derniers frottis de vaisselle. Et l’on en redemande ! C’est assez dire le charme que vous distillez, un peu comme les jetons de casino, cette fausse monnaie, qui détruisent la vraie valeur pour ne laisser qu’une pauvre hâte à recommencer toujours et à perdre sans cesse. À vrai dire vous êtes un Phénix de café concert, une volupté d’après boire, un rogaton de poésie. Vous êtes un poète à la mode auvergnate : vous prenez tout et ne donnez rien, à part cet hermétisme puritain qui fait votre situation et votre dépit.

 

Vous avez amené chez moi toute une clique d’encensoirs qui en connaissaient long sur le pelotage. Ce n’étaient plus de l’encens, mais un précis frotti-frotta comme au bal, dans les tangos particulièrement, quand ça sent bougrement l’hommasse et qu’il y passerait plus qu’une paille. Vos amis sont nauséabonds, cher ami, et je me demande si votre lucidité l’emporte sur les lumières tamisées ou les revues à tirage limité. Tous ces minables qui vous récitent avec la glotte extasiée, ne comprenez-vous pas peut-être leurs problèmes et leurs désirs : ils vous exploitent et c’est vous en définitive qui passez à la caisse car l’ombre que vous portez sur leurs cahiers d’écoliers c’est tout de même la vôtre. Ils ont Votre style, Vos manières, Vos tics, Votre talent peut-être, qui sait ? Je suis venu quelquefois vous chercher à votre café « littéraire » et ne puis vous exprimer ici la honte que j’en ressentais pour vous. On eût dit d’un grand oiseau boiteux égaré parmi les loufiats, chacun payant son bock, et attendant la fin du monde. Quelle blague, cher ami, Vous qui m’aviez émerveillé, je ne sais comment, et qui vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o’clock.

que signifie vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o'clock, dans cet extrait.

qu'est ce que Léo Ferré veut sous entendre par vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o'clock.

merci pour votre aide

Malaxer = ramollir, pétrir. "Se malaxer" = ici, c'est l'idée de "se confectionner", "se concocter une mixture" (d'éphémérides).

"éphéméride" = étymologiquement, "récit d'évènements quotidiens". Breton se confectionne un récit quotidien d'évènements qui se produisent chaque jour à 5 heures de l'après-midi ("five o'clock").

"à cette sueur du" = durement, laborieusement. La sueur est symbole de travail, d'effort. Le ton est ironique (cf. "la bonne blague !"). Breton n'a aucun effort à fournir chaque après-midi;  il laisse ses amis devenir les acteurs misérables de sa propre vie.

Cette phrase assassine est la reprise d'une phrase précédente : " c’est vous en définitive qui passez à la caisse car l’ombre que vous portez sur leurs cahiers d’écoliers c’est tout de même la vôtre".

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tison2feu Membre 3 106 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)

Un petit supplément d'info, trouvé en parcourant le web, concernant le mot "éphéméride". A partir de 1955, Breton s'était lancé dans la rédaction d'"éphémérides", à savoir de fiches manuscrites à l'encre, notant les principales parutions et rééditions d'ouvrages de philosophes, poètes surréalistes, tracts, mouvements, revues, etc.

http://www.andrebreton.fr/work/56600100658240?back_rql=Any X%2CAA%2CAB WHERE E eid 100971%2C E item X%2C X modification_date AA%2C X title AB&back_url=http%3A%2F%2Fwww.andrebreton.fr%2Fperson%2F12662%3Fvid%3Dprimary

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