Vauban, l'inventeur de la France moderne

 Vauban a emprunté maintes fois les mêmes routes, voyageant sans cesse comme on l’a vu plus tôt. Personne mieux que Vauban avec sa capacité d’observation et d’analyse n’a su à ce point rapporter ce qu’était la France profonde du XVIIe siècle. Vauban est très inquiet de la paupérisation des français. Il n’est pas le seul, d’autres grands esprits du royaume s’en inquiètent également et interpellent le roi via des pamphlets, Fénélon par exemple : « La France entière n’est plus qu’un grand hôpital désolé et sans provision. » D’autres écrivent : « Aujourd’hui mille canaux sont ouverts par lesquels on tire le sang du peuple et des sujets pour le faire couler dans l’abîme de la cupidité insatiable et de l’ambition démesurée du prince. » Même les prières catholiques sont pastichées : « Notre père, qui êtes à Versailles, / Votre nom n’est plus glorifié, / Votre royaume n’est plus si grand, / Votre volonté n’est plus faite sur la terre ni sur l’onde. / Donnez nous notre pain qui manque de tous côtes, /Pardonnez à nos ennemis qui nous ont battus et non à vos généraux qui les ont laissés faire. »

Ambiance...

Je croyais qu'un pirate et un corsaire était à peu de chose près , la même chose .  On apprend toujours quelque chose . 

( désolé pour le h.s , mais j'étais complètement accro au magazine Pif , et son fameux gadget , ça sortait le mardi il me semble . )

Vauban sait que le problème dépasse celui de la misère du petit peuple. En vérité (et ça va vous parler malheureusement), à cette époque, on voit s’appauvrir ce qu’on appelle aujourd’hui les classes moyennes et supérieures. Seules la haute bourgeoisie et la noblesse sont à peu près épargnées. L’ensemble de la France est dans la précarité…

Vauban non seulement le constate cruellement en voyageant, mais il est aussi le témoin des gabegies royales. C’est même pire que ça puisqu’il est contraint d’y participer ! Rappelons le projet de l’aqueduc de Maintenon : il s’agissait d’approvisionner toutes les fontaines du parc de Versailles simultanément. En effet à l’époque quand le roi se balade dans le jardin, toute une équipe de fontainiers le précède et ouvre les vannes de chaque fontaine pour les refermer dès que le roi s’éloigne.

Plantons le décor :

Colbert meurt. Louvois est nommé surintendant des Bâtiments du Roi. Evidemment, il veut plaire et surtout signer une réalisation marquante. Alors il a l’idée de détourner l’Eure. Il demande à Vauban de rappliquer ventre à terre : c’est lui qui va s’occuper de ce chantier pharaonique, l’aqueduc de Maintenon.

il y a 10 minutes, pako a dit :

Je croyais qu'un pirate et un corsaire était à peu de chose près , la même chose .  On apprend toujours quelque chose . 

( désolé pour le h.s , mais j'étais complètement accro au magazine Pif , et son fameux gadget , ça sortait le mardi il me semble . )

 

Idem pour le pirate et le corsaire et pas pour Pif Magazine, je tenais à le préciser hein 

il y a 11 minutes, pako a dit :

Je croyais qu'un pirate et un corsaire était à peu de chose près , la même chose

C’est la même chose, excepté que l’un écume les mers pour son compte, l’autre écume

les mers pour le roi en prestataire libre et indépendant, c’est en fait un mercenaire...

Merci pour ce voyage dans le temps January.

il y a 28 minutes, January a dit :

 Vauban a emprunté maintes fois les mêmes routes, voyageant sans cesse comme on l’a vu plus tôt. Personne mieux que Vauban avec sa capacité d’observation et d’analyse n’a su à ce point rapporter ce qu’était la France profonde du XVIIe siècle. Vauban est très inquiet de la paupérisation des français. Il n’est pas le seul, d’autres grands esprits du royaume s’en inquiètent également et interpellent le roi via des pamphlets, Fénélon par exemple : « La France entière n’est plus qu’un grand hôpital désolé et sans provision. » D’autres écrivent : « Aujourd’hui mille canaux sont ouverts par lesquels on tire le sang du peuple et des sujets pour le faire couler dans l’abîme de la cupidité insatiable et de l’ambition démesurée du prince. » Même les prières catholiques sont pastichées : « Notre père, qui êtes à Versailles, / Votre nom n’est plus glorifié, / Votre royaume n’est plus si grand, / Votre volonté n’est plus faite sur la terre ni sur l’onde. / Donnez nous notre pain qui manque de tous côtes, /Pardonnez à nos ennemis qui nous ont battus et non à vos généraux qui les ont laissés faire. »

Ambiance...

C'est pour ça que je suis pas un fana du fameux "siècle de Louis XIV", même si bien sûr, sur le plan culturel, c'est sans doute l'une des plus grandes périodes de l'histoire de la France. C'est aussi, à bien des égards, le début de la France moderne, et de la toute puissance de l'État. Mais Louis XIV laisse le pays dans la misère. Vauban assiste à tout ça, aux premières loges, et devine que ça ne restera pas sans conséquences. Il comprend la contradiction qui est en train de naître, entre un État de plus en plus puissant et de plus en plus efficace, et des privilégiés qui gaspillent l'argent public dans des dépenses somptuaires - dont Versailles fait partie, mais le château de Versailles a été construit pour dompter la noblesse et s'assurer qu'elle demeure inoffensive. Avec le décollage économique qui commence à s'opérer, une bourgeoisie apparaît, qui va gagner en puissance au cours du XVIIIe siècle, sans posséder toutefois aucun pouvoir. C'est là que les conditions de la Révolution seront réunies.

il y a 5 minutes, Summer a dit :

Idem pour le pirate et le corsaire et pas pour Pif Magazine, je tenais à le préciser hein 

 

ha, moi je savais , passionnée que je suis des histoires de la mer, et Pif  !  Nan mais Pif! quoi !!!  ( et gadget, en plus !)..oui, le mardi ...

Je ne sais pas si aujourd'hui chacun a vraiment pris conscience de l'ampleur du pillage du trésor par Louis XIV. Mais justement, c'est pourquoi il faut absolument raconter ce que furent ces travaux de l'aqueduc de Maintenon. On va quand même creuser un canal qui atteindra une longueur de 83 km, 14 m de largeur et 2,50 m de profondeur, une pente de 17 cm chaque kilomètre. Tout ça pour des fontaines décoratives ? Oui...

Franchir la vallée des Larris ? Pas de problème, Vauban opte pour une canalisation souterraine en maçonnerie ou métal, qui formera un siphon, ce qui selon le principe des vases communicants permettra à l’eau de franchir la vallée au moindre coût. Même chose pour la vallée de l’Eure, où l’on relèvera ce fait cocasse : l’eau détournée de l’Eure va passer au dessus…de l’Eure !

Après ça on entre carrément dans l’irrationnel. Il s’agissait de faire passer l’eau au bout du parc, face au château, dans l’axe des jardins. On se rappelle un peu de Louis XIV ? Le faste l’emporte sur des considérations techniques dont il ne veut pas entendre parler : il veut que les eaux de l’Eure arrivent à Versailles « par le chemin des airs, grâce à un ouvrage qui dépasserait les réalisations des romains ».

Vous voyez le pont du Gard ? Trois rangées d’arches ? Et ben c’est ça !

Alors là, Vauban, économe du trésor public, se dit « non mais là faut arrêter ! ». Il argumente sévèrement, rien d’y fait. Mais les budgets sont déjà explosés, les travaux s’allongent sans cesse. Heureusement, du coup on opte pour une solution mixte : siphon et aqueduc sont abaissés.

En 1688, c’est la guerre de la ligue d’Augsbourg : gros ralentissement du chantier, prélude de l’abandon du projet ?

il y a 4 minutes, Petit pois a dit :

ha, moi je savais , passionnée que je suis des histoires de la mer, et Pif  !  Nan mais Pif! quoi !!!  ( et gadget, en plus !)..oui, le mardi ...

Désolé mais j'avais d'autres lectures que Pif, je lisais Le Journal de Mickey... oui madame et c'est là que j'ai entendu parler d'Archimède, de Ptolémée

Fin du H.S

il y a 1 minute, Summer a dit :

 

Abandon du projet donc ?

Que nenni ! Vous pouvez aller voir aujourd’hui à Maintenon, vous conviendrez que l’ouvrage réalisé forme un joli tableau, symbole magnifique de l’inutile… D’après le projet original, l’aqueduc à trois étages d’arches aurait du courir sur 18 km et au passage de la vallée de l’Eure, avoisiner les 70 m de hauteur !

Des ponts, des tunnels, la régularisation du cours de l’Eure et de ses affluents au moyen d’écluses et d’un canal. Deux canaux parallèles où naviguaient une centaine d’embarcations, et oui ! Comment amener tous les matériaux de construction ? Vauban se fit architecte naval et dessina les plans d’un chaland ! La main d’œuvre ? Juste une dizaine de milliers de civils travaillant pour des entrepreneurs originaires de toute la France et vingt et un mille soldats (sur une armée qui en comptait cent quarante deux mille !).

Ces travaux ont commencé en 1684 et ont été définitivement arrêtés en 1694. La dépense est hallucinante, surtout pour une pure perte : 10 % du coût des travaux réalisés à Versailles en vingt six ans !

Oh, il y a les morts aussi. Plus d’un millier, atteint de fièvres contractées dans ces zones marécageuses.

Par ici pour quelques photos de Maintenon : http://www.jeanlouisaubert9.com/galerie/maintenon.php

il y a 11 minutes, January a dit :

Par ici pour quelques photos de Maintenon : http://www.jeanlouisaubert9.com/galerie/maintenon.php

Ha oui ! Impressionnant ! ...j'ignorais totalement ! 

il y a 32 minutes, Gouderien a dit :

C'est pour ça que je suis pas un fana du fameux "siècle de Louis XIV"

Que les guerres incessantes génèrent systématiquement la misère des populations, c’est une constante observable à toutes les époques.

Mais qui veut la paix, prépare la guerre et conjointement qui veut la paix, prépare la paix.

Le génie de Vauban, c’est d’avoir pensé global, c’est à dire en constructeur, en ingénieur,en militaire, en économiste, en stratège de grands travaux, donnant ainsi du travail à des millions de paysans en dehors des périodes de moissons.

Par analogie, quelques siècles plus tôt, le clergé avec la construction des abbayes, des cathédrales était lui aussi un réservoir d’emploi pour ceux qui mettaient leur bras au service de ces grands travaux.

Par analogie toujours, Hitler développa les autoroutes en Allemagne dans les années 1930/1945 pour favoriser la circulation des armées et des blindés dans la perspective de la revanche suite à la défaite de 1914/1918.

Le grand défi social de nos jours, est comment peut on maintenir le pays durablement en paix en excluant définitivement 20 % de la population d’un accès à l’emploi, cela reste un sacré défi pour l’occident tout entier ?

Pour tous ceux qui sont intéressés par l'histoire et le reste au sujet des jardins de Versailles, je vous recommande cet excellent livre agrémenté de photographies : 

Vous y apprendrez en détails l'histoire de l'aqueduc notamment, mais aussi de quelle façon on a livré des arbres adultes, vous lirez toutes les prouesses techniques impressionnantes pour l'époque et bien d'autres choses encore. Ce bouquin est un petit bijou pour qui veut se renseigner plus avant. 

En ce qui concerne l'aqueduc de Maintenon, ce véritable scandale a au moins la vertu d’avoir apporté à Vauban de précieux enseignements en matière d’hydraulique et de percements de canaux. Mais plus que ça, il renforça sa conviction que les moyens publics devaient demeurer au service exclusif de l’Etat et qu’il fallait créer une administration à la place du système de charges qui permettaient à des particuliers de s’enrichir au détriment des administrés et du pays.

Est-ce que ça vous fait penser à quelque chose ? Si on réfléchit bien aux préconisations de Vauban sur le sujet, on pense immédiatement aujourd’hui à nos autoroutes qui ont été imprudemment privatisées… Non ?

il y a 38 minutes, January a dit :

Oh, il y a les morts aussi. Plus d’un millier, atteint de fièvres contractées dans ces zones marécageuses.

Versailles manquait d’eau, comment faire pour résoudre ce manque ?

Si l’aqueduc de Maintenon est incontestablement un ouvrage gigantesque qui n’a pas abouti, l’idée technique de pomper l’eau dans la Seine en faisant tourner des chevaux à Marly le roi fut la réponse économique apporté au projet.

il y a 31 minutes, January a dit :

Est-ce que ça vous fait penser à quelque chose ? Si on réfléchit bien aux préconisations de Vauban sur le sujet, on pense immédiatement aujourd’hui à nos autoroutes qui ont été imprudemment privatisées… Non ?

Entre le tout état et le tout privé, l’un comme l’autre sont des solutions catastrophiques du point de vue économique.

L’état et le politique sont de formidables initiateurs de projets mais de piètres exploitants et des mauvais gestionnaires.

Le privé est un bon exploitant et un bon gestionnaire, mais souvent sur le court terme au détriment de la durée.

La solution est de placer le curseur entre ces deux bornes, c’est à dire de laisser le privé gérer avec une participation des bénéfices pour l’état.

Pour les autoroutes, ce n’est pas la privatisation qui est à l’oeuvre, c’est un bail pour une durée limitée, l’état restant propriétaire.

Je suis d'accord oui

Vauban est pétri de justice sociale, on a vu ses applications dans l’armée. Il n’est pas en reste en ce qui concerne la société civile : il envisage une réforme de la noblesse et une refonte du système fiscal. La société est divisée en deux : d’un côté les privilégiés qui ne sont soumis qu’à des charges symboliques et de l’autre les membres de la société qui sont taillables et corvéables à merci. Qui sont les privilégiés pour Vauban ? Le clergé et la noblesse. Cela représente 500 000 personnes sur les 19 millions d’habitants. Sur les 18 millions et demi qui restent, il y a 17 millions de paysans et d’ouvriers.

Le clergé possède un quart du territoire français, il perçoit la dîme (impôt en nature correspondant à 10 % des produits de la terre). Il existe le haut clergé et le bas clergé. Inutile de le dire mais je le dis quand même : le haut clergé est privilégié pendant que le bas clergé payent des impôts (décimes, don gratuit, capitation, vingtième).

La noblesse elle se compose de la noblesse d’épée (elle-même divisée en plusieurs parties – grande noblesse, petite noblesse, noblesse de province) et de la noblesse de robe. La noblesse, c’est l’exemption de taille, de corvée, de prélèvement sur les récoltes, de taxes pour l’usage du four ou du moulin ou du pressoir, du droit de chasse. Et quelle est la contrepartie de tout ça ? Aucune. Bah oui, un noble doit vivre noblement, c'est-à-dire ne pas travailler, sinon il déroge, et on lui retire son statut de noble. Les deux seules activités qui sont autorisées pour ceux-ci, c’est l’industrie du verre et le commerce maritime.

On va le dire, tous les autres, tout en bas, n’ont quasiment aucun moyen de s’élever. Quand on sait que l’ouvrier peut devenir Maître s’il réalise un chef d’œuvre mais que le Maître s’arrange pour que la réalisation soit si coûteuse que l’ouvrier renonce, on a compris…  

Malgré cette soif de justice sociale, n’oublions pas où se situe Vauban qui nous dit : « Rien ne distingue tant les hommes que la noblesse ; par sa première institution elle doit être le prix des belles actions et du sang répandu pour le service du Roi et le salut de la Patrie. »

Il  y a deux Vauban : celui pour qui la valeur d’un homme tient à ses réalisations, et celui pour qui l’état de noblesse passe avant tout, et plus cette noblesse est ancienne, mieux elle vaut. On a un peu de mal à suivre cette dissociation du personnage, il conçoit de nouveaux modes d’accès  « au mérite » à la noblesse et dans le même temps, il traduit la valeur de cette noblesse en ancienneté…

On peut supposer qu’il cherchait la paix sociale, l’équilibre du royaume ? On ne peut pas abolir la noblesse. Alors il faut trouver comment la bourgeoisie peut accéder à la noblesse. Comme on l’a vu pour les récompenses au mérite, dans l’armée, Vauban, obsédé des listes et des chiffres, va faire pareil. Il listera des actions méritantes, comme par exemple : « Faire un don à l’état de cent ou deux cent mille écus dans un pressant besoin » ou encore : « Trouver quelque mine d’or ou d’argent auparavant inconnue »…

Ah bon ? Interrogeons nous : Alors il s’agit de vendre des titres de noblesse ? Il semblerait que là, l’homme qui s’est tellement battu contre la vente des charges se fourvoie ?  En vérité, le trésor public est totalement épuisé, la situation est gravissime, et intenable…

Depuis la guerre de cent ans, le royaume était financé par deux types d’impôts. Un impôt direct, la taille, et un impôt indirect, la gabelle. La taille n’était payée que par les paysans, les ouvriers et les bourgeois : on les appelait les « taillables ». L’assiette et le calcul de la taille variait selon les provinces. La taille pouvait être réelle (avec pour assiette la maison et les terres possédées) ou personnelle, c'est-à-dire qu’on calculait selon la richesse supposée de la personne (vous imaginez les fixations arbitraires).

Les impôts indirects étaient payés par tous. La gabelle est le plus connu de ce type d’impôt. Perçue sur l’achat du sel qui est indispensable pour la conservation des aliments, la gabelle concerne tout le monde. Vous croyez échapper à la gabelle en n’achetant pas de sel ? Certainement pas ! L’achat d’une quantité annuelle de sel était obligatoire. A l’époque il existait des pays exempts de gabelle, d’où une contrebande féroce dans certaines régions, histoire passionnante que je vous raconterais peut être un jour ?