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Apocalypse Now - Journal


January

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January Modérateur 59 779 messages
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28 décembre 1976

Sofia et moi nous sommes rentrées en faisant escale à Tokyo. […] arrivées à San Francisco très fatiguées et heureuses de retrouver les garçons. C’était fantastique ; on s’est amusés comme des fous pendant trois jours. […] Puis les enfants sont retournés à l’école, et j’ai commencé à défaire nos bagages et vérifier l’état de la maison. […] J’ai commencé à déprimer. Des amis m’appelaient et je n’avais pas envie de les voir. Je ne voulais ni sortir ni parler à quiconque. J’étais furieuse de me retrouver ici avec une montagne de responsabilités ménagères à gérer. Des nouvelles dithyrambiques concernant le tournage me parvenaient de la prod : la séquence au village n°1 était très réussie, mais celle de Hau Phat était, paraît-il, encore meilleure. Et moi, j’étais la femme qu’on avait réexpédiée à la maison afin de mettre de l’ordre pour les fêtes de fin d’année. J’étais fâchée, perdue, irritée, à nouveaux aux prises avec grande maison.

[…] Puis Francis est rentré, euphorique. Il a dit que chaque jour de tournage avait été encore plus spectaculaire que le précédent, et qu’il n’avait jamais été aussi heureux de sa vie. J’ai commencé à sangloter. Une partie de moi pleure encore.

5 janvier 1977

Hier soir, Francis a regardé environ cinq heures de rushes en bas, dans la salle de projection. […] Il a dit que le film était fabuleux, un chef-d’œuvre. […] Francis disait : « tu imagines, on a improvisé toute la fin, et ça marche, et c’est génial ! » Je ne l’ai jamais vu aussi emballé avec aucun de ses films. […] Il a beaucoup changé. Je me surprends à le regarder du coin de l’œil, à l’affût de la fin de l’euphorie, et du retour du dépressif en souffrance que j’ai connu pendant tant d’années.

 

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7 janvier 1977

Depuis qu’on est mariés, je n’ai jamais cessé de vouloir travailler d’une manière ou d’une autre. […] Une partie de moi Veut absolument travailler. Pendant ces neuf mois aux Philippines, je travaillais chaque jour sur le documentaire. […] Depuis que tout ça a cessé et que je suis rentrée en décembre, je me suis laissé complètement envahir par la dépression et la colère.

12 février 1977

Cela fait un mois que je n’ai pas eu envie d’écrire. Je ne voulais pas faire face à mon angoisse. [….] Francis est retourné aux Philippines pour les dernières semaines de tournage. […] Il y a un côté frénétique dans son attitude. Tout le monde semble penser que ce qu’il fait est génial, et si je dis le contraire, je suis négative, déloyale ou jalouse. […] Je suis persuadée que Francis est un vrai visionnaire, pourtant l’angoisse me taraude. J’ai l’impression qu’il manque de discernement, cette capacité à faire la différence entre ce qui est de l’ordre de l’intuition et ce qui relève de la folie. J’ai très peur. J’ai consulté le Yi King aujourd’hui, et j’ai tiré le 36, « L’Obscurcissement de la lumière ».

 

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25 février 1977

J’ai envoyé un télex à Francis en lui disant que puisque je l’aimais, j’allais lui dire ce que personne d’autre n’avait le courage de lui dire, à savoir qu’il était en train d’engendrer son propre Vietnam avec ses commandes d’entrecôtes, de vin et de climatiseurs, et de créer lui-même ce qu’il souhaitait dénoncer. […] Je l’ai traité de connard.

1er mars 1977

Hier soir, Francis a appelé de Manille pour dire que Marty avait eu une crise cardiaque, et qu’il était vivant mais dans un état critique.  […] Il avait besoin de savoir s’il pouvait poursuivre le tournage ou si cela annulerait l’assurance. Il voulait continuer à travailler jusqu’à nouvel ordre parce que l’équipe était en état de choc, et avait besoin de se concentrer sur le film pour garder le moral et éviter de sombrer dans le chaos. Le directeur de la production avait commencé à boire et voulait tout suspendre.

4 mars 1977

Hier, Tom m’a appelée pour me dire que Francis voulait que je vienne immédiatement aux Philippines. […] J’essaie de ne pas m’inquiéter, […] pendant ce voyage, j’ai voulu me distraire, lire, jouer avec Sofia […] mais c’était impossible.

 18 mars 1977

Hier soir, Francis était dans la baignoire tandis que je sanglotais assise par terre. Nous étions en train d’évoquer la possibilité d’une séparation ou d’un divorce.  […] Ce week-end, Francis et moi avons eu des discussions très lourdes. […] Francis intercale les réunions entre nos scènes de ménage.

 

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20 mars 1977

Ce soir ont eu lieu les premiers essais de la destruction du camp par explosion. Les préparations ont pris toute la journée et le tournage a commencé vers 20h30. […] Les explosions ont été si puissantes que j’en ai eu le souffle coupé, malgré la distance.  […] Ensuite, nous sommes tous allés dîner à la cantine. […]

Dick White était blafard. Il a dit qu’une pierre avait heurté l’hélicoptère pendant qu’il volait avec la caméra embarquée. A quinze centimètres près, elle entrait en contact avec le rotor arrière et l’hélico tombait. A présent, l’appareil doit être réparé. Dick n’est pas nerveux de nature. Il est tombé neuf fois au Vietnam.

26 mars 1977

Francis a une péniche amarrée près du plateau, où il travaille et se détend pendant les longues heures de préparation qui précèdent une prise de vues. Nous y étions ensemble l’autre jour, et il était très déprimé. Il en avait assez. Il voulait s’arrêter, se coucher et rester au lit. […] Francis est persuadé que tout ira bien, et que tout le monde se montrera amical si son film est un échec ; les autres cinéastes lui diront : « Eh bien, c’était trop difficile à réussir, ne t’en fais pas. » […] Mais si le film est un grand succès, les autres réalisateurs n’auront de cesse d’essayer de le dépasser, et les gens de le descendre en flammes.  […]

Il y a quelques semaines, après la crise cardiaque de Marty Sheen, il a été question de suspendre le tournage, mais Francis l’a maintenu pour que l’équipe garde le moral. Il a commencé à tourner des scènes sans Marty […] Tout a bien fonctionné jusqu’à ce que Francis s’effondre à son tour. C’est alors que je suis venue ici. A présent, il semblerait que Marty soit en train de se rétablir rapidement. […] Il pense pouvoir travailler quelques heures par jour à partir de mi-avril. D’une certaine manière, le scénario évoque un combat victorieux contre la mort. Marty l’a vécu pour de vrai. On ne peut qu’imaginer à quel point cela nourrira la qualité de son jeu dans les dernières scènes du film.

28 mars 1977

Aujourd’hui, Joe, le frère de Martin, le doublait. Sofia faisait des gâteaux de boue au bord de la rive. Elle m’a demandé si elle allait « attraper des vers qui t’entrent dans les pieds et le corps pour manger ta nourriture ». En vérite, je n’en savais rien, et l’eau n’avait pas l’air très propre, mais elle y pataugeait déjà.

 

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6 avril 1977

Hier, c’était le jour de l’explosion au napalm du temple principal. C’était la plus grosse de toutes. Les types des effets spéciaux ont dit qu’une déflagration de ce genre ne s’était jamais produite en dehors d’une vraie guerre. […] Les secousses étaient si puissantes que chaque seconde semblait durer une éternité. A la fin, tout le monde a crié et applaudi. Le ciel était illuminé jusqu’à Pagsanjan. La prise de l’hélicoptère était sans doute la plus spectaculaire de toutes. […] Francis disait : « Il n’y a pas beaucoup d’autres endroits au monde où on aurait pu le faire ; aux Etats-unis, tu n’obtiendrais jamais l’autorisation. Les écologistes auraient ta peau. Mais en temps de guerre, tout est permis ».

15 avril 1977

Les rumeurs ici sont comme partout. Il y a tout au plus 10% de vrai. Francis s’efforce d’obtenir de la part du médecin une date précise à laquelle Marty pourra reprendre. Le tournage a ralenti, et Francis passe beaucoup de temps à essayer de tourner des prises de vues crédibles avec des doublures, en faisant beaucoup de compromis.

19 avril 1977

Sur un grand panneau était inscrit « Bienvenue Marty ». C’est son premier jour de retour sur le plateau. Il est arrivé il y a une heure environ, bronzé et apparemment en pleine forme. […] La grande nouvelle du jour, c’est que Francis a décidé de mettre un point final au tournage le 15 mai, que tout soit dans la boîte ou pas. […]

Francis et moi nous disputons par intermittence depuis plusieurs jours. Cela a été très douloureux pour nous deux, et les enfants ont assisté à tout. […] Pour finir, Francis a appelé Gio et lui a dit ce que nous redoutions tant : « Ta mère et moi, on va divorcer ; on s’entend plus et on va divorcer. » […]Je suis allée pleurer dans la salle de bains. […] Finalement, j’ai mis mon maillot de bain et suis partie avec Sofia au bassin d’eau chaude.[…]  Francis et les garçons sont apparus sur le chemin. Francis avait l’air triste. Je voyais bien qu’il s’attendait à me trouver en larmes, au bord du suicide ou quelque chose dans le genre. Nous avons nagé ensemble, et nous nous sommes rendu compte que nous ressentions chacun un soulagement énorme. Nous avons commencé à faire les fous, à sauter partout. Francis a dit : « Eh bien les enfants, que pensez-vous de nous maintenant qu’on est divorcés ? » Sofia a répondu : « C’est quoi, diforcés ? »

 

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20 avril 1977

Aujourd’hui, le bruit court que la fin du tournage aura lieu le 21 mai. Un certain nombre de scènes ont déjà été supprimées. Tout le monde est de meilleure humeur. Marty porte un cardiofréquencemètre pendant les prises. Tout va bien.

21 avril 1977

Joe s’est mis à parler des coûts exorbitants des effets spéciaux. Que la production soit grande ou petite, une balle est toujours au même prix. « C'est-à-dire ? » ai-je demandé. Il a répondu : « Trois dollars pièce ». J’ai commencé à penser au pont du village n°2 à Baler qui a été copieusement mitraillé. Il y a eu des milliers d’impacts, ils ont refait la scène trois ou quatre fois, et il fallait recharger les mitraillettes pour chaque prise. Joe a dit : « Devine combien coûte une bombe de fumée rouge. » Je croyais que c’était dans les quatre ou cinq dollars. Il a dit : « Vingt-cinq dollars ». Des milliers de ces bombes ont été utilisées, au camp de Kurtz en particulier. Parfois il leur en fallait plus d’une centaine par jour. Il a ajouté : « Et les fumigènes pur le camp de Kurtz coûtaient cent dollars pièce ». Huit mille litres d’essence sont partis en fumée pour l’explosion au napalm. Selon lui, c’est le plus gros budget effets spéciaux de tous les temps.

26 avril 1977

Vers 19 heures, nous sommes allés dans la grande salle à manger de l’hôtel où Francis avait organisé un cocktail en l’honneur des personnalités locales et de ceux qui avaient aidé la production. […] Ils ont dit que les membres de l’équipe d’Apocalypse Now avaient été de bons ambassadeurs. Les millions de dollars que le tournage avait injectés à l’économie locale leur avaient été d’un plus grand secours que n’importe quel programme d’aide mis en place par le gouvernement. Ils ont ajouté qu’ils souhaitaient beaucoup de succès au film, afin que nous puissions revenir et en faire d’autres.

 

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12 mai 1977

Aujourd’hui nous avons survolé le camp de Kurtz en hélicoptère. Des pelleteuses ont entièrement dégagé les décombres des explosions. Le sol est couvert d’une espèce de poussière rose provenant des blocs en terre séchée. Il ne reste plus rien du décor. JE voyais les ouvriers le long de la rive qui préparaient le sol pour replanter des cocotiers. Dans un an, il n’y aura plus la moindre trace du tournage.

Le 17 mai 1977, Eleanor Coppola rentre à San Francisco avec sa fille Sofia.

16 juin 1977

Francis est rentré des Philippines à bord d’un énorme avion privé, en passant par l’Asie et par l’Europe. […] Après avoir déposé les italiens à Rome, ils ont mis le cap vers le Sud de la France et le festival de Cannes. Ensuite, ils sont allés à Paris puis à Madrid voir les corridas, avant de retourner à Paris et de pousser jusqu’à Londres pour finalement arriver à New York. Tout cela semblait très chic, mais lorsque Francis est arrivé ici il n’était pas du tout détendu et reposé, et ne semblait pas s’être amusé plus que ça. Il est crispé et nerveux. Il fume beaucoup et est de mauvaise humeur.

23 juin 1977

Hier, je suis montée quelques minutes dans le bureau de Francis. Il était assis devant sa machine de montage vidéo, à regarder la séquence d’ouverture d’Apocalypse Now. Il mixait sur l’écran principal les images projetées sur trois autres écrans. C’était incroyable, spatial. Trois couches d’images !

Juillet 1977

Francis subit une batterie de tests médicaux. United Artists veut assurer sa vie à hauteur de quinze millions de dollars. Francis dit qu’il vaut plus mort que vivant. Il doit quatorze millions de dollars de dépassement de budget.

 

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2 septembre 1977

Francis était très déprimé. Il travaille avec Walter depuis deux jours. Walter a été très honnête. Ils ont regardé les rushes. Francis dit qu’il n’a que 20 % de chances de réussir le film. Souvent les gens me demandent ce que nos vies vont devenir s’il ne parvient pas à ses fins.

1er octobre 1977

J’ai pleuré toute la soirée par intermittence. Personne ne semble le remarquer. […] Je rejoue dans mon esprit les scènes de ménage que nous avons eues cette semaines avec Francis. Il m’a dit quelques vérités. Je m’étais contentée auparavant de croire en ses mensonges. A présent, je fais le deuil de mes illusions.

8 octobre 1977

Voilà deux semaines, Francis a touché le fond. Je ne l’avais jamais vu aussi malheureux. Je lui ai demandé de me parler de ses problèmes, de me dire vraiment ce qui se passait en lui. Il a commencé à pleurer, et m’a dit qu’il était amoureux d’une autre femme. Il a ajouté qu’il l’aimait, elle, et qu’il m’aimait, moi, que chacune de nous représentait une partie de lui-même et qu’il ne pouvait se résoudre à quitter l’une ou l’autre. […] J’ai reçu comme un coup à la poitrine, qui m’a fait tomber à la renverse. Je me suis vue ramasser le vase de fleurs et le jeter. J’ai entendu les mots sortir de ma bouche. Je me suis vue descendre les escaliers et fracasser les assiettes contre les murs rouges de la cuisine. J’étais aveuglée par ma rage et enragée par mon aveuglement.

 

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10 octobre 1977

Si je suis honnête, nous sommes tous les deux autant responsables du naufrage de notre mariage. […] Nous avons tous deux perdu notre équilibre et nié nos contradictions intérieures.

16 octobre 1977

J’ai passé ma vie à attendre. J’attendais que Francis mène à bien le projet auquel il se consacrait si intensément, comme si j’allais alors pouvoir respirer. […] Une partie de moi a toujours cru que mon prince, un artiste, me révélerait ma propre vie, me révélerait à moi-même. Aujourd’hui j’ai compris que je n’ai plus à l’attendre, ce prince, et que ma vie est de mon ressort.

8 novembre 1977

Je viens d’apprendre que United Artists est d’accord pour repousser la sortie du film de mai à octobre prochain. Ce sera un énorme soulagement pour tous ceux qui travaillent dessus. Surtout Francis.

 

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10 novembre 1977

Depuis des années Francis et moi nous disputons encore et encore au sujet de notre maison. Il a dit que tout ce qu’il me demandait depuis le début, c’était de lui créer un nid. Une fois, pendant une dispute de dingue aux Philippines, il m’a lancé qu’il dépenserait un million de dollars s’il le fallait, pour trouver la femme qui lui créerait un nid, cuisinerait et lui ferait plein d’enfants. […] Je ne suis pas une femme d’intérieur. J’ai toujours souhaité être une femme active. […] Aujourd’hui, je me sens immensément soulagée. L’autre femme dans la vie de Francis n’est pas non plus une femme d’intérieur ; elle ne meurt pas d’envie d’avoir la maison sous sa responsabilité.

16 novembre 1977

Je suis assise dans un avion avec un plateau de hors-d’œuvre sur la tablette devant moi. […] Francis est à côté de moi. George Lucas est penché par-dessus le siège devant lui. Steve Spielberg est de l’autre côté du couloir. Ils détiennent à eux trois les trois plus gros succès cinéma de tous les temps. […] Steve les appelle les « garçons qui valaient un milliard ».

17 novembre 1977

Hier soir nous sommes allés à une réception à la Maison Blanche. Nous avons fait la queue pour rencontrer le Président et madame Carter. Ni l’un ni l’autre ne savaient qui étaient Francis et George. […] Francis souhaite recouvrir les coutures et les rides de la vie, et maintenir l’illusion en place. Ce qui est à la base du cinéma. […] George parlait de disques et de cassettes vidéo, et de comment les cinéastes vont devoir se concentrer de plus en plus sur des scènes spécifiques plutôt que sur la linéarité de l’histoire. Selon lui, les gens mettront un disque vidéo et ne regarderont que la scène d’amour, la course poursuite ou la scène tragique, à la recherche d’une certaine ambiance, comme on choisit la musique qu’on écoute pour ressentir certaines choses.

19 décembre 1977

Il paraît que l’un des monteurs a volé toute la fin du film, des bobines et des bobines, et a envoyé à Francis des lettres pleines de cendres chaque jour pendant une semaine. George Lucas m’a dit : « Mon dieu ! ça pourrait faire un super film en soi. »

 

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3 Janvier 1978

Hier soir, nous nous sommes couchés et nous avons discuté d’Apocalypse Now. Francis pense que c’est aussi difficile d’en faire un film qui tienne debout que de marquer un panier en lançant un ballon à l’aveugle par-dessus l’épaule. […] Francis m’a décrit les deux-tiers du film avec une grande clarté. Il a commencé à s’enliser vers la fin. Il a dit qu’il avait l’impression de voir le panier, mais que le ballon roulait autour de l’anneau.

27 février 1978

La première projection publique a eu lieu à la fin de la semaine dernière, et les réactions sont très positives. […] les représentants de United Artists ont confirmé qu’il y a de quoi faire un vrai film.

18 mars 1978

Nous étions assis sous le porche devant la maison et parlions du cinéma comme métaphore de la vie, et plus précisément du montage. Francis a dit : « Je suis prêt à sacrifier ma meilleure scène pour améliorer le film… n’importe quoi… je pourrai toujours le remettre. C’est ça la différence avec la vie, tu ne peux pas revenir en arrière. »

 

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6 avril 1978

Ce matin, je me suis disputée avec francis dans l’allée de la maison de San Francisco tandis que les enfants étaient déjà dans la voiture, à attendre pour aller à l’école à Napa. Finalement, je me suis dirigée vers la portière côté conducteur. Nous avons continué à crier l’un sur l’autre par-dessus le toit de la voiture. […] Sofia nous a regardé, a crié très fort : « Coupez ! », et Francis s’est mis à rire.

8 avril 1978

« Tu ne vois pas combien j’ai peur, Ellie ? Tu me dis : « Dépêche toi de donner un sens à notre mariage, je ne vais plus attendre longtemps », United Artists me dit : « Dépêche toi de finir le film, on ne peut plus faire patienter les banques et les exploitants », mais quelque chose en moi réplique : « Tiens bon, ne prends pas les décisions à la hâte juste pour sauver ta peau. »

10 avril 1978

Plusieurs conteneurs ont été envoyés des Philippines à la fin du tournage. L’ordre avait dû être donné de tout envoyer ici, et tout a été stocké dans la grange. Certains objets ont servi pour les plans de raccord l’été dernier. Il y a un énorme tas de mannequins, de fausses armes de guerre, des casques, des gourdes, des tables de montage, des canettes de Coca de l’époque, des ventilateurs, des lances ifugaos, des totems, des cartons de livres moisis, du beurre de cacahuète, du café instantané, des draps, des coussins, deux baignoires japonaises, des uniformes de GI, des gants de base-ball, des ceintures de grenades, des rations alimentaires, des pagnes ifugaos, des paniers, des faux bijoux, des lampes, des mégaphones, du mobilier de bureau, du matériel de recherche, des sandales vietnamiennes. Les enfants ont gardé la planche de surf du colonel Kilgore pour la piscine.

 

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19 avril 1978

Dimanche dernier, Francis et moi avons eu une terrible dispute italo-irlandaise. […] en début de soirée, Francis s’est saisi des objets sur la table basse – des verres, des bougeoirs, un bol, une théière japonaise, des tasses – et les a balancés sur le plateau en verre, qui s’est fracassé. J’ai pensé à l’effet que tout cela devait avoir sur les enfants. Sofia  est entrée dans le salon, et je me suis dit qu’elle devait se rendre compte de ce qu’on est en train de traverser. Elle a regardé la table défoncée et les bris de verre, et a dit : « Maintenant ça ne vous fera rien si je mets les pieds dessus. »

20 avril 1978

Apocalypse Now est toujours en cours. L’équipe de montage est énorme. Les projections se multiplient. On continue de filmer des raccords et on enregistre la voix off. Un gigantesque service son et musique se constitue. Les emplois du temps s’établissent et changent constamment.

25 avril 1978

J’attends. Francis est avec les attachés de presse. Des questionnaires sur la projection de ce matin sont empilés sur la table basse. Francis les sépare en deux tas : ceux qui ont aimé et ceux qui n’ont pas aimé. […] La question est de savoir s’il faut montrer le film en entier aux exploitants de salle pour lancer les enchères et bloquer des dates de sortie, ou s’il ne faut en montrer que quelques extraits.

 

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28 avril 1978

Je suis dans le bureau de Francis. Par terre, quarante-huit fiches sont disposées en ligne inégale. Sur chacune d’entre elles une scène est tapée à la machine. Il les déplace afin de restructurer le film.

30 avril 1978

Nous venons de regarder une nouvelle version du début du film. Une certaine terreur m’a envahie. Je suis encore parcourue en quelque sorte de courants électriques. Ce début n’est pas aussi bon que le précédent. C’est une nouvelle tentative, mais qui ne fonctionne pas encore. Le dernier montage a été mis en pièces et ne peut plus être réassemblé. La projection pour les exploitants de salle va avoir lieu dans deux jours.

2 mai 1978

Francis vient d’appeler. Il est en train de se rendre à la projection des exploitants de salle, et a dit que si faire des changements majeurs et modifier le montage dans un si court laps de temps n’était ni pratique ni intelligent, c’était malgré tout la meilleure solution. L’évolution du film se poursuit.

10 mai 1978

Il n’a pas montré le film en entier, ayant décidé qu’il serait impossible de le finir pour une sortie en décembre, et qu’il faudra le programmer au printemps 1979. Dans la machine à écrire, j’ai trouvé le message suivant, adressé à lui-même : […] Mes nerfs sont cramés – mon cœur est brisé – mon imagination est tarie. Je ne peux plus compter sur moi-même – mais comme un enfant je veux juste que quelqu’un vienne me sauver.

 

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2 octobre 1978

J’ai appris que la scène de la plantation française avait été définitivement coupée au montage. […] Aujourd’hui, j’ai repensé aux journées d’angoisse que Francis a vécues en filmant cette scène. Les centaines de milliers de dollars dépensés pour le décor, et les acteurs qu’il a fallu faire venir de France. A présent, toutes ces bobines vont finir dans une cave quelque part.

19 octobre 1978

Francis a commencé à travailler avec les musiciens et à faire le doublage. Les monteurs travaillent encore sur la deuxième moitié du film. La fin n’est toujours pas terminée. Il pense tourner une dernière scène.

29 octobre 1978

Il a parlé de tourner une dernière scène où Willard raconterait au fils de Kurtz le dénouement de l’histoire, et tout ce qui s’est passé. Puis il a laissé tomber cette idée et a abordé le début du film, en imaginant la salle dans l’obscurité sans image à l’écran mais seulement des bruits de la jungle […] Puis, s’il ne tournait pas une autre scène, il a pensé finir le film avec le patrouilleur sur le fleuve qui devient de plus en plus petit […]

1er Novembre 1978

J’ai récemment lu un livre intitulé « le mariage mort, ou vif » qui résumait à peu près toutes mes émotions : « Dans le mariage, les deux partenaires se confrontent l’un à l’autre dans tous les domaines, dans la santé comme dans la maladie, à travers les traits naturels ou singuliers de leurs caractères profonds. Plus l’on se confronte aux choses, plus elles deviennent intéressantes et fructueuses… Le mariage n’est pas confortable et harmonieux ; c’est plutôt un espace d’individuation où une personne se frotte à elle-même et à son partenaire, s’oppose à lui dans l’amour comme dans le rejet, et de cette manière apprend à se connaître, ainsi que le monde, le bien et le mal, les hauts et les bas. »

4 novembre 1978

Hier, je suis allée avec Francis à la projection de la dernière moitié du film, pour voir les changements sur lesquels il a travaillé avec les monteurs. […] c’est une œuvre extraordinaire […] et le résultat approche.

 

 

**********************************

Ceci est la fin du journal d’Eleanor Coppola. Ce livre a pu voir le jour parce-qu’Eleanor a fait lire toutes ses notes à son époux. C’est lui qui lui a conseillé d’en faire un livre et de publier.

Au printemps 1979, Apocalypse Now sera projeté au festival de Cannes et remportera la Palme d’or. Francis Coppola sera frustré de l’étalage fait dans la presse au sujet des dépassements de budget et des problèmes de production. Plus tard dans l’année le film remportera deux Academy Awards. Le film a produit plus de cent cinquante millions de dollars de recette à travers le monde et est encore diffusé à la télévision, en vidéo et dans les festivals, où il est désormais présenté comme un classique.

Ce qu’Eleanor Coppola a tourné aux Philippines a été monté plusieurs fois, mais comme personne n’a pu se mettre d’accord, le projet d’un documentaire a été abandonné. Néanmoins « hearts of Darkness » qui sortira en 1990 (montage des rushes d’Eleanor Coppola), sera un témoignage mémorable de l’esprit créatif de Francis Coppola. Il sera projeté au festival de Cannes 1991.

 

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Invité pako
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Invité pako
Invité pako Invités 0 message
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Merci beaucoup January ,

Super intéressant à lire toutes ces anectodes .

Si le film repasse bientôt à la TV , je le regarderais avec plaisir et avec toutes ces anecdotes du tournage en tête .

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Je joins mes remerciements. Merci encore et toujours...

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January Modérateur 59 779 messages
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Ca me fait très plaisir vos commentaires de fin, merci beaucoup. Je fais cet effort parce-que pour moi, quelque chose qui n'est pas partagé n'aura jamais autant de valeur que tout ce qu'on peut vivre, et que l'on garde pour soi. Et, oh ! je mens, ce n'est pas un "effort", c'est quelque chose de naturel pour moi, parce-que j'ai compris depuis longtemps que ce qui n'est pas partagé, même s'il recueille du moins plutôt que du plus, a quelque chose de perdu ! Merci encore, je continuerai à partager, pour la satisfaction personnelle, mais la validation, c'est vous ! :coeur:

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