Aller au contenu

Le cocon.


Criterium

Messages recommandés

Membre, nyctalope, 40ans Posté(e)
Criterium Membre 2 871 messages
40ans‚ nyctalope,
Posté(e)

D'habitude l'ambiance est enjouée, ces vendredis; cette semaine, les mines sont déconfites. Nous arrivons au bar. Nous parlons d'autres choses. Le vent se lève — tout d'abord frais, il devient progressivement glacial, et alors nous regardons les trois fumeurs qui nous retiennent au-dehors. Nous parlons du temps qu'il fait, nous tournons autour du sujet, personne ne veut évoquer les élections et pourtant tout le monde y retourne à un moment ou à un autre, au travers de telle ou telle allusion plus ou moins subtile. Le sujet nous monte tous à la tête, plusieurs d'entre nous à quelque instant lâchons une exclamation: — "Mais stop, allons."

L'homme à côté de moi est assez connu, et en a conscience; il parle alors de cet autre sujet qui l'intéresse tant: lui-même. Telle rencontre avec telle personne importante, telle allusion à une invitation exclusive à telle soirée très privée... de temps en temps il vérifie que nous lui prêtons attention; il prend soin de me sourire, je sais que je lui plais, ce n'est pas réciproque, mais je dois rester dans ce groupe pour des raisons qu'il ne faut pas détailler sous peine d'être perçue comme manipulatrice. Alors je l'écoute, comme nous tous — ce Narcisse — comme cette étudiante asiatique à l'autre bout de la salle qui, elle, ne demanderait qu'à être remarquée par cet homme, un jour peut-être... Et évidemment nous revenons au sujet; nous revenons toujours au sujet.

Parmi nous, un juif ashkénaze est en train de se bourrer; ses propos deviennent de plus en plus confus. Il compare le nouveau président à Hitler, élève ses diatribes contre le fascisme, enjoint les membres du groupe à aller manifester et mettre le feu dans la ville. Certains hochent la tête. J'ai un sourire en coin; ils sont vieux et frêles, ils ne se sont jamais battus de leur vie, et les voilà bien au chaud à débattre pour se sentir rebelles. L'un évoque un possible assassinat; cette même personne qui répétait "Love Trumps Hate" ces dernières semaines. Lorsque l'ashkénaze change de sujet, il évoque les expériences homosexuelles de ses jeunes années. Ce n'est pas très reluisant mais ça a le mérite d'être plus drôle.

Je me retiens de parler; ils me dégoûtent. Et je sens que l'alcool aidant, je me retrouverais à dire des choses regrettables. Alors j'écoute, l'air impassible, je jette un œil dans ce monde bien à part, l'un des cocons de l'élite. S'ils savaient! — Comme si cela allait de soi, ils s'imaginent que le peuple a les mêmes aspirations, ou alors que le troupeau est débile.

Un autre homme important débute une conversation avec moi, un peu à part. Nous parlons de choses et d'autres, le courant passe bien. Il fait semblant de ne pas connaître certains sujets pour me faire parler plus. Je ne sais pas s'il le fait consciemment — un procédé de manipulation pourtant peu utilisé — ou sans le faire exprès, dans une sorte de timidité étrange. Nous parlons de la nature. Le sujet nous enchante; la beauté des plantes, des algues microscopiques... Un temps d'expir bienvenu – une pause avant que ne reprennent les grands débats. Puis, s'approchant de moi à son tour, l'ashkénaze saoul me dit qu'il a enregistré à son insu une personnalité, quelqu'un de très en vue, tenir des propos racistes. (Un jour, nous avions parlé de dictaphones; il avait révélé les utiliser "plus qu'il ne le faudrait"). Je lui rappelle par une allusion que j'ai ses vues à lui sur le Moyen-Orient dans un fichier audio. Nous avons tous des fiches les uns sur les autres.

Je m'aperçois que l'alcool me monte à la tête lorsque je lui montre une image représentant la lame XII du Tarot. Le Pendu.

Cabbale_Tarot_Le_Pendu.jpg

Alors, comme si un signal inconscient s'était transmis entre nous, chacun se prépare à partir. L'un ajuste son écharpe, l'autre va chercher son manteau jeté sur un siège; nous partons, chacun dans une direction différente. Quant à moi — Narcisse prend soin de m'accompagner sur le chemin du retour. Il continue à parler de lui-même, fait les questions et les réponses; puis retourne à la politique.

La goutte qui fait déborder le vase: "Trump ne va chercher qu'à s'enrichir personnellement".

— "Oui... et qu'est-ce qui nous dit que Clinton ne ferait pas exactement la même chose?"

— "Mais en fait, tu es une vraie connasse!", rit-il.

Il a hésité; je ne sais pas ce que ce rire signifie exactement. Est-ce une blague, est-ce un reproche; aurait-ce été quelque chose d'autre si je n'avais pas été une jeune femme? Était-ce sexiste? Est-ce un test, ou est-ce qu'à force d'allusions il commence à deviner certaines choses? – Sur le coup, j'avais répondu quelque chose — qu'au moins je lui présentais un point de vue alternatif — mais l'obscurité aidant, la déferlante de questions venait de s'inviter dans ma tête. Heureusement, nous voilà arrivés au bâtiment où j'ai rendez-vous avec quelqu'un. Évasive, je m'éclipse.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Membre, Posté(e)
PASCOU Membre 92 138 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Je pense en effet que cette élection a certainement été mouvementée et que certains n'en sont toujours pas remis.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×