Aller au contenu

L'Archipel du Goulag

Noter ce sujet


January

Messages recommandés

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Mais il est une libération anticipée qu'aucune casquette bleue ne peut enlever au prisonnier. Cette libération, c'est la mort.

Et c'est là la production essentielle de l'Archipel, production constante à laquelle nul ne fixe de normes.

Certaines brigades ont disparu tout entières, brigadiers compris. A l'automne 1941, le Petchorlag (camp ferroviaire) comptait cinquante mille prisonniers et au printemps 1942, dix mille. Aucun transfert. Où sont passés les quarante mille manquants ?

Mais il est impossible de savoir pour touts les camps, pour toutes les années, impossible de faire le total. Dans le noyau central du camp de Bourépolom, dans les baraques de crevards, en février 1943, il mourait en une nuit jusqu'à douze hommes sur cinquante, et jamais moins de quatre.

[...]

Les cadavres racornis des pellagreux, les cadavres pourris des scorbutiques étaient contrôlés dans le cube de rondins qui servait de morgue, ou simplement à ciel ouvert. La plupart du temps, c'était un soldat d'escorte qui vérifiait que si le zek était vraiment mort ou s'il faisait semblant. Pour cela, on lui transperçait le tronc avec une baïonnette ou on lui fracassait la tête avec un gros maillet.

[...]

Au début, on enterrait les gens avec leur linge sur le dos ; par la suite, on fit servir à cela ce qu'il y avait de plus sordide, des choses qui en étaient à leur troisième usage, grises de crasse. Puis il y a eut une mesure générale : ne pas faire de frais de linge, enterrer les cadavres nus.

Il fut un temps où l'on estimait sur la terre russe qu'un mort ne saurait se passer de cercueil. Mais dans l'Archipel, cela aurait représenté une dépense improductive de bois d'oeuvre et de travail se montant à des millions. Lorsque sur l'Inta, après la guerre, un contremaître chevronné fut enterré dans un cercueil, une campagne fut lancée sur ce thème : "Travaillez bien, et vous serez vous aussi enterré dans un cercueil de bois !"

L'évacuation se faisait en traîneau ou en voiture à cheval, selon la saison. Quelquefois, pour plus de commodités, on mettait une caisse pour six cadavres auxquels on attachait les jambes et les bras avec des ficelles pour éviter qu'ils ne ballotent. Ensuite, on entassait les corps comme des rondins, puis on tendait une toile par-dessus.

[...]

On creusait toujours des fosses communes. Au printemps, elles commençaient à dégager une puanteur qui arrivait par bouffées jusqu'au camp, alors, on envoyait des crevards pour les recreuser plus profondes.

En revanche, personne n'ira nous accuser d'avoir eu des chambres à gaz.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 8 - La femme au camp - Extraits choisis

Pendant l'instruction, déjà, comment n'aurait-on pas pensé à elles ? Elles étaient à côté, quelque part dans les cellules voisines ! Dans cette même prison, soumises au même régime, comment pouvaient-elles supporter, faibles femmes, cette instruction intolérable ?

Eh bien, mais, à ce qu'il paraît, elles ne souffrent pas plus, et peut-être même souffrent-elles moins. Ce qui me frappe dans les récits des femmes sur l'instruction de leur affaire, c'est précisément qu'elles aient pu penser à des choses si futiles pour un prisonnier (mais pas du tout pour une femme !). Nadia Sourovtséva, jolie et encore jeune, a mis, dans sa hâte, des bas dépareillés pour se rendre à l'interrogatoire, et la voilà gênée, dans le bureau du commissaire-instructeur, parce que l'homme qui l'interroge jette des regards sur ses jambes.

[...]

Je me trouvai un jour dans la cour de la Krasnaïa Presnia à côté d'un convoi de femmes qui venaient, comme nous, de se voir notifier leur condamnation, et je constatai avec étonnement que toutes étaient moins maigres, moins épuisées et moins pâles que nous. La ration de pain égale pour tous et les épreuves de la prison sont en moyenne moins pénible pour les femmes. Elles sont moins vite affaiblies par la faim.

Mais pour nous tous, et pour la femme en particulier, la prison, ça n'est encore rien. Le gros morceau, c'est le camp. C'est là qu'elle va être brisée ou qu'elle va se plier en tout sens et s'adapter, au prix d'une nouvelle naissance.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Au camp, la situation est inverse de celle de la prison : tout est plus dur pour la femme que pour nous. A commencer par la saleté. Dans un camp moyen, si elle fait partie d'une brigade de travail féminine et vit, par conséquent, dans une baraque commune, elle ne peut presque jamais se sentir vraiment propre, se procurer de l'eau chaude (parfois on ne peut même pas s'en procurer de la froide). Au camp n°1 de Krivochtchokovo, nulle part on ne peut se laver l'hiver, il n'y a que de la glace, et pas d'endroit où la faire fondre. Pas question, bien sûr, de laver du linge !

Les bains ? Parlons-en ! C'est par le passage aux bain que commence l'arrivée au premier camp [...] C'est dans les bains du camp que les femmes déshabillées sont examinées comme des marchandises. [...] On conduit les femmes à leur baraque, et c'est alors qu'entrent, repus, habillés de vestes neuves, les planqués sûrs d'eux-mêmes et impudents. Sans se presser, ils passent entre les wagonnets : ils font leur choix. Ils s'asseyent une minute, engagent la conversation. Ils lancent des invitations à venir leur rendre visite.

[..] Case toi, ma petite, case toi dans la zone pendant qu'on te le propose en gentleman. La propreté, la possibilité de laver ton linge, des vêtements décents, un travail pas fatigant, tout cela est à toi.

C'est en ce sens qu'on considère que le camp est "moins dur" pour la femme. Il lui est moins difficile de conserver simplement la vie. Mais il en est pour qui, du début jusqu'à la fin, sauter ce pas est plus horrible que mourir. D'autres font des manières, hésitent, sont gênées, et lorsqu'elles se décident, lorsqu'elles se font une raison, et bien c'est trop tard, elles n'ont plus cours sur le marché du camp.

Car on ne fait pas la proposition à toutes.

Pour faire ce choix, il n'y a pas que des femmes mariées,des mères de famille, il y a aussi presque des fillettes.

[...]

Tu aimais quelqu'un dans la vie normale, tu voulais être fidèle à quelqu'un ? Qu'est ce que ça peut faire ? Qu'est ce que ça rapporte à un homme, la fidélité d'une morte ? Quand tu sortiras d'ici, qui aura besoin de toi ?

Tels sont les mots qui résonnent constamment dans les baraques de femmes. La chose est facilitée par le fait qu'en cet endroit personne ne juge personne : Ici, tout le monde vit comme ça.

Ce qui contribue encore à faire tomber les entraves, c'est que la vie n'a plus de sens, aucun but.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Plutôt, oui...

Celles qui n'ont pas cédé tout de suite ? Ou bien elles changeront d'avis, ou bien on les forcera à céder tout de même. Celle qui attend plus longtemps, il faudra encore qu'elle aille elle-même trouver les hommes dans leur baraque commune - il ne s'agit plus des planqués cette fois - et qu'elle passe entre les wagonnets en répétant toujours les mêmes mots : "un demi-kilo... un demi-kilo..." et si elle trouve quelqu'un pour la suivre, sa ration de pain à la main, elle devra entourer de trois côtés son wagonnet avec des draps et sous cette tente, dans cette hutte (d'où le mot "huttarde"), gagner son pain. Si elle n'est pas surprise avant par le surveillant...

[...]

Pour protéger une femme, il n'y avait que la vieillesse indiscutable ou une difformité évidente, rien d'autre. Etre jolie était une malédiction, cette femme-là avait sans arrêt des hôtes assis sur son lit, elle était constamment entourée, sollicitée et menacée de coups de poing et de coups de couteau, et ce qu'elle espérait, ce n'était pas de pouvoir tenir bon, mais d'arriver à se rendre habilement, à en choisir un qui ensuite jouerait de son nom et de son couteau pour la défendre contre les autres - les suivants, ce défilé avide - et contre ces mouflets rendus fous.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Que dire maintenant du travail ? Dans une brigade mixte, la femme a encore certains avantages, on lui donne une tâche moins pénible. Mais s'il n'y a que des femmes à la brigade, alors, pas de pitié ! Elles sont bûcherons, terrassiers, briquetiers. Il n'y a qu'aux mines de cuivre et de tungstène qu'on n'affectait pas de femmes.

[...] Iéléna Orlova est débardeur : elle traîne des sacs de quatre-vingts et même de cent kilos ! Il est vrai qu'on l'aide à les charger sur ses épaules et que, dans sa jeunesse, c'était une gymnaste.

[...]

Il y a de l'amour parfois, dans les camps. A. Soljénitsyne fait cette réflexion suivante : "Où vivre son premier amour, lorsqu'on a été cueillie à quinze ans ?" Des couples se forment malgré les instructions du Goulag qui exige que l'on sépare immédiatement les gens pris en flagrant délit en ne gardant que le plus précieux des deux. L'amour sur le fil du rasoir, dangereux, là où les caractères s'approfondissent et se déploient si bien, où il compte des victimes... Et bien sûr il arrive...des grossesses.

[...]

Un mois avant l'accouchement, la femme enceinte est transférée dans un autre camp qui comporte un hôpital. Ainsi donc, dans leur camp, les petites mères vivent et travaillent en attendant qu'on les mène sous escorte donner le sein aux indigènes nouveaux-nés. A ce moment, l'enfant n'est plus à l'hôpital mais dans une cité d'enfants ou une maison de nourrissons. Une fois l'allaitement terminé, les femmes n'ont plus le droit aux visites, sauf à titre exceptionnel pour "travail exemplaire". Le plus souvent, la femme ne reviendra pas non plus dans son ancien camp, auprès de son "mari" et le père ne verra jamais son enfant. Quant aux enfants, ils restent encore environ un an à la cité. Certains, privés de leur mère trop tôt, ne s'habitueront pas à l'alimentation artificielle et mourront. Les survivants sont envoyés dans un orphelinat normal. La mère, une fois libérée, ne sort presque jamais son enfant de l'orphelinat, tant est forte la malédiction sur ces enfants de l'Archipel.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 9 - Les planqués - Extraits choisis

Une des premières notions indigènes dont le bleu fraîchement débarqué sur l'Archipel apprend l'existence est celle de "planqué". C'est ainsi que les indigènes appellent brutalement ceux qui ont su ne pas partager le sort commun qui voue à l'extermination : soit qu'ils aient quitté les "généraux", soit qu'ils n'y aient jamais mis les pieds.

[...]

Car les camps sont des camps d'extermination, il ne faudrait pas l'oublier.

Aucune classification des choses de l'existence ne connaît de limites tranchées, mais seulement des passages progressifs. De même ici : les bords sont flous. D'une façon générale, tout détenu qui ne sort pas de la zone d'habitation pour sa journée de travail peut être considéré comme un planqué de zone. Déjà l'ouvrier d'intendance a la vie sensiblement plus facile que le trimeur des travaux généraux : pas de présence au rassemblement du matin, pas de trajet aller retour, moins de sévérités, moins de froid, moins de forces perdues.

[...]

Il a également d'excellentes possibilités de se faire des suppléments en travaillant sur commande pour d'autres zeks. Pour que les choses soient plus claires : l'intendance du camp, c'est pour ainsi dire la partie artisane de la domesticité d'un seigneur du temps du servage. Si un serrurier ou un menuisier n'y ont pas encore un caractère pleinement marqué de planqué, un cordonnier, à plus forte raison un tailleur sont déjà des planqués de haute volée.

[...]

Tous ceux-là, non seulement ils mangent à leur faim, non seulement ils ont des vêtements propres, non seulement ils sont dispensés de soulever des fardeaux et d'attraper des courbatures dans le dos, mais ils possèdent une grand pouvoir sur ce dont a besoin l'homme et, partant, un pouvoir sur les hommes. Le destin de tous les arrivants et de tous les transférés, le destin de tous les simples trimeurs est entre les mains de ces planqués-là.

Il est difficile, bien difficile pour le planqué de zone d'avoir une conscience que rien ne vient assombrir.

[...]

Ce qui vient d'être écrit n'est un reproche pour personne. Dans ce livre, j'ai déjà commencé à le dire et je le redirai jusqu'à la fin : tous ceux qui ont souffert, qui ont été opprimés, qui ont été placés devant un choix cruel, mieux vaut les acquitter que les accuser. Le plus sûr sera de les acquitter.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 10 - En guise de politiques - Extraits choisis

Mais dans ce monde où chacun ronge qui il peut, où la vie et la conscience de l'homme s'achètent pour une ration de pain mal cuit, que devenaient-ils et où donc étaient-ils, les politiques, honneur et lumière de toutes les populations pénitentiaires de l'histoire ?

Nous avons déjà suivi l'histoire de la ségrégation, de l'étouffement et de l'extermination des "politiques".

Bon, mais alors : pour prendre leur place ?

Comment, pour prendre leur place ? Depuis cette époque, nous n'avons plus de politiques. Nous ne saurions d'ailleurs en avoir. De quels "politiques" pourrait-il bien être question dès lors que règne la justice universelle ? Pour tout dire, les politiques sont abolis. Terminé, et n'y comptez plus !

Quant à ceux qui sont coffrés, et bien, ce sont des kaers, des ennemis de la révolution. Les années aidant, le mot de "révolution" a perdu de son panache, d'accord : disons qu'il s'agit d'ennemis du peuple, ça sonne encore mieux.

Additionnons ensemble, d'après la revue que nous avons faite de nos "Flots", tous les coffrés de cet article (NB) [...] et nous voici amené à admettre avec étonnement que, pour la première fois dans l'histoire, le peuple est devenu son propre ennemi.

NB : A. Soljénitsyne parle du fameux "article 58" de la RSFSR (République......Russie), concernant les traîtres, les saboteurs, les contre-révolutionnaires, les ennemis du peuple. Les "58" étaient très nombreux dans les camps, surtout parce-qu'arrêtés pour tout et n'importe quoi, on va le voir au prochain post.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Un tailleur, mettant de côté une aiguille, la pique au mur dans un journal affiché, pour ne pas la perdre, et atteint l'oeil de Kaganovitch. Vu par un client. Article 58, dix ans (terrorisme).

Une vendeuse, réceptionnant de la marchandise auprès d'un expéditionnaire, l'enregistre, faute de mieux, sur une feuille de papier journal. Le nombre de morceaux de savon s'inscrit sur le front du camarade Staline. Article 58, dix ans.

Un conducteur de tracteur, pour se tenir chaud, garnit un de ses méchants brodequins d'un tract électoral pour les élections du Soviet Suprême, une femme de ménage s'aperçoit qu'il lui en manque un (elle en avait la responsabilité) et découvre qui l'a pris. Article 58, le conducteur écope de dix ans, pour propagande contre-révolutionnaire.

Un charpentier sourd-muet, oui, même lui, attrape un temps de peine pour propagande contre-révolutionnaire. Il jette sa veste et sa casquette sur le buste de Lénine. Quelqu'un passe et l'aperçoit...

Dans un mouvement de colère, un vacher engueule une bête désobéissante en la traitant de "pute du Kolkhoze". Article 58...

La marmaille se dissipe au kolkhoze, bataille, le frottement des dos arrache du mur je ne sais quelle affiche. Les deux aînés sont condamnés, article 58 (les enfants sont responsables pénalement de leurs actes à partir de 12 ans).

[...]

Absurde ? Saugrenu ? Dénué de sens ? Pas le moins du monde : c'est justement ça, "la terreur comme moyen de persuasion". Il existe un proverbe qui dit : à force de tuer des pies et des corbeaux, tu finiras bien par tuer un cygne !

[...]

J'entends d'ici les clameurs : toute cette énumération est monstrueuse ! incongrue ! Elle est même incroyable ! L'Europe n'en croira rien !

L'Europe, bien sûr, n'en croira rien.

Et nous ? Il y a une cinquantaine d'années, nous ne l'aurions pas cru pour tout l'or du monde.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 11 - Les bien-pensants - Extraits choisis

Le lecteur sera-t-il d'accord avec le critère suivant : sont des prisonniers politiques ceux qui savent pourquoi on les a coffrés et restent fermes dans leur conviction ?

Si oui, la réponse sera : nos inébranlables, qui, nonobstant leur propre arrestation, sont restés fidèles à la seule voie juste, etc.., ceux-là sont fermes dans leurs convictions, mais ne savent pas pourquoi on les a coffrés ! Ergo, ils ne sauraient être considérés comme des prisonniers politiques.

Si mon critère n'est pas bon, prenons celui d'Anna Skripnikova ; tout en purgeant ses cinq temps de peine, elle a eu le temps d'y réfléchir. Le voici : "Le détenu politique est celui qui a des convictions dont la répudiation pourrait lui valoir la liberté. Ceux qui ne possèdent pas de pareilles convictions sont de la racaille politique".

Pas mal, ce critère, je trouve. Il englobe les persécutés pour leurs idées à toutes les époques. [...] Mais où sont donc les convictions qu'on les incite à répudier ? Nulle part, elles n'existent pas. Autrement dit, et quelque vexant qu'il soit de lâcher telle affirmation, le tailleur, le sourd-muet de tout à l'heure entrent dans la catégorie des victimes impuissantes et qui ne comprennent pas.

@ boeingue : Je pense que certaines choses dépassaient l'entendement. Cela paraissait tellement impossible, que bon nombre n'y croyait pas. Ce genre de réaction arrive encore de nos jours...

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

De quoi va-t-il être question dans ce chapitre ?

De tous ceux, peut-être, qui, en dépit de l'incarcération, des avanies de l'instruction, du verdict immérité, puis de l'existence corrodante dans les camps, de tous ceux qui, en dépit de tout cela, ont conservé leur conscience communiste ?

Parmi eux, il s'est trouvé des gens pour lesquels cette foi communiste a été intérieure, a été parfois l'unique sens de ce qu'il leur restait de vie. [...] Aujourd'hui, quand ils parlent du passé, ils ne voient pas le principal et unique arbitraire des camps dans le fait que c'étaient des communistes qui y étaient, et merde pour tous les autres.

Bref, des gens qui portaient leurs convictions communistes en eux-mêmes et non pas perpétuellement en sautoir.

[...]

Nikolaï Kallistratovitch Govorko, réduit à l'état de crevard à Vorkouta, avait composé une "Ode à Staline" (qui s'est conservée jusqu'à nos jours), mais pas pour la faire publier, pas pour qu'elle lui permette d'obtenir des privilèges, mais parce qu'elle coulait du plus profond de son âme. Et il planquait cette ode au fond de la mine (à quoi ça rimait, pourtant, de la planquer ?)

Certains de ces hommes, parfois, conservent leur esprit de conviction jusqu'à la fin. Parfois, après leur réhabilitation, ils refusent de reprendre une carte du parti.

Ainsi voyez-vous, nous n'analyserons dans ce chapitre ni le cas des premiers ni celui des seconds.

Nous examinerons ici le cas précis des orthodoxes qui étalaient leur conviction idéologique d'abord chez le commissaire-instructeur, puis en prison dans les cellules, ensuite au camp devant tout un chacun, et qui aujourd'hui évoquent le passé des camps en le peignant de ces couleurs-là.

[...]

La chute leur faisait mal. "On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs", tel était l'alerte dicton qui leur servait à tout justifier. Et subitement c'étaient eux-mêmes qui étaient cassés et se retrouvaient dans l'omelette.

Dire que la chute leur faisait mal, c'est ne rien dire ou presque. Elle leur était insoutenable : être frappé d'un coup pareil, subir pareil naufrage, qui plus est du fait des leurs, du fait de leur Cher Parti et, de toute évidence, pour rien !

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Voyez quelle sorte de gens c'était. Olga sliozberg avait déjà vu arrêter son mari, on vient perquisitionner chez elle et l'embarquer. Quatre heures de perquisition, qu'elle passe à mettre de l'ordre dans les procès-verbaux du congrès des stakhanovistes de l'industrie des brosses de crin, dont, la veille encore, elle était la secrétaire. La mise au point des procès-verbaux la préoccupait plus que ses enfants, qu'elle allait quitter pour toujours Même le commissaire-instructeur qui dirigeait la perquisition n'y tint plus et lui conseilla : "Mais dites donc adieu à vos enfants !"

Voyez quelle sorte de gens c'était. Iélizavèta Tsvertkova, purgeant sa peine à la maison centrale de Kazan en 1938, reçoit une lettre de sa fille âgée de quinze ans : "Maman ! Ecris-moi si tu es coupable, oui ou non ?... Je préfère que tu ne sois pas coupable, à ce moment-là je n'entrerait pas au Komsomol et ne pardonnerai à personne ce qui t'est arrivé. Mais si tu es coupable, je ne t'écrirai plus et je te haïrai". Et la mère se ronge dans l'humide cercueil de sa cellule : comment imaginer la vie de sa fille, privée de Komsomol ? et haïssant le pouvoir soviétique ? Quelle haïsse plutôt sa mère. Et elle lui écrit : "Je suis coupable... Entre au Komsomol !"

[...]

C'est le prix que paie l'homme pour avoir confié l'âme que Dieu lui a donnée à un dogme fait de mains d'homme.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Et en quoi donc consiste la haute vérité des bien-pensants ?

Et bien, en ceci que leur conception du monde ne doit pas être influencée par la prison ! Ni être influencée par le camp ! Nous avions certaines positions, nous continuerons d'avoir les mêmes ! Nous sommes des marxistes ! Nous sommes des matérialistes ! Comment pourrions-nous changer pour la seule raison que nous nos sommes retrouvés, par hasard, en prison ?

Oyez leur véritable morale : je suis en taule sans raison, donc je suis un type bien, tandis que tous ceux qui m'entourent sont des ennemis et ont été coffrés pour quelque chose.

Voici maintenant V.P. Golitsyne, fils d'un médecin de district, ingénieur des voies ferrées. Il a passé 140 jours dans la cellule des condamnés à mort (il a eu le temps de réfléchir !). Ensuite, peine de quinze ans, ensuite exil perpétuel. "Rien n'a changé dans mon cerveau, je suis toujours le même bolchevik non-membre du parti. Ce qui m'a aidé, c'est ma foi dans le parti, c'est d'avoir cru que les auteurs du mal qui se pratiquait n'étaient pas le parti ni le gouvernement, mais la volonté mauvaise de certaines gens (quelle analyse, hein !) qui arrivent et qui repartent, tandis que tout le reste (!) demeure..."

De ceux-là on dit : il a fait la tournée des forges pour en revenir non ferré.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 12 - Bzz !... bzz !... bzz !... - Extraits choisis

A notre époque de technique, le travail des yeux est fait en partie par les appareils de photo et les cellules photo-électriques, celui des oreilles par les micros, les magnétophones, les appareils à laser. Mais durant toute la période embrassée par ce livre, les "mouches" furent presque les seuls yeux et les seules oreilles du Tchékaguébé.

Au cours des premières années de la Tchéka, les mouchards reçurent le nom de "sekretnyïé sotroudniki", collaborateurs secrets. Cela fut abrégé en "seksote". Les années passant, le mot se gonfla, en outre, du sang brun-jaunâtre de la trahison, et dès lors il n'y en eut pas, dans la langue russe, de plus abject.

Mais ce mot-là ne s'employait qu'à l'extérieur. L'Archipel avait les siens : en prison, le "mouton" ; au camp, "la mouche". Cependant, de même que de nombreux mots de l'Archipel gagnèrent le grand large de la langue russe et firent la conquête de tout le pays, de même la "mouche" devint au bout d'un certain temps une notion des plus communes. Ce fait témoigne de l'unité et de l'universalité du phénomène qu'est le mouchardage.

[...]

Il est difficile de s'habituer à se poser perpétuellement cette question : qui moucharde ici ? Ici, c'est à dire dans votre appartement, dans votre cour d'immeuble, dans l'atelier d'horlogerie, l'école, la salle de rédaction, l'usine ou même le commissariat de police où vous travaillez. La seksote, c'est cette gentille voisine qui est venue vous demander un peu de levure et a filé signaler que quelqu'un vivait chez vous sans permis de séjour. C'est ce brave gars avec qui vous avez bu de la vodka et qui a rapporté que vous aviez dit en jurant et en sacrant qu'il n'y avait rien à acheter dans les magasins.

Vous ne connaissez pas leur visage, et ensuite vous vous demandez comment les Organes omniprésents ont bien pu savoir que, pendant l'exécution par toute la foule du Chant à la gloire de Staline, vous vous êtes contenté d'ouvrir la bouche sans vous donner la peine d'émettre un son. Ou bien que vous n'étiez pas gai au défilé du 7 novembre...

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Dans un réduit minuscule, un ouvrier maroquinier effectue des réparations. Entre un homme sympathique : "Ne pourriez-vous pas me réparer cette boucle de ceinture ?" Et, à voix basse : "Vous allez immédiatement fermer votre atelier et sortir dans la rue ; vous verrez une voiture immatriculée 37-48, ouvrez directement la portière et montez-y, elle vous mènera là où il faut." On connait la suite : "Vous êtes un bon soviétique ? alors vous devez nous aider." Un atelier comme celui-là, c'est une base rêvée pour collecter les rapports faits par les citoyens !

[...]

L'outillage de l'agent recruteur se présente comme un jeu de clés. Clé n°1 : "Vous êtes un bon soviétique ?" N°2 : promettre ce que l'homme qu'on veut recruter essaie vainement d'obtenir par les voies légales depuis de nombreuses années. N°3 : exercer une pression sur son point faible, le menacer de ce qu'il redoute le plus. N°4...

Oh ! il arrive qu'une toute petite pression suffise. On convoque un certain A.G. dont on sait bien que, pour le caractère, c'est une nouille. Et tout de suite : "Dressez la liste de toutes les personnes qui ont des sentiments anti-soviétiques parmi vos relations." Il s'affole, il se tortille : "Je n'ai pas de certitudes..." Il n'a pas bondi, il n'a pas tapé du poing en criant : Comment osez-vous ?! "Ah, vous n'avez pas de certitudes ? Et bien dans ce cas, dressez donc la liste des gens dont vous vous portez garant qu'ils sont des soviétiques à cent pour cent. Mais vous vous en portez garant, attention ! Si vous donnez une attestation mensongère ne fût-ce que sur un seul d'entre eux, vous serez pris immédiatement, vous aussi ! Pourquoi donc n'écrivez-vous pas ? - Je... je ne peux pas me porter garant. - Ah ! Vous ne pouvez pas ! Par conséquent, vous savez qu'ils sont antisoviétiques. Et bien, indiquez donc les gens de qui vous savez ça." Et il transpire, il se trémousse, et il se torture, ce bon et honnête lapereau.

La pierre est autrement dure que l'homme, et pourtant elle aussi se laisse casser.

[...]

Si l'appât vous glisse des mains en arguant qu'il lui est difficile de rassembler des données précises, on lui explique : "Donnez ce que vous avez, nous vérifierons ! - Mais si je n'en suis pas sûr du tout ? - Alors, il faut conclure que vous êtes un véritable ennemi ?"

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 13 - On prend les mêmes et on recommence - Extraits choisis

Quand on vous a déjà coupé la tête, peut-on la recouper ? Quand on vous a déjà écorché vif, peut-on recommencer ? Mais oui !

Tout cela a été mis au point dans nos camps. Tout cela a été inventé par l'Archipel ! Et qu'on ne dise pas que la brigade est notre seule contribution à la science mondiale en matière de châtiment. Et la seconde peine de camp, ça n'en est pas une ?

[...]

Ces nouvelles peines que l'on distribuait sans nouvelle arrestation, sans instruction ni jugement au camp, en convoquant simplement les détenus à l'Ourtch, brigade après brigade, et en leur demandant de donner leur signature (le refus de signer valait cachot). Et on vous expliquait gentiment, encore : "Ca ne veut pas dire qu'on ait quoi que ce soit à vous reprocher, vous devez seulement signer comme quoi vous avez été avisé".

[...]

Il vous suffit de lâcher à voix haute votre motif de condamnation pour écoper d'une nouvelle dizaine. Il est vrai qu'à partir du moment où commence la nouvelle dizaine, la première cesse de courir, si bien qu'au lieu de vingt ans, vous n'aurez à en faire que treize, quinze... Plus, malgré tout, que votre corps n'en pourra supporter.

[...]

On pourrait croire que, quand un homme est dans un camp, peu lui importe d'être arrêté. Lui qu'on a pris un jour chez lui, dans son lit bien chaud, cela peut-il lui faire encore quelque chose d'être tiré d'une baraque inhospitalière aux châlits nus ? Et bien si, ça lui fait beaucoup ! Dans la baraque, on a une ration de pain, parfois un poêle qui chauffe - or voici qu'arrive le surveillant, qu'il vous tire par la jambe en pleine nuit : "Prépare-toi !" Ah ! comme on n'a pas envie d'y aller !...

NB : Ce chapitre est un peu une redite puisqu'on avait déjà parlé des "récidivistes" et du pourquoi du comment on les gardait sur l'Archipel.

Nous sommes à la moitié de l'ouvrage. Il y a régulièrement des redites, mais il faut comprendre que Soljénitsyne a écrit son livre en prenant (aussi) appui sur des centaines de témoignages. Ceci explique cela. Je m'efforce de limiter ces répétitions et/ou de résumer librement.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 14 - Changer de destin ! - Extraits choisis

Maintenir son intégrité dans ce monde inhumain, c'est chose impossible. Se croiser les bras, c'est un suicide. Faire la grève de la faim, c'est inutile.

Quant à la mort, elle viendra toujours assez tôt.

Que reste-t-il donc au prisonnier ? S'échapper ! Partir pour changer de destin ! Les zeks appellent encore l'évasion "le procureur vert". C'est le seul procureur qui soit populaire parmi eux. Comme ses collègues, il laisse beaucoup d'affaires dans l'état où il les a trouvées, ou même en plus mauvais état encore, mais parfois il vous libère sans conditions. Ce procureur, c'est la verte forêt, ce sont les buissons et l'herbe tendre.

[...]

La zone est bien gardée : la palissade est solide, l'avant-zone sûre et les miradors correctement disposés, de façon que tous les points du territoire soient sous leur regard ou sous leur feu. Mais vous êtes soudain pris d'une nausée de désespoir à l'idée que c'est précisément ici, sur ce bout de terrain clos, que le destin vous condamne à mourir. Pourquoi donc ne pas tenter votre chance ? C'est surtout en début de peine, durant la première année, que cette impulsion est forte et même irréfléchie.

[...]

Il y a eu, apparemment, un assez grand nombre d'évasions chaque année, depuis le début des camps. Au cours du seul mois de mars 1930, 1328 personnes se sont évadées des lieux de détention.

Avec l'énorme développement de l'Archipel après 1937, notamment durant les années de guerre où les soldats de la garde qui étaient aptes étaient envoyés au front, il devint de plus en plus difficile de fournir des escortes. Sans doute avait-on fait des comptes, au Goulag, et s'était-on convaincu que cela revenait beaucoup moins cher d'admettre chaque année la déperdition d'un certain pourcentage de zeks, plutôt que d'instituer une garde vraiment sévère. Outre cela, ils comptaient aussi sur certaines chaînes invisibles qui retenaient solidement les indigènes à leur place.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

La plus solide de ces chaînes était l'abattement général, la résignation complète des détenus à leur conditions d'esclaves.

[...]

La seconde chaîne était le régime de famine du camp. Bien que ce fût parfois justement la faim qui poussât des hommes pris de désespoir à s'enfoncer dans la taïga où ils comptaient trouver quand même plus à manger qu'au camp, c'était elle aussi qui, en les affaiblissant, ne leur laissait pas la force suffisante pour filer un peu loin et les empêchait de se constituer des provisions de route.

Il y avait encore une autre chaîne : la menace d'une nouvelle peine. L'évasion valait aux politiques une dizaine supplémentaire.

[...]

Il y avait aussi la muraille énorme que dressait contre les évasions la géographie de l'Archipel : ces étendues sans limites, désertes, de neige ou de sable, cette toundra, cette taïga. La Kolyma n'est pas une île, mais elle est plus redoutable qu'une île : c'est un morceau de terre complètement isolé. Où irait-on ? Il fut un temps, il est vrai, où les Iakoutes étaient bienveillants à l'égard des détenus et les aidaient. "Neuf soleils - je te conduis à Khabarovsk." Et ils les emmenaient dans des traîneaux tirés par des rennes. Mais, par la suite, les truands qui s'enfuyaient se mirent à les dévaliser et les Iakoutes changèrent d'attitude, ils livrèrent désormais les évadés.

L'hostilité de la population environnante, attisée par les autorités, finit par devenir le plus grand obstacle aux évasions. Les autorités ne se montraient pas avares quand il s'agissait de récompenser une capture. Et les populations voisines du Goulag s'habituèrent peu à peu à ce que capturer un évadé fût une fête, comme de faire bonne chasse ou de trouver une pépite.

[...]

A. Soljénitsyne explique ici la "rémunération" : farine, thé, tissu, ou kilos de hareng.

[...]

Pendant la guerre, il était impossible de se procurer du hareng autrement, aussi les habitants de ces régions avaient-ils donné aux évadés le surnom de "harengs". Dans le village de Cherstki, par exemple, dès qu'ils voyaient apparaître quelqu'un qu'ils ne connaissaient pas, les petits enfants couraient comme un seul homme : "Maman ! Un hareng !"

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Dans le cas où on l'a capturé mort, on peut jeter le corps de l'évadé près du réfectoire du camp où on le laisse plusieurs jours avec sa blessure qui pourrit - afin que les détenus apprécient mieux leur rinçure claire. Si on l'a repris vivant, on peut le planter près du poste de garde et au moment où les brigades passent pour aller au travail, lancer sur lui les chiens.

Si on le bat, il faut qu'il en ait des lésions aux reins. Si on lui met des menottes, il faut qu'il les garde pour le restant de ses jours, l'articulation du poignet en devenant insensible. Si on le jette au cachot, qu'il n'en sorte pas sans la tuberculose.

En fait, rouer de coups le fuyard et le tuer, cela constitue dans l'Archipel la forme dominante de lutte contre l'évasion.

[...]

Voilà quelle quantité de barrières et de gouffres font obstacle à l'évasion.

Mais il arrive qu'un coeur en proie au désespoir ne pèse ni le pour ni le contre. Il voit une rivière qui coule, un rondin qui flotte à la dérive et hop ! A Dieu vat ! Viatcheslav Bezrodny, qui venait de sortir de l'hôpital et était encore extrêmement faible, s'enfuit du camp d'Oltchane en descendant sur deux rondins assemblés la rivière Indiguirka - direction l'océan Glacial ! Où allait-il ? Qu'espérait-il ? On ne peut même pas dire qu'il fut capturé, il fut cueilli en pleine mer ramené en traîneau à Oltchane, dans le même hôpital.

De tous ceux qui ne sont pas revenus d'eux-mêmes au camp et qu'on n'y a pas non plus ramenés à demi morts ou rapportés à l'état de cadavres, on ne saurait dire à coup sûr qu'ils ont réussi leur évasion. Peut-être ont-ils seulement échangé la mort à petit feu, la mort d'esclave qui les attendaient au camp, contre une mort libre de bête sauvage dans la taïga.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant

Rejoindre la conversation

Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

Chargement

×