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Petite histoire de la quatrième de couverture


January

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Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
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Trompeusement reléguée à l’arrière d’un livre, la « quatrième » n’en est pas moins la page la plus substantielle. Destinée à ouvrir l’appétit des lecteurs, elle préside en grande part au destin d’un ouvrage en librairie.

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On a tendance à l’oublier : les livres sont ainsi faits qu’on les commence toujours à l’envers. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les lecteurs potentiels, flânant au hasard des rayons d’une librairie : l’œil d’abord accroché par un titre, un nom d’auteur, ou un prix littéraire mentionné sur bandeau coloré, ils retournent immanquablement l’ouvrage pour en parcourir le plat verso.

Qu’on ne s’y méprenne pas, car si l’on réserve à la « quatrième » le dos d’un livre, c’est précisément parce qu’elle endosse, en matière de lecture, un rôle des plus stratégiques. « Zone indécise entre le dedans et le dehors », ainsi que le rappelle Gérard Genette dans son ouvrage consacré aux « seuils » du texte littéraire, la quatrième matérialise le vestibule du roman, offrant à tout un chacun la possibilité d’y entrer ou de lui tourner, à son tour, le dos. Aussi est-elle au centre de l’attention des éditeurs… et de leurs interrogations. En effet, quelle place accorder à ce texte ? Quelle longueur lui donner pour piquer la curiosité du lecteur sans risquer d’engourdir sa fragile attention ? Faut-il en confier la rédaction à l’auteur lui-même ? Est-il seulement à même d’intervenir dans ce qui revient, somme toute, à la commercialisation de son ouvrage ? Comment parvenir, du reste, à promouvoir une œuvre sans en dénaturer le sens, ni verser trop explicitement dans le pur discours marketing ?

Petite histoire d’un petit texte

Si ces questions se posent nécessairement aujourd’hui, une archéologie de la quatrième prouve qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Au Siècle des Lumières, celle-ci existait sous la forme embryonnaire – et ostensiblement publicitaire – du «prospectus» : soit une réclame, communiquée par les éditeurs à la presse et qui donnera bientôt naissance au «prière d’insérer» – un texte bref, incitatif et élogieux, que les directeurs de journaux du XIXe siècle se voyaient littéralement priés d’inclure dans leurs colonnes, dans le but d’informer le public de l’actualité éditoriale. Durant la première moitié du XXe siècle et l’entre-deux-guerres, ce libellé prendra la forme d’un encart, feuille glissée dans les seuls exemplaires de presse, mais destinée cette fois au lectorat plus ciblé des critiques littéraires. Il faudra attendre l’après Seconde Guerre mondiale pour que ces feuilles volantes soient élargies à tous les exemplaires – et donc au public – et plus encore pour que celles-ci soient directement imprimées au verso des livres, pour des raisons bassement économiques.

Savant dosage entre la sécheresse du compte-rendu et l’effusion du dithyrambe, jeu subtil d’accroche et de dérobades, la quatrième requiert finesse et ingéniosité. Un exercice périlleux, auquel certaines maisons d’édition se dérobèrent longtemps. Ainsi le lecteur chercherait en vain une quatrième aux ouvrages de Beckett : au verso de Fin de partie ou d’En attendant Godot, ne vacille que l’étoile bleue des éditions de Minuit. Quant au dos duRivage des syrtes, seule y figure l’austère liste des autres parutions de Gracq «chez le même éditeur», à savoir: José Corti.

Aujourd’hui, cependant, les deux maisons d’édition réfractaires ont dû renoncer à leurs quatrièmes vierges. Quoique jugées plus esthétiques, elles demeurent l’apanage de leurs seules oeuvres historiques. «Si nous pouvions encore nous en passer, cela ne me gênerait pas, explique Fabienne Raphoz co-responsable des éditions Corti. Mais vouloir se démarquer à tout prix aurait un côté hautain ou élitiste, que nous ne recherchons pas. C’est pourquoi nous jouons le jeu.»

La meilleure plume pour une page quatre

En mai 1926, un mois avant la parution de Mont Cimène, Julien Green écrivait dans son Journal : «J'ai fait aujourd'hui la notice que l'on doit glisser dans les exemplaires de presse de mon livre. Il est ridicule et gênant d'écrire ainsi sur soi-même, mais si je ne le fais pas, un autre le fera à ma place, et plus mal encore.» Une dizaine d’années plus tard, dans la quatrième de son Gilles, Pierre Drieu La Rochelle confessait les mêmes difficultés, mais aboutissait à une conclusion inverse : «Une prière d’insérer est difficile à rédiger par le romancier s’il sait que la critique la lira comme une préface. En effet, un roman n’admet pas de préface. Il ne peut que se suffire à lui-même […] Ce n’est pas à l’auteur de dépecer son livre mais au critique.» Ce faisant, l’écrivain recueillait dans l’espace même du plat verso l’écho d’un débat éditorial qui, aujourd’hui encore, n’a pas été clôt.

Si, au dire de certains éditeurs, l’auteur possède la meilleure plume pour parler de son propre ouvrage P.O.L, Corti, Michel de Maule…, d’autres allèguent au contraire son manque de distance vis-à-vis de son livre. Ainsi, Fabienne Raphoz croit beaucoup au «syndrome de Mozart», qui composa l’ouverture de son Don Giovanni à la veille de sa première représentation au Théâtre national de Prague. À l’inverse, cette proximité de l’artiste à son œuvre est jugée précisément néfaste par Dominique Gaultier, le fondateur du Dilettante : «Il est parfois difficile de faire admettre cette évidence aux écrivains, alors je leur explique : ils ont fait le bijou, mais pour l’écrin, c’est notre travail.»

Chez Actes sud, la rédaction de quatrièmes «maison» relève d’une tradition, clairement revendiquée du reste par la mention «LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS». Un titre en lettres capitales auquel s’ajouta même, jusqu’au début des années 1990, la signature des grands éditeurs tels que Bertrand Py ou Hubert Nyssen...

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«C’est une façon de rappeler que nos quatrièmes consistent en une présentation subjective et assumée comme telle», explique Marie Desmeures, éditrice responsable de la collection «Babel». Selon elle, les auteurs sont d’ailleurs conscients de leur propre manque de recul, angoissés qu’ils sont par la sortie prochaine de leur livre en librairie. S’il leur arrive de réclamer quelques «ajustements minimes», ils respectent la plupart du temps ce parti pris de lecture extérieure, y compris lorsque la leur diffère. L’éditeur joue alors pleinement son rôle de «lecteur en amont de tous les autres», chargé de les représenter et d’«exiger en leur nom», comme l’expliquait Bertrand Py, dans une interview accordée au magazine belge ONLit en 2008.

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Dans une perspective plus explicitement commerciale, certaines maisons d’édition ont même créé un poste spécifique, entièrement voué à la conception des quatrièmes et rattaché, la plupart du temps, au service de promotion. Chez Albin Michel, par exemple, Anna Colao rédige jusqu’à quarante prières d’insérer par mois, tous domaines éditoriaux confondus et exceptés les quelques cas où l’auteur tient impérativement à s’en charger lui-même c’est le cas d’Amélie Nothomb, par exemple. Un cahier des charges qui, bien entendu, ne lui permet pas de lire tous les ouvrages… «Je parcours des épreuves, explique-t-elle, et travaille à partir des notes de lecture des éditeurs et des traducteurs.»

Dans la plupart des cas, cependant, la quatrième résulte d’une étroite collaboration entre l’écrivain et son éditeur, dialogue qui, selon les maisons et les auteurs, fonctionne dans un sens ou dans l’autre. Ainsi chez Gallimard, Denoël ou Michel de Maule l’éditeur soumet à l’auteur un «brouillon» ou «squelette» de quatrième, que celui-ci peut ensuite transformer à sa guise – et parfois radicalement. Inversement, il arrive que l’écrivain, à l’instar de J.M.G. Le Clézio, se fasse une idée très précise de ce qu’il attend en page quatre. Revient alors aux éditeurs la délicate tâche de corriger le texte en ménageant les sensibilités : l’écourter lorsqu’il est trop long – une préoccupation récurrente pour la collection Folio – ou «pousser l’écrivain à être un peu plus mordant, si son texte se révèle trop modeste», comme l’explique Fabienne Raphoz.

Suite : http://www.magazine-...e-de-couverture

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Membre, What did you expect ?, 49ans Posté(e)
Goyave Membre 7 623 messages
49ans‚ What did you expect ?,
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Quoi qu'il en soit je ne lis jamais la 4ème de couv.... je préfère avoir la surprise, parfois des bonnes, parfois des mauvaises :)

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Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
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J'en lis le moins possible, deux ou trois phrases. Souvent la quatrième est tout simplement un extrait du bouquin. Je préfère les quatrièmes d'Actes Sud par exemple, en forme de critique.

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