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Invité Leveilleur

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La rencontre

« Quand on met le poids de la vie non dans la vie, mais dans l’au-delà – dans le néant – on a tout simplement privé la vie de sa gravité. ». L’antéchrist. F. Nietzsche.

Terre sèche et vent froid

Pierres blanches et salées

Parfums mauves et suaves

Ses mots

M’ont fait trembler bien des fois

Et empêché de dormir bien des nuits

C’est la plus belle chose qu’il me reste

Des nuits et des tremblements

Il est passé devant le soleil. J'étais assis sur une pierre reprenant un souffle effiloché aux branches et rochers du chemin. Un sentier qui gravissait en serpentant cette petite montagne que les gens du coin appellent « le pilon du roi ». Le pilon, c’est un gros rocher gris qui s’élève comme un doigt, il pointe vers le ciel plus de soixante-dix mètres de falaise. Son périmètre ne dépasse pas la centaine de pas. Depuis combien de millions d’années m’attendait-il, secoué par un vent qui lui livrait une bataille incessante ? L’adolescent que j’étais, venait chercher auprès de lui une sorte de protection paternelle. Il était aussi un ami à qui je confiais mes peines et mes craintes. Pas un arbre n'avait réussi à prendre pied ici, que des pierres et de la poussière en guise de terre. Un vent fou hurlait jour et nuit presque trois cent soixante cinq jours sur trois cent soixante cinq. Il y avait bien quelques pins sylvestres sur la façade sud, un peu plus bas. Le vent passait au-dessus de leur tête en les ignorant. Quelles bêtes auraient pu vivre là ? Quelques chèvres dans le temps de Pagnol avaient sans doute dessiné ces sentes encore visibles de nos jours.

Lorsqu'il s'arrêta devant moi, en sifflant un salut qui ressemblait au chant du mistral sur le roc, je ne pus rien discerner d'autre que ses chaussures, tant le soleil éblouissant faisait de lui une ombre chinoise gracieuse, et de moi, une tomate roussie. Je ne l'avais pas entendu arriver. Sa voix me fit sursauter, je venais de m'asseoir un instant plus tôt. Comment avait-il pu se trouver devant moi si rapidement, sans que je perçoive son mouvement ? Je me répondis en moi-même que le bruit de ma respiration essoufflée avait du recouvrir celui de ses pas, et que sans doute il n'était guère loin quand je décidai de m'arrêter. Le vent, la sueur, mon souffle haletant et la chaleur m'avaient coupé d'une partie de mes sens. Ses chaussures étaient des sandales de cuir. Comme celles que les moines portaient au temps jadis, du moins c'est ce que je me figurai. Lorsqu'il s'aperçut de ma gène et de mon éblouissement, il s'écarta un peu me laissant le loisir de le regarder. Tout d'abord ce sont ses yeux foncés et légèrement riants qui me frappèrent, puis son chapeau de feutre noir enrubanné d'un tissu multicolore. Sous sa chemise fleurie, grande ouverte, brillait une sorte de débardeur blanc sans tâche aucune. Un homme entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans se tenait devant moi, droit dans son jean appuyé sur un bâton de marcheur.

« Belle journée pour marcher en solitaire, n'est-ce pas? » me lança-t-il comme pour démarrer une conversation ou me rassurer.

C'était le jour de mes dix-sept ans. Le premier jour d'une année de longues marches dans la nature, en pleine forêt et dans les collines entre Marseille et Gardanne. Mais ces marches n'étaient pas de simples randonnées. De celles où l'on compte le temps et les pas pour s'assurer du chemin parcouru, c'étaient des marches vers Dieu, ou du moins ce que je croyais être Dieu. Il fallait bien qu’un créateur existe, cela représentait pour moi la clé de toutes les énigmes, « où était donc l'erreur ? Car il n'y avait pas de doute, la cigogne s'était trompée de planète! ». Alors, je le cherchais, persuadé qu’il se montrerait plus facilement dans des lieux comme celui-ci. Le silence des sommets doit ressembler à celui des déserts, l’esprit s’y occupe différemment. Le dialogue intérieur se simplifie, les pensées se réduisent, réduisant l’ego. Ce n’est pas vous qui accomplissez la métamorphose, non, c’est bien la force qui habite ces endroits. Celle qui respire sous le manteau du silence. Vos pensées se dilatent, vous touchez à des parties secrètes de votre être. Le dialogue n’est pas stoppé, il change de forme, comme si une troisième voix se mêlait à votre conversation interne. Pour ces raisons, je ne me sentais pas seul lorsque je me trouvais sur la montagne. Je parlais avec quelqu’un, je ne pouvais le nommer ni le définir, mais je sentais bien sa présence. La « chose » était là, dans l’air et parfois dans la pierre, elle flottait comme un fantôme, elle me touchait la peau parfois, me caressait les cheveux, me faisait frémir dans un sentiment mêlé de joie et de crainte.

Selon mes parents, j’étais un enfant difficile. Mon premier souvenir remonte à l’année mille neuf cent cinquante sept. J’avais donc deux ans. Nous vivions au Maroc, dans la ville de Casablanca. Pays que nous quittâmes l’année suivante à cause des troubles politiques que le monde appelait les « événements ». Qu’a donc déposé ce pays dans mes cellules ? Je me souviens des images qui me hantaient durant ces années qui suivirent. Souvent elles surgissaient de cette mémoire qui ne porte pas bien son nom. Au hasard d’une conversation, au détour d’une rue, en pleine classe alors que l’instituteur, Mr Pierron, m’interrogeait sur la leçon que je n’avais pas su retenir. C’étaient des images emplies d’une lumière blanche éblouissante. Voilà ce que ce pays et surtout cette ville blanche a imprégné dans ma chair. Ce devait être une après-midi, je venais de me réveiller d’une sieste indispensable. Les murs de la salle où ma mère avait installé mon lit étaient colorés sans doute, mais je ne m’intéressais ni aux murs ni aux meubles, ni aux toits. Seul le couloir avait un sens pour le petit bonhomme que j’étais, il donnait sur la cour extérieure. Au bout de ce couloir une énorme bouche aveuglante me faisait signe d’approcher. A cause de cette lumière, je ne pouvais regarder devant moi pour me diriger. Mes mains devant les yeux, j’avançais en suivant les dalles qui traversaient la pelouse. Mon instinct de petit garçon devait savoir qu’en marchant vers la chaleur de la cour, je trouverais la « mère » allongée dans sa chaise longue, sous l’ombre généreuse et lourde d’un palmier. Je traînais derrière moi le petit drap blanc dont on me couvrait afin que les mouches ne perturbent pas trop mon sommeil. Je marchais en grimaçant, j’étais mécontent comme un enfant qui vient de s’éveiller et voit sa solitude. Les enfants ont toujours peur d’être abandonnés, n’est-ce pas ? Je me souviens avoir traversé la cour en gémissant. Celle qui fut mon premier repère dans la vie. Celle dont je ne pouvais douter, émergea de son sommeil en marmonnant des mots qui sonnaient comme une réprimande. Il n’était pas bon que l’enfant soit déjà réveillé, qu’on allait le reconduire illico jusqu’à sa couche. Tel est le premier souvenir que j’ai de mon entrée dans ce monde. Une grande chaleur, une lumière aveuglante, des panneaux blancs partout qui renvoyaient les éclats éblouissants d’un soleil permanent.

A suivre ?

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Membre, Jedi pas oui, jedi pas no, 32ans Posté(e)
Jedino Membre 48 051 messages
32ans‚ Jedi pas oui, jedi pas no,
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Plutôt poétique, dans le fond, tout ça.

Par contre, j'admire : un souvenir à deux ans, c'est une performance que je ne suis pas en mesure de faire.

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Invité Leveilleur
Invités, Posté(e)
Invité Leveilleur
Invité Leveilleur Invités 0 message
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Merci d'avoir lu, allez ! je tente la suite, on verra bien.

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Partie 2

Je n’étais donc pas un enfant facile ; désobéissant et rêveur, je renâclais à la tâche. Indiscipliné et turbulent, je mettais toujours trop de temps à comprendre. Le temps de l’école arriva, J’ai traversé ces années de maternelle comme un extra-terrestre. Chaque jour, je me demandais pourquoi il fallait que je quitte la maison pour faire des gribouillis, faire la sieste dans un lit étranger, demander la permission pour aller aux toilettes ou alors se laisser aller à faire dans sa culotte. Dans le cadre scolaire, on remarqua très vite ma nature associable. Les autres enfants me regardaient à peine tellement je devais avoir sur ma figure un air sauvage et renfrogné. Le temps des récréations, je le passais le dos appuyé contre un mur de l’école. Refusant de participer aux activités de la communauté d’enfants, je finis par me faire oublier, j’étais devenu invisible. Ces deux premières années de scolarité plantèrent les racines du jeune être qui s’est constitué par la suite. Le monde m’était incompréhensible, les personnes, jeunes ou adultes parlaient une langue que j’avais beaucoup de difficulté à déchiffrer. Je précise que la langue française est toutefois ma langue maternelle. C’est comme si le système émetteur/récepteur dysfonctionnait. J’entendais bien chaque mot de la façon correcte lorsqu’ils étaient isolés. Dès qu’on les rassemblait, qu’on les mettait dans l’ordre exigé par la discipline de la phrase, un brouillard s’installait. J’en perdais des morceaux et parfois le tout. Une grande faculté d’égarement occupait mon esprit. Raison pour laquelle tout le monde s’accordait à me qualifier de « rêveur ». Lorsque la famille sortait faire ses courses dans les grands magasins, le grand frère avait la consigne de ne pas me lâcher la main. Jusqu’à l’âge de neuf ans, combien de fois m’a-t-on perdu ? Dans les zoos visités, dans les rues de la ville, alors que je marchais en compagnie de toute la famille. Dans les grandes surfaces où ma boussole interne n’écoutait plus que les influences magnétiques des rayons de confiserie. Du parasol planté dans le sable de la plage de Berk, à trente mètres de l’océan, j’ai su marcher jusqu’à l’eau, mais n’ai jamais retrouvé le chemin du retour. Il y avait bien trop de monde, trop de parasols semblables, trop de corps nus et emmaillotés. C’était pour mon esprit évaporé un labyrinthe inextricable. J’ai donc suivi la ligne sablonneuse que le soleil et la mer se disputaient, me disant que j’allais bien finir par tomber sur un de mes frères. J’étais désespéré et je ne pouvais savoir qu’en suivant cette trace c’est vers moi que je marchais. Symboliquement, j’ai l’impression que cette ligne entre terre et mer, entre connu et inconnu, entre intimes et étrangers est très présente à ce jour.

Adolescent, je recherchais la compagnie des crêtes montagneuses. Les sommets exerçaient une attirance magnétique sur mon âme. Dans leur solitude je trouvais la protection essentielle. Passer des journées entières à errer dans ces collines, le long des torrents, sur les Causses, joua pour le jeune homme que j’étais le rôle d’un second placenta. J’aimais lire dans ces lieux sauvages et construire ma personnalité brique après brique de mes réflexions. J’y ai développé également des instincts. Ces moyens de communiquer que l’on accorde volontiers aux animaux en compensation d’une intelligence qui leur ferait défaut. La part interventionniste de ces instincts en moi, rendait plus trouble encore la ligne qui sépare les espèces humaines et animales. La nature était mon royaume et dans mon imagination, je régnais comme Tarzan sur sa jungle. Je savais pister, reconnaître l’animal à la trace, me cacher lorsque je percevais les signes d’une intrusion étrangère. Ces marques, ces repères, que je ne voyais pas dans les jardins des hommes et dans leur société, cette absence de signe et de reconnaissance, ce sentiment d’être un étranger dans sa propre maison, c’est la nature et tout ce qu’elle contient de vivant qui m’aida à le porter. Mes parents étaient de bons sujets, de dignes représentants de cette humanité sociale. J’entendais dans leurs discours toute l’incohérence du système qu’ils voulaient me faire adopter, leurs arguments me rappelaient ceux des bonimenteurs de foire. Comme je ne pouvais aimer leur vision de la vie et du monde, je devins un rebelle à leurs yeux. Dès ma dixième année, mon sentiment que les adultes étaient des menteurs se cristallisa. Ils se battaient pour que leurs enfants ne cherchent pas d’autres traces que les leurs. Ils projetaient leurs idéaux bancals, leurs projets sociaux, leurs croyances, sur leurs enfants. Leur affection et leurs bras enserrés, autant de barreaux qui se refermaient sur moi. Dès que je le pouvais je m’évadai, il y avait toujours un lieu sauvage pour m’accueillir. La nature combla le fossé, la part manquante, celle que je ne voulais recevoir de mes parents, c’est elle qui me l’offrit. C’est dans un de ces lieux de prédilection que je rencontrai l’homme qui marqua ma vie d’une façon décisive.

A suivre ?

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