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Un (bon?) début


ST3PH

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ST3PH Membre 157 messages
Baby Forumeur‚ 47ans‚
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J'avais déjà posté le début de ce texte, j'avoue n'avoir aucun recul sur ce que j'écris, alors n'hésitez pas à me faire des remarques constructives.

En cette fin de nuit la rue s’agite doucement, la pluie pourrait faire une pause afin d’épargner les lève-tôt mais la gouttière continue à dégurgiter sous ma fenêtre. J’étire doucement mes jambes, reste quelques minutes dans le vague à la lueur de l’ordinateur avant de me décider à faire un café. Le néon de la cuisine hésite à s’allumer, une série de gestes automatiques et j’attends à nouveau comme au-dessus du vide tandis que la cafetière rompt le silence de l’appartement, un goutte à goutte hypnotique, une odeur envoûtante, ni endormie, ni vraiment éveillée, je me laisse bercer par le passage régulier des voitures qui fendent l’eau sur la chaussée.

Mon mug préféré en main, j’observe la clarté délavée du jour naissant. Un ciré noir attend juste en bas de l’immeuble que son chien à la laisse tendue fasse ses besoins, je grimace en pensant que je déteste croiser cette odeur sur le trottoir, particulièrement lorsqu’il pleut, dans un soupir je retourne faire face à mon écran, je me relis inlassablement cherchant une posture de recul, apporte quelques corrections puis finalement sauvegarde mon texte dans sa forme initiale. Deux semaines de vacances et déjà cinq jours écoulés sans que je ne mette le nez dehors, j’aligne les nuits blanches et les pages noircies, le brouillard dans lequel je traverse le monde s’épaissit un peu plus lors de périodes comme celle-ci. Mon casque sur les oreilles, je relance la playlist stoppée plus tôt, Nick Drake chante « Place to be », encore quelques mots inspirés et je considère que la journée commence alors même qu’elle ne s’est pas terminée.

La pluie a cessé, pas le vent. Je m’enfonce dans mon écharpe, tant pour échapper au froid qu’aux différentes effluves, mon sac maintenu contre la hanche je presse le pas jusqu’au supermarché, mon réfrigérateur vide ne m’a plus laissé le choix. L’heure est idéale lorsque l’on souhaite éviter l’affluence, je n’ai d’ailleurs croisé personne en sortant, je ne suis pas calée sur le même rythme que la plupart de mes voisins et comme je ne suis pas à l’aise avec les conventions sociales, cela m’arrange bien. Je n’aime pas particulièrement les grandes villes, je m’y suis habituée, je sais qu’on y est plus anonyme qu’ailleurs, que l’on peut se fondre dans la masse grouillante aussi désagréable que puisse être l’expérience. Je ne sais plus à quel moment j’ai réellement fait ce choix, j’ai suivi un homme jusqu’ici, il est parti, je suis restée.

Le magasin est calme, j’arpente les allées sans revenir sur mes pas, attrape les articles habituels, m’attarde sur le choix d’un paquet de gâteaux en fredonnant… « Brest » de Miossec, tiens, il est rare que j’apprécie la musique dans un supermarché, le plus souvent ce bruit sur le bruit m’agresse, je suis frôlée par une conversation téléphonique dont je ne peux m’empêcher d’imaginer brièvement le contexte, j’opte pour les palets bretons.

Des phrases se forment dans ma tête, étirent un paysage, le distordent, un chuchotement intérieur marque le rythme, appuie certains sons, je navigue entre réel et imaginaire, transforme mon ennuyeuse corvée en une petite histoire que je fixerai plus tard si je parviens à en dérouler le fil. Je reviens à l’instant en m’adressant à la caissière, lui souhaite sincèrement une bonne journée en récupérant le ticket qu’elle me tend, elle me renvoie une politesse, déjà tournée vers la personne suivante.

Des sacs bien chargés se balancent contre moi, ils frottent au sol si je ne replie pas légèrement les bras, le ridicule ne tue pas mais je ne perds pas de temps en chemin.

Voilà plusieurs jours que j’ignore où mon écriture m’entraîne, c’est excitant de se laisser surprendre mais il faudrait peut-être que je structure, travaille mes personnages. Mon texte est médiocre et le sujet me lasse un peu. J’ouvre une bière et mon carnet bleu, je libère d’une traite la petite scène formée un peu plus tôt dans mon esprit, une gorgée fraîche et je me relis dans un élan de satisfaction.

En entrant, je suis assaillie par des odeurs qui cohabitent en parvenant à créer plus ou moins harmonieusement l’identité du lieu, j’aime particulièrement cela lorsque que je viens ici. J’aime également beaucoup Mr Bird, le magasin lui appartient. Je progresse à travers les odeurs d’épices, d’aliments, de papier, de bois de chauffage, de matériaux et de produits divers, un petit homme presque chauve me regarde en dehors de ses lunettes approcher de son immense comptoir, il délaisse le cahier sur lequel il faisait glisser une règle et un crayon comme s’il ne voulait pas perdre une ligne, et m’adresse un bref sourire. Mr Bird, c’est avec ses yeux qu’il sourit le plus. Son nom lui convient bien, la couronne de cheveux qui lui restent finit par se recourber au-dessus de chaque oreille tels deux oiseaux sur le point, eux-aussi, de s’envoler.

J’ignore encore si Mr Bird prendra vie dans une histoire, mais j’ai eu besoin, le temps d’une immersion dans le monde, d’imaginer son existence.

Mon téléphone vibre quelque part, je le repère au milieu des coussins sur le canapé, un message et trois appels en absence de Babeth. Je n’écoute pas mon répondeur, je la rappelle. Tout juste deux sonneries avant qu’elle me lance :

— Ah ! Tu n’entends jamais ton téléphone ?!

Je souris :

— Salut ! Non, j’étais sortie faire des courses.

— Mais tu sais, ce qu’il y a de bien avec un téléphone portable, c’est que justement tu peux l’emporter avec toi !

— Il paraît.

— Bon, alors ? me lance-t-elle impatiente.

— Alors quoi ?

— Beh pour ce soir ?!

— Quoi ce soir ? Je n’ai pas écouté ton message.

— Punaise, Léanne… Bon, je te demandais si tu voulais boire un verre au pub, j’ai envie de sortir.

Je souris à nouveau :

— Tu me proposes d’aller au pub alors que je suis en vacances ?!

— Tu veux aller ailleurs ?

— Non, va pour le pub. À quelle heure ?

— Pas avant 21h30, le temps que je couche les enfants et que je file le relais.

Nous ne nous accrochons guère plus au téléphone, je n’aime pas cela, nous aurons tout le temps de bavarder autour d’un verre. Je l’imagine passer réellement un bâton de relais à son mari avant d’attraper son sac et s’échapper en courant abandonnant sa famille derrière elle, une sorte de passage de témoin inversé où celui qui récupère le bâton se retrouve immobilisé à la maison.

Élisabeth, on remarque avant tout son regard, un regard vif et pétillant, un regard déterminé qui ne se dérobe pas. Elle ne semble pas relever la fixité du mien lorsque je cherche à la comprendre. Elle me bouscule parfois, m’amuse souvent. Elle fissure ma cage de verre. Babeth est fiable, directe, elle est digne de confiance et ma seule véritable amie bien que je rencontre beaucoup de monde au pub. J’y travaille cinq soirs par semaine depuis 6 ans, un emploi qui ne paraît pas vraiment fait pour moi, et pourtant.

Je me suis retrouvée derrière le bar un peu par hasard, si tant est que le hasard existe. Si je devais regonfler ce mot de sens, il deviendrait l’expression de notre cécité, notre incapacité à discerner ce qui lie les événements, les choses et les personnes. Ce n’était cependant pas par hasard qu’à l’époque je cherchais un emploi en urgence. Mon compagnon avait quitté notre appartement assez brusquement m’informant qu’il souhaitait marquer « une pause » et ce n’est qu’en me retrouvant seule un bon moment que j’ai vraiment réalisé qu’il m’avait quittée moi aussi. J’étais arrivée au terme d’un contrat de travail quelques semaines auparavant et il me restait peu d’économie. J’activais donc rapidement les recherches et continuais à vivre comme un automate qui ne semblait pas avoir pris conscience de la blessure qui lui était infligée. La souffrance n’arriverait que plus tard, progressivement, insidieusement.

Je me souviens de cette fin d’après-midi extrêmement chaud en ville, de cette odeur de bitume et d’égout, des gouttes de sueur qui perlaient dans mon dos. J’allongeais le pas, pressée de rentrer après plusieurs achats, quand à deux rues de chez moi, mon regard s’accrocha sur la façade du Red Lion et cette annonce scotchée sur la porte :

CHERCHE SERVEUR(SE)

SE PRESENTER AU BAR

Je n’ai pas réfléchi et je suis entrée. Je n’ai pas l’habitude d’entreprendre ce genre de démarches sur un coup de tête, je me rappelle m’être sentie un peu déboussolée en m’approchant de cet homme plutôt charpenté, derrière son comptoir.

— Bonjour ! Qu’est-ce que je vous sers ? me lança-t-il en continuant d’essuyer rapidement des verres qu’il alignait aussitôt sur une étagère.

Derrière l’agitation de son grand torchon blanc, j’observais ses deux bras noircis de tatouages représentant des mécanismes qui semblaient se mettre en action à chaque contraction musculaire, je crois avoir fixé un peu trop certains détails de ces représentations bio-mécaniques et être restée figée un instant.

— Bonjour… Euuh rien merci, c’est pour l’annonce… lui répondis-je en pointant un doigt hésitant vers la porte.

Il ne s’est pas inquiété de mon manque d’expérience, il m’a surtout demandé si les horaires ne me poseraient pas de problème. J’ai commencé le mardi suivant, un soir tranquille. Nous nous sommes très vite entendus, ce qui a facilité mon apprentissage. C’est ainsi que le Red Lion est devenu mon point d’ancrage, une bouée au milieu des remous de ma vie personnelle.

Un jour je raconterai peut-être des histoires sur le microcosme d’un pub, mais pour l’instant mon écriture répond au seul besoin de libérer silencieusement les cris que j’étouffe depuis trop longtemps.

Sur cette pensée, le regard vague, je descends le reste de ma bière. Je règle l’alarme de mon téléphone sur 20h00, je peux ainsi reprendre sereinement mes activités. Je déteste l’idée même d’être en retard mais il m’arrive de ne pas sentir filer les heures, de rester comme suspendue aux aiguilles du temps, enrayant momentanément la machine tissant la trame de mon existence.

Ces derniers jours sont faits du même bouillon, un mélange de musique, d’écriture, de lectures d’articles d’actualité ou diverses publications, de découvertes artistiques… quelques échanges de mails avec un ou deux proches et un peu de yoga pour améliorer mes postures et mon tonus musculaire. Je mange quand j’y pense, je sors seulement sur ma terrasse entretenir les plantations avant le début du printemps ou faire quelques courses quand j’y suis forcée et j’entame mes nuits un livre en main. Je me nourris de ce bouillon et je m’y laisserai délicieusement couler le temps que durent encore ces vacances.

Je referme mon carnet bleu sur Mr Bird et me cale devant l’ordinateur pensant errer un peu sur internet. Je visite mes sites préférés et navigue allègrement d’un sujet à l’autre oubliant jusqu’à l’heure du déjeuner. J’étais complètement absorbée par un panorama de la planète Mars sur le site de la NASA quand je sentis trembler légèrement le plateau en manguier du bureau. Des clichés impressionnants du robot Curiosity, une vue à 360° et la possibilité de zoomer sur des détails. Je jette malgré tout un coup d’œil au téléphone vibrant bruyamment près de moi, le nom de Babeth s’affiche à nouveau. Je décroche, les yeux rivés sur le sol martien :

— Oui !

— Je ne te dérange pas ? (elle n’attend pas la réponse) Je voulais te prévenir que nous ne serons pas seules ce soir. J’ai proposé à ma collègue, Audrey, de nous rejoindre.

— Ok, pas de soucis .

— Elle n’a pas rencontré grand monde en dehors des relations pro depuis qu’elle habite ici. C’est l’occasion pour elle de sortir un peu.

Je lui réponds à nouveau que cela ne me pose aucun problème en zoomant sur les traces de roues que laisse Curiosity sur le sol rocheux.

Elle continue d’une voix qui semble différente :

— J’ai aussi rencontré Yann ce midi, il m’a demandé de tes nouvelles. Je ne sais pas si j’ai bien fait, je lui ai dit que justement je te voyais ce soir au pub. Il m’a dit qu’il passerait peut-être…

Je me mords l’intérieur de la joue à l’idée de croiser Yann. Je préférerais décoller immédiatement pour Mars.

— Tu fais bien de me prévenir.

— Je me suis dit après que j’avais peut-être fait une bêtise, mais vous n’êtes pas fâchés ?

— Non, non… j’ai juste pris un peu de recul. Ce n’est pas grave, ne t’inquiète pas.

— À ce soir alors ? Je t’appelle en quittant la maison ?

— Oui, on fait comme ça. À ce soir.

Effectivement Babeth n’a pas à s’en vouloir. Je ne réponds plus aux mails de Yann depuis quelque temps sans m’être vraiment justifiée.

Je me relâche dans un soupir sur le dossier de ma chaise et reste songeuse un moment.

J’ai rencontré Yann il y a environ un an, un mardi soir, les mardis sont souvent tranquilles au Red Lion. Celui-ci l’était particulièrement, peut-être en raison de la pluie et du vent qui ne s’essoufflait pas depuis deux jours. J’avais choisi une ambiance musicale plutôt calme et diminué le volume habituel. Je glissais les doigts sur les centaines de CD rangés sur la partie basse des vieilles étagères en bois derrière le comptoir, à la recherche du son suivant, quand Yann m’adressa la parole pour la seconde fois, la première se résumant à la commande d’une Guinness.

— Je pense que nous avons des goûts musicaux similaires !

Je me retournai sur cette voix constatant que l’homme avec lequel il était arrivé plus tôt devait être reparti sans que je ne m’en aperçoive. Il était donc seul vissé sur un tabouret, deux verres vides abandonnés sur le bar

— Ah ?… je ne savais pas trop ce que j’étais censée répondre à cela Ah… c’est bien, Ah… tant mieux, Ah… Vous aimez ce que j’ai passé alors ?!

Je savais que la question était idiote puisqu’il venait justement de relever nos sensibilités communes, mais je n’avais pas trouvé mieux sur le moment.

— Oui, c’était très sympa, vous nous choisissez quoi pour la suite ? Me demanda-t-il affichant un léger sourire.

Ce sourire je le relevai à peine, mais il avait ce regard que je ne croise que rarement. Un de ceux qui vous pénètrent en une fraction de seconde embrumant le reste du monde et embrassent votre âme pour lui susurrer « nous avons à partager, ne te détourne pas ». Je ne me suis pas détournée, ou juste le temps de lancer l’album « Perfect Darkness » et d’attraper un verre Calice derrière moi.

— La suite ce sera Fink, lui répondis-je en souriant à mon tour, la main appuyée sur la poignée de la tireuse à bière tandis que l’élégante et sensuelle mélancolie de la première chanson – offrant son titre à l’album – commençait à teinter l’ambiance. Nous venons d’entrer de la Chimay triple… une fine mousse se forma sur la robe dorée. Cadeau ! lui précisai-je en posant tranquillement le verre devant lui.

Il me remercia, visiblement ravi, puis nous discutâmes musique sans voir le temps passer, à peine dérangés par quelques commandes et le rythme de mon travail. Yann revint tous les mardis, ces jours-là je tenais le pub seule jusqu’en milieu de soirée, et selon l’activité nous pouvions refaire le monde pendant des heures. C’est à cette période qu’il fit la connaissance de Babeth, en réalité ils s’étaient déjà croisés, il se trouve que Yann est enseignant dans le collège que fréquente sa fille aînée et ils habitent le même quartier, à quelques rues l’un de l’autre. Ce monde est petit, tout petit lorsqu’on n’en repousse plus les limites.

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Membre, 29ans Posté(e)
awj Membre 32 messages
Baby Forumeur‚ 29ans‚
Posté(e)

ou peut on trouvé le début?

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Membre, 47ans Posté(e)
ST3PH Membre 157 messages
Baby Forumeur‚ 47ans‚
Posté(e)

c'est le début! :D Je me suis mal exprimée, je voulais dire que j'avais posté par le passé le tout début de ce texte (je l'avais ensuite retiré) que je poste à nouveau dans une version un peu plus longue.

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Membre, 29ans Posté(e)
awj Membre 32 messages
Baby Forumeur‚ 29ans‚
Posté(e)

Ah ok :blush:

C'est bien mais je trouve que c'est un peu lent :o°

Après il faut voir la suite.

Je l'attend avec impatience :)

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Membre, 47ans Posté(e)
ST3PH Membre 157 messages
Baby Forumeur‚ 47ans‚
Posté(e)

Merci de ton retour sur le texte.. moi qui croyais que je passais trop rapidement sur certaines choses. :) Le sujet est qd même introspectif plus que dans l'action, mais je prends note!

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