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La nonne métroïque (Je Humble)


Blaquière

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

La nonne métroïque

Au ras du quai de la vaste station globulaire et faïencée de neuf, luisante comme un ventre propre vu du dedans, les voyageurs pressés,en attente et en foule, fixaient les voies ferrées toujours salement grises en contrebas.

C’était à la Défense. En tête de ligne.

La rame vide arriva, claquante comme une gifle sur une oreille et s’immobilisa. Les portes s’écartèrent dans un bruit de soufflet... et tous se ruèrent, se bousculèrent (dont Je Humble qui trouva grâce à ce, place assise).

En vis-à-vis de lui, aussitôt, vint s’asseoir une nonne...

Je poussa vers la droite ses deux jambes pliées, l’une à l’autre serrées, la nonne en fit autant, vers la gauche, et la rame fut aspirée dans les noirs tunnels.

Bustes raidis, regards indifférents, les voyageurs se trémoussaient au gré des coups de tangage arythmiques de la voiture. Mais au gré de ces coups, venaient les genoux de la nonne, effleurer les genoux de Je Humble...

Jusqu’à ce qu’il s’y tinssent, ingénument, continûment et tout contre, collés.

LE CHŒUR :

Fantasmes...

Je Humble n’eût osé prendre sa propre place : il y était !

La pression des genoux de la nonne sur le côté des siens paraissait trop précise pour être fortuite et trop nette pour qu’elle l’ignorât. Cependant... une bonne sœur !...

Et Je la regarda discrètement, du coin de l’œil.

Petite, ronde, elle surnageait péniblement sur sa banquette, engoncée toute entière à corps perdu, dans une grande robe flasque d’un bleu sombre incertain d’où sa tête émergeait, un voile opaque et blanc pressé sur les cheveux (en avait-elle seulement ?).

Un voile, serré au plus près, tout autour du visage, qui lui donnait une face lunaire. Plus que grands, ses gros yeux, gris bleuté, pas maquillés, sans cils visibles, fixaient systématiquement un ciel imaginaire vers le plafond de la voiture.

Des yeux qui disaient à Je Humble :

« Vois! Je ne te regarde même pas ! »

MAIS, le contact du genoux.

Je Humble en fut touché.

Il pressentit ce corps nu de nonne, avide d’étreintes charnelles...

LE CHŒUR :

Mais ça va pas ?!!!

Bien sûr, la sœur ne pouvait pas le faire exprès.

Entièrement détachée de ce monde, elle voguait, benoîte, à la dérive, d’une vertu à l’autre, ni ne sentait en aucune façon, de Je, le genoux flexé...

LE LOCUTEUR :

Il faut qu’il en soit ainsi.

Elle sentait, sans le sentir ce contact du genoux...

LE CHŒUR :

"Panu yé"1

Ne le sentait, pour le sentir et en profiter mieux, sans le vouloir ni le savoir.

LE CHŒUR :

Et Je pensa à l’inconscient-mauvaise-foi de Sartre.

LE LOCUTEUR :

Tout de suite les grands maux !

JE HUMBLE :

C’est pas bientôt fini

ce papotage platonicien ?

Un contact platonique : voilà le mot que je cherchais ! Pas dénué de plaisir, mais de plaisir platonique.

De la station Charybde à la station Scylla, dans les oscillations de la voiture, tenta alors Je Humble, d’imaginer plusieurs issues à ce modeste mélodrame d’une rame de métropolitain.

Un : La bonne nonne se levait vitupérante et ameutait les passagers :

« — Cet homme ici présent (elle pointait sur Je un doigt accusateur) cet homme, disait-elle, me fait du Je-nous ! »

Puis, satisfaite d’avoir désigné Je Humble à la vindicte publique, elle entreprenait un strip-tease exorcisant et joyeux agrémenté de claquettes dans l’allée centrale...

Deux : C’était Je Humble qui se levait et accusait la sœur...

Mais ça, c’était impossible : qui l’eût cru ?

La satanique nonne jouait donc sur du velours...

Et Je lui était entièrement soumis...

Être soumis sur du velours à une nonne satanique ?...

LE CHŒUR :

Fantasmes!

Le contact apocalyptique du genou de la nonne impassible, se poursuivait....

Je eut alors l’idée de remuer très ostensiblement le sien : « elle aura bien une réaction ! »

Mais le temps que de synapse en synapse, l’influx nerveux se répercute, le temps que l’ordre en haut donné, chemine en bas jusqu’aux rotules, soudain, à l’extrême moment où Je allait s’exécuter, pfuit ! écartant vivement ses genoux du côté opposé, la bonne nonne s’ôta.

Etait-elle branchée en ligne directe avec Dieu-tout-sachant ?

Un dieu microscopiquement insinué entre chacun des neurones Je-Humbliens ?

Je l’avait échappée belle !

LE CHŒUR :

En effet, c’est du beau !

La rame s’arrêta et les portes s’ouvrirent.

Pchiiit!

La nonne descendit, longea le quai devant la fenêtre de Je aux-genoux-solitaires ; elle traversa le champ de la vitre, les yeux indifférents pointés tout droit devant dans le sens de sa marche, suspendus à quarante cinq degrés, vers un ciel imaginaire, toujours aussi absent de la station…

Pou-ou-out ! Les portes se refermèrent et la rame, éperdument, s’enfonça dans le ventre obscur de Paris.

Plus ou moins propre.

Je Humble se promit pour plus tard d’imaginer la bonne sœur à confesse.

LE CHŒUR :

Le joli mot !

1 "Sans doute" (Platon, Le Banquet).

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Membre, [Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible], Posté(e)
Anna Kronisme Membre 2 134 messages
[Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible],
Posté(e)

Cette "no-noeud" méritait bien que l'on fasse parler d'elle, en toute humilité.

Tu prends plaisir à te jouer des mots et c'est parfaitement palpable, donc communicatif.

J'aime beaucoup les divers intervenants de conscience (Le choeur, le locuteur et même Je Humble qui y va de sa morale... )

Puis tu fais bien les bruitages...

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  • 4 ans après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)
Le 3/16/2014 à 12:39, Anna Kronisme a dit :

Cette "no-noeud" méritait bien que l'on fasse parler d'elle, en toute humilité.

Tu prends plaisir à te jouer des mots et c'est parfaitement palpable, donc communicatif.

J'aime beaucoup les divers intervenants de conscience (Le choeur, le locuteur et même Je Humble qui y va de sa morale... )

Puis tu fais bien les bruitages...

Je relis des vieux trucs... Voir si y'a du bon... tu sais que cette histoire est entièrement vraie ?!

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