Aller au contenu

Le roman de Je Humble

Noter ce sujet


Blaquière

Messages recommandés

Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

14 La dictée

Je Humble au-front-distrait était entré en classe sans ses affaires. Le professeur dictait. Je en avait donc été réduit à chercher sous les tables de quoi écrire. Que faire d’autre ?

Des nombreuses feuilles qui traînaient au sol, piétinées, et qu’il avait empilées sur son bureau au fur et à mesure de ses découvertes, une seule réservait tout en haut à droite un petit espace vierge où il avait pu griffonner quelques mots à l’aide d’un crayon emprunté à sa voisine, Elle : Bonne maison !

Et Je s’était entendu mieux que bien avec Elle : Elle acceptait de lui passer après le cours, l’ensemble de la dictée. Rien n’était donc dramatique, vraiment... jusqu’à ce que le professeur se lève... Et comment n'aurait-il pas remarquer son manège naguère tandis qu’il cheminait à la trappeur, à quatre pattes et en catimini, à couvert, sous les tables aux pieds verts, forestiers, raides, ronds, mais métalliques et lisses ?

Le prof’ donc s’avança droit sur Je... et lui demanda de relire in extenso TOUT le passage !...

Je fut rapide. Il courut fléchamment à l’autre extrémité de la salle (l’histoire ne dit pas si c’était encore à quatre pattes), si bien que la fin de la phase portant le point d’interrogation, tomba sur le siège vide et se trouva par un phénomène entièrement naturel de réfraction, dévié sur l’élève innocent de derrière avant que le professeur n’ait eu le temps de se reprendre.

LE CHŒUR :

Je est malin.

15 En caleçons dans les couloirs

La sonnerie avait dû retentir, marquant la fin de l’interclasse et le début du cours : une heure entière d’inexistence pour Je Humble...

Dans le large couloir, sur les grandes dalles de pierre lisses,s’enflissait déjà le piétinement d’une horde invisible d’élèves...

Lorsque soudain, Je sua froid. Il venait de réaliser qu’il se trouvait dans ce couloir-tout-public, non pas vêtu normalement mais en sous-vêtements : tricot de peau et caleçons courts...

LE LOCUTEUR :

Parce que le Zlip...

ça fait trop plouc !

« Qu’ai-je donc fait pour me mettre ainsi en retard ? » se dit Je.

Un retard de quarante ans...

Le plus pressé était à l’évidence de remettre la main sur ses vêtements. Sans doute étaient-ils restés dans les étages supérieurs, au niveau des dortoirs ?... MAIS. Depuis tant d’années que Je n’avait pas remis les pieds ici, qu’en savait-il d’où se trouvait son dortoir ?... et son lit au dortoir ?... et ses affaires sur son lit ?... (Topologie lacunaire de la mémoire.)

Pourtant, il restait confiant et parce que le monde n’est pas absurde, il se disait qu’une fois sur place, il s’y retrouverait. Seules,quelques précisions devaient lui manquer momentanément...

Pour se garer des élèves, il emprunta derechef, la première cage d’escalier qui se présenta au sortir du hall à droite. Et son plan s’inventait de lui même, sans qu’il n’y fût pour rien. Au premier étage, il passerait dans l’aile gauche du bâtiment en traversant le no man’s land devant les appartements du directeur...

Hélas ! Une fois sur place, force lui fut de constater qu’un changement s’était produit. Si Jadis, l’interdiction verbale suffisait, à présent, le passage était muré d’agglos gris... Je eût souhaité redescendre au plus vite... mais le flot des élèves envahissait l’escalier, montait vers lui tel une crue puissante...

À son tout premier rang en figure de proue, un visage de femme long-chevelu et brun rayonnait, ouvrant les marches vers Je...

Les élèves montaient trop vite !...

Or, en aucun cas, Je ne voulait s’y dissoudre !

Dernière solution : s’envoler ! (Il savait faire.)

Il calcula au plus juste sa trajectoire dans le vide de l’escalier, ultime chemin pour atteindre le passage qui venait de s’ouvrir vers la gauche au niveau du demi-palier, comme s’ouvrent les mers rouges devant des Moïse occasionnels... Il lui faudrait foncer en piqué sur la femme et prendre le virage en rase motte, juste au dessus de sa tête. « Elle sera étonnée de me voir si peu assujetti aux lois apesantiques, pensa Je, supputant chez la femme une frayeur équivalente en valeur absolue à l’audace de sa voltige : elle croira sûrement que je vais m’écraser sur elle de tout mon poids... »

Et il s’élança !

Un Je Humble en caleçons, voltigeant dans les couloirs du lycée, au nez et à la barbe de belles femmes brunes grimpant les escaliers, ça n’est pas si courant ? Et ça ne devrait pas passer inaperçu ?...

Détrompez-vous ! PAS - DU - TOUT ! Aucun journal — pas même interne à l’établissement — ne relata l’événement troublant !

Dans la presse locale du moment, il n’était question que de cette soucoupe volante atterrie au village voisin près du lavoir, et du débarquement de ses petits passagers verts, semant la panique parmi les rangs pourtant avertis des lavandières aux-larges-fesses, penchées sur le ruisseau, et surprises du fait, à marteler à grands coups de battoirs leur linge familial torsadé-blanc,ramolli-de-l’eau...

Je avait joué de malchance.

JE HUMBLE :

Quoi de plus ordinaire

que de petits bonshommes verts

sortant d’une soucoupe ?

Derrière la retenue du lavoir, au ralentissement du courant, le savon s’accumulait à fleur d’eau en peaux plissées blanchâtres selon des stries de décroissance conchiformes sans cesse pressurées.

Une fois mixées dans le grand collecteur, les différentes crasses intimes s’évacueraient par les canaux d’arrosage. Plus tard,elles seraient recyclées dans les jardins du bas, où des légumes à racines pivotantes re-synthétiseraient les protéines usées en bonnes vitamines, répartissables ainsi de nouveau, pan-villageoisement.

C’était le bon temps !...

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

16 Arold Zage

Arold Zage était pisseur d’élite. Ou pisseur de litres. (On entend mal!)

De la troupette d’enfants rustiques et d’âges divers qui accompagnait petit Je dans ses sorties campagnardes, c’était certainement lui, Arold, qui pissait le plus loin...

Sur la route du cimetière, venant d’on ne sait où, ou bien allant de même, un premier avait dû s’arrêter pour pipi... et les autres l’avaient imité. (Instinct grégaire des hordes agraires, majeurement des juvéniles.)

Sans doute quelques filles, une ou deux, étaient montées sur le haut du talus en bordure de route, pour bien montrer à tous de la troupette, leurs glabres raies ruisselantes... Et Je Humble n’avait pas osé regarder ?... sans doute.

Quoi qu’il en soit (ou fût), c’est entre garçons que le sérieux de la compétition allait avoir lieu. Et ça tombait on ne peut mieux : Je venait récemment de découvrir qu’en tirant légèrement la peau de sa quiquette vers le haut, de façon à dégager le bout du gland, donc l’orifice urinatique, au lieu de se pisser quasiment sur les pieds, en forçant bien, il pouvait atteindre la distance d’un bon mètre ! Gagnant ainsi en puissance et précision ce qu’il perdait de sensations (le pipi ne zézayant plus sur la peau frissonnante du prépuce)...

Donc, ils formaient un cercle, à tous, pissant au centre, comme une montre à aiguilles multiples.

Des aiguilles... d’URINE !

LE CHŒUR :

"Urine", c’est un mot rigolo !

Ils se montraient tous leur savoir faire, chacun bandant en douce ses abdominaux... mais s’efforçant de garder un visage tout-à-fait détendu.

Quand soudain, une véritable averse les aspergea tous, en même temps, et de la tête aux pieds !

Le coup surnaturel semblait être parti d’Arold Zage à deux heures dix (méridien de Je Humble). Les regards stupéfaits se tournèrent vers lui...

Mais aussitôt : seconde averse !...

Dont la montre éclata dans un sauve-qui-peut général !

(Le pipi c’est amusant, mais en pleine figure, surtout celui d’un autre, c’est pas complètement propre.)

La technique d’Arold était des plus simples, basée sur l’élasticité de la peau : il se fermait le bout de la quiquette en tirant la peau des deux côtés à la fois, et commençait à lâcher le pipi sans que la moindre goutte ne sortît. Quand le prépuce se trouvait monstrueusement gonflé d’avoir emmagasiné une grande quantité de liquide, il lui suffisait de rapprocher progressivement les deux extrémités pour diminuer la tension — donc l’étanchéité de la fermeture — jusqu’à l’obtention d’un effet "tuyau d’arrosage sous pression écrasé du bout".Bien sûr, il perdait, en précision et en druïté ce qu’il gagnait en distance et en tous azimuts... mais qui eût songé à l’en blâmer après une aussi mitraillante démonstration ?

Le prudent Je n’expérimenta jamais "l’effet Arold Zage" : il aurait eu trop peur de relâcher trop tard la pression et de se faire exploser la quiquette.

Mais il avait compris le principe... et pour lui c’était l’essentiel.

La prouesse d’Arold ayant littéralement rejaillit sur eux tous, transfigurés par la grâce de ce baptême impromptu qui les invincibilisait, ils reprirent dans l’euphorie déliatrice-des-langues leur périple aventureux sur la route du cimetière...

Certains parlaient des filles, disaient qu’ils leur avaient TOUT VU... et les filles les gourmandaient de les avoir regardées...

(Comme quoi Je Humble avait bien fait de s’en abstenir.)

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

17 Mouchy ou la guerre des merdes

Une autre fois, c’était Mouchy qui avait démontré ses compétences dans l’exécution d’un autre besoin… naturel.

Dans la fièvre du jeu, la même troupette d’enfants rustiques venait d’investir un vieux poulailler. Et voilà qu’après en avoir chassé sans pitié la gent caquetante, ils avaient découvert, levant leurs yeux tout sidérés, que rien ne subsistait de l’étage écroulé entre sol et toiture, qu’une large poutre centrale, solidement fichée à mi-hauteur par ses extrémités...

L’espace clos de la bicoque insalubre en était devenu dans l’instant, aérien et cosmique...

Du coup, tous y avaient grimpés d’un trait, pour y jouer les funambules.

Comment s’explique le génie-polymorphe ?

Une baignoire pour Archimède ?

Une pomme pour Newton ?...

Mouchy sans doute synthétisa : ce fut pour lui, une gamelle et un péton.

Frappé donc par un éclair de ce génie — pas-si-polymorphe-que-ça —, en équilibre sur la poutre, il se déculotta et lâcha tout de go vers le rez-de-chaussée un projectile qui atterrit en sonnant au beau milieu d’une gamelle des poules.

En bas dans la pénombre, titubante du choc, la gamelle en alu argenté en jeta des éclairs de surprise...

Coup d’essai, coup de maître !

Mais coup au but unique, hélas, jamais plus égalé.

En dépit de l’intense bombardement qui suivit, en vrai tir de barrage, de tous les autres culs alignés sur la poutre...

Reconnaissons à leur décharge que les gamelles n’étaient pas bien grandes et l’équilibre instable.

Ce qui rendait l’exploit de Mouchy d’autant plus remarquable.

LE CHŒUR :

Finalement, un cul qui chie, c’est pas si laid...

Dr FREUD :

Une sorte de pénétration inversée...

JE HUMBLE :

C’est pas moi qui l’ai dit !

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, ...... Phoenix ..... Une cendre déterminée, 53ans Posté(e)
Amazones Membre 13 439 messages
53ans‚ ...... Phoenix ..... Une cendre déterminée,
Posté(e)

Bonsoir,

Je m'aperçois qu'il ne me reste plus que deux à attendre pour y porter une lecture complète .... Grande hâte .... A bientôt

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

18 Alan Deloin

Chez Alan Deloin, c’était tout autre chose que Je Humble admirait.

Sa façon de croquer un grain de raisin par exemple. D’un coup sec, en émettant un bruit net, un craquement rond, à la fois mat et résonnant à l’intérieur de sa bouche... mais ouïssable de plusieurs mètres. Et quelle que fût la variété du raisin !

Même les mous.

Dont Je Humble se désespérait devant cette évidence que pour Alan, un simple grain suffisait à faire la démonstration qu’il était en permanence et à l’improviste, toujours, parfaitement dans le coup...

Contrairement à Je qui malgré tous ses efforts, n’était jamais sûr de rien, Alan était un être entièrement vivant, compact et homogène.Contrairement à Je, qui lui, ne se sentait jamais là qu’à moitié. Et comme refendu par le milieu. En deux morceaux. Un premier, bien réel, qui était Je, sans doute, mais aussi un second,à l’écart, chargé de surveiller le premier...

Et qui était encore plus Je que Je !

D’où il advenait souvent, qu'à se déplacer sans cesse comme un curseur de l’un à l’autre, Je s’égarait, le temps du voyage. Ce qui était démotivant.

Sans compter que ce grain de raisin, Alan le croquait en parlant de tout autre chose, entièrement concentré sur quelque détail vital du paysage, comme le lointain passage de ce tracteur très signifiant, vers le Monument aux Morts. Un tracteur que Je, accaparé par l’attente sonique de l’explosion du grain engoulé par Alan d’un doigt distrait, n’avait même pas remarqué !

Et du temps que petit Je méandrait au hasard, parcourant des tas de millimètres inutiles, Alan affichait l’air blasé de ces paysans einsteiniens qui portent en permanence et instinctivement sur eux, le centre de l’Univers.

LE CHŒUR :

Et depuis son tracteur roues-géanté souplement sautillant,

l’homme du cru contemple, impassible, pierre roulante

parmi les pierres, le petit monde simple qui défile à son entour,

si bien que lorsqu’ enfin sa main tardive se lève pour un vague bonjour,

à calquer ses gestes antiques sur le déphasage du son

et de l’image dans la vaste plaine, il regarde déjà ailleurs...

La main d’Alan avait dit bonjour au tracteur et catapulté le grain entre ses dents solides, d’un seul et même mouvement.

Combien de fois, Je Humble ne s’entraîna-t-il pas à cette croquerie sonore? Sans résultat probant ? Choisissant pourtant les plus fermes des grains... et se mordant la langue en fin de course, pour avoir pris un élan trop inconsidéré depuis ses mâchoires grandes ouvertes ?

JE HUMBLE :

— Houille !

C’est ainsi qu’innocent d’un crime dont jamais personne n’avait songé à l’accuser, Je s’était retrouvé condamné. À perpétuité ! Condamné, toute une vie durant, à vouloir "croquer fort" tous les grains de raisin pour devenir vivant.

Par un après midi d’automne écroulatoire au ciel pourtant serein, par un après midi que rien de sa matinée n’avait laissé prévoir, c’est au croisement des rues découpant l’angle du Coin du Four qu’Alan Deloin avait mis Je Humble au courant du Mystère de la Procréation.

Un étrange propos était tombé accidentellement d’une conversation adulte par derrière la porte. Alan rapportait ça tout chaud :

« C’est sûr, avait-il ajouté pour confirmer sa nouvelle, même que c’était le DOCTEUR qui en parlait ! Et le DOCTEUR DE MONACO ! » Ce qui rendait la chose d’autant plus crédible. (Il avait lui-même encore un peu du mal à s’y faire.)

Mais qu’est-ce qu’il s’imaginait ce Je Humble ? que le monde était tout lisse et bon élève ?

Le monde ? Malheur ! Il s’effondrait partout autour de Je ! Et son sang-tout fuyait en cet instant vers des zones périphériques mal définies, le blanchissant de l’intérieur. Non qu’il eût imaginé ses propres parents... après tout c’était leur affaire. Non ! Ce qui lui importait, c’était lui, Je Humble ! Qu’il se sache lui, Je, maillon indispensable de la chaîne immémoriale de l’espèce des Humble, contraint de faire une chose aussi insensée...

Et pourtant... si c’était vrai... que faire ? Il regardait les murs gris de la rue qui descend à la Font-Vieille sans y trouver la moindre ébauche de réponse.

« Il me suffira peut-être de le faire en pensant à autre chose ? » avait-il fini par se raisonner.

C’est là qu’il se trompait : Il ne penserait bientôt plus guère qu’à ça !

Car seulement quelques minutes après, tout était différent. Le monde s’était reconstruit à la va-vite, d’une étrange manière, sur d’autres bases. Le simple fait de rentrer à LA maison par exemple — la même et plus la même —, prenait pour Je une allure bizarre. Comme une impression de marcher sur un fil de rasoir...

« Ça se verra sûrement à ma figure que JE SAIS ! » se disait Je.

Ou encore : « on peut vraiment plus faire pareil qu’avant ! »

Il se sentait un peu gêné, aussi, pour ses parents qui avaient inventé ça... d’ailleurs, ça leur ressemblait guère.

Il s’exerçait à la honte, se la remémorait, se l’approfondissait. Il y avait eu un avant sans qu’il le sache... et maintenant c’était déjà après.

Un troisième Je était apparu qui surveillait les deux premiers.

Avant...

Bien sûr qu’il aurait dû s’en douter de tout ça, c’était si évident !...

C’était si évident... qu’à la réflexion, on n’aurait tout bonnement pas pu imaginer autre chose !

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

19 Le troubadour

Je avait laissé en plan toutes ses affaires et se précipitait dans le couloir pour courir aux toilettes...

Sa chemise retenue par le seul bouton du bas, bouffait et s’ouvrait largement, gonflée par le vent de la course rafraîchissant à sa peau pâle : Mistral et Ventadour. Bon troubadour, vas ! (Je était "nu sous sa chemise"1.)

Et cette-sa peau blanche, il l’exhibait sans gène à sa voisine de course du couloir !...

Les toilettes étaient là... il y entra... et se mit à pisser.

Certes, il entendit bien quelqu’un entrer à la porte à côté... mais sans y prendre garde.

Lorsque bientôt, le long du mur, il remarqua quelque rai de lumière. Par une fente, entre deux panneaux mal jointifs, on pouvait voir l’intérieur du cabinet mitoyen... et bien sûr, aussi, la personne qui occupait ce cabinet. Puisque le mur du fond était soit une glace, soit un carrelage aussi réfléchissant qu’un miroir...

LE CHŒUR :

Le fantasme est un métier artisanal,

poseur de miroirs, de carreaux émaillés

et de trous de serrures...

Précisons que ce voisin était une voisine : jeune, jolie, blonde et do-rée, mi-face à lui : Je le sut qui la vit au tout précis moment où elle se levait pour se ra-culotter, et l’espace d’une fraction de seconde, imprimée au fer rouge dans son cerveau vésiculeux, il eut le temps d’apercevoir, réfléchie sur le sol, la si do-uce touffe rousse de poils duveteux dévêtus du bas ventre...

Un espace de temps si court qu’il se prit aussitôt à douter de sa réalité...

LE CHŒUR :

S’il avait su plus tôt TOUT ce qu’il pouvait voir, le lubrique Je

se serait bêtement masturbé en regardant à son insu

la belle inconnue dorée de peau, dans une position vulgairement naturelle,

dont on s’insurge à l’idée qu’elle l’eût excité : il n’eût rien eu à raconter...

JE HUMBLE :

Dommage!

LACAN :

Le manque à jouir individuel est entièrement reversable

à l’ordre de la cohérence ethnique.

1 Note : Bernard de Ventadour : "Anar poc ses vestidura, nutz en ma camisa..." (Je peux aller sans vêtement, nu dans ma chemise).

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

Voilà. C'est la fin du chapitre 2.

Il devrait y avoir au moins encore une dizaine de chapitres...

Je vais laisser passer un peu de temps.

Si des choses vous semblent peu ou pas claires, je compte sur vous pour me le signaler, que je corrige ! ...

à plus...

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

  • 2 semaines après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

3.

ESPACES PROCHES

ET AFFECTUEUX

(Les musiciens - La cafétéria - Le bar des Dardanelles - Toulon - Le grand pylône - Une voiture bleue neuve - Catherine de Medicis.)

20 Les musiciens

D’allure sobre, austères, de noir vêtus, ils étaient tous, maigres et raides, installés à de petites tables individuelles carrées, nappées de blanc, disposées en quinconce. De leurs fourchettes à deux piques lubriques, aux longs et fins manches de bois élégamment tenus du bout des doigts, ils piquetaient les doubles croches sur de petites partitions épinglées aux sommets de lutrins nickelés dont les trois pieds rigides s’agrippaient dans les replis des nappes, comme des serres de rapaces...

LE CHŒUR :

Ainsi mangent les musiciens...

Le restaurant des musiciens pâlit, diminuit, s’encadra d’un premier plan d’embrasure ; et semblable à l’homoncule heureux-peureux, à bord de son ballon léger qui se dégonfle folâtrement, Je Humble passa la porte à reculons...

Compte à rebours.

Par un rapide effet de zoom arrière, il remontait le temps vers sa naissance.

Peut-être même avant ?...

Toujours à reculons, il traversa le restaurant tout public jusqu’à la queue d’attente de la cafétéria, là s’immobilisa.

21 La cafétéria

Le plateau à la main, Je attendait depuis des heures dans des chicanes barbeliques...

Et personne ne servait plus à cause d’un mouvement de grève d’une certaine catégorie de cuisinières...

Alors, Je s’empourpra. D’une fureur antisociale. Et se rua sur les grévistes ! (Qui de sûr le narguaient.)

Et il les poursuivait jusqu’en l’arrière cour de la cafétéria...

Et il les frappait...

Et tous et toutes avaient grand peur de Je Humble...

LE CHŒUR :

La colère de Je est impressionnante.

(C’est ainsi qu’il la voudrait.)

En partie apaisé, il vint ensuite reprendre sa place dans la file d’attente. Mais sa patience s’était émoussée. Comment eût-il pu désormais, attendre immobileusement que les frites cuisissent ? Des frites qui commençaient à peine de frémir dans les grands bacs aluminiques carrés inondés à ras bords d’huile blonde...

(Son intervention avait pu convaincre les cuisinières grévistes de reprendre le travail ?)

Le tout premier désir qu’il avait eu de s’en gaver —des frittes—? Disparu !

Tant est qu’il se contenterait d’un sandwich de deux tranches de lard dans une baguette de pain. (L’excès de gras est parfois salutaire.) Il se saisit au passage d’un sac de chips entamé... et s’en fut sans payer.

Puisque le tout était gratuit !

LE LOCUTEUR :

Nous devons à la vérité de préciser qu’en sortant de la cafétéria, Je Humble récupéra la boite en carton qu’une serveuse non gréviste avait gardée pour lui, durant son absence de la file d’attente. (Une boite que nous n’avions pas mentionnée, pensant qu’il l’oublierait...)

STANLEY KUBRICK :

Mais une boite si idéalement parallélépipédique

ne s’oublie pas...

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

  • 2 semaines après...
Invité -Lorelei-
Invités, Posté(e)
Invité -Lorelei-
Invité -Lorelei- Invités 0 message
Posté(e)

9 Icare

Depuis pas mal de temps errait Je Humble dans un réseau serré de galeries souterraines. Un dédale vraiment grottesque de boyaux humides, suintants, glissants, où dérapaient ses pas.

Souvent il s’enlisait jusques à mi-mollets dans des bourbiers gluants...

Parfois, en quelque étroit passage, le corps pris, étranglé par la taille, il s’agrippait des ongles à l’argile mollâtre. (Non odoriférante, heureusement !)

Autant était froid l’air ambiant, autant Je s’échauffait. Suant, soufflant ; en grand effort ; à bout portant de la paroi condensante et gouttelétée, où se mêlaient ses humidités tièdes et les moites vapeurs de sa respiration, à celles de l’atmosphère déjà sursaturée.

Confinée.

Mais glacée.

LE CHŒUR :

Des gens payent pour visiter ces lieux,

Et s’extasient devant des boursouflures calcifiées,

Qui convenablement éclairées...

Ont l’air de pas grand chose.

Le goulot s’élargit, déboucha dans une grande salle...

Un vieux monsieur mal rasé gardait la station service au bord du passage. Il héla Je Humble :

— Hé là !

Je s’approcha...

Et le vieil homme qui devait s’absenter un instant lui demanda de le remplacer quelques minutes à la station service. Puis,désignant d’un geste les trois arrosoirs miniatures alignés sur le comptoir :

— Vous vous servirez de ça pour le service !

Et il s’éclipsa vers l’arrière boutique en précisant par dessus son épaule :

—Nous servons aussi les glaces !

Certes, l’arrosoir est par essence un ustensile hermaphrodite, à la fois remplissable et plisseur... Il n’en est pas moins vrai, que Je, dont le regard allait-venait du gros pistolet de la pompe (qu’il venait de décrocher et de prendre à la main, juste pour voir) à la minuscule ouverture des arrosoirs, se serait senti parfaitement incapable d’emplir d’essence un seul des trois-petits-dits arrosoirs.

Pas plus qu’il n’aurait su réaliser en dépit des modèles représentés en multicolore sur le panneau publicitaire suspendu à la fenêtre de l’échoppe, la plus simple des coupes glacées couronnées de superstructures crémeuses complexes, de fruits, de bigarreaux, et agrémentées pour la décoration, d’objets divers, érotiques et hétéroclites, comme sont œils de verre, bonnets de nuit, cannes blanches... et le tout — s’il vous plaît — magiquement en équilibre.

Ce n’était pas-par chance l’heure de pointe, à la station service du fond de la grotte : le vieux réapparut sans que Je n’eût à s’occuper d’un seul client.

Il expliqua alors qu’ici, les glaces se servaient en boules dans les arrosoirs, et d’un geste professionnel qu'il joignit sur le champ à sa parole en guise de démonstration, il modela de sa cuillère spéciale — clic-clac — deux magnifiques boules couilliformes qu’il fourra violemment dans l’arrosoir du milieu.

Ce qui sembla logique à Je.

Marécageux.

Cloaqueux.

Glauque...

LE CHŒUR :

Je est pareil à la femme gourmande

qui salive devant une coupe glacée...

Après avoir quitté la salle de la station service, qui ne formait vue de loin, en coupe géologique, qu’une immense poche souterraine, mal cousue des deux côtés, Je s’enfonça de nouveau dans l’étroit conduit de plus en plus pentu. Jusqu’ à l’orifice final : le trou du fond de la poche.

Il se retrouva dehors, à l’air pur, au sommet d’un éboulis caillouteux...

Alors, Je Humble (le-bien-nommé) se demanda, consterné :

« Suis-jeune pette qui sort du cul ? »

LE CHŒUR :

Consterné, consternant : c’est le mot !

Tout concordait en effet. Jusqu’ au public nombreux réuni tout exprès qui attendait son arrivée derrière une barricade en demi cercle pour lui jeter des pierres et lui cracher dessus.

Et les crachats pleuvaient...

Et les crachats pleuvaient...

Pleuvaient et dégoulinaient depuis leur point d’impact sur son corps de Je Humble, qui en devint couvert.

Ensuite et sous l’effet de la froidure, ils se solidifièrent en beaux cristaux complexes de sulfate de cuivre, et se changèrent en plumes soyeuses à reflets bleus, mordorés et moirés...

Je prit ses ailes à son cou...

Et s’envola !

Non sans se demander :

« Suis-je Icare ? »

à suivre : "10 Le football" ?

Époustouflant...Magique....Envoûtant...Loin des sentiers battus, JE HUMBLE me transporte littéralement dans un ailleurs que je découvre avec gourmandise...Bravo, franchement !Un style surréaliste, des envolées de langage très agréables, tu as vraiment un bon style, une bien jolie plume...Parfois en te lisant, je pense à "Joanathan Livingston le Goéland" de Richard Bach...Car JE nous fait aussi vivre un parcours initiatique....

Pense à protéger tes écrits qui sont très bons...

Je reprends plus tard la suite et reviendrai te faire part de mes émotions.Merci...

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

C'est moi qui suis ému de voir que ce que j'essaie de mettre et de faire sentir est finalement visible...

Merci.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

22 Le bar des Dardanelles

Parti d’on ne sait où, Je s’en allait à Aix.

(Aix, la ville bourgeoise et estudiantine, ville d’eau, ville d’art, ville érotique et aux trop belles filles.)

Près de la voie ferrée, il s’enquit de son train, prit celui indiqué, et se retrouva après un bref trajet, à Marseille, devant le bar des Dardanelles anciennement nommé « Au Mameluk Têtu » : on l’avait trompé sur l’aiguillage !

LE CHŒUR :

En vers et contre tous

le Mameluk Têtu

est téteur de mamelle.

Encadrant l’entrée grande ouverte du bar, deux grandes filles exotiques, vêtues de couleurs bariolées, attendaient, lascivement installées à deux tables rondiques sur le mince trottoir au ras de la chaussée. À la vue de Je Humble, elles suspendirent un instant leur conversation aux tonalités alléchamment vulgaires...

Je de s’en approcher...

Et de leur demander — stupidement — si elles parlaient bien français !...

La réponse cinglante ne se fit pas attendre :

— Et vous ?

Alors, Je de partir dans une longue explication, comme quoi, à Marseille, cinquante années plus tôt, tout le monde parlait bien l’égyptien... ou autre chose... et lui qui débarquait, il n’était pas sensé savoir à quelle époque on se trouvait en ce moment précis...

Et plus parlait l’excité Je, et plus il s’enlisait :

Tenez ! Dans sa jeunesse, ici, à Marseille, il était même venu y chanter EN PUBLIC, rajouta-t-il, cherchant à se faire mousser devant ces belles filles aux cuisses rondes et à-la-peau-tendue-exhibée-sans-mystère, dont il tremblait de ses membres.

Mais elles s’en fichaient royalement !

« Je n’en tirerai rien de ces filles vulgaires... »

Bon sang ! Mais qu’est-ce qu’ils avaient tous à lui en vouloir, ce jour-là ?

D’abord les musiciens méticuleux, puis les grévistes, puis le train, et à présent, ces deux cariatides Pujetoises pulpeuses bigarrées... ça faisait vraiment un peu beaucoup ! Ne valait-il pas mieux tout compte fait, rentrer chez soi ?...

Certes,oui ! Mais c’était où, exactement, chez lui ?

Je dépassa le bar des Dardanelles de quelques mètres, au hasard, vers la Pointe Rouge, et tomba — coup de chance — sur l’entrée de la gare souterrine. Ou plutôt souterraine.

Une aubaine : c’était celle d’Aubagne !

Insoupçonnable de prime abord en raison de l’étroitesse de sa porte, le grand hall formait une immense caverne creusée à même la colline qui débouchait directement sur le flanc de la corniche. Les pas de Je y résonnèrent...

Au beau milieu trônait un distributeur de billets. Je s’agenouilla...mais se retrouva parfaitement impuissant : impossible d’introduire dans la fente de la machine, la moindre des plaquettes de métal argenté qu’il venait de retrouver au fond de sa boite en carton (et qui devaient probablement, en ce temps-là, servir de monnaie à machine). Leurs coins étaient tout cornés ! Et quand bien même : que savait-il de leur valeur ?

Autour de lui s’impatientaient les autres voyageurs s’agglutinant en foule progressive : des grands, des petits et des maigres ; des gros… Ils affluaient de toute part ! Certains connaissaient même Je Humble qu’ils avaient vu et entendu chanter jadis...

JE HUMBLE :

Vous voyez bien que je ne dis pas

n’importe quoi !

Heureusement, l’un d’eux qui se rendait près de chez Je, lui expliqua :

— Il faut composer le 00. 01. 02. sur la machine pour obtenir son billet !

Je actionna les manettes, mais en cours d’opération, oublia ce numéro si difficile à retenir :

« c’était quoi, déjà, le 02. 00.01., ou le 01. 02. 00., ou le 00. 0...? » Il n’était plus sûr de rien.

Et surtout, il n’avait droit qu’à un seul coup!...

Mais voici que le chauffeur de cette grosse locomotive noire, suante et soufflante venue soudamment de faire irruption dans la gare par une galerie latérale, descendait de sa machine et entrait en scène pour proposer son aide à Je, le Cher Homme.

Son convoi justement s’apprêtait à repartir sur l’heure :

— C’est mon train qu’il vous faut prendre ! disait le cheminot...

Il dit. Puis choisit dans la main de Je Humble, la monnaie nécessaire. Il s’occupa vraiment de tout. Du distributeur. De la destination. Des billets... Il conseilla en outre à Je, de bien monter dans la première voiture, celle marquée « TOULON ».

En lettres jaunes sur fond vert mat.

Je obtempéra...

Et le train démarra ! Toutes portières ouvertes, dans un grand vacarme de ferraille... pour plonger aussitôt par un tunnel coudé vers des profondeurs insondables de gare…

Non ! Il s’arrêta tout net ! En plein élan !

(Le train précédant,stoppé à quelques mètres n’ayant pas encore dégagé la voie.)

Sous l’effet du freinage, Je bascula violemment vers l’avant, la tête la première, se relevant plus qu’à moitié, puis retomba vers l’arrière, sagement assis.

LE CHŒUR :

Heureusement

que les freins

des trains

souterrains

sont puissants !

Je avait renoncé de lutter contre ce monde adverse. Il terminait son périple sur les genoux. Ingénu, innocent, ballotté.

Mailloté.

JE HUMBLE :

Même pas...pas mal !

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, ...... Phoenix ..... Une cendre déterminée, 53ans Posté(e)
Amazones Membre 13 439 messages
53ans‚ ...... Phoenix ..... Une cendre déterminée,
Posté(e)

Bonjour ... Comme promis, je vais m'octroyer un peu de temps ce week pour lire ton deuxième mini-roman ... Je suis sure d'un certain régal ... Bon week et merci à toi

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

23 Toulon

— «Si je comprends bien, vous n’aimez pas Toulon ?... » conclut Je Humble pour résumer la diatribe venimeuse de la petite femme assise en vis-à-vis qui venait de déverser sans desserrer les dents, un flot de haine aveugle sur sa Cité Sacrée.

Et sans plus piper mot, le regard bientôt dissout dans des brumes mémorables, il la laissa descendre, sèche, pincée, grognante, et obsessionnellement efficace, à une station quelconque du bord de mer touristique et très beau, ruisselante de soleil et d’argent blanchi.

Pour Je, le seul marché du Cours La Fayette rendait impensable l’inexistence de Toulon... et ce marché, ça n’en était qu’un millième !

Savoir qu’on irait à Toulon, déjà, c’était rompre avec le train-train quotidien (où rêvassait en ce moment Je Humble). Il y aurait un avant et un après : un voyage. Et un voyage dont Je rentrerait pantelamment ému, la tête pleine de choses imprévisibles, inimaginables. À jamais différent. D’où il avait un petit peu peur, aussi, qu’un jour, ce ne soit plus du tout le même qui revienne à sa place...

Mais en premier et plus certainement, c’était l’horaire de la matinée qui s’en trouvait chamboulé. Parce que le car — l’Autobus — passait à la gare vers une heure, heure à laquelle commençait le repas, d’habitude Dès lors, le repas avancé, en déséquilibre dans la journée, en devenait un faux repas : on aurait mangé... et pas encore mangé…

L’arrière grand père, l’Inventeur, lui, c’était le car de onze heures qu’il prenait, pour descendre à Toulon. Celui qui monte à la Coopérative. Et il commençait de se laver les pieds à onze heures précises, quand on apercevait le toit du car attaquant la dernière côte de Font Marcelin.

Il faut être propre pour aller en ville.

LE CHŒUR :

« Propre comme un citadin neuf » dit le dicton.

Sans pour autant risquer de se laver les pieds en vain, la fugace incursion du car au village restant suffisamment aléatoire pour qu’on n’y crût vraiment qu’au brutal cri chuintant de sa portière accordéonistique.

...Et le car et ses passagers impatients, attendaient la fin des ablutions de l’arrière grand-père...

LE CHŒUR :

O tempora ! omores !

Conductor haec intelligit,

passageri vident;

hic tamen : "—Lavabo !" 1

Mais l’arrêt de une heure était à un kilomètre. Un kilomètre au pas de charge à la poursuite d’une colossale maman d’avant-garde avec la peur au ventre de manquer le car. Dont on perdait par la transpiration et la poussière du chemin, le bénéfice de l’exceptionnellement grande toilette matinale.

LE CHŒUR :

Ne soyons pas si pessimiste ! La seule crasse récente

aussi épaisse soit-elle, est toujours moins démoralisante

que sa stratification sur d’anciennes couches déjà fossilisées...

A-t-on jamais manqué le car ?

On atteignait la gare. Pas une gare : LA Gare. Gare sans voie, gare sans train, un ancien relais de diligences, paraît-il…

Une porte aux planches pourries, disjointes, mais fortement barricadée, condamnait l’entrée de la masure sans toit par le devant...Pourtant, après avoir contourné le bâtiment (il fallait biens’occuper en attendant le car), Je découvrait, toujours surpris, non seulement que l’accès à l’intérieur était possible par une fine brèche du mur de derrière, mais encore que la ruine, loin d’être déserte, abritait tout un univers, complet, calfeutré, autonome, peuplé de grands figuiers sauvages aux-longues-feuilles-essuyeuses et de culs de bouteilles aux dents acérées y disputant les lits informes de gravats à des merdes noircies granuleuses, en voie de lyophilisation — quoi qu’ayant encore souvent fière allure — : des voyageurs qui avaient dû attendre leur car bien longtemps... et peut être même, avec un peu de malchance... le rater !

Chacune ( parlons bas, nous évoquons les merdes ) avait sa mouche truffière ivre de l’odeur mate poivrée, qui éveillée en sursaut par l’intrusion de Je, zigzaguait un moment, affolée, en bourdonnant dans l’atmosphère restreinte, surcuite au soleil concentré entre les quatre murs. Selon la granulométrie des vestiges, Je Humble à-l’esprit-archéologique-qui-s’intéresse-à-tout, vrai Sherlock Holmes des décombres, pouvait même en définir avec une marge d’erreur acceptable, la date d’émission : noyaux d’olives ? froid hiver claustrophile, de cerises ? doux printemps enjoué, prunes, abricots voire pèches ? (mais oui !), l’été sécateur des blés mûrs...

Et pépins de raisins : reverdissant automne !

Bal des saisons.

Mémoires intestines.

Souvenirs lancinants...

Et mélancoliqueux.

LE CHŒUR :

C’est fou ce que le temps passe...

La ruine se dressait de l’autre côté de l’Issole asséchée, juste au delà du pont. Le monde étrange-étranger commençait là.

Quelques siècles plus tôt, la diligence qui transportait la paye des ouvriers de l’arsenal avait été attaquée aux abords de la Gare et son équipage sauvagement massacré. L’argent jamais n’ayant été retrouvé, ni les coupables, au dire des gens du village restés pauvres, donc vertueux, la fortune des RICHES datait approximativement de cette époque...

Mais c’était l’autobus moderne qui arrivait.

Sur la route étroite et toujours poussiéreuse de Garéoult, entre les vignes et la rivière tueuse.

JEHUMBLE :

Moi ? ça va !

N’en persistait pas moins l’obsédance d’un doute jusqu’au dernier moment : « et s’il ne s’arrête pas ?... ce serait vraiment trop bête ! » Était-il plus prudent de lui faire ostensiblement signe de stopper, afin qu’il les embarque,eux, espérant ci-debout et habillés de neuf devant la gare en ruine, ou suffisait-il d’entreprendre un simple mouvement d’approche lentissime, vu la faible distance à parcourir, mais très démonstratif et expressif, vers l’endroit où il était sensé s’arrêter ?

Un comportement impérieux vis à vis du chauffeur que Je ne connaissait pas : « Je m’avance et tu t’arrêtes ! »

« S’il ne s’arrête pas, je me jette sous les roues ! » pensait parfois Je Humble pour rire. Ce qui ne le faisait pas rire du tout ! (C’était quand même sa vie qui était en jeu.)

Mais le car s’arrêtait. Toujours.

On montait, s’installait. L’intérieur sentait la crasse rutilante, le cuir et le métal, l’essence et un cocktail de parfums ordinaires...

LE CHŒUR :

Le parfum, c’est la voie royale, palsanbleu !

La signalisation routière de la femme !

Et le pire sent bon !

Avec un peu de chance, Je serait obligé de s’asseoir sur la roue, la place déconseillée par les sages adultes et qui donnait soi-disant des nausées à certains... mais de loin la plus amusante pour Je qui l’obligeait à garder ses jambes en hauteur, pliées sous le menton. Sans compter les vibrations plus sèches et secouantes là qu’ailleurs : en fait, tout le contraire du mal au cœur !

Et c’était le départ.

Comme dans un cocon.

Au bout de quelques kilomètres de rase campagne, le car plongeait dans la verte vallée sinuante encaissée. Aucun virage n’avait encore été redressé et la route multipliait ses boucles méticuleuses. Le car tanguait.

En ces temps primitifs où la vitesse de la lumière n’existait pas, le comble de la rapidité était — à l’unanimité — de descendre la vallée du Gapeau, À-QUATRE-VINGT-À-L’HEURE en s’inclinant dans les virages. (Ou en tout cas, de dire — en le mimant — qu’on l’avait fait.)

Le premier village à traverser, Méounes, par son nom était encore un peu Néoules. Mais un Néoules bafouillé, déjà équivoque. Défilait ensuite au ras des vitres, le long bâtiment de la papeterie qui suivait un moment la route dans ses virages. Puis Belgentier, beau et gentil. Toujours virage sur virage. Et le faux Solliès, Le Toucas (qu’on ne traversait pas), puis le bon, Solliès Pont, en déboulant dans la vaste plaine comme une renaissance.

Avalé théoriquement à Brignoles, après une brève chute œsophagique jusqu’à Néoules et le long parcours intestinal de la Vallée du Gapeau, le car, décidément indigeste, était rejeté tout rond, oscillant fièrement sur ses quatre pneus caoutchoutés de noir.

LE CHŒUR :

Alléluia!

Encore un autre faux Solliès, perché là-haut à droite sur la colline,pointu, patriarcal : Solliès Ville. À présent, la nationale tirait droit, le car prenait de la vitesse et tout se ressemblait. La Farlède tordait à peine le ruban de la route. Il eût suffit d’un instant d’inattention pour rater sur la gauche, la Maison Hantée aux balcons déhanchés, moulurés, barbouillés de couleurs incertaines.

On dit comment, une maison hantée, en « T », ou en thé ?

Bientôt, le car s’engageait entre les platanes avancés de La Valette ( le pays de quelque arrière grand-père ). Venait ensuite, en introduction à la Ville — et c’était déjà Toulon —, l’interminable Saint Jean du Var, toujours encombré mais tiré au cordeau. Puis le rond-point Bir Hakeim.

Et pour finir, la Place Noël Blache.

Terminus pour Je Humble !

La place Noël Blache sur laquelle donnait le cabinet de la dentiste était pour Je, le centre de Toulon. Car le but du voyage, c’était la visite chez la dentiste. Autant dire que jusqu’à ce que Je s’évade de l’antre désinfecté, décoré à plus soif de mâchoires emplâtrées ricanantes aux gencives crayeuses rose bonbon, il se sentait en sursis, évoluait en apnée. Craignant à chaque fois un verdict sans appel de la praticienne sur quelqu’une de ses molaires, qui pour être de lui serait lui tout entier.

LE CHŒUR :

Je Humble s’aime bien !

Une place ronde gigantesque, un manège incessant aux révolutions immémoriales, que cette place Noël Blache. L’Éternité. Où toutes les rues de la ville, toutes les rues du monde aboutissaient, s’enroulant en spirale sur elles-mêmes. Le Nombril de la terre...

Mais qui pourtant, au fil des années, allait se transformer en simple rond-point.

Quand la dentiste qui s’était peu à peu cheveux-boucle-grisée se serait effacée, le cabinet du nouveau dentiste ouvrant ses fenêtres, Place de la Liberté, Toulon allait changer de centre...

Mais revenons à Noël Blache !

Depuis ce lieu de débarquement, Toulon c’était d’abord la rue en pente — sans fin pour être légèrement courbe — du marché, Le Cours La Fayette qui s’enfonçait dans le sombre des maisons... et ne pouvait, parti comme il l’était, que s’engloutir à l’arrivée, tout en bas, dans la mer. Une mer invisible d’en haut mais que l’on sentait omniprésente par l’air frais, salé, collant d’humidité.

Toulon c’était la ville de la mer...

La mer toute rongeante et toute dévorante et où tout dévalait.

En début d’après midi, le Cours récemment débarrassé, ruisselait encore du nettoyage qui démultipliait un mélange d’odeurs douceâtres et avariées de fruits et légumes à présent volatilisés. Pour voir le marché battre son plein, sans doute eût-il fallu venir le matin ?...

Ce qui était inconcevable : Toulon n’existait pas vraiment le matin.

(À cause du car de une heure.)

En haut du Cours, d’autres odeurs, sucrées et parfumées, louches et sèches, celles-là, comme de foin, tentaient une furtive sortie de la boutique d’épices qui détaillait les produits exotiques. Là, de grands sacs en jute, appuyés debout contre les murs tout autour de la pièce, baillaient en grand, la toile retroussée, ourlée en rond sur le pourtour, attendant sans pudeur la sasse métallique qui les pénétrerait d’un coup vif en faisant crisser les graines rousses ou les farines vert pâles mal tamisées... Et la sasse, toujours la même sasse, au gré des acheteurs, passait impunément d’un sac à l’autre...

Toulon, c’était aussi les marchés aux poissons qui répandaient aux environs une odeur effroyable. D’autant plus effroyable que le poisson n’était plus là pour se justifier...

SARTRE:

Deux choses sentent le poisson

dont une qui est le poisson2.

LE LOCUTEUR :

C’est malin ! Moi qui faisais

dans la littérature !

Tout près, la petite échoppe pour les artistes peintres, en contrebas de la rue, par où l’on aurait pu plonger sans espoir de retour dans l’obscur monde de l’Art et des couleurs trop vives…

Toulon, c’était la Rue d’Alger des marchands juifs qui s’accrochaient aux clients lorsqu’ils tentaient de fuir, jusque sur le seuil des boutiques, pour leur vendre la chemise ou la cravate qui tout compte fait ne leur plaisait guère. C‘était l’épreuve des magasins de chaussures et des interminables essayages. Je Humble ne savait jamais si ça allait ou pas.

LE CHŒUR :

Le sait-il aujourd’ hui ?

— "Une paire est trop petite et l’autre un peu trop grande..." disait Je Humble.

— "Alors on prend les deux !" répondait la maman généreuse aux-mains-pleines-de-larges-billets. Ce qui ne faisait pas une moyenne ni la bonne pointure ; mais était atavique, le grand-père de Je, chaussant d’un pied sur l’autre, deux pointures d’écart : de quoi se plaignait Je ?!!!

Toulon, c’était la Rue du Canon, pleine de créatures spéciales, in-reconnaissables à Je Humble, où des marins gueulards devaient venir en ribambelle dans des chambres sordides, tirer à boulets rouges (du même rouge que leur pompon), sur les sexes écartelés des filles de joie.

JE HUMBLE :

Moi,je dis : « putes »

LE LOCUTEUR :

C’était pour faire plus gai...

La Rue du Canon où l’Inventeur était venu, un pied nickel, manger en trois jours la maison construite de ses deux mains, et où son fils,pépé Je, le Grand-père Mythique aux-pieds-irréguliers, armé de sa guitare, venait dit-on, charmer les belles au son de la Comparsita.

PÉPÉ JE :

« Un petit con par ci,

un petit con par là...»

Toulon, c’était le port.

Avec ses larges dalles blanches et glissantes de promenades du dimanche en semaine, de promenade pommadée exhibitionnistique devant les terrasses de bars. Ici, l’autre grand père, pas le mythique, le vivant, tout habillé de blanc, s’était fait applaudir d’un pet monumental par les gens attablés, avant de constater que son pantalon blanc, pourtant en plein soleil, en avait pris ombrage sur une large surface...

LE CHŒUR :

Cuverville3 en rit encore !

Le port qui avait été le lieu immonde du titanesque sabordage, graisseux, huileux, envahi d’épaves noirâtres rouillées, puis était redevenu celui des bateaux clapotant paisiblement à quai. Des bateaux qui auraient pu vous emporter n’importe où sur l’eau lisse et onduleuse.

On n’en avait pas envie puisqu’ on était bien ici... mais c’était bon de le savoir.

Toulon c’était la ville des bombardements préhistoriques où la maman de Je s’abritait sous des tables qui volaient en éclat dès qu’elle en changeait. Toulon d’où elle était revenue un jour, avec des dents de fer et un beau sourire triste.

Toulon, c’était la ville sans nom de la Révolution, la ville ouverte à l’Anglais, encore plus tôt ouverte au Turc, et bien plus tôt, la presenta ciutat de Provensa4 qui se protégeait des galères pestilentielles en quarantaine derrière sa frêle palayssada hyménique... et avait d’ailleurs fini par en être engrossée de peste noire... ou brune !

Toulon ville ouverte.

Ville offerte à qui voulait la prendre et se réjouissait du moindre petit navire pénétrant sa rade au goulet resserré, sous l’œil lubrique et attendri du vieux père Faron...

Mais Toulon, c’était aussi le sursaut de ses antiques municipes qui avaient ordonnancé l’arrêt de fanatiques religieux descendus dans la basse ville pour y tabasser une prostituée. Mille quatre cent quarante et quelques...

Toulon, c’était les remparts impeccables et pointus de Vauban, la Porte d’Italie, Napoléon, la gloire, le car, le retour.

Tous les chemins mènent à Rome et le Roi de Rome est mort...

En remontant, il faudrait guetter la Maison Hantée sur la droite, cette fois.

Toulon était une ville... était LA ville... Juste assez grande pour croire qu’on aurait pu s’y perdre, sans le risquer vraiment.

Je Humble avait vécu au centre de Toulon, rue Paulin Guerin (caraca-si-couteau), septième étage sans ascenseur, neuf mois comptés, en toute liberté.

Indispensable, insupportable liberté...

Et il se demanda : « Comment peut-on ne pas aimer Toulon ? »

Notes :

1 « Quel époque ! quelles mœurs !

Le conducteur le sait,

les passagers le voient ;

et lui pourtant : — « je me laverai ! »

(Cicéron !)

2 Sartre, Lettres au castor (du 25 février 1940), Gallimar (" Mon cœur sent le poisson").

3 Statue sur le port de Toulon.

4 "la présente cité de Provence" et "palayssada" : "palissade".

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

(A la demande générale -Hum !- je mets les trois derniers petits chapitres de "Espaces proches et affectueux")

24 Le grand pylône

En sortant de la gare, Je descendit l’avenue Vauban. Il lui fallait traverser la ville d’Ouest en Est, jusqu’à la Place d’Italie pour récupérer sa voiture au parking.

Il s’y reconnaissait enfin, retrouvait sa place dans ses chaussures !

Il traversa la Place d’Armes...

Il avait d’abord projeté de descendre vers le port, mais préféra tout compte fait, passer par la rue du Canon : et pourquoi se serait-il refusé ce petit plaisir ? Il tourna à gauche, frôla le mythique canon pétarode1, fit quelques mètres... mais déboucha sur une place inconnue !

Un large emplacement nouvellement arasé. Quelque veille maison de la basse ville récemment démolie ?

Au beau milieu de l’espace ainsi libéré, venait d’être érigé un grand pylône de métal. Vraiment très très haut. Quoique de faible diamètre. Et dont l’utilité parut mal définie à Je. Peut-être d’éclairage ?

Autour du pylône, se formait un attroupement de badauds qui semblaient mettre en doute sa solidité.

« Il risque de tomber ! » disaient les uns. « Il risque de tomber ! » disaient les autres. Mais l’Ingénieur concepteur du projet était là pour défendre son œuvre :

— Il est monté sur un vérin caoutchouté coûteux qui, fût-il couché à l’horizontale, en permettrait derechef le relevage !... Expliqua-t-il.

Les badauds hébétés n’eurent rien à rétorquer à une aussi belle phrase dont ils n’étaient pas certains qu’elle fût achevée...

Et l’ingénieur de démontrer dans la foulée ce qu’il venait de dire, appuyant du pied sur le vérin de caoutchouc. Le pylône s’inclina jusqu’à venir frôler à moins d’un mètre, le toit de la première maison en bordure de la place...

Surpris qu’une aussi faible impulsion ait pu donner autant de gîte au pylône, Je s’enfuit en courant et hurlant :

—- Il a failli emporter le toit du château ! Il a failli emporter le toit du château !

L’histoire ne dit pas pourquoi Je avait employé ce terme de château. Un château dans la basse ville de Toulon ? Vers la Rue du Canon ? C’est purement invraisemblable !

Sur le coup de l’émotion, je parcourut quelques rues en tous sens, de droite à gauche, de haut en bas (sur la carte), rebroussant vers la gare par exemple, et tournant le dos donc à la direction qu’il s’était initialement fixée...

Mais il finit malgré tout par se retrouver place d’Italie !

(...)

On en était où ?

Ah ! Oui ! Le parking souterrain, la voiture...

1 Pétarode : Un canon "Brise-roue" habituellement en pierre et de forme cylindrique situé à l'angle des rues.

25 Une voiture bleue neuve

Je s’en souvenait bien à présent : il venait d’acheter une voiture bleue neuve décapotable et foncée. Et il descendait au parking souterrain pour la récupérer.

Escaliers de béton, portes de fer, soufflements sourds de lourds ventilateurs géants, flouf, flouf, flouf, flouf...

Mais une fois arrivé devant sa voiture, là par terre, à côté qu’est-ce qu’il vit ? Un sac ! Ou plutôt, non : SON sac ! Qu’il avait dû oublié en partant... Et figurez-vous que ce sac qui devait mesurer dans les vingt, vingt-cinq centimètres, il était sensiblement PLUS GRAND que la voiture ! Oubli incompréhensible,donc ! Impardonnable, même !

La voiture était décapotable, soit. Et tant par sa forme que sa pointure, elle avait tout d’une chaussure, soit. Je et ses trois compères y prirent place. Encore qu’ils s’y sentissent un peu gênés aux jambes et non sans une certaine appréhension : « à quatre dans une si petite voiture, ne serons nous pas ridicules ? » pensait finement Je...

Et il démarra.

Hurlements-stridents-inutilement-effrayants-de-pneus-sur-le-sol-lisse-même-à-très-faible-allure.

...Tournant lassablement, suivant le même circuit complexe à des niveaux différents, Je cherchait la sortie.

Il la chercha, chercha... puis l’aperçut enfin à un détour, nimbée de lumière journelle, invraisemblable, au bas du plan incliné d’arrivée :

Un instant d’inattention eût suffi et il eût pu rester coincé ici, dans ce parking, à tourner en rond indéfiniment...

LE CHŒUR :

En un seul point parfois,

la vie peut être basculatoire.

La vieille dame qu’ils avaient conduite quelques instants plus tôt à l’hôpital (avant de descendre au parking) était là qui les regardait sortir.

« Elle s’en est bien sortie, finalement » s’émut Je.

LE CHŒUR :

Je est ainsi qui profite

d’un moment d’inattention

du lecteur pour... sauver des vies !

Et allez !...

Ils avaient vraiment fière allure dans leur coupé bleu neuf qui pétaradait aussi vulgairement qu’une voiture de course.

Même à très faible allure.

Ils traversèrent la salle du restaurant ( tant il est vrai qu’une petite voiture passe partout ). Là, des gens attablés pour quelque anniversaire murmurèrent d’un air envieux :

— Il faut être fou pour acheter une voiture pareille !...

Et c’était Je qui jubilait...

LE CHŒUR :

Je a gardé une âme simple.

Il est fier de sa voiture...

Effectivement, le vendeur de voitures qu’il aperçut un peu plus loin au sortir de la salle, lui redit bien qu’il avait fait une excellente affaire en l’achetant. Et que c’était le « top niveau » question voiture, et que pour cette qualité, il n’aurait guère eu le choix qu’entre celle-ci et... et une fusée de type « Ariane ». D’ailleurs il s’agissait d’une voiture israélienne : c’était tout dire !

En plus, il était si heureux de la lui avoir vendue que « tiens ! » il allait les prendre en photo avant le départ...

LE CHŒUR :

On s’en serait douté !

Je Humble n’y connaît rien aux voitures !

Une décapotable, c’est pas un coupé

(israélien ou pas)

mais un cabriolet !

Ils montèrent alors, la voiture à la main et la pipe à la bouche, au sommet de l’escalier large-marchu où ils posèrent parmi les gens du jubilé.

C’était exactement un mariage. Mais sur la photo, ils n’étaient plus tout-à-fait eux. Ni Je, ni Elle (qui venait d’apparaître dans un coin de l’objectif).

Ainsi, son reflet de Je au miroir, lui renvoyait certains traits différents, notamment la bouche qui s’affaissait du côté droit. Il en conclut, ce qui était normal, qu’en vieillissant, il ressemblait à son père.

Mais ce qui l’était moins, normal, c’était que sa femme ressemblât à sa mère (à lui), avec qui elle n’avait de liens de parenté...qu’a posteriori, via les petits enfants...

Il est vrai que le temps est circulaire...

LE CHŒUR :

Affectuat nec mergitur !.

(Le fils affectueux ne jette pas sa mère...)

Ni sa sœur :

26 Catherine de Médicis

Instantanément, Je se rematérialisa devant chez lui, face à la maison d’enfance boulangère. Ces histoires de mariage en famille l’avaient perturbé...

Bé.

Aussitôt vint vers lui sa sœur, qui descendait l’escalier frais...

LE CHŒUR :

Ainsi font, font, font

les souvenirs anciens,

qui se dé-stratifient

par couches successives.

Mais voyez comme c’est curieux, sa sœur, c’était la femme de Don San Francisco !

Toute surexcitée, alerte (!) et toute fièrte.

Elle paraissait cependant un peu gênée de la nouvelle qu’elle était sur le point d’annoncer à Je Humble :

— Je vais te dire qui c’est... (hésitations).

— C‘est... C’est... (re-hésitations).

Puis prenant mieux son élan elle sortit dans un souffle :

— C’EST CATHERINE DE MEDICIS.

Surprenant !

Ah ? Oui !... Précisons qu’entre intimes de longue date, on se comprend à demi mot. Ou que — pour parler net — la surdétermination discursive n’est pas de mise. Ici, par exemple, sa sœur lui ayant dit « c’est Catherine de Médicis », Je avait immédiatement compris que Catherine de Médicis, c’était le nom de son futur époux.

Question : une femme de notre temps, peut-elle se marier avec Catherine de Médicis ?

Je se souvint alors du tombeau des Médicis à Florence et de la tresse phallique dégoulinant sur l’épaule de marbre dont Miquel Ange aux-mœurs-sculpteuses avait affublé sa statue pourtant féminine de « la Nuit »...

« De quoi contenter une femme ! » en conclut-il grivoisement.

Epilogue.

Sans avoir compris grand chose à l’univers dans lequel il s’était débattu depuis le restaurant des musiciens (merci !), Je Humble se retrouvait finalement chez lui.

LE CHŒUR :

Pas si bête !

LE LOCUTEUR :

En était-il jamais sorti ?

Modifié par Blaquière
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, ...... Phoenix ..... Une cendre déterminée, 53ans Posté(e)
Amazones Membre 13 439 messages
53ans‚ ...... Phoenix ..... Une cendre déterminée,
Posté(e)

Bonjour Blaquière et merci pour la finalité à ton histoire que je vais porter attention .... A la suite de mes congés, je viendrais poser mots .... ;)

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 27ans Posté(e)
gegedu425 Membre 62 messages
Baby Forumeur‚ 27ans‚
Posté(e)

certain texte sont un peu moyen mais d'en l'ensemble j'ai beaucoup aimé.

Je ne peux qu'encourager un écrivain qui a le courage de nous faire partager ce qu'il a eu l'audace d'écrire

P-S: Je tient 2 rubrique dont l'une est un roman (voir conte philosophiques et besoin d'avis sur mon roman .J'ai besoin de vos commentaire, de vos conseils et de vos encouragement)

Bonne continuation et bon courage

sachez apprécier un chemin et non seulement la destination .

Modifié par gegedu425
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

C'est aussi l'impression que j'ai : des textes que j'aime et d'autres que j'aime moins !!!

Et pourtant quand je lis un de ceux que j'aime moins, je me dis :

"Mince ça c'est important, c'est essentiel, ça c'est moi tout cru ! Et en plus c'est vraiment arrivé : comment le changer ? "

Est-ce que je me sur-joue moi-même pour le spectacle ?

Du coup, la réalité moins fardée devient plus terne !

Mais c'est la réalité !

Et qu'est-ce qui est plus vrai ? Les souvenirs certainement transformés de la vraie vie

ou les souvenirs certainement transformés de vrais rêves ?

Finalement, je ne voudrais être que le copiste

qui essaie de comprendre ce qu'il copie.

Mais un copiste y mets toujours du sien.

Le pour soi de l'en soi de soi-même : je m'y perds un peu !

Vais voir ce que TU écris ...

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

  • 2 semaines après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

Chaque histoire peut être considérée comme une courte nouvelle séparée qui vaut pour elle-même. Les chapitres regroupent ces nouvelles par thèmes, chacune ajoutant une touche, un éclairage différents à la psychologie de Je Humble par "accumulation" ! Il ne me semble donc pas nécessaire d'attendre que tous les titres d'un chapitre soient écrits pour lire le premier...

wink.gif

Bien cordialement...

.

.

4.

GENERATION

(La boulangère - Le mercure - Les jambes nues de la boulangère - Le tapis persan - L’orgie au nom du père - Les serpents de toiture - Drôle d’oiseau - Et Je pissa partout... - Le rapide esquif - Le bowling - Il était trois petits navires.)

26 La boulangère

Je Humble était très ami avec la boulangère qui ne le faisait jamais payer. Il en était gêné.

D’où sa résolution en ce gai mois de mai d’aller à la boulangerie, d’y acheter n’importe quoi, mais de payer.

Pour solde de tout compte. Histoire de se racheter...

Il abrita sa voiture dans la petite cour sous l’acacia fleuri, n’osant pas cependant pénétrer jusqu’au fond pourtant libre du vieux garage.

Il se retourna pour sortir de la courette :

Il faisait face à la maison du four.

Appuyées debout contre le mur, deux longues tiges filiformes encadraient l’antique porte du fournil en contrebas de la ruelle. Une de fer à l’extrémité crochétue que le boulanger utilisait dans un premier temps pour curer le four du gros de ses scories, et une autre en bois grêle de pin, l’escoubillon, au sommet duquel pendouillait au niveau du second étage, une estrasse1 grisâtre innommable aux allures de fanion pompéien dont il achevait ensuite le nettoyage de la sole cendreuse avant l’enfournement...

Plus haut, sur la façade, au ras des toits, s’effaçait peu à peu, pour être peint à fresque, plein sud, côté pluie et soleil, le Rébus d’Origine surmonté dans un esprit décoratif de deux petites pelles croisées, symboliques de la « Boulange ».Je peina un instant à déchiffrer les quelques mots énigmatiques, connus de longue date mais toujours aussi nouvellement surprenants :

« 940, tan a doublé ».

Il fallait lire :

« 940 : temps à doubler »,

autrement dit :

1880.

C’était la date de construction de la maison du four. La compréhension en était gênée à cause de ce bizarre « tan a doublé ». Tan, (ou tant), ça voulait dire (en provençal) "peut-être", et Je Humble en déduisait d’instinct, que peut-être, le boulanger avait "doublé", la veille : "Tant, il a doublé". Auquel cas, la boulangerie, ce jour-là, serait fermée. Il n’y aurait personne et... pas de pain !

D’un autre côté, cette inscription sibylline étant écrite depuis belle lurette, tout cela ne pouvait être que de l’histoire ancienne et il ne pouvait s’agir que d’un "doublage" révolu dont il eût été ridicule de tenir compte en permanence !...

Mais alors, si on ne doublait pas, la maison avait plus de mille ans !

Ce qui est vieux, même pour une maison.

La légende disait qu’en ces temps reculés, on forçait le mitron à ne pétrir qu’en caleçons et à mains nues sa pâte collante, afin qu’il ne s’enfuît avant la fin du pain. (Car c’eût été vraiment la fin de tout !)

Et aussi que les gens du pays avaient les molaires du fond, usées comme de vieilles meules, à force de mâcher trop de ce pain pétri dans des farines insuffisamment broyées et tamisées... Dont était attestée la pugnacité des ancêtres qui n’hésitaient pas à passer leurs longues soirées d’hiver à ruminer comme les vaches.

En ce temps-là, au village, le boulanger était plus important que le Maire.

D’ailleurs, il n’y avait pas de maire !

Plus de "mille ans" auparavant, c’était ici, dans cette vieille maison du four, ici, devant l’abattant ouvert, que Je Humble, n’était pas mort.

Grâce à la bonne chaleur de la voûte rayonnante.

Temps à doubler : deuxième chance...

Je descendit la ruelle du fournil jusqu’à la placette, et entra dans le magasin.

Dieu soit loué ! La boulangère s’affairait dans l’arrière boutique et c’était le commis et lui seul, qui s’occupait des clients : ce serait un jeu d’enfant de payer !

En attendant son tour, Je fit son choix d’un chausson aux pommes doré à point, en demie lune, qui l’attendait au sommet d’une pile du même calibre dans la vitrine réfrigérée. Las ! Semblant s’être donné le mot, systématiquement, tous les clients le précédant ne voulurent dès lors rien tant que des chaussons aux pommes !

Dont le tas diminuait, diminuait...

Et ce fut le tour de la dernière cliente avant Je...

Qui prit le dernier chausson !

Je Humble fulminait.

Pour si peu ? Il savait qu’il aurait dû garder son calme...

LE CHŒUR :

Je est humain.

Que diable ! Il était là pour payer et ne songeait qu’à s’empiffrer!

LE CHŒUR :

Certes, un sacrifice doit être total ou ne pas être !

Mais Je humble, trop humain, insista, piteux :

— Il ne vous en reste plus de vos chaussons aux pommes ? Demanda-t-il veulement au commis. (Mais à voix basse pour ne pas attirer l’attention de la boulangère.)

— Bien sûr ! Répliqua celui-ci qui, heureusement, avait compris le misérable bredouillis. Et il retira de la vitrine une forme imprécise... de toute évidence... pas un chausson !

Sans perdre de temps en jérémiades contre ces filous de commerçants qui... (et patati et patata), Je Humble, vif-improvisateur, changea de cap. Il ferait l’impasse sur ce faux chausson.

— Donnez-moi donc aussi cette pâtisserie !

C’était une blanche meringue.

LE CHŒUR :

Je Humble adore les meringues, ces dulcissimes friandises,

qui fondent et se subliminent sur la langue

en vous pompant la salive...

Mais bien que l’indication de Je fût précise, le commis alla extraire de la vitrine une vague galette mal saupoudrée d’un sucre pulvéru-virulent, aux trois quarts engloutie sous un amas dégoulinant de chantilly aux reliefs jaunissants qu’il plaça sans grand soin dans un carton, trop vite et donc mal déplié, aux parois duquel tout allait certainement se coller...

Venait le moment de payer. Je retira du profond de sa poche une poignée de pièces de formes diverses. Du bout de l’index droit dans le creux de sa paume gauche, il essaya de les trier, en trouva des carrées,embouties d’une étoile aux quatre coins, opta finalement pour la plus ressemblante à la pièce de trois euros courante et se risqua à régler avec ça.

C’était bon !

Le commis insistait même pour lui rendre la monnaie :

— Je n’ai pas le droit de la garder, disait-il à Je Humble.

Mais Je refusa catégoriquement de la récupérer :

— Ça ira pour le pain au chocolat d’avant-hier que je n’ai pas payé...

Du coup, les autres clients regardèrent Je Humble d’un air mauvais : « Et pourquoi qu’il ne payerait pas SES pains au chocolat, celui-là ? » pensaient-ils.

Du coin de l’œil, Je nota que le commis, sans plus insister, glissait la monnaie dans sa poche.

Il eût été si simple de faire un signe à la boulangère ! Heureuse de sa visite, elle lui eût servi avec plaisir, gratuitement et en priorité, le doux chausson aux pommes !...

LE CHŒUR :

Je, ne comprend rien

au monde qui l’entoure.

Ce lui est grand tourment.

(1) Provençal pour "Vieux chiffon".

Modifié par Blaquière
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

  • 3 mois après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

27 Le mercure

Je contourna le comptoir et entra dans l’ancienne cuisine attenant au magasin. Là, il tomba sur... Victor ! Lequel alignait des bonbonnes au centre de la pièce. (Victor était le fils du beau Miguel, qui après avoir été chassé de la Présidence, venait de reprendre le maquis dans son hangar ondulé.)

LE CHŒUR :

Bien fait !

Des bonbonnes étaient neuves et des bonbonnes vieilles...

Mais avant de s’intéresser au manège bonbonnant de Victor, Je posa sur la table le carton de gâteaux. C’est là qu’il constata qu’en prenant ses gâteaux, il avait raflé du même coup et d’une main inadvertante sur le comptoir de la boulangerie, une boite de poivre.

Une boite haute et cylindrique...

Mais tout compte faisait, sa bévue n’avait rien d’étonnant ! Qui aurait pu s’attendre à trouver du poivre au milieu de pâtisseries?

LE CHŒUR :

Je Humble est facétieux !

Mais Victor se moqua de Je Humble...

Dont Je, plus lâche que nature feignit de ne rien entendre, s’enquérant simplement de la destination des bonbonnes. Victor lui expliqua ainsi son intention de ramener à chacun de ses prochains voyages « mais vraiment en grande quantité », du... MERCURE .

Puis qu’il en avait l’occasion !

LE LECTEUR :

Je m’ennuie !

LE CHŒUR :

Du tout ! Le mercure est un corps

mythique chez les Humble.

À la fois métallique donc dur

et liquide donc mou...

KANT:

De l’impénétrabilité

et de la dureté des corps...

—C’est une bonne idée, dit Je, amène, ça te fera des sous ! Mais le mercure, c’est lourd... on dit même "lourd comme du plomb",alors, le mercure, tu penses !...

Et il rajouta :

—Je sais des paniers très solides où l’on peut monter dedans debout en équilibre : tu devrais y placer tes bonbonnes, pour les transporter...

LE CHŒUR :

Je est ainsi, il est gentil,

malgré la vexation :

toujours prêt à rendre service !

Mais Je, lui, pensait qu’il était con à pleurer.

LE CHŒUR :

Mais non ! Une bonbonne de vingt litres de mercure, à supposer que le verre n’éclate pas, ça pèserait 260 kilos : de toutes façons c’est

in-trans-por-table !

JE HUMBLE :

Ouf!

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

28 Les jambes nues de la boulangère

Sur la terrasse des cocotiers, en haut du cours, devant le bar et sur le banc où s’asseyait d’habitude le vieux monsieur aux yeux bleus, était assis le vieux monsieur aux yeux bleus. C’était donc un jour ordinaire. (Quid Erat Demostrandum.)

De ces jours où le bonheur est lourd de ce que tout y est concentrique, prévu, irrémédiablement conforme à ce que l’on attend.

Casquété de gris clair, la tête légèrement inclinée vers la gauche et le menton appuyé sur ses deux mains croisées au pommeau de sa canne piquée au sol entre ses pieds vaguement écartés, le vieux laissait s’écouler une poignée de minutes autour de onze heures, onze heures trente.

(Onze heures et demie ! l’heure du coup de feu à la boulangerie !)

JE HUMBLE :

Hòou!...

LE VIEUX :

Hòou!...

Et la conversation s’engagea sur le temps...

Le beau temps ou le froid. Les deux aussi, pas toujours incompatibles et parfois même alliés, compte tenu des quartiers de la lune... and so on...

LE CHŒUR :

Je aime bien parler du temps

avec le vieux aux yeux bleus.

Mais le temps atmosphérique, ce n’était qu’une façon de se mettre l’envie de parler en bouche, qu’une façon de s’assurer qu’on était bien toujours sur la même longueur d’onde depuis la dernière fois. Le vieux, maître du jeu, estima que c’était le cas... Il se mit alors à raconter son temps à lui, son jeune temps. C’était du temps aussi, mais du qui coule en continu, pas du qui pleut en morceaux...

LE CHŒUR :

Quand il se ruralise,

le Locuteur prend parfois

de ces accents gionesques !...

JE HUMBLE :

C’est le poétiquement correct...

Peu à peu l’esprit du vieux s’échauffait, son visage s’éclairait. Il parlait des moulins, des couffins, des grignons, des olives qu’on "défaisait"...Tout ce qu’avait cru vivre Je Humble dans ses laborieux déchiffrages de vieux grimoires, tout ce qu’il n'avait pu qu’imaginer1, le vieux, plus jeune de cinq siècles, le lui expliquait en clair et dans les mêmes termes, au mot le mot. C’était son passé proche, au vieux, son passé bien vivant, un passé où Je redécouvrait comme un lointain futur... antérieur...

LE LOCUTEUR :

La concordance des temps est très surfaite !

Je Humble était aux anges et le vieux, heureux. La parole douce et calme du vieux condensait autour d’eux une dignité simple de mots argentés.

Dins lou tèmps, l’avié uno grando amitié ! conclut le vieux aux yeux célestes (dans le temps, il y avait une grande amitié) . Et dans sa bouche, ce mot français d’amitié, ce n’était pas un mot, c’était de l’amitié : du pur provençal.

... Le cœur soulagé, Je descendit la Grand’rue en frôlant les façades des maisons, la tête enfoncée entre les épaules : il s’efforçait de protéger sa joie nouvelle... Or par mégarde, il accrocha du coude le volet d’une fenêtre qui se referma en claquant. La fenêtre s’en trouvait éborgnée ! Je s’arrêta, rouvrit bien ostensiblement le volet, l’accrocha avec précision... (Il tenait à ce que le moindre de ses gestes restât aussi limpide que les phrases du vieux.)

LE CHŒUR :

Je est méticuleux, bravo !

Mais il n’a pas le sens de la discrétion

pour réparer ses maladresses !

Dr FREUD :

C’est le symptôme minimal de l’exhibitionnisme...

« Si à l’intérieur de la maison pénombreuse, des gens m’ont aperçu rouvrir leur volet sans m’avoir vu précédemment — et par inadvertance — le rabattre, ils vont certainement se dire : — Hé ! Pourquoi diable, celui-ci ouvre-t-il notre volet ?!!! » Hypothésa Je Humble à l’esprit d’autant-plus-enclin-à-la-complication-que-c’était-inutile...

Peu après, il arrivait sans plus d’encombres à la boulangerie. La boulangère, déballait ce jour-là des objets à mettre en vente. (Je était donc descendu pour l’aider ?). Elle venait à peine d’extraire d’un grand carton, deux cruches ventrues, l'une jaune, l'autre verte. (Aujourd’hui, dans les boulangeries, comme dans les pharmacies, on trouve vraiment de tout...) Elle en cherchait peut-être une troisième ?... « Je ne pensais pas qu’elle serait intéressée par ce genre d’objet. » se dit Je qui compte tenu des deux pièces déjà choisies, pouvait à présent se faire une idée claire des désirs de la boulangère. Il l’aida donc à chercher...

LE CHŒUR :

Je Humble apprend, s’adapte, évolue, IMPROVISE...

LE CHŒUR DES FEMMES ADMIRATIVES :

Il sait tout faire, cet homme !

VICTOR HUGO :

Je est une force qui va...

UN FARCEUR :

et vient...

De part et d’autre des cartons, Je et la boulangère déballèrent ainsi de conserve, sur le carrelage miroitant, bien d’autres céramiques. Et les feuilles froissées de journaux qui les enveloppaient voltigeaient en tous sens. Et ce faisant se mélangeaient leurs jambes... Or ils n’y pouvaient rien. Car l’usage est de déballer les cartons, couché au sol du magasin, les jambes entrelacées.

De forme plutôt cylindrique et couleur lie de vin, le troisième vase que proposa Je Humble à la boulangère, ne correspondait pas —mais alors, pas du tout — à son attente. Qu’à cela ne tienne, il en chercherait d’autres, des tout blancs, à petits dessins faïenciques bleus (il en avait toute une collection, chez lui)...

À cet instant précis "i", Je remarqua le petit garçon immobilisé sur le seuil du magasin. Un petit garçon qui, suspendant son premier pas vers l’intérieur, contemplait Je et la boulangère, se rouler sur le sol, ébahi au point de n’en pouvoir lâcher la poignée verticale chromée, montée sur le cadre métallique coupant de la porte vitrée où se dédoublait son image...

N’allait-il pas, ce gamin, se méprendre sur leur attitude ?

Mais soyons clairs et ne nous leurrons pas, se dirait plus tard Je Humble: de nos jambes fraîches et nues qui se frôlaient à même le carrelage glacé, la sensation était bien trop douce et agréable pour être due au seul hasard... ou à la nécessité de déballer des cartons comme il se doit !

(1) Voir plus loin "Le guet-apens de couleur locale".

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant

Rejoindre la conversation

Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

Chargement

×