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Le roman de Je Humble

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Blaquière

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29 Le tapis perçant

LE CHŒUR :

Couleurs fauves et chaudes,

dessins entrelacés,

dans la pénombre obscurieuse,

au fond de l’antre gris

est un tapis persan...

Sur ce tapis persan, allongé,

est Je Humble...

Une suave slave

au sourire croquant,

dégrafe la braguette

du pantalon bouffant

qui arrondit ses anches

et fronce ses mollets :

elle montre à Je Humble,

intentionnellement,

par l’entrebâillement,

sa culotte gonflante

en tissus fripé blanc...

puis contre lui s’étend...

Et rien d’autre !

JE HUMBLE :

Qui entre dans la chambre ?

La silhouette d'Elle se découpait à contre jour, dans l’embrasure de la petite alcôve.

LE CHŒUR :

Allons! Les désirs de Je Humble

Sont toujours innocents !

(Puis qu’ils sont ses désirs.)

30 L’orgie au nom du père

Dans l’antichambre primitive, se souleva Je Humble légèrement pour s’assurer qu’ils étaient seuls...

Ce n’était pas le cas !

Non seulement le petit garçon était toujours là, bien présent, mais avec lui, un tas d’autres personnes...

Disons que l’on s’y emmêlait.

LE CHŒUR :

Je aimerait-il donc tant se voir admiré

dans ses moments intimes ?!!!

Un édredon gonflé, gigantesquement gros, emplissait toute la chambre... qui à la réflexion n’était qu’un lit de vingt sur vingt dans tous les sens de sa démesure. Jusques au ras desmurs ! (Et de fait, c’était l’édredon qui, de par son volume,avait masqué l’ensemble des occupants...)

Pour y voir mieux, Je donc, en équilibre, sur un coude, se souleva... tant est peu spectaculaire le point de vue de l’homme couché.

Ledit coude en réaction, s’enfonça dans les désagréables nodules du matelas à ressorts...

Du plat de sa main libre, Je Humble tapa-t-alors sur l’édredon autour de lui. En tous sens et au petit bonheur. Comme une AIGUILLE de montre folle.

En guise de protestation, l’édredon rendit un son à la fois mou et claquant d’édredon : plaf ! plaf ! plaf !

Et Je finit ainsi, par distinguer de la gauche vers la droite, dans le même ordre de numérotation que les cibles au stand de tir militaire :

— un : une femme adulte,

— deux : deux jeunes filles semblables (dont Je aux-idées-fixes se dit que s’il avait su plus tôt leur présence, il aurait pu l’air de rien et inopinément, au cours d’une incursion rampante sous-édredonique, tomber en sous-sol, nez à nez avec leurs SEXES, à coup sûr très visibles),

— trois : son fils, de Douze ans entouré de deux copines de son âge.

Sans oublier Je soi-même et Elle toute étonnée...

LE CHŒUR :

Objets de mes désirs

avez-vous donc une âme ?

LE LOCUTEUR :

Ça se bouscule sous l’édredon !

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  • 3 semaines après...
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31 Les serpents de toiture

Et voyez comme les choses sont curieuses : juste au dessus de la chambre édredonique est la droiture… Non ! La TOI-TURE !...

Je n’avait pas envie de descendre d’en haut. En tous cas, pas tout de suite. Il préférait se promener encore un peu sur les tuiles moussues cliquetantes, à la surface de cet autre univers qu’est le monde des toits. Un univers toujours nouvellement inattendu (à deux doigts du rébus de la boulange), avec son vide amorphe si différent du fouillis poussiéreux du grenier précédent. Un univers au fond duquel se retrouvait sa tête, magiquement guillotinée, après qu’il eût pourtant escaladé tant de marches...

Tout était au dessus, et tout... ça n’était rien !

Le vide !

Un vide bleu, écrasant et sans poids.

PARMENIDE:

Et le non-être serait ?

LECHŒUR :

Encore bien plus !

Certaines personnes pas très habiles, avaient préféré redescendre par l’échelle de corde, dont la grosse dame vêtue d’un complet blanc transparent, qui au ravissement général y était parvenue sans trop de difficultés. Et ça n’allait pas de soi ! Notamment lorsque l’on devait se reculer dans le vide, pour tâtonner d’un pied aveugle et hésitant, avec l’espoir au ventre d’atteindre le premier barreau souple, déformable et donc si peu rassurant...

Alors qu’elle commençait sa descente, le visage déjà barré par la ligne du rebord tuilu, la grosse dame avait mis en garde Je Humble :

—Méfiez-vous des serpents de toitures !

(Les serpents de toitures ! Ces reptiles mythiques indiscernables, dont les ondulations rampantes épousaient parfaitement le moutonnement régulier de la tuile latine !...)

Et la grosse dame avait poursuivi ses explications :

—Ils sont longs comme... comme des couleuvres. Il faut les attraper par le bout de la queue et leur arracher la tête en leur mordant le cou d’un... COUP DE DENT ! »

LE CHŒUR :

Quelle horreur !

LE ZOOPHILOLOGUE :

Un serpent n’a pas de cou.

Ou alors n’est qu’un cou...

de la tête aux pieds !

Quand la grosse dame fut en bas, pour faciliter la descente de Je, elle secoua l’échelle de corde qui s’était mise en vrille sous l’effet de son poids, selon la technique serpentine qu’elle venait de décrire : de deux doigts en la tirant par le bout.

Mais sans mordre.

LE CHŒUR :

Elle est gentille la Dame !

Oui, mais elle doit coucher avec ses chiens dans son lit : c’est quand même sale !

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  • 3 semaines après...
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Blaquière Membre 19 162 messages
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32 Drôle d’oiseau

Il y avait eu d’abord, cet oiseau bizarre, pas comme les autres, qui avait bâti son nid sous la génoise en s’emmurant dedans.

Ensuite (un peu plus tard et petit à petit), en piquant de son bec depuis l’intérieur, il avait cassé des morceaux au plus près de son corps jusqu’à percer un orifice étriqué — à peine suffisant— , et s’était envolé.

En y repensant mieux, c’était à cause de lui que Je Humble, avait pris, au début, les nouveaux arrivants pour des oisillons...

Des oisillons qu’ils n’étaient pas !

Une rafale venait de les gifler en nombre sur le toit. (Ce qui pour eux semblait normal, car quand bien même ils avaient pu souffrir de ce brutal échouage — collés qu’étaient certains et même partiellement liquéfiés sur l’âpreté poreuse des tuiles ocres—, aucun n’en était trépassé.)

Pour dire les choses clairement, ces animalcules aux minuscules petits corps mous d’enfants grêles couronnés de deux ailes rondes et transparentes comme des monnaies du Pape, ressemblaient à s’y méprendre à des pa... papillons !

Je s’en sentit dépassé.

Complètement.

Incapable de faire face !

Tous, ils étaient vivants : il était donc encore temps de les sauver tous ? Mais lui incombait-il à lui, Je, de leur donner la becquée ? Et la becquée de quoi ? Il imagina vaguement un mélange de mie de pain spongieuse trempée dans du lait blanchâtre...

Ils étaient si nombreux ! Et de plus, dispersés sur toute la toiture...

(Il risquait de leur marcher dessus !)

Peu à peu cependant, le toit poreux les but. Entièrement. Goutte à goutte, jusqu’au dernier.

Ils filtraient à l’intérieur de la maison où ils tombaient en pluie. La maison de l’oncle aveugle musicien... Maison au dessus du garage, lui-même en face de la maison du four.

Après un temps de réflexion, il s’avéra que ces petits êtres autonomes étaient des notes évadées, égarées. Des notes oubliées par quelque soliste virtuose et arrière grand père ; des accents inspirés expulsés d’un cornet à pistons antédiluvien depuis le Casino de Marseille ou de Paris...

Et là, dans sa maison, l’aveugle musicien, pêcheur lubrique et fils du précédent, les récupérait de son éponge contraceptive nouée au bout d’un fil.

Ramsès II ou Louis XIV pouvaient avoir la même dans leur jeunesse copulante. (Nous parlons de l’éponge.)

Ce qui ne rajeunit personne.

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  • 1 mois après...
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Blaquière Membre 19 162 messages
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33 Et Je pissa partout...

Avec une envie pareille, on ne va pas au cinéma de la Canebière à Marseille : on va pisser d’abord !

C’était le cas de Je. Et il le dit à Elle avec qui il faisait la queue depuis pas mal de temps devant le guichet. Qu’elle continue un peu seule, un moment, histoire de garder la place dans la file, il la rejoindrait plus tard !

LE CHŒUR :

Je sait aussi être mesquin.

Or il advint que les toilettes libres dans un rayon d’au moins, se trouvissent dans une chambre d’hôtel le plus proche...

—Peu importe le flacon ! se dit Je se mettant à pisser.

Mais à pisser... à flots !

Tiens? Décidément, ces toilettes étaient curieuses ! Au lieu d’accéder directement à la cuvette traditionnelle, il convenait ici, de pisser sur une tôle la recouvrant. (La cuvette était donc par le fait invisible d’en haut.)

—Soit ! ébaucha Je...

Et tout en pissant à fond et sans plus de façon, Je imaginait, confiant, un système complexe d’écoulement permettant de rassembler dans la cuvette hypothétique, ce qui tombait en vrac musical sur la tôle...

LE CHŒUR :

Et plus Je, pisse, plus ça le soulage.

Et plus aussi ça éclabousse...

Mais plus enfin, s’accroît son inquiétude

Quant à l ’écoulement.

D’où que quand Je eut fini, il se pencha par acquis de conscience et regarda dessous, là où eût dû se trouver la cuvette logique.

Catastrophe ! Au lieu de la cuvette escomptée, s’ouvrait en contrebas, jusque là dissimulée par la tôle, une autre chambre !

Une chambre où Je, intrigué, à croupetons se faufila...

Oh ! là ! là ! La pisse avait coulé partout, dans cette chambre-là !

L’était un lit, avec ses draps, ses couvertures, belles, blanches, brodées, peut-être même un édredon, et le tout, tout blanc. Mais le tout, sans conteste, tout éclaboussé !

Les gouttelettes cependant n’avaient pas humecté les tissus : elles perlaient à leur surface, comme d’une toile cirée...

Que voulez-vous qu’il fît (Je) ? Qu’il courût ? Tournât le dos, payât sa chambre, et s’en allât comme si de rien ne fût ?

Il connaissait la musique : 60 euro pour pisser, ça faisait un peu cher !

Il eût pu essuyer ?... ce qui peu le tenta.

Il entendit alors le bruit serpillant de la femme d’étage qui s’affairait dans la chambre voisine. Il s’approcha... décidé à tout lui expliquer, tout. Projetant même infâmiquement de la soudoyer de 15 euro tout comptants (soit la moitié de la moitié), afin qu’elle épongeât ses dégâts dégoulins...

LE CHŒUR :

Sordide mais substantielle économie...

Las ! le reçut fraîchement, la chambrière qui s’empourpra-porta sans lui laisser le temps de s’expliquer. Pour elle, l’Humanité se divisait en deux camps bien distincts : celui de ceux qui pissaient tout partout, et celui de celles... qui essuyaient !

Et elle en avait mare, elle !

LA FEMME DE CHAMBRE :

Oui!

N’étant pas d’humeur à supplier, Je Humble renonça (on a sa dignité quand même). Mais il se retrouvait dès lors dans la chambre urinaire, cochon comme devant. La chambre d’où émanaient maintenant, envahissant peu à peu les couloirs cossus capitonnés de lourdes tentures fleuries sombres, les senteurs muscades et sucrées de la pisse croupie.

« Je vais partir en douce résolut-il, puisque finalement, je ne saurais m’y retrouver moi-même : qui me retrouvera ? »

Non ! Un nouveau dilemme le ralentissémait : la clé ! Valait-il mieux carrément la laisser sur la porte ou devait-il plutôt la remettre en sortant au gardien, derrière le comptoir (le vieux bonhomme maigre, grisonnant de cheveux, buriné de ses traits et à l’air pas commode qui avait exigé de Je qu’il remplît sa fiche d’hôtel, rien que pour aller pisser).

À problème insoluble, Je ne se retint pas... plus que précédemment : il passerait directement à l’étape suivante !

Et il fallait s’y dépêcher, car Elle devait déjà être entrée au cinéma...

Il ressortit de l’hôtel en courant, son sac à main en main et ses escarpins fins, vernis-noirs, hautement talonnés, enfilés à ses pieds...

Dont il, soudain, se figea, telle une statue de sel :

Où était l’erreur ?

Je parcourut à rebrousse poil son histoire sans queue ni tête :

Le vieux barbon ? les quinze euros ? les soixante ? la femme de chambre ?... C’était pas ça !

Toilettes ? toile (cirée) ? tôle ? l’hôtel ? Elle (Elle) ?... Mais oui ! Bon sang, mais c’était sûr, c’était elle, Elle qui s’en était ôtée... de la file d’attente, pour aller aux toilettes ! Je, lui, avait dû rester à l’attendre, à faire la queue...

Je avait été victime d’une crise directe d’inversion des rôles !

Car une femme ne devrait jamais dire j’ai envie de pisser, mais de faire pipi... ou alors, elle se fait payer 60 euro.

Sans compter qu’elle pisse (ac)croupie...

JE HUMBLE :

C’est pas une preuve, ça ?!!

LE CHŒUR :

De qui se moque-t-on ?

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  • 2 mois après...
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34 Le rapide esquif

Par le fait, le vieux port de Marseille ressemblait à s’y méprendre à la rade de Toulon. C’est-à-dire que les quais, au lieu de délimiter l’eau dans un espace bien rectangulaire, sinusoïdait un peu approximativement sur les côtés...

Mais c’était quand même Marseille. Je eût même opté d’instinct pour le Marseille antique, ne fût l’incompatibilité avec le moderne et puissant moteur de bateau dont il allait être bientôt être question...

Or, dans ce port pourtant bien abrité, l’eau s’agitait : qu’est-ce qu’on n’allait pas trouver au large, comme vagues ?!!!

Le pilote, cependant, n’hésita pas à mettre les gaz à fond...

« Il connaît son affaire au moins, ce pilote ? » s’inquiéta Je...

Et l’embarcation bondit comme projetée par un ressort !

L’étroit petit bateau longiligne, couvert d’un toit en arrondi, vibrait d’un seul tenant et se ruait sur les vagues. Les passagers alignés sur deux rangées face à face n’y voyaient goutte (le toit étant fermé). À intervalles irréguliers, de brusques glissades latérales de la poupe à la proue sur la crête des vagues les "impressionnaient" de tourner en rond ou de se retrouver dessus-dessous après avoir claqué d’un plat magistral sur le versant des lames... Tous, s’en entre-chocottaient comme des Ifs (1) stériles humectamment brumés...

Au sortir du port, le pilote engagea le bateau sur la gauche dans un chenal plus tranquille qui longeait un moment le rivage, avant de remonter vers l’intérieur des terres. Il conduisait toujours à très vive allure.

Peu à peu le chenal se rétréci-cit, devint une rivière, une rivière presque à sec...

Hé’ousamint qué lou found dòw batèw ez estré !

(Heureusement que le fond du bateau est étroit ! )

Dit Je Humble au capitaine qu’il venait de rejoindre dans la cabine de pilotage, surplombant le pont, surplombant le fleuve (une vue imprenable).

Je ne sut pas si le pilote avait compris...

LE CHŒUR :

Tel est de Marseille qui n’est pas marseillais.

(Ou marseillais qui n’est pas de Marseille).

Le chenal s’était fait rivière, la rivière, torrent. Par endroit, seul un petit filet d’eau s’écoulait, pressé entre les rochers... comme une femme qui urine (ou fait pipi). Mais le bateau passait en trombe, s’inclinant dans les virages sur sa quille aiguisée, selon l’angle le plus favorable. À bord, à peine ressentait-on de légères secousses. Un paysage champêtre défilait vitement au travers des arbres feuillus-verts de la rive proche. Je Humble pouvait même le relater, ce paysage insipide : « un pré, une bastide, une vache, le tout sur fond de barre rocheuse blanchâtre ». Sans aucun intérêt, donc...

Si ce n’est l’incongruité d’un paysage terrestre traversé en bateau !

Oui ! Le pilote était vraiment expert.

Plus loin l’eau redevint abondante et calmée. Comme un lac pollué. Le bateau slalomait à présent sur une surface lisse, évitant les enfants qui nageaient en tout sens et qui, depuis le haut du bastingage, se réduisaient à de petits points noirs minusculés.

D'accord, le pilote était expert ! Mais c’était tout de même dangereux :

À leur passage, certains enfants spermatosoïdiques eussent pu se trouver momentanément sous l’eau en plongée ludique sans qu’on n'eût pu les voir... et la quille aiguisée eût pu les hacher menu !

(Menu, Manu....)

(1) Sans doute une allusion au château d'If ?

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  • 4 semaines après...
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35 Le bowling

Il y avait la place, toujours celle des cocotiers et en son centre, une table. Sur la table, trois bouteilles. Debout les bouteilles, mais carrées (à facettes aplaties et non pas cylindriques).

Il y avait une femme, aussi. Qui critiquait l’irresponsabilité de celle (ou de celui) qui avait laissé à la portée d’un chacun, ces trois fioles debout, au contenu largement plus toxique que l’ensemble des produits de la pharmacie voisine...

À la portée notamment, des enfants qui jouaient sur la place !

Et qui jouaient à un jeu curieux :

Ils partaient du centre de la place (de la table aux bouteilles) et couraient en tous sens un instant, puis se jetaient en fin de course, échevelés et moites, contre les lourdes portes closes des maisons brunes qui refermaient en arrondi l’espace de la place ainsi scellé.

Comme des boules de bowling.

Quelle inconscience !

Il eût suffit qu’une des portes fût mal fermée, il eût suffit qu’une seule cédât sous leur poussée, pour qu’ensanglantés ils s’étalassent dans l’un des nombreux couloirs-oubliettes...

D’emblée, Je se devait de leur donner l’exemple d’un jeu sain.

Pour commencer, en manière d’échauffement, il exécuta quelques mouvements d’étirement avec les bras en marchant calmement autour des tables entre les piliers de la terrasse carrée située à l’un des angles de la place. Car était là un bar. (Il projetait ensuite, de s’élancer vers le haut pour faire habilement de la barre fixe ou du trapèze sur le montant transversal horizontal métallique de la treille effeuillée en cette saison...)

Mais au fait, puisqu’il se trouvait en terrasse de bar, que n’en profitait-il pour commander un café-crème ? Cela n’eût pu en aucun cas attirer les soupçons ?...

Je avait vu juste ! En rien ne fut surpris le garçon. Lequel ne décela dans la commande de Je, pas le moindre écho de son intention véritable de faire de la barre fixe (ou du trapèze) sur le montant de la treille effeuillée en cette saison...

JE HUMBLE :

On pourrait même mentir,

personne ne s’en rendrait compte !

LE CHŒUR :

Mais où va le monde ?!!...

LE LOCUTEUR :

Et pendant ce temps-là,

des enfants se fracassent

contre des portes fermées !

Mais personne jamais, ne demande aucune aide.

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36 Ils étaient trois petits navires

À sec était le bassin de radoub. Et un grand navire trônait au milieu, en équilibre sur sa quille. Magie du monde marin étranger à Je Humble...

Taratata!

C’était un paquebot !

Au bord du gouffre carré, les pointes des pieds ne dépassant que de quelques centimètres dans le vide, Je contemplait, droit-devant-face-à-lui, l’immense étrave verticalo-rectiligne de métal aiguisée en hachoir.

Il suivit du regard l’arrête droite de haut en bas... et comprit tout, soudainement, du mystère des grands et des petits bateaux.

À mi-hauteur, la proue du paquebot supérieur prenait naissance sur celle d’un plus petit navire, lui même construit à partir du tiers inférieur de la demi-hauteur du bas, sur une barque de pêche qui reposait tout au fond, sur le sol vidangé. C’était facile à repérer puisque le nom de chacun des trois navires superposés restait encore inscrit à l’avant, sur le côté (comme ont les noms de bateaux, coutume).

La barque du bas, s’appelait "Le Surcouf" et ce nom, marqué à l’ancienne en lettres décoratives d’un brun rouge, tranchait nettement sur le fond crème. L’ensemble était encadré d’un double trait voluptueux d’arabesques. "Le Surcouf" pour une simple barque, fit sourire Je...

La goélette du dessus, elle, avait son nom inscrit en lettres capitales, blanches, régulières, légèrement italiquées : "La Caravelle".

Je chercha sans succès, le nom du paquebot final, qui s’avéra illisible à l’exception des deux premières lettres : peut-être était-ce le "Jean Bart" ?

LE CHŒUR :

Petit bateau deviendra grand...

De tout cela, s’étonnait Je. Bien sûr, quand le bateau était à l’eau, ses anciens noms disparaissaient sous la ligne de flottaison. Mais pouvait-on ainsi conserver plusieurs noms ? Et le passage d’un nom à l’autre, comment s’opérait-il ?

Subséquemment, Je regretta le temps où toute barque était de pêche, sympathique et provinciale. Le temps où les petits bateaux n’étaient pas tenus de grandir, vu qu’il existait un "Le-plus-grand-bateau-de-France" étalon, dûment homologué, si simple à dessiner avec ses trois énormes cheminées et sa superstructure régulière à étages...

MAIS: ce temps-là avait-il jamais existé ailleurs que dans son imagination ?

Peu importait finalement ! Il n’eût pas été moins bon de le connaître... et Je savait l’avoir connu...

LE CHŒUR :

Heureux Je !

JE HUMBLE :

Quand je serai grand, je me marierai

avec une femme qui plaira à papa !

(Qu’en savait-il lui, en effet, de ces grandes-femmes-amas-de-chair, si elles étaient belles ou pas ?)

Mais revenons à la réalitude :

Aujourd’hui, il en allait des cargos comme des escargots. Leurs coques ou leurs coquilles, subissaient à leur corps défendus des poussées brusques de croissance au rythme des saisons et en fonction de la pluviosité... ou de la bonne fortune des a(.r.)mateurs. En suite ils restaient de longs mois, des années, voire des décennies sans bouger… Et enfin, un beau jour, pffuiiitt ! La coquille grandissait et le bateau changeait de catégorie.

« Suis-je bête de n’avoir pas compris tout ça plus tôt ! » se dit Je : bien sûr que la première coquille restait, en dessous, sans ça, les bateaux n’aurait pas eu de fond ! L’important, c’était qu’en dépit de la taille et des noms officiels transformiques, le bateau restât toujours le même.

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  • 1 mois après...
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5.

ANIMALIUM ANIMA

(Les fourmis - Noé -Le pigeon agressif -

Zéno le sage.)

37 Les fourmis

C’était à cause de l’Alude qu’au tout début Je Humble avait pris conscience de l’existence des fourmis. L’Alude, une fourmi ailée noire, luisante mais peu vaillante qui s’était impudemment égarée contre la vitre à deux doigts de son nez.

Il était alors parti à la recherche de la fourmilière... et avait eu tôt fait de découvrir que le centre de la cour trapézoïdale en était le lieu géométrique persistant.

Respectant en cela leurs usages ancestraux, les fourmis descendaient du ciel et des plafonds, le long de traces blanchâtres verticales, semblables aux lignes de mise en place d’un tableau, peu visibles, certes, estompées, mais fixes et incrustées dans l’air, indélébilement. Au sol, de petites auréoles moussues, blanches elles aussi, comme une bave d’escargot, révélaient leurs points de débarquement...

Mais ensuite, plus rien : les pistes se perdaient !

Je, pressentit qu’elles avaient tout envahi, ces fourmis, tout ! Et il les retrouva en file indienne, innombrables, au pied des murs. Les murs qui s’en retrouvaient investis de l’intérieur, dans leur épaisseur. Ce qui arrive quand on construit sa maison en terre parce que c’est plus facile aux fourmis d’y creuser.

« Elles sont partout ! » s’éplora-Je.

Pis encore ! Il ne devait pas tarder à réaliser qu’il en était lui-même infesté. Par en dedans ! Dans son propre corps !

Il était devenu, en son âme et conscience, un terrier de fourmis !

Pour vérifier, il se trancha l’avant bras droit.

Comme on coupe un saucisson.

JE HUMBLE :

Le bras m’en tombe !

Et en effet : des fourmis montrèrent leurs têtes aux extrémités des multiples galeries creusées dans le bras qui débouchaient à présent sur le vide ; leurs petites têtes rondes, ossues, lisses, inexpressives (n’était un remuement alterné d’antenne). Certaines tombèrent poussées par les suivantes qui dans l’obscurité n’avaient pas eu connaissance de la récente modification de leur parcours itinérique.

LE CHŒUR :

Une fourmi, c’est bête !

Quoi qu’il n’en ressentît aucune gêne, ni du bras sectionné ni des fourmis circulantes, se-bousculantes, puis tombantes, Je décida que la situation était intolérable. Il badigeonna la coupure sur toute sa tranche — comme on tartine du beurre — avec le produit anti-fourmi le plus virulent qu’il ait sous l’autre main, puis réajusta la tombée, en bien l’orientant sur l’avant bras coupé court qui sans elle avait l’air ridicule.

Il espérait qu’ainsi le produit circulerait le long des galeries dans tout son corps, éradiquant sans coup férir ces ignobles cohortes d’insectes intrus. Bien sûr, il se demanda un peu si les globules de son sang — à supposer qu’il en restât — seraient capables, une foi les fourmis mortes, de faire le nettoyage... (Y compris de l’acide formique.)

Mais...il n’y avait pas de raison ! Après tout, le sang, c’est fait pour ça !

LE CHŒUR :

A chacun son boulot !

Mais une fois n’est pas coutume...

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38 Noé

Je Humble était dedans.

(Pas dehors : dedans !)

Et il faisait une nuit d’encre, dehors.

Si que l’extérieur n’existait pas.

Lorsqu’un faible bruit, un frôlement aux carreaux, happa son attention. Ils’approcha de la fenêtre en écarquillant les yeux pour trouer ce néant dense et solide, sans trop savoir à quelle distance accommoder le regard...

Quand soudain, sous ses yeux mêmes et en tout premier plan, juste derrière la vitre, apparut en manière de condensation subite, l’image de deux grands oiseaux de nuit !

Des aigles royaux ?

LE CHŒUR :

Je est peu connaisseur

en matière d’oiseaux...

Les deux oiseaux fixaient aveuglément l’intérieur éclairé de la maison de Je, tout comme lui, avait précédemment fixé l’obscurité.

« Pour eux, sans doute que la nuit est jour... et le jour ténèbres ? » Se dit Je Hugo-Humble.

Présence peu ordinaire néanmoins que ces deux grands oiseaux sur le rebord de la fenêtre. Il s’approcha encore, ne prévoyant rien d’autre que leur fuite lorsqu’ils l’apercevraient...

LE CHŒUR :

Mais loin d’être effrayés,

voilà qu’ils le regardent, calmement.

Tapent même à la vitre pour entrer, articulant du plat de leurs becs frappeurs, percés de part et d’autre d’étonnantes narines durilloniques, un « Toc ! toc ! toc ! » très convenable.

Lors, encouragé par l’apparente civilité des grands oiseaux de nuit, Je d’ouvrir...

Et les oiseaux d’entrer...

Aussitôt suivis dans leur foulée par d’autres animaleux : un couple de pigeons, un petit chien, et un jeune écureuil (reconnaissable à sa longue queue touffue).

LE CHŒUR :

Je Humble est peu connaisseur en matière...

Et c’est tout !

(Pour autant que Je se souvienne.)

Les pigeons prirent les devants et marchèrent sur le sol, en se dandinant et en remuant la tête d’avant en arrière comme font les pigeons. Ils décrivirent au parterre de la cuisine des boucles d’infini ininterromputes autour des chaises et des pieds de la table, chacun suivi de très très près par un aigle lui emboîtant systématiquement le pas...

Pareillement, le chien qui se déplaçait avec difficulté — c’était un tout jeune et tout petit chien à poil duveteux gris-clair-presque-blanc, et aux oreilles aplaties, repliées et pendantes et aux pattes fort larges en rapport de sa taille —, le chien, donc, étant lui aussi suivi de près par l’écureuil qui pointait son fin museau pour lui renifler le derrière...

Je pour qui les histoires bibliques n’avaient été jusqu’à ce jour que d’aimables divagations, se prit à reconsidérer sous l’angle du plus profond respect les tourments endurés par ce bon père Noé, sur son arche perché, frémissant même rétrospectivement, à l’idée des colossaux coups de tangage que n’avaient pu manquer d’induire — sur une période de quarante jours —, les apocalyptiques coups de boutoirs de quelque accouplement brontosaurique...

Et en Noé clairvoyant et disciplinaire, il se fit un devoir de calmer l’entrain du plus grand des oiseaux. Lui plaquant par exemple du pied, le cou au sol.

Mais sitôt libéré, voilà que celui-ci reprenait calmement sa poursuite...

Je, surveillait le manège des bêtes, et cherchait à comprendre : les aigles attendaient sûrement que Je tourne le dos pour se ruer sur les pigeons et les dévorer crus, déchiquetant immodérément de leurs puissants becs cornus, la chaude chair rougeoyante sous le fin duvet plumique...

Ils font semblant de rien pensait Je, feignent la placidité et la déambulation nonchalatoire, mais si par malheur je les laisse seuls, ça va être un massacre effroyable… ils vont tout me casser ! Et il imagina les oiseaux déchaînés, cognant contre les murs, des plumes pelochoniques voltigeant par toute la pièce en bourrasques neigeuses, les meubles renversés, les tiroirs éjectés, s’épanchant de leur contenu, et la lampe suspendue projetant à plein carillon sur ce carnage, des ombres dansantes hystériques...

Ce qui ne lui convenait pas du tout.

Bien que le chien restât tranquille.

Il choisit donc une autre solution. Plus complexe, certes, mais acceptable.

Reprenons :

Je Humble suivait le manège des bêtes et cherchait à comprendre.

Il pensa à la Métempsycose.

Peut-être que l’écureuil, dans une vie antérieure, avait été chien, et sentait donc encore le derrière du chien, comme prennent plaisir les chiens à se sentir entre eux ?... Bon !

Et peut-être que les aigles, avaient été pigeons ? (À chacun sa vie antérieure !) Leurs déplacements cavaliers sur l’échiquier carrelé pouvaient ainsi avoir valeur de parade nuptiale ? Re-bon ! Ou encore, c’étaient les pigeons qui avaient été des aigles et idem pour la parade ?...

Parfait !

Mais si les aigles avaient été des pigeons réincarnés... eussent-ils encore eu la moindre raison de poursuivre des pigeons qui eux, eussent alors été (par réciproque), des aigles réincarnés ? Et dans le même ordre de choses, un écureuil-chien, aurait-il eu plus de raisons de renifler le derrière d’un chien-écureuil que... le contraire ?!!!

Rien n’est si simple ni ne va de soi.

Et Je n’était pas au bout de ses peines, car objectivement : pourquoi le phénomène de la réincarnation se serait-il limité aux seuls animaux ?

Ainsi, s’égara-t-il un temps à supputer les affres d’une laitue vireuse, sectionnée à la fleur de son âge et réincarnée par effet de proximité en carotte sauvage... ou la joie d’un petit radis rouge à fanes équivoques enfin réincarné en cresson d’eau putride...

a) À quel instant précis s’opérait le transfert ?

b) Fallait-il tenir compte du temps de digestion ?

Et aussi, c) Quid des oignons pleureurs ? quid du poireau sauvage ?… ou du palmier dattier ?... etc. etc.

Sans oublier la rose-qui-ce-matin, qu’un coup du sort eût pu à son grand dam, réincarner en choux-puant...

Ou vice versa...

N.B.: Poireau, prononcer : [pouah !...], oignons, prononcer : [ho!...]

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  • 2 semaines après...
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39 Le pigeon agressif

Battements lents des bras nus s’agrippant haut la main dans le vide d’air mou, mouvements lents décomposés de natation : Je s’élevait aux cieux difficulteusement.

Toute la panoplie de ses connaissances aériennes et de haute voltige y passait...

LE LOCUTEUR :

Comment fait-il au juste

avec les pieds ?

LE CHŒUR :

Tout comme les grenouilles !

Cette question !

Dans l’ombre clairsemée du Platane aux jeunes pousses naissantes, il tentait de repousser les attaques d’un pigeon agressif dont les motivations lui échappaient.

Mais voilà que pour reprendre haleine, le pigeon venait de se réfugier dans le profond creux du mur de la-maison-d’en-face, à quelques dix mètres d’hauteur. Le naïf, c’était un cul de sac ! Je aurait beau jeu de l’y surprendre !

Toujours de son vol pénible, il s’approcha de l’ouverture... Mais là, oh! surprise ! Le pigeon n’y était plus !

Avait-il eu la berlue en l’y voyant entrer ?

Pis encore ! En lieu et place du pigeon subodoré, il aperçut dans le fond étonnamment spacieux de la cavité, LA poule blanche, qui dansait, pépiante et piétinante d’un pied sur l’autre, en balançant son corps boulu de plume...

Je cherchait à percer la pénombre caquetante, stationné dans le vide, brassant l’air, face au trou avidement lorgné... Quand soudain, surgi d’on ne sait où, le pigeon l’attaqua par derrière !

Le trou, la poule et les craquètements, tout cela n’était qu’un piège à Je : rusé pigeon !

(Je en fut déstabilisé qui aurait pu tomber !...)

Mais il eut la présence d’esprit d’introduire sa tête dans l’orifice nu, à y rester accroché par le menton. (Le temps de recouvrer son équilibre, son souffle, ses esprits, que sais-je encor’ ?...)

LE CHŒUR :

Le vois-tu en l’instant,

pantelant,

le corps flasque,

et la tête engagée,

tout contre le mur lisse ?

Tudieu!

Qu’y cherche-t-il ?

Mais le plan du pigeon, par le fait, s’en trouva dévoilé : croyant Je Humble hors de combat et fiché définitivement dans le mur, l’intrépide animal roucouleur, fondit sur la jarre juchée au sommet du grand mat planté sur la placette ! (De ces mats savonneux ou graisseux où l’on s’efforce en vain de grimper dans les foires, tels ces poteaux téléphoniques taillés en des bois résineux...)

La jarre, elle, ventrue et de forme courante, était toute ovoïde, et la décoration de sa surface brune, mêlant frisures horizontales et motifs zigzagants bleus pâles, attestait à ce point d’une faute de goût... qu’elle en parut à Je, sur le champ d’autant plus précieuse.

Et ce fichu pigeon qui du bec, en frappait violemment le rebord !

Son intention de la précipiter dans le vide devenait évidente ! Car quand bien même ses forces et poids d’oiseau, s’avéraient négligeables en rapport de la masse jarrue, la position en haut du mat d’icelle, rendait précaire son équilibre...

D’où la présence ici, entre deux airs, de Je.

LE CHŒUR :

Tout s’explique !

Je s’accrocha fermement à l’air souple d’un bras, et porta de son autre, un coup. Un coup sec de machette, de haut en bas — habile coup — sur le cou du pigeon : il lui trancha la tête !

Laquelle disparut.

Persuadé fut-il donc du succès de sa coupe, puisque la tête n’était plus là ! Mais voici qu’aussitôt réapparaissait-elle !

Était-il hydre ce pigeon, ou l’avait-il rusamment, lors du coup de machette, pliée sous son poitrail, sa tête ?

Lors par l’élan du coup porté, s’échappa la machette à la main Je-humblienne...

Machette qui tombait, virevoltante en l’espace vacui, jetant vers Je, délittéré, des éclairs affolés... tombait en bas, très bas, ne devenant plus que très peu visible...

N.B.: Pour tuer un pigeon, c’est ar-chi-simple ! Il suffit d’un peu d’eau... et d’un verre ! On tient le corps du pigeon entre ses deux mains jointes et du tout bout des doigts, on lui force la tête dedans le verre d’eau. L’animal tiède tente alors de se débattre, mais il ne peut bouger : il est contraint de se noyer. Cela ne dure qu’une minute ou deux. Vers la fin, les soubresauts violents font place à un tremblement surprenant de tout le petit corps, comme saisi de froid, un tremblement qui va s’accentuant, s’accentuant... et puis, PLUS RIEN.

(Ça,c’est la théorie.)

Quand le père de Je réapparut, le front constellé de gouttes de sueurs, il expliqua, les muscles des mâchoires en relief à chaque mot, comment son propre père — le grand père mythique — étouffait les pigeons, mais SANS le verre d’eau, lui ! Il les empêchait simplement de respirer par la seule pression des mains. C’était une question de détail. À chacun sa méthode. Quoi qu’il en fût, Papa Paul venait de faire son devoir d’homme de la famille. Preuve était faite qu’il savait affronter la Mort Terrible.

D’un autre côté, ce pigeon n’étant pas bien fameux, tant valait-il que les autres pigeons pervolassent...

Ainsi fut-il.

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  • 5 semaines après...
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40 Zéno le sage

Zéno le sage eût pu être disciple du grand Montaigne (celui dont l’esprit n’allait que si ses jambes l’agitaient) : il était cordonnier.

Mais sa maison, échoppe ou atelier, ne sentait ni le cuir ni la poix ni la colle — d’où n’émanent pourtant pas de doucettes odeurs. Non ! L’antre du cordonnier, situé dans une rue étroite (celle-là même qui comptait le plus grand nombre d’écuries au centimètre carré), l’antre du cordonnier, donc, quoi que tout à fait propre, sentait l’écurie.

Or, qui vous dit "écurie", ou "cheval", ou "fumier", sans oublier "purin", dit aussi : "mouches"...

LE CHŒUR :

— MOUCHES !

Dont l’atelier du cordonnier, permanemment, était empli.

Ce qui avait conduit Zéno, à devenir des mouches, l’Ange Exterminateur.

N’est-il pas sain d’avoir un but ?

PLATON :

Mais ce que nous faisons,

comme boire, manger,

rire, chanter (a cappella),

ou tuer les mouches,

n’est pas beau et bon en soi-même

mais beau et bon

selon la façon

dont nous le faisons !

Zéno ouvrait ses fenêtres en grand et se laissait envahir jusqu’à obscurcissement total de l’atmosphère par des cohortes zonzonnantes de ces insectes insalubres. Puis, il refermait à double tour, tout-étanche, et allumait, mais alors, en grande, grande quantité, des feuilles de TUPIC...

L’histoire ne dit pas s’il contemplait toussotant, les mouches agonisantes, zézayer ventre en l’air sur le sol, leurs ultimes et mourantes spirales... mais c’est probable.

Lorsqu’enfin un silence de mort mouchique s’était abattu sur les lieux, hop ! un bon coup de balai ! Puis il rouvrait ses fenêtres en grand et se laisser obscurcir de nouveau...

ZENO :

Et ainsin’ à la suèïto...

Terminator en langage mouchu se dit : Zéno.

À qui s’étonnait d'une telle fureur anti-mouches, Zéno argumentait :

— Empêche pas, que si tout le monde faisait comme moi, y’en aurait un peu moins, des mouches !

(Zéno le sage eût pu être disciple de Sartre.)

Il eût pu être aussi celui de Saint Thomas, Zéno, lui qui ne croyait même pas à ce qu’il voyait. Comme les avions par exemple. Il les voyait tous les jours pourtant, les avions. Sauter d’un toit à l’autre, au dessus de la rue des écuries... ou la prendre (la rue) tout du long, en enfilade nord-sud dans la fêlure de ciel bleu...

—Vous allez pas me faire croire que dans ça, tant petit, y’a de gens qui y montent ? disait Zéno.

Je, vous l'aurez compris, en Zéno, découvert, s’était un Maître...

Mais l’enseignement du Sage, qui pour sa part avait prit Je à la bonne, ne s’arrêta pas là : un jour repus et digestible, entre un bocal bouché d’olives mixtes et un bien entamé de champignons à l’huile, se rapprochant de Je par penchement du buste au dessus de la table, Zéno lui confia sous le sceau du secret :

—Avec ce que les savants ignorent, on pourrait écrire Le Grand Livre Du Monde !

Certes, que les savants ignorassent quoi que ce fût, chagrina sur le coup, fort Je Humble...

Mais il allait s'en remettre car qu’il pût exister un Grand Livre Du Monde, était de nature à tempérer sa tristesse.

...Et les soirs tard, plus cuisants, en quête du sommeil dans son lit solitaire, Je Humble, s’imagifiait, poussée par une main épicière, sur une énorme machine à découper le jambon, la planète débitée en fines lamelles : la gigantesque lame arrondie s’élançait à toute vitesse, et attaquait en chuintant imperceptiblement dans sa course immobile, les molles tranches de latitudes qui, cisaillées sans appel, tombaient une à une avec un élégant mouvement de hanches, à l’étage inférieur, sur un papier sulfurisé où s’épaississait page après page, Le Grand Livre Du Monde...

Il suffirait plus tard de le relier...

LE CHŒUR :

Je a l’esprit pratique.

Mais si la terre était comme un jambon, imaginez un peu la taille de l’épicière !...

Et Je laissait s’alourdir ses paupières, en rêvassant benoîtement à l’intimité colossalement caverneuse de l’épicière cosmique...

LACAN :

Tout désir s’inscrit dans l’angoisse d’une béance...

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  • 1 mois après...
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VI

TEL QUEL

(La nonne métroïque- La belle madame Mills - Le portrait de Je Humble - Ursula - Le deuxième plus beau)

41 La nonne métroïque

Au ras du quai de la vaste station globulaire et faïencée de neuf, luisante comme un ventre propre vu du dedans, les voyageurs pressés, en attente et en foule, fixaient les voies ferrées toujours salement grises en contrebas.

C’était à la Défense. En tête de ligne.

La rame vide arriva, claquante comme une gifle sur une oreille et s’immobilisa. Les portes s’écartèrent dans un bruit de soufflet... et tous se ruèrent, se bousculèrent (dont Je Humble qui trouva grâce à ce, place assise).

En vis-à-vis de lui, aussitôt, vint s’asseoir une nonne...

Je poussa vers la droite ses deux jambes pliées, l’une à l’autre serrées, la nonne en fit autant, mais vers la gauche, et la rame fut aspirée dans les noirs tunnels.

Bustes raidis, regards indifférents, les voyageurs se trémoussaient au gré des coups de tangage arythmiques de la voiture. Mais au gré de ces coups, venaient les genoux de la nonne, effleurer les genoux de Je Humble... jusqu’à ce qu’il s’y tinssent, ingénument, continûment et tout contre, collés.

LE CHŒUR :

Fantasmes...

Je Humble n’eût osé prendre sa propre place : il y était !

La pression des genoux de la nonne sur le côté des siens paraissait trop précise pour être fortuite et trop nette pour qu’elle l’ignorât. Cependant... une bonne sœur !...

Et Je la regarda discrètement, du coin de l’œil.

Petite, ronde, elle surnageait péniblement sur sa banquette, engoncée toute entière à corps perdu, dans une grande robe flasque d’un bleu sombre incertain d’où sa tête émergeait, un voile opaque et blanc pressé sur les cheveux (en avait-elle seulement ?). Un voile,serré au plus près, tout autour du visage, qui lui donnait une face lunaire. Plus que grands, ses gros yeux, gris bleuté, pas maquillés, sans cils visibles, fixaient systématiquement un ciel imaginaire vers le plafond de la voiture.

Des yeux qui disaient à Je Humble :

« Vois ! Je ne te regarde même pas ! »

MAIS le contact du genoux.

Je Humble en fut touché.

Il pressentit ce corps nu de nonne, avide d’étreintes charnelles...

LE CHŒUR :

Mais ça va pas ?!!!

Bien sûr, la sœur ne pouvait pas le faire exprès.

Entièrement détachée de ce monde, elle voguait, benoîte, à la dérive, d’une vertu à l’autre, ni ne sentait en aucune façon, de Je, le genoux flexé...

LE LOCUTEUR :

Il faut qu’il en soit ainsi.

Elle sentait, sans le sentir ce contact du genoux...

LE CHŒUR :

πανυ γε 1

Ne le sentait, pour le sentir et en profiter mieux, sans le vouloir ni le savoir.

LE CHŒUR :

Et Je pensa à l’inconscient-mauvaise-foi de Sartre.

LE LOCUTEUR :

Tout de suite les grands maux !

JE HUMBLE :

C’est pas bientôt fini

ce papotage platonicien ?

Un contact platonique : voilà le mot que je cherchais ! Pas dénué de plaisir, mais de plaisir platonique.

De la station Charybde à la station Scylla, dans les oscillations de la voiture, tenta Je Humble alors, d’imaginer plusieurs issues à ce modeste mélodrame d’une rame de métropolitain.

Un : La bonne nonne se levait vitupérante et ameutait les passagers : « — Cet homme ici présent (elle pointait sur Je un doigt accusateur) cet homme, disait-elle, me fait du Je-nous ! » Puis, satisfaite d’avoir désigné Je Humble à la vindicte publique, elle entreprenait un streap tease exorcisant et joyeux agrémenté de claquettes dans l’allée centrale...

Deux : C’était Je Humble qui se levait et accusait la sœur...

Mais ça, c’était impossible : qui l’eût cru ?

La satanique nonne jouait donc sur du velours...

Et Je lui était entièrement soumis...

Être soumis sur du velours à une nonne satanique...

LE CHŒUR :

Fantasmes!

Le contact apocalyptique du genou de la nonne impassible, se poursuivait...

Je eut alors l’idée de remuer très ostensiblement le sien : « elle aura bien une réaction ! »

Mais le temps que de synapse en synapse, l’influx nerveux se répercute, le temps que l’ordre en haut donné, chemine en bas jusqu’aux rotules, soudain, à l’extrême moment où Je allait s’exécuter, pfuit ! écartant vivement ses genoux du côté opposé, la bonne nonne s’ôta.

Etait-elle branchée en ligne directe avec Dieu-tout-sachant ? Un dieu microscopiquement insinué entre chacun des neurones Je-Humbliens ?

Je l’avait échappée belle !

LE CHŒUR :

En effet, c’est du beau !

La rame s’arrêta et les portes s’ouvrirent.

Pchiiit!

La nonne descendit, longea le quai devant la fenêtre de Je aux-genoux-solitaires. Elle traversa le champ de la vitre, les yeux indifférents pointés tout droit devant dans le sens de sa marche, suspendus à quarante cinq degrés, vers un ciel imaginaire,toujours aussi absent de la station…

Pou-ou-out ! Les portes se refermèrent et la rame éperdument, s’enfonça dans le ventre obscur de Paris.

Plus ou moins propre.

Je Humble se promit pour plus tard d’imaginer la bonne sœur à confesse.

LE CHŒUR :

Le joli mot !

1 "Sans doute" (Platon, Le Banquet).

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  • 4 semaines après...
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42 La belle madame Mills

Au premier coup d’œil, Je n’avait remarqué de cette femme aux gestes modestes que la longue et fine silhouette anodinée par un T-shirt moulant de couleur indéfinie qui lui effaçait la poitrine en la pressant sur son buste mince. Un pantalon blanc, rigide-opaque,froncé à la taille comme le haut d’un sac, enveloppait ses hanches, sans rien mouler du tout et dégageait en s’effilochant à mi-mollets, de longs pieds pâles enfilés nus dans de légères ballerines...

Il reporta son attention sur le visage brouillé de mèches blondes, courtes, raides, réparties sans grand soin, et parcouru les grands yeux d’eau claire au regard amoureux, impersonnel, liquide, le nez pointu du bout à l’arrête longue, concave, piqueté de minuscules taches de rousseur qui projetait vers l’avant une bouche aux lèvres fines, précises... et chemin faisant, il retomba, sur le bas de ses jambes.

Encore plus nu que blanc ! Translucide ! Mais d’une découpe si nette et si nerveuse, qu’à démentir aussi abruptement le flou des yeux, cette-femme-là-toute en prit dans l’instant contre le mur du hall à-tout-venant, un attrait sexuel, obscène, exhibitieux...

Dont Je se laissa glisser à imaginer dans le volume vague du pantalon, les courbes les plus délictueuses...

La belle madame Mills avait été mannequin quelques années plus tôt.

Mais Je qui n’en était pas à une bourde près, avait décidé de présenter "sa" belle Madame Mills à Alan Deloin, le séducteur patenté.

Histoire de lui montrer que lui aussi, Je Humble, en connaissait des jolies femmes...

— Tu vas voir, si elle est belle ! avait-il dit simplement à Alan.

Or, par le plus grand des hasards, la belle Madame Mills se trouvait juste derrière la porte...

Et voilà qu’elle s’apprêtait à ouvrir cette porte...

Voilà qu’elle l’ouvrait...

Qu’elle était devant eux !

MALRAUX :

Entre ici, Jean Moulin1...

(Comme dans un moulin !)

Mais Alan n’était pas homme à perdre son temps à l’admirer de loin, la belle dame à Je. Ni à s’extasier en douce et l’air de rien, ce qu’eût dû faire un chacun, selon Je Humble. Du tout !

Il s’approcha d’elle, au plus près, encore plus près que près, à la toucher... et la toucha ! Tripota son menton, son joli nez concave, passa très impudiquement la main sur ses épaules, comme fait au marché le maquignon du cheval qu’il achète !

Je découvrait à ses dépends que les désirs d’un séducteur patenté sont de ceux qui, foin de contemplation, point ne s’encombrent de la forme, et foncent droit au but...

Scandalisé, il essayait de ralentir le processus :

— Vous savez qui il est ? disait-il à la femme. (Histoire de lui montrer que lui aussi, Je Humble, en connaissait, des séducteurs patentés.) Bien sûr qu’elle le savait ! Et elle présenta sur le champ au séducteur Alan ses tarifs : tant pour le sourire, tant pour la photo assise, tant pour la couchée, (voire pour la coucher)... etc.

Je en fut rassuré, pourrait-on dire.

Lors le menton de la femme superbe s’allongea, en double pointe osseuse Kirg-Douglesque, son nez devint crochu comme un nez de sorcière, et ses épaules se voûtèrent...

Mon Dieu, qu’elle était laide !

...

Et tout le monde fut bien content !

Alan de ses photos, la mannequine de son argent et Je Humble, surtout, de l’avoir échappée belle...

Belle à la belle Madame Mills.

1 Mill (anglais) = moulin (français).

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
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Dans :

"Il s’approcha d’elle, au plus près, encore plus près que près, à la toucher... et la toucha ! Tripota son menton, son joli nez concave, passa très impudiquement la main sur ses épaules, comme fait au marché le maquignon du cheval qu’il achète ! "

Il me semble qu'il vaudrait mieux répéter le sujet (il) :

"Il s’approcha d’elle, au plus près, encore plus près que près, à la toucher... et la toucha ! Il tripota son menton, son joli nez concave, passa très impudiquement la main sur ses épaules, comme fait au marché le maquignon du cheval qu’il achète !"

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  • 2 mois après...
Membre, 77ans Posté(e)
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43 Le portrait de Je Humble

(Pour les lecteurs ou trices qui ont pu se demander à quoi ressemblait physiquement Je Humble.)

Un soir, au sortir de son bain, tout excité de son corps nu, Je tomba en arrêt devant son miroir embué-magique. Une évidence venait de le frapper au vif qui le combla de joie :

« On me dirait tout... on me dirait tout...

Ursula Andress ! » s’admira-t-il.

La poitrine et les hanches en moins, la barbe en plus, et les traits moins réguliers...

LE CHŒUR :

Bref, il avait les cheveux mouillés...

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  • 1 mois après...
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Blaquière Membre 19 162 messages
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44 Ursula

Était-il beau ou pas ?

...Mais Je Humble au-cœur-pur-vectoriel (qui n’aurait su étaler ses désirs qu’en toute tremblance et à la virgule près), demeurait interdit de l’innocence floue avec laquelle, la sérieuse Ursula, l’échauffait si naturellement à exhiber ses longues cuisses sous son nez !

Dont elle rayonnait.

Et s’angoissait le prudent Je...

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45 Le deuxième plus beau

LE CHŒUR DES FEMMES

(Insistantes et réïterreuses) :

Etait-il BÔ ou pas ?

Roma.

Je venait de s’asseoir à l’avant dernière table de la cafétéria antique à colonnade. Bien en face de lui, dans le dos d' Elle était le mur du fond. Elle se trouvait donc tournée vers la sortie, l’espace libre, la vue ouverte (ce qu’on appelle la galanterie ordinaire et coûtait peu à Je qui s’aimait mieux confiné)...

Du mur au dos de Elle, était donc (nous l’avons dit), une autre table, nommée table du fond...

Ce qui allait permettre à un groupe jacassant et volatil de trois filles excitées par l’air fraîchi du soir, de venir s’insérer, optimisant ainsi l’espace ténu restant.

Trois grandes filles numérotées :

À ma gauche, cheveux teints, ou déteints, blonds et courts et frisés, prunelles noires, pétillantes, à ma droite, cheveux mi-long raides, blonds, nez pointu, yeux gris-vert, à mon centre, joli visage, cheveux bruns, déjà plus longs en vagues amples, front arrondi, yeux sombres-doux, joues-cou-et-nez réguliers, bouche itou (le type tahitien) (1)...

Les triangles isocèles en quoi venait de découper Je, la dure pâte de sa pizza s’orientèrent d’instinct, vers le fond de la salle : ce repas prévu à l’origine des plus ordinaires, en devenait intéressant qui allait lui permettre de tester le magnétisme de son être modeste sur les trois belles alignées...

Hélas, trois fois hélas ! C’était compter sans l’apparition christique du Beau Jeune Homme tout droit tombé d’un roman rose, qui vint alors s’asseoir à la table voisine...

« A - A - A - A... A - A... - A - A - A - men ! ( Ré-mi-fa-mi... ré-do... ré-réééééééé !... ) »

Le vif et glorieux — bien qu’inaudible — "Amen" expulsé avec violence et unisson du tréfonds des trois poitrines féminines désespéra Je Humble.

L’était du genre qui plaît aux dames, le Beau Jeune Homme !

LE CHOEUR DES FEMMES :

On aimerait des précisions...

Jeune d’abord. Car tout Œdipe bu, ELLES les aimes aussi ainsi. Et les joues encore légèrement arrondies de l’enfance... quoique couvertes, pour masquer ce détail confondant, d’une barbe de quelques millimètres. Peu dense, la barbe, mais sauvagement virile. Donc plutôt brun, bien sûr. Et les yeux, bleus, plutôt que noirs... mais bordés de très longs cils sombres : regard tendre assuré, féminin, mystérieux — si non futé.

LE CHŒUR :

On sent poindre comme un agacement

dans les propos de Je Humble...

Je s’en trouva dans l’instant ridicule et tout nu, tout affaissé, tout vieux, tout-à-fait dévêtu des regards des trois belles qui jusque là l’avaient emmailloté. Lesquels regards avaient été aspirés en une fraction de seconde par le visage et les yeux veloutés du Beau Jeune Homme, comme vers un trou noir...

Car la lumière est veule et courbe.

Sans oublier Elle, volubile, soudain, qui déployait des trésors d’imagination pour s’intéresser à tout ce qui pouvait se passer de l’autre côté de la salle, juste derrière le beau jeune homme...

Dont le repas fut des plus brefs, et qui s’en alla : pfuitt!

JE HUMBLE :

Na !

Elle se calma. Les regards des trois belles se reportèrent tout naturellement vers Je... qui s’en sentit sur le champ, stupidement plus heureux.

Des deux, il restait malgré tout, le deuxième plus beau...

LA CHANSON DE JE HUMBLE :

Jolies madêmes qui me souriez,

jolies madêmes qui m’amitiez,

vous allez partout claironnant

de ce "Gentil Monsieur Je Humble".

Vous faites de lui l’image de votre vertu :

mais de vos sourires, Je n’en veut plus,

et de votre vertu, pas plus,

ce que Je veut,

c’est voir vos yeux briller,

ce que Je veut,

c’est voir vos désirs purs

à nus.

(Ur-Anus, la septième planète...)

(1) "Joue-cou-et-nez" : Youkoulélé ? (On entend mal...)

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  • 2 semaines après...
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Je pensais m'arrêter là, mais à la demande générale (de Anna Kronisme !) je mets ces deux petits textes suivants pour terminer.

(Puisque c'est dans le second qu'on peut comprendre l'origine du contenu manifeste du premier... Pour ce qui est du contenu latent... il est trop manifeste !! )

7.

MON PLAISIR

(La fille plâtrée - Les trombes d’eau - [...] )

46 La fille plâtrée

La chose était archiconnue : dès les premiers symptômes d’apparition de la croûte plâtrée en surface du corps, c’était déjà trop tard. La personne atteinte était condamnée. Irrémédiablement : condamnée, et dans un temps très bref, à se transformer toute entière, en durceur et profondeur, en bloc de plâtre amorphe et silencieux.

Ainsi vit Je, avec terreur auprès de lui, la jeune fille, blanchir d’abord légèrement, puis devenir à fleur de peau pulvérulente, tandis que s’estompaient ses traits...

« La maladie du plâtre ! »

Sous ses yeux authentiques, s’annihilait le juvénile corps.

Le plâtre était un peu grisâtre, comme un plâtre pas fin. Et rugueux, grumeleux, friable sous l’ongle...

Mais là encore, je ne se tint pas pour un enfant battu.

Envers et contre tous ceux qui jugeaient son agitation vaine, il se précipita !

D’entrée, il décocha de toutes ses forces, un titanesque coup de poing dans l’abdomen de la fille :

Hang ! De plein fouet !

La croûte se fissura...

Aussitôt, il plongea les deux mains dans la fente médiane qui peu à peu s’ouvrait de haut en bas du corps, et d’un seul mouvement, en faisant levier du genoux, écartela carrément les deux parois.

Un craquement mat résonna de trompes en trompes jusqu’au fin fond des oreilles les plus inattentives...

Après quoi, calmement, il entreprit de décortiquer la fille. Morceau par morceau. Un petit bout par-ci, un petit bout par-là...

L’ensemble du joli corps réapparut puzzliquement, rose, tendre, moite et palpitant sous sa gangue croûtée :

Et il la léchait...

L’histoire dit que la jeune fille fut sauvée.

JE HUMBLE :

Et alors ?

47 Les trombes d’eau

Irrégulosités faussement vierges du monde urbain... avez-vous jamais vu de ces jardins privés en ville, enserrés de hauts murs ?

Ils sont comme l’oubli.

Dans une humidité artificielle liée au manque d’air et de soleil, s’y développe une végétation luxuriante et triste aux feuillages laiteux, pâteux, plus gris que verts... La terre y est noirâtre, moussue dans les recoins de mousse rachitique...

L’allée centrale en est de pierres plates bancales, écornées et disjointes...

Je Humble aux-souvenirs-répertoires en savait déjà deux tout semblables (de ces jardins), allongés devant leurs maisons respectives : celui des Mourrillon, au centre de Brignoles et celui, des Castre, à Marseille, vers la Corniche.

En comptant celui-ci, cela faisait donc trois.

La gardienne du jardin, sans visage apparent, vêtue d’une longue chemise blanche à l’antique, s’avança pour prévenir Je Humble :

— Voyez, il va pleuvoir des trombes d’eau !

« Bien maligne est la fille qui peut ainsi prévoir le temps... » se dit Je fermement. Mais par acquit de conscience, il se retourna dans la direction indiquée avec assurance par le joli doigt potelé de la jeune vestale.

Et là, il vit ! Vit très matériellement, les trombes d’eau qui arrivaient...

Ô spectacle grandiose ! Vision étincelante ! Apparition dans les gris sombres chaudronneux !

Se dévidant aux nues en ondulations changeantes, un grand rideau de pluie avançait, miroitant.

— Mettons-nous à l’abri vitement ! dit la vestale à Je. Et elle l’entraîna vers la maison, au fond du jardin de ville.

Face à face serrés, Je Humble et son hôtesse se plaquèrent dans l’encoignure de la porte centrale, ne pouvant pénétrer plus avant : n’était que de façade, la demeure, que le fronton d’un théâtre ou d’un temple...

Temple d’Isis, Pompéï, Italie.

Autour d’eux l’averse crépitait.

Je admirait la femme...

L’ample plissé de la chemise blanche, du même tissu que les trombes d’eau, tombait, raide et protecteur autour du corps volûtueux de la vierge intouchable, se recréant continûment au niveau des épaules.

« C’est bien ma veine pensa Je Humble, me voilà spectateur à bout portant d’un strip-tease qui ne dévoile RIEN ! »

Et devant la vestale vêtue de sa robe d’eau fluide, Je Humble, friable ouchebtis(1), sentait, s’acheminer en lui quelque fracture inévitable...

LE CHŒUR :

Ego felix !

(1) Petite statuette en faïence égyptienne bleu turquoise symbolisant les serviteurs de Pharaon dans l'au-delà.

Modifié par Blaquière
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