La guerre de la Barbe

"Je vais vous conter une histoire, susurra le conteur à son auditoire infantile, une histoire qui narre les exploits des parents des parents des parents de vos parents". D'ailleurs, vous, lecteurs infatigables, connaissez-vous cette histoire ? Cela m'étonnerait, car elle n'est que très peu raconté dans nos milieux. Car oui, le narrateur et les enfants, ainsi que leurs parents, et les parents de leurs parents,... et ainsi de suite possèdent un trait de physique très particulier : ce sont des poux.

La société des poux serait trop complexe à vous décrire et il me faudrait maintes soirées au coin du feu pour en raconter l’histoire entière. Alors je me concentrerai sur celle que ce conteur a choisie pour vous. D'ailleurs, laissons-le nous emmener dans ses belliqueuses mais non moins fantastiques aventures.

"A l'époque, nos ancêtres habitaient dans la longue masse chevelu d'une jeune fille, aussi blonde, disait-on, que celle de Marylin Monroe, un cuir chevelu tiré d'une ancienne légende que je me ferai un plaisir de vous narrer une prochaine fois.

"Heureux, les poux vivaient de ce qu'ils récoltaient dans l'abondante forêt de kératine, habitant un village de huttes en capillaires tressés au milieu desquelles les enfants poux passaient leur temps à s'amuser. De plus, la masse chevelue les protégeait des éléments extérieurs. En clair, il était un endroit où il y faisait bon vivre.

"Cependant, cette félicité ne dura pas. Car un jour, un terrible danger..." le conteur avait bien insisté sur le terrible "... un terrible danger arriva sur leur idylle blonde ; un autre clan de poux, beaucoup plus ancien qu'eux et vivant sur une épaisse barbe hirsute, avait l'intention de coloniser ce nouveau cuir chevelu, sans hésiter à tuer tous poux vivants à sa surface.

"Les poux de la Barbe étaient des poux guerriers, surentraînés et badigeonnés de peintures de guerre à base de shampooing." A ce mot, le public eut un mouvement de retrait accompagné d'un petit cri de peur et de dégoût. Dans le fond de la salle, une maman pou boucha même les oreilles de son fils.

"Oui, du shampooing ! poursuivit le conteur, satisfait de son effet. Et la même horreur pouvait se lire sur les visages tendus des habitants du mignon petit cuir chevelu blond. A cette nouvelle, ils s'étaient tous réunis sur la place du village.

"Qu'allons-nous faire ? gémissaient certains. Nous savons à peine nous battre avec des couteaux, pleuraient les autres.

"Cependant, Yeuh, le grand chef pou de nos ancêtres était fort sage et il réussit à ramener le calme en quelques phrases. Le silence revenu, il poursuivit :

"S'affoler ne servira à rien, il nous faut trouver un plan.

"Ne pouvons-nous pas essayer de parler avec eux ? proposa le pou Repar-Lez.

"Impossible, répondit leur chef, car ils sont menés par le terrible Rave qui ne laisse aucun prisonnier derrière lui.

"Non, ce que ce dont nous avons besoin, c'est d'un meneur, clama le vieux pou Siéreu. Un général, un héros !

"Oui mais qui pourrait être ce héros ?

"Tous se tournèrent vers Sinh.

"Sinh étaient un pou sans peur et sans reproche. Grand et musclé, il avait rapidement attiré le passionné regard des jeunes femmes poux et sa force n'avait d'égal dans le petit village de capillaires tressés. Et son courage était tout aussi impressionnant car c'était le seul et unique pou à être allé jusqu'aux frontières du cuir chevelu, à la limite des Terres Glabres, un désert de peau où il y était impossible de s'accrocher et donc, d'y survivre.

"Que dois-je faire pour protéger les nôtres ? demanda-t-il de son cœur vaillant.

"Tiens, pou Sinh, prends l'épée de nos ancêtres, fit le chef du village ; aussi pointu qu'un clou, elle te guidera dans ta quête. Maintenant va, et prépare nos défenses : notre avenir dépend de toi.

"Je ferai comme vous le désirez, grand pou Yeuh.

"Et le pou s'en alla rencontrer son destin.

Le conteur, la gorge sèche, avala une grande rasade de bière avant de continuer.

"Les premiers jours de la bataille firent rage mais les poux de la fille blonde tinrent bons. Notre héros était toujours en première ligne, repoussant les hordes de poux de la Barbe de sa grande épée aussi pointu qu'un clou. D'ailleurs, cette résistance surprit les assaillants qui apprirent rapidement à craindre le grand et valeureux pou Sinh.

"Cependant, les poux de la barbe possédait une arme secrète, aussi maléfique que destructrice. La bouche de Dragon : un grand et épais tube ocre puis blanc qui crachait d'ardentes flammes. Peu était ceux qui avaient eu le temps de la voir et encore moins étaient ceux qui en avaient survécu !

"L'arme entra en action alors que notre héros avait fait une percée en territoire ennemie. Dos à dos avec un autre pou, tous deux se battaient pour leur vie.

"Tu as du souffle, adressa-t-il à son vaillant compagnon de fortune.

"Le pou Monn lui fit un sourire.

"Merci pou Sinh.

Tout d’un coup, la Barbe s'embrasa, séparant les deux guerriers d'un mur de flammes.

"Pars ! cria Sinh. Pars prévenir le grand pou Yeuh de cet écarlate danger.

"Non, je ne peux te laisser seul, hurla l'autre.

"Si, pars ! Je les retiendrai, ainsi tu auras le temps de rejoindre le village !

"Car oui ! le pou Sinh était un véritable héros.

"L'autre courut vers la tête blonde et fut rapidement hors de danger. Mais ce ne fut pas le cas pour le grand guerrier dont le feu l'obligeait continuellement à reculer. Il arriva rapidement aux Terres Glabres. C'est à ce moment-là que le chef des poux de la Barbe, le terrible pou Rave sauta devant lui, l'arme à la main.

"Ils se battirent avec force et rage. Sinh allait l'emporter mais Rave le fourbe lui fit une fourbe fourberie et le pou Sinh, qui à cet instant aurait bien aimé avoir des ailes, tomba dans l'immensité des Terres Glabres sous le démoniaque rire du pou Rave.

A ce moment de l'histoire, exalté, le conteur essuya son front plein de sueur à l'aide d'un chiffon qu'il avait sorti de sa poche.

"Chutant, il finit par arriver dans une nouvelle et touffue forêt de poils qui amortirent sa chute. Il se releva tant bien que mal et regarda autour de lui. Il était arrivé dans la légendaire Forêt-Du-Bas, un lieu laissé à l'abandon où aucun pou n'osait aller. D'où il était, il pouvait aussi voir le canal de sortie de la fameuse rivière souterraine aux teintes ambrées qui coulait sous les capillaires.

Mais le ravissement de pou Sinh s'arrêta là : il avait beau foulé du pied une région vierge, il mourrait là, sans jamais pouvoir remonter, sans jamais revoir ses amis. De plus, dans son malheur, il avait perdu l’arme de ses ancêtres que lui avait confiée le grand pou Yeuh. Malheureux, il arpenta la jungle touffue, coupable envers ses aïeux et son peuple qu’il ne pouvait plus aider.

A moins que…

Le courage et l’espoir remplirent de nouveau son cœur vaillant et, courant dans toutes les directions, esquivant les obstacles et sautant au-dessus des crevasses, il se mit à tirer tous les poils qui passèrent à sa portée. Si la légende disait vrai alors il pourrait encore sauver le village des maléfiques poux de la Barbe.

Après sa course effrénée, une grande créature à cinq membres arriva : la main du Dieu, celui qui, disait-on, soutenait le monde chevelu où les poux vivaient. Une voix résonna, roque, semblant venir de nulle part et de partout :

"Ho non ! J'ai des morbacks !"

Et vint alors le grand déluge de shampooing qui eut pour effet de tuer tous les poux de la Barbe, sauvant ceux du mignon petit cuir chevelu blond par la même occasion. Tous les poux survivants fêtèrent la victoire ainsi que la disparition de pou Rave et de ces terribles poux de la Barbe.

Cependant, ils eurent tous une pensée pour le pou Sinh qui, resté seul sur son îlot de poils, était mort en héros.

Dur de se concentrer sur le texte avec ton avatar à coté..

Pas mon cas!

Cela dit, ça m'a fait marrer :D

bonjour

très original , fallait y penser .je l'ai lu avec curiosité .

bonne journée