Les semaines avaient passé. Le peuple chat ne s'était pas complètement intégré car leur spiritualité et leur mode de vie était par trop différents: le fait de vivre la nuit avait été toléré par les Araks, mais ne leur laissait que quelques heures en commun avec eux. No-lana avait veillé à construire une hutte à l'écart du village pour que les siens puissent dormir en paix le jour et cela avait contribué à les mettre à l'écart. Elle veillait farouchement à respecter ses us et coutumes au risque de se voir rejetée, mais se rendait compte peu à peu que cette position l'obligerait à faire un choix pressant: rester ou partir? Ban-fhe parlait déjà presque parfaitement la langue des Araks et participait volontiers à leur chasse en décalant quelque peu son sommeil. No-lana ne lui avait pas posé la question, mais elle devinait qu'il n'était pas pressé de partir. Do-vor jouait les don juans auprès des demoiselles de son âge. No-lana pressentait que cette situation poserait très vite problème.
Elle-même appréciait les Araks et se sentait vraiment bien en la compagnie d'Agrag, mais elle se sentait responsable de ramener à la tribu les savoirs accumulés au cours de leur voyage. Ici, elle avait partagé les techniques des hommes-chats pour apprendre de ses hôtes. Comme il n'y avait pas de mamouth chez elle, ni certaines plantes, bien des choses ne leur serviraient pas ou ne seraient pas acceptées, mais certaines découvertes permettraient de réels progrès. Elle apprit aux Gemels à utiliser la glaise rouge, dont ils faisaient tant d'usages, pour tapisser les murs des grottes de dessins magiques à l'intention des dieux. Elle leur expliqua comment façonner certains pièges pour les rongeurs. Ban-fhe leur montra comment les siens se servaient d'un arc, comment grimper à un arbre et y faire un poste de guet. Do-vor fit montre de ses talents culinaires, bien qu'il ne put réaliser certaines de ses fameuses sauces, faute des baies appropriées.
Ce qui fascina le plus les Araks, fut la carte du ciel réalisée par No-lana. Sur une peau fine tannée avec soin, elle dessina les étoiles du ciel des Araks pour retrouver le chemin de sa tribu. Elle nota sur le côté des repères dont elle se souvenait. Elle espérait ainsi, s'ils parvenaient à rentrer, qu'ils seraient en mesure de revenir chez les Araks. En prévision de leur rite d'initiation, chaque homme-chat apprenait dès le plus jeune âge à se repérer au ciel étoilé, à l'ombre au couchant, et à décompter le temps avec les phases de la lune.
Elle était en train de peaufiner sa carte quand Agrag s'approcha respectueusement. Elle s'étonna qu'il ne soit pas encore couché, le soleil l'ayant fait depuis plusieurs heures. Il lui expliqua qu'il avait voulu terminer un présent pour elle et le lui apporter. Avec curiosité elle ouvrit un petit sac de peau et y découvrit un délicat petit pendentif d'ivoire représentait un chat. Il rougit, elle rougit et le remercia avec émotion pour ce cadeau. Elle enfila le cordon autour de son cou avec une hésitation: comment cela serait-il interprété par les Araks? Un peu gênée, elle lui proposa de lui faire une copie de sa carte et de lui apprendre le nom des étoiles, mais il n'eut pas le temps de répondre, de grands cris les faisant sursauter.
Ils se précipitèrent vers le lieu du raffût pour voir avec consternation qu'un Arak et Do-vor étaient en train de se battre sous les yeux horrifiés d'une jeune fille dénudée, celle-là même qu'il avait dévoré des yeux le soir du grand festin. Personne ne tentait de les séparer - une question d'honneur se réglait enre les intéressés - et au contraire certains Araks encourageaient leur champion. Des ranc¿urs accumulées ressortaient enfin, inévitablement.
Le c¿ur de No-lana se serra. Il était temps d'avoir une conversation avec les Khegis pour savoir si le peuple-chat resterait, avec promesse de changer de comportement, ou s'en retournerait chez lui, avant que le sang coule.