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Loufiat

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Billets posté(e)s par Loufiat

  1. Loufiat

    Ce soir-là
    Nous sommes assis là, sur une marche. Elle me reproche d'être né trop tôt. Puis elle s'en va après m'avoir embrassé. Je sens qu'elle vibre de tout son être, mais elle est tiraillée, incapable de l'assumer, d'y faire face. Soit. Va t'en encore.
    Une semaine plus tard, aussitôt qu'elle comprend que quelque chose se passe, elle est la première à m'écrire, dans la seconde. "Tout va bien ? Tiens moi au courant."
    Pourquoi ? Pourquoi vouloir être au courant. Je suis alors dans le métro, la gorge sèche. Aucune idée de ce que je vais trouver au bout. Possible que mon frère veuille se venger. Il a surement une arme d'ailleurs. Possible qu'il soit pathétique seulement. Je l'ignore. Mais il m'a donné rendez-vous dans un chantier où il est entré par effraction - sa dernière passion. Il veut que je le rejoigne. Et je dois le rejoindre. Pour sa femme, son fils, pour ma mère. Pour lui ? Pas vraiment. J'ai perdu toute complaisance envers lui. Il faut l'enfermer.
    Sauf sa compagne, terrorisée, il ne savent pas qui il est. Mais comme nous avons été les plus proches, les plus complices, je sais qui il est devenu. Et je suis neutre, sans haine mais sans sympathie. Je sais que c'est un camé à qui je parle. Que 20 ans de drogues et d'alcool ont transformé, déformé - j'ai déjà perdu mon frère. J'ignore si quelque chose répond encore en lui, véritablement. Se souvient-il seulement de sa vie d'avant ? De qui il était ? J'en doute. La drogue semble tout déformer, jusqu'à la mémoire, jusqu'aux plus précieux moments de l'existence, jusqu'au cœur du cœur. J'avance sans espoir envers lui.
    Il n'a jamais été violent avec moi, mais il s'en est pris à mon père. Il n'avait jamais osé lever la main sur lui avant cette crise. Il n'a jamais pu d'ailleurs - le bucheron, même vieillard, reste solide comme une buche. Mais, enfin, cette fois, c'est clairement autre chose. Cette crise est sans commune mesure avec les précédentes. Je l'entends à sa voie au téléphone, alors qu'il me donnait rendez-vous. Une voie difforme, des idées, des mots tordus exprimant la démence pure et simple. Tout pouvait arriver. J'avais donc dû prendre des disposition au travail, en cas d'absence imprévue, selon ce qui arriverait, pour quelque raison que ce soit. Ce qui avait alerté Elena.
    Elle s'inquiétait donc. Et plus tard encore, après ce soir là où je devais retrouver mon frère, de passage en coup de vent à Paris, elle était venue dire bonjour, elle avait vu ma tête. Le lendemain elle m'invitait à parler, si j'en avais besoin... Invitation dérisoire, ne le savait-elle pas ? Sa présence oui. Sa présence seule m'aurait réchauffé. Mais elle était déjà repartie à l'autre bout du pays.
    Et la solitude m'accable maintenant. Parler est inutile. Seule cette présence, si rare, si précieuse a un véritable effet. Présence d'Elena, mais d'Oscar aussi, qui m'a quitté récemment lui aussi, pour aller au-devant de son destin - et n'est-ce pas moi qui l'y ai poussé ? Encouragé ? Et me voilà en train de me noyer, de chercher des appuis, à bout de souffle. Où êtes vous, mes amis ? Vous qui comprenez tout. J'aime les autres. Vraiment. Mais vous êtes plus que ça. Vous êtes des âmes soeurs pour moi. Je sais que vous savez, et vous savez que je sais. Et pourtant j'ai dû vous laisser partir l'un et l'autre. Et maintenant... Où êtes-vous ?
    Mais même quand on tombe, comme ça sans sécurité, c'est la vie elle-même qui semble vous rattraper. La pluie. Le bitume. Et la vie reprend son cours.
     
  2. Loufiat

    Ce soir-là
    L'envie d'écrire vient d'Elena. Manifestement. La blessure. Je m'interroge sur la raison. Que se passe-t-il en écrivant ? Pourquoi l'écriture apaise ? Parce que l'histoire redevient maîtrisable ? Arrangeable ? Parce que c'est faire d'un flou, une détermination, passer d'un foutu sentiment à un objet extérieur auquel on peut revenir, qu'on peut triturer, dominer ? Pour toutes les raisons à la fois ? "Ex-primer". J'ai toujours eu un problème avec l'expression.
    L'écriture vient comme une nécessité. Assez comme un délire. Le délire et son effet tunnel. Unetelle se scarifie. Soudain elle oublie tout, plus aucune conséquence n'importe. Simplement le sang, l'ouverture. Je les connais tellement que j'arrive à poser la question "bras ou cuisse ?" Les bras c'est plus grave parfois, mais c'est selon les cas. C'est un degré de retenue en moins. Mais pour d'autres ça signe au contraire l'insignifiance, ou une forme de désespoir social ou familial : il faut que ce soit vu, que ça entraîne du drame. Alors que les cuisses, c'est de soi à soi. La chaire est là, offerte. Et seul l'amant attentif découvrira les traces, posera des questions. Mais ce n'était pas "pour lui". Combien se sont scarifiées les cuisses ? J'ai découvert ça avec Anissa. Moi j'avais fait la paume de la main, adolescent : une belle cicatrice au milieu, bien profonde. Une fois. Enfin donc je connais l'appel du délire, "l'effet tunnel" de ces moments-là. Anissa, c'était les cuisses, juste pour elle. Discrète, réservée, invisible au vulgaire connard quoi que flamboyante.
    L'écriture est-elle autre chose qu'une scarification ? Sauf exercices de style, lorsqu'elle s'impose de cette façon, s'agit-il au fond de se saigner ? D'expurger, de purifier, d'exhiber, d'objectiver, de maîtriser ? Après tout il y a de ça dans la scarification, non ? Se faire mal, c'est dompter un sentiment, transformer un trouble en traces visibles, constatables, s'effarer soi-même de ce que l'intérieur soit soudain au-dehors, par sa propre main , y trouver une satisfaction à la fois attendue et surprenante car c'est réel pour de bon, c'est enfin constatable et constaté , puis vient l'apaisement - la  cicatrice. Pour ensuite se remémorer. Car on sait où ça va. C'est dans cette perspective que je l'avais fait : souviens-toi. Ce qui est arrivé, ça ne peut pas rester au-dedans, dans cet indéfini du souvenir ; tu ne l'oublieras jamais parce que la cicatrice t'en souviendra. Il avait fallu opérer.
    Alors donc pourquoi écrire ? Pourquoi ce lien entre scarification et écriture s'impose ? Bien sûr il y a d'autres écritures. Certaines sont réconciliantes, elles viennent après la tempête pour réparer, ou elles sont simplement des odes à la beauté, à la langue - le plus rare je crois. Mais souvent, tout de même... Quelle est cette blessure, alors ?
    Elena est revenue, avant de repartir. Les fêtes... Elle sait où me trouver bien sûr. Et je me sens froid, distant, stellaire. Ce soir chez elle l'appartement était vide. J'étais invité à dormir, mais je suis reparti. "Je te laisse dormir". Je ne pouvais simplement pas rester. Mais son odeur encore autour de moi...
    Il n'y a pourtant aucun mauvais sentiment. Avais-je envie de la blesser ? Aucunement, j'ai beau inspecter, il n'y a aucune satisfaction à l'idée de la blesser, et je ne crois pas l'avoir fait. D'où vient cette fermeté ? D'où vient ce nouveau statut quo, cette nouvelle configuration ? Me voilà plus profond. Elena a plongé dans mon âme et les remous à la surface n'atteignent plus, très vaguement, ce qu'il s'y peut passer. Voilà : je sais que le moment n'est pas venu, nous n'y sommes pas. La retenue est de mise. "Je te laisse dormir" signifiait "à plus tard". "Vois, je suis là, en retrait". Je souffrirai toutes les fois que tu auras besoin de moi, sans rien dire. Tu as joui ? Parfait : je m'en retourne donc d'où je viens. Ainsi cette distance, cette fermeté ne sont encore que des signes de ma soumission radicale. D'où cette tranquillité d'esprit.
     
  3. Loufiat

    Colère
    Être colère.
    C'est un bien étrange sentiment. Sentir monter en soi le devoir, la nécessité implacable d'une punition. Devenir la Némésis de quelqu'un. La réparation terrifiante et personnifiée d'une faute, d'une injustice. 
    Entrer en colère.
    Être en colère.
    La colère vient toujours de loin. Nous ne parlons pas de s'énerver. S'énerver arrive à tout le monde. Être agacé, s'énerver, ça arrive pour n'importe quoi. Mais être en colère. Voilà de quoi on parle, et c'est autre chose. C'est définitif.
    Pourquoi cherchent-ils à me mettre en colère ? Pourquoi testent-ils ma bienveillance, ma tolérance jusqu'à me mettre en colère ?
    Pourquoi faut-il que j'entre en colère ?
    Ce n'est agréable pour personne. Surtout pas moi. Mais ils poussent, poussent encore et encore, et voilà soudain qu'ils sont surpris, tout étonnés.
    Ah, il est vraiment en colère.
    Croyaient-ils que je ne déchaînerais pas tout contre eux ?
    Qu'encore une fois je retiendrais ?
    Ils croyaient peut-être que j'oubliais leurs petites incartades, leurs petites mesquineries, leurs petites injustices.
    Une bêtise. Deux bêtises... Une trahison, deux trahisons...
    Tant qu'ils avaient à cœur de réparer, tant qu'ils montraient leur sens de la justice.
    Mais ils ont fini par douter que je puisse même me mettre en colère.
    Ils ont oublié que je les protégeais, l'air de rien.
    Mais en colère, évidemment je ne fais pas qu'ôter ma protection. Je châtie.
     
  4. Loufiat

    Ce soir-là
    La colère a vaincu. L'un des fautifs devait partir.
    Les choses allaient mieux pourtant, ces derniers temps. Je lui ai même expliqué les raisons de la colère, un soir, il y a quelques jours, en tête à tête autour d'un verre. Plus calmement que quand j'avais fais l'inventaire de ses fautes, la première fois, quand il n'avait eu que la médisance et la jalousie pour réponse. "Oscar, c'est quand même une petite salope !" avait-il dit. Il croyait qu'Oscar me manipulait. Réaction dérisoire. J'avais tourné les talons. Mais cette fois nous avons parlé calmement. Il sortait de deux mois infernaux. Il ne s'attendait pas à une telle fermeté, lui qui m'avait reproché si souvent ma trop grande tolérance. Et il roulait de toute façon, dans sa vie personnelle, à 200 sur l'autoroute de la perdition. Aussi l'avais-je pris en pitié et, voyant qu'il s'était lui-même suffisamment puni, j'envisageais de tourner la page. Mais c'était trop tard. Trois jours plus tard, après des mots avec l'équipe, il rendait son tablier. Soit.
    "On a gagné la guerre !", s'exclama Oscar. La guerre ? oui, en un sens tu as raison, nous avons mené une guerre. Une petite guerre, à notre échelle. Insignifiante mais enfin, une petite guerre quand-même.
    Héléna a presque complètement disparu. Deux messages en un mois et demi, depuis qu'elle a dû se mettre en préparation intensive pour les examens. C'est qu'elle vise haut. Nous avons tenu un peu plus de deux mois. Dans le sud, où nous ne devions pas nous voir, elle m'a finalement écris pour qu'on se rejoigne. Puis plus tard, de retour sur Paris elle m'a fait une déclaration. Elle ne voulait pas que ça s'arrête. Surprise par ma mine déconfite, elle s'était exclamée "Quoi, c'est toi qui veux plus maintenant ?" Bien sûr que je voulais. Je l'attendrai 5 ans, 10 ans s'il faut. Mais je n'y croyais pas à cet instant. Et j'étais prêt à la perdre, moi ! Je m'y étais préparé deux fois déjà, et voilà qu'elle voulait prolonger le supplice. Que je sois encore, pour des semaines, des mois peut-être, dans la fièvre amoureuse, une pierre attachée au pied d'un oiseau. Deux mois, ça a duré. Entre Paris et la province - pour elle : moi, je reste scotché à la routine. Une fois elle n'a plus donné de nouvelles durant des jours. J'ai compris qu'elle avait fait une rechute. L'épisode dépressif était si sévère que ses parents ont dû aller la chercher au fond du lit ; elle a évité de justesse un passage par l’hôpital. Elle s'est requinquée en deux semaines que nous avons largement passées ensemble. "Tu as été parfait, je n'aurais pas pu rêver mieux", m'a-t-elle dit. Mais ça n'a pas empêché l'inévitable d'arriver un mois plus tard. Trop compliqué. Sa vie étudiante. Ses peurs. Nos emplois du temps inconciliables. Se voir quelques heures et repartir chacun dans une vie trop intense, incommunicable. Il fallait se détacher, la laisser partir. Je le savais. J'avais compris que si quelque chose devait arriver, ce serait plus tard. A la fin de ses études peut-être. Et qu'il faudrait être patient, et fin, en sachant qu'elle rencontrerait quelqu'un. Bref, qu'elle ferait sa vie. La séparation était douloureuse, bien plus douloureuse cette fois. Elle avait quelque chose de plus définitif - de son côté. Bien sûr je ne disais rien, je la voulais heureuse et libre et je ne devais surtout provoquer aucun sentiment négatif, pas même de la culpabilité à mon endroit - ce que je n'ai pas complètement réussi à éviter. Mais la tristesse... J'entrais dans une sorte d'apnée. De toute façon je jouerais le temps long. Notre histoire est impossible aujourd'hui, mais plus tard... Plus tard, tu auras brisé le miroir aux alouettes qui te fait croire qu'un océan de possibilités s'ouvre devant toi, qui te fait vivre tout engagement comme une contrainte. Plus tard tu chercheras autre chose de plus précieux, de plus rare. Et si tu n'es pas tombée sur un brigand plus malin que les autres, ou sur l'homme de ta vie - et comment le pourrais-tu ? puisque c'est moi - je serai là. A t'attendre. Aussi serein que la première fois. Il me faudrait travailler pendant ce temps. Accomplir mes projets. Devenir complètement maître de mon temps et de mon activité - pour pouvoir te les offrir. Alors, si tu ne t'es pas perdue, si tu n'as pas simplement disparue et si ne suis pas mort, tu verras que cette histoire est aussi inévitable qu'elle est impossible. En attendant, fais ta vie, fais tes armes, sois heureuse et déçue autant qu'il faudra et reviens-moi prête pour le grand saut.
    J'ai enfoui Héléna au fond de mon cœur comme on enterre une graine. Il n'y a pas à regarder la graine pour la faire grandir ; on l'arrose, on vaque à ses occupations et un beau matin, on découvre qu'elle a germé. Mais comment sortir Héléna de ma tête ? Comment se sort-on une femme de la tête... Eh bien, on en rencontre une autre.
    Jasmine. Le feu, la terre brulante là où Héléna était l'azur éthéré, inaccessible. Nous ne parlons pas de sentiments. Elle a compris. Et elle accepte. Mieux, elle veut. Cette absence d'ambiguïté ouvre la voie à une relation étonnamment pure, comme les rencontres qu'on fait en voyage et qui, quoi qu'éphémères, sans avenir, n'en sont pas toujours moins profondes et troublantes. Je m'étonne parfois de ce que Jasmine ait pu traverser l'existence en gardant cette fraîcheur, elle qui a presque mon âge. La nomade. Si douce et si impétueuse en même temps. Une nuée ardente sortie tout droit des profondeurs de la terre.
    Tout est rhapsodie.
     
  5. Loufiat

    Ce soir-là
    Un samedi soir de juillet.

    Anissa, mon ex-compagne, dormait à mes côtés. Elle m'avait annoncé avoir trouvé un nouveau "plan cul", un peu plus tôt, ce soir-là.
    Notre séparation était encore assez récente, nous cohabitions pour une durée indéterminée, dormant parfois dans le même lit, quand l'un ou l'autre ne découchait pas.
    Entre-temps j'étais tombé amoureux d'une créature des plus belles que la terre ait porté. Elena. Vingt ans. Ce pétillement, cette intelligence.. et quelle beauté. Quelle jouissance.
    Je ne crois pas qu'elle m'aimait comme je l'aimais. Je l'ignore. En tout cas nous passions autant de temps qu'il nous était permis ensemble, depuis plusieurs semaines, généralement au lit.
    Et donc la veille, et le jour-même, jusqu'à tard dans l'après-midi, ce samedi-là, j'avais été avec Elena.
    La veille, pour fêter son dernier service, nous avions bu un verre au restaurant. Un premier pour la débauche avec l'équipe du matin. Puis nous étions revenus pour la fermeture. Elle avait dansé, plus rayonnante, splendide que jamais. On était rentrés tard, ivres et heureux. Mais le cœur lourd. Son dernier jour de travail signifiait notre inévitable séparation. La dernière fois peut-être où nous nous verrions. Ensuite elle partirait en vacances, pour finalement retourner vivre en province. Nous verrions-nous dans le sud, où nous pourrions nous croiser ? Ce soir-là, elle me dit que non. Que nous ne nous verrions pas dans le sud et probablement plus après. Elle avait raison évidemment. Elle partirait et moi je resterais scotché là, à vivre avec mon ex pour des mois encore peut-être, à bosser 50h par semaines en horaires décalées. Et puis, ce qui rendait cette histoire inepte, notre différence d'âge. Treize années, insurmontables.
    Je ne bataillais pas. J'aurais voulu qu'elle veuille. On aurait trouvé comment. On aurait pu essayer. Mais je n'avais pas le droit de laisser éclater la colère, le refus de l'évidence. L'étoile montante, la jeune surdouée de bonne famille était promise à un avenir radieux. Quelle place y aurait un trimard de plus de dix ans son aîné ?
    A vingt ans, n'est-ce pas, on a tout à découvrir, et surtout pas à s'enticher d'un gars comme moi.
    Elle a eu la lucidité de le comprendre et l'honnêteté de le dire, dans des termes plus attentionnés. Je l'aimais d'autant plus.
    Nous avons donc passé cette dernière nuit ensemble et le lendemain, jusqu'à ce que l'après-midi ait étiré toutes ses heures et que la séparation devienne inévitable. Un moment elle s'endormit. "Réveille-moi dans une demi-heure", avait-elle murmuré. J'aurais dû partir à ce moment-là, discrètement, comme si c'eût été un rêve, comme si de rien n'était. Tout aurait pu s'arrêter là, tout simplement. Mais je ne le compris qu'à son réveil. A nos caresses un peu forcées, maladroites, vides déjà, écoulées.
    Quand je me levais pour rassembler mes affaires, elle hochait la tête, sans rien dire. L'horloge avait sonné quelque part.
    Une dernière caresse au chien. Un dernier sourire.
    Je t'aimerai toujours. Mais j'ai simplement dit "Salut !"
    Elle ne se lèverait pas. Elle m'écouterait traverser le couloir et refermer la porte massive derrière moi, emmitouflée dans les draps, dans ses larmes.
    Et moi j'étais sonné.
    L'ascenseur, la rue, les gens. Tout semblait irréel après ces heures de torpeur. Tout semblait insignifiant.
    Son odeur m'enveloppait encore, me hantait.
    Une dernière fois ton odeur...

    Je marchais jusqu'à chez moi pour trouver l'appartement vide. Anissa, mon ex, était sortie. J'y restais pensif dans le salon plusieurs heures, surpris du mélange de tristesse et de soulagement qui m'envahissait. Pourquoi du soulagement ? La tristesse, l’abattement, être plein à craquer de ce vide, je m'y attendais, c'était couru, mais me sentir soulagé maintenant ? Mais c'est que cette tension, cette fièvre, cette appréhension constante envers Elena allait pouvoir se relâcher. Il n'y aurait plus à réfléchir, à se torturer sans cesse. La fin de la passion, de la souffrance qui me dominait depuis des semaines. Et affronter enfin la douleur de la perte anticipée, connue d'avance ; n'être plus dans son attente mais la vivre pour de bon.

    J'en étais là, à peu près, des investigations quant à ce soulagement inattendu, quand le texto d'Anissa me rappelait à la réalité : elle allait rentrer à l'appartement.
    Je me résignais à prendre une douche, à effacer les dernières traces. Une dernière fois ton odeur...
    Anissa rentra. J'étais heureux de la voir : un être familier et amical, plein d'énergie. Elle était belle, resplendissante même, en jupe noir et débardeur blanc.
    On a discuté vaguement mais j'étais trop absorbé par ce vide au fond du ventre. Derrière chaque regard, sous mes doigts, encore brulante, tes yeux espiègles...
    Un moment je demandais à mon ex, du but en blanc, "tu veux toujours qu'on couche ensemble ?" Elle avait suggéré quelques semaines auparavant qu'on continue malgré la rupture, que ça la rendrait plus facile. Mais ce soir-là elle déclina. Elle m'appris avoir un nouveau partenaire. Et je compris qu'elle en revenait tout juste, d'où son apprêtement. Une belle claque dans ma gueule. 
    Un dégout me prenait. Je te connais si bien ! Je me taisais, frappé d'iniquité quand, ayant passé la journée avec une autre, j'étais physiquement dérangé qu'elle ait été avec un autre.
    Je l'avais quittée : bien sûr qu'elle allait rencontrer quelqu'un, je le savais, à un moment même je l'avais souhaité. Mais ce soir-là...
    Nous ne coucherons plus jamais ensemble. Cette pensée m'accablait, s'enfonçait comme par a-coups à la faveur du vide qui m'envahissait. Elena... tu aurais tellement ri de cette situation avec moi.
    J'oscillais toute la soirée, du dégout à la tristesse. Quelle dérive... Quel bordel !
    Nous avons parlé encore un peu, ce soir-là. Voulant bien faire sans doute, et pour me torturer peut-être aussi un peu - elle en avait bien le droit -, Anissa allait jusqu'à prodiguer ses conseils les plus avisés pour trouver une partenaire, et pourquoi pas utiliser une appli, et quelles filles dans mon entourage elle pensait être intéressées...
    Nous en étions-là, étonnés tous deux de la facilité avec laquelle tout avait glissé entre nous, comment trois ans de relation s'étaient déliées en quelques semaines, quelques mois à peine. Pour aboutir à cette familiarité bizarre.
    J'aurais pu lui parler d'Elena. Elle aurait voulu, elle a cherché. Mais non.
    Et nous sommes finalement allés nous coucher. Dans le même lit, en cuillère. Sans s'embrasser, par réconfort.
    Quand elle s'endormit, je glissais sur le dos, pensif encore. Quelle journée étrange... 
    C'est vers trois heures que des cris retentirent, par la fenêtre entrouverte : une femme jouissait non loin, quelque part dans la nuit.
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