Jasmine
La colère a vaincu. L'un des fautifs devait partir.
Les choses allaient mieux pourtant, ces derniers temps. Je lui ai même expliqué les raisons de la colère, un soir, il y a quelques jours, en tête à tête autour d'un verre. Plus calmement que quand j'avais fais l'inventaire de ses fautes, la première fois, quand il n'avait eu que la médisance et la jalousie pour réponse. "Oscar, c'est quand même une petite salope !" avait-il dit. Il croyait qu'Oscar me manipulait. Réaction dérisoire. J'avais tourné les talons. Mais cette fois nous avons parlé calmement. Il sortait de deux mois infernaux. Il ne s'attendait pas à une telle fermeté, lui qui m'avait reproché si souvent ma trop grande tolérance. Et il roulait de toute façon, dans sa vie personnelle, à 200 sur l'autoroute de la perdition. Aussi l'avais-je pris en pitié et, voyant qu'il s'était lui-même suffisamment puni, j'envisageais de tourner la page. Mais c'était trop tard. Trois jours plus tard, après des mots avec l'équipe, il rendait son tablier. Soit.
"On a gagné la guerre !", s'exclama Oscar. La guerre ? oui, en un sens tu as raison, nous avons mené une guerre. Une petite guerre, à notre échelle. Insignifiante mais enfin, une petite guerre quand-même.
Héléna a presque complètement disparu. Deux messages en un mois et demi, depuis qu'elle a dû se mettre en préparation intensive pour les examens. C'est qu'elle vise haut. Nous avons tenu un peu plus de deux mois. Dans le sud, où nous ne devions pas nous voir, elle m'a finalement écris pour qu'on se rejoigne. Puis plus tard, de retour sur Paris elle m'a fait une déclaration. Elle ne voulait pas que ça s'arrête. Surprise par ma mine déconfite, elle s'était exclamée "Quoi, c'est toi qui veux plus maintenant ?" Bien sûr que je voulais. Je l'attendrai 5 ans, 10 ans s'il faut. Mais je n'y croyais pas à cet instant. Et j'étais prêt à la perdre, moi ! Je m'y étais préparé deux fois déjà, et voilà qu'elle voulait prolonger le supplice. Que je sois encore, pour des semaines, des mois peut-être, dans la fièvre amoureuse, une pierre attachée au pied d'un oiseau. Deux mois, ça a duré. Entre Paris et la province - pour elle : moi, je reste scotché à la routine. Une fois elle n'a plus donné de nouvelles durant des jours. J'ai compris qu'elle avait fait une rechute. L'épisode dépressif était si sévère que ses parents ont dû aller la chercher au fond du lit ; elle a évité de justesse un passage par l’hôpital. Elle s'est requinquée en deux semaines que nous avons largement passées ensemble. "Tu as été parfait, je n'aurais pas pu rêver mieux", m'a-t-elle dit. Mais ça n'a pas empêché l'inévitable d'arriver un mois plus tard. Trop compliqué. Sa vie étudiante. Ses peurs. Nos emplois du temps inconciliables. Se voir quelques heures et repartir chacun dans une vie trop intense, incommunicable. Il fallait se détacher, la laisser partir. Je le savais. J'avais compris que si quelque chose devait arriver, ce serait plus tard. A la fin de ses études peut-être. Et qu'il faudrait être patient, et fin, en sachant qu'elle rencontrerait quelqu'un. Bref, qu'elle ferait sa vie. La séparation était douloureuse, bien plus douloureuse cette fois. Elle avait quelque chose de plus définitif - de son côté. Bien sûr je ne disais rien, je la voulais heureuse et libre et je ne devais surtout provoquer aucun sentiment négatif, pas même de la culpabilité à mon endroit - ce que je n'ai pas complètement réussi à éviter. Mais la tristesse... J'entrais dans une sorte d'apnée. De toute façon je jouerais le temps long. Notre histoire est impossible aujourd'hui, mais plus tard... Plus tard, tu auras brisé le miroir aux alouettes qui te fait croire qu'un océan de possibilités s'ouvre devant toi, qui te fait vivre tout engagement comme une contrainte. Plus tard tu chercheras autre chose de plus précieux, de plus rare. Et si tu n'es pas tombée sur un brigand plus malin que les autres, ou sur l'homme de ta vie - et comment le pourrais-tu ? puisque c'est moi - je serai là. A t'attendre. Aussi serein que la première fois. Il me faudrait travailler pendant ce temps. Accomplir mes projets. Devenir complètement maître de mon temps et de mon activité - pour pouvoir te les offrir. Alors, si tu ne t'es pas perdue, si tu n'as pas simplement disparue et si ne suis pas mort, tu verras que cette histoire est aussi inévitable qu'elle est impossible. En attendant, fais ta vie, fais tes armes, sois heureuse et déçue autant qu'il faudra et reviens-moi prête pour le grand saut.
J'ai enfoui Héléna au fond de mon cœur comme on enterre une graine. Il n'y a pas à regarder la graine pour la faire grandir ; on l'arrose, on vaque à ses occupations et un beau matin, on découvre qu'elle a germé. Mais comment sortir Héléna de ma tête ? Comment se sort-on une femme de la tête... Eh bien, on en rencontre une autre.
Jasmine. Le feu, la terre brulante là où Héléna était l'azur éthéré, inaccessible. Nous ne parlons pas de sentiments. Elle a compris. Et elle accepte. Mieux, elle veut. Cette absence d'ambiguïté ouvre la voie à une relation étonnamment pure, comme les rencontres qu'on fait en voyage et qui, quoi qu'éphémères, sans avenir, n'en sont pas toujours moins profondes et troublantes. Je m'étonne parfois de ce que Jasmine ait pu traverser l'existence en gardant cette fraîcheur, elle qui a presque mon âge. La nomade. Si douce et si impétueuse en même temps. Une nuée ardente sortie tout droit des profondeurs de la terre.
Tout est rhapsodie.
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